DAKARACTU.COM Dans la suite du long entretien qu'il nous a accordé à quelques jours de l'ouverture de la campagne électorale, Abdoulaye Wade revient sur la polémique autour de sa candidature, le schéma qu'il compte mettre en place pour sa propre succession, les projets qu'il lui reste à réaliser, les années qu'il entend passer au pouvoir s'il est réélu, ses rapports avec Barack Obama et Nicolas Sarkozy, et sur bien d'autres questions...
Monsieur le président, la Constitution du Sénégal vous confère le droit d’exercer deux mandats successifs. En en briguant un troisième, vous êtes en train de violer la Loi fondamentale de notre pays…
Cette affaire de deuxième ou de troisième mandat n’est pas à mes yeux un débat. Dans le cadre de la nouvelle république instaurée par la Constitution de 2001, je n’ai pas encore de deuxième mandat. La nouvelle Loi fondamentale ne peut pas comptabiliser celui qui a couru de 2000 à 2007. Elle dispose pour l’avenir.
A votre âge et après douze ans au pouvoir, quel sens y a-t-il à ce que vous briguiez un nouveau mandat que vous n’êtes même pas sûr de pouvoir exercer intégralement ?
Ceux qui aujourd’hui sont de ma génération dans la classe politique sont dans l’opposition. Ma prochaine élection aura d’abord pour conséquence de les envoyer tous à une retraite définitive. Ils vont être remplacés par d’autres, qui préparent cette alternance générationnelle. Les jeunes cadres du Parti socialiste enterrent Tanor Dieng en douceur, et il se laisse faire. S’il était malin, il serait venu à moi maintenant, et il aurait été le bienvenu comme ministre d’Etat dans mon gouvernement. Il serait un partenaire, son parti est quand même le deuxième du Sénégal, quoiqu’on puisse dire. Mais il a des scrupules à me rejoindre. Ce n’est pas un leader. Moi, j’avais tout mon parti contre moi, et pourtant je suis allé avec Abdou Diouf, je n’avais pas le choix. Il fallait que je le fasse. La conséquence première donc de ma réélection, c’est l’apparition au sein du PS de la génération qui vient juste après, composée des Aissata Tall Sall, Khalifa Sall, et d’autres. Tandis que de mon côté, je serai pratiquement seul. C’est pourquoi je veux préparer un large gouvernement d’union nationale ou de majorité présidentielle élargie, avec ceux qui voudront en faire partie, même du Parti socialiste, des jeunes qui n’ont pas les conflits historiques que je peux avoir avec Amath Dansokho ou Abdoulaye Bathily.
Pourquoi croyez-vous que votre schéma va marcher ?
Il va marcher parce que la relève dans mon parti et celle au sein de l’opposition vont s’entendre. Mes congénères s’étripent entre marxistes et libéraux. Et nous avons des problèmes qui remontent aux bancs de l’université. Les jeunes de nos partis respectifs n’ont pas de différends idéologiques et se retrouvent autour de l’essentiel. Entre eux, ils vont parler de choses concrètes et développer des synergies. C’est cet autre Sénégal que je suis en train de mettre en place. C’est cela mon rôle historique.
N’est-ce pas tout cela un simple prétexte pour conserver le pouvoir ? Et pour sept longues autres années…
C’est moi-même qui ai rédigé le nouvel article 37, issu de la réforme constitutionnelle de 2008, qui dit que le mandat du président de la République est de 7 ans. J’ai été élu sur la base de la Constitution de 1963, comme Senghor et Diouf, et ai ai entrepris une nouvelle Loi fondamentale qui a été votée après mon élection. Quand j’étais dans l’opposition, je défendais l’idée d’un mandat de cinq ans, comme tous les opposants. Une fois élu, j’ai changé la Constitution pour instituer le quinquennat. Après mes premiers 7 ans à la tête de l'Etat, j’ai entamé un mandat de 5 ans. C’est à ce moment que j’ai consulté les présidents africains qui ont fait le même diagnostic que moi : cinq ans, ce n’est pas assez. On a juste le temps d’installer son pouvoir, de commencer à se faire la main, pour passer à une nouvelle campagne électorale. C’est dangereux de laisser à mon successeur un mandat de cinq ans. C’est la porte ouverte à l’instabilité. Voila le sens de la réforme de 2008.
Si vous êtes réélu, vous n’allez pas faire 7 ans…
Dieu Seul le sait. Moi, en tous cas, je vais m’atteler à terminer mes grands projets.
Lesquels, que vous n’ayez déjà réalisés ou initiés ?
L’aéroport Blaise Diagne doit fonctionner, je dois prendre un avion et y aller avant l’élection, pour l’inaugurer. Je veux multiplier les universités, c’est mon grand vœu de renforcer les universités régionales, construire deux nouvelles universités à Diamniadio, la grande Cité des affaires sur l’emprise de l’actuel l’aéroport et bâtir le plus grand port de l’Atlantique. Il y a aussi trois nouvelles villes que je compte ériger : celle administrative, celle du lac Rose, et une autre entre les deux. Sans oublier l’assainissement de Kaolack, le port de Kaolack à Kahone, pour être branché directement sur le Mali. L’acier de la région du Sénégal Oriental va nous permettre de construire des rails, des wagons. Je vais créer à Tambacounda une école des Mines comme il en existe à Paris. Je ferai tout cela dans les deux à trois ans.
Pour ensuite léguer le pouvoir à votre fils Karim ?
Pour organiser une élection transparente et passer le relais à celui qui va en sortir vainqueur.
L’Etat étant une continuité, pourquoi ne laissez-vous pas votre successeur terminer ces projets ?
Quel successeur ? Vous ne comprenez donc pas ? Mes projets ne sont pas que des constructions. Ils sont le fruit d’une vision qui est la mienne, que j’ai exposée dans le cadre du Nepad. Tous ceux auxquels vous pensez n’ont pas cette vision, encore moins l’efficacité pour la mettre en œuvre. Et puis, je suis presque au bout, il ne reste que deux ou trois années de travail, pour finir de moderniser totalement ce pays et le placer définitivement sur la voie de l’émergence. Je ne peux pas, en si bon chemin, laisser le Sénégal entre des mains d’aventuriers qui iront gâcher tous les acquis, et nous conduire vers des lendemains incertains.
Il y a de nombreuses personnalités étrangères qui s’opposent à votre candidature, comme Barack Obama, par exemple…
Ah bon ? Ce n’est pas ce qui me revient de façon officielle, tout au contraire. Hillary Clinton m’a d’ailleurs félicité à Monrovia, reconnaissant tous les efforts que j’ai faits dans le domaine du développement et de la démocratie dans mon pays. Quant à Barack Obama, nous ne nous connaissons pas bien, mais je me considère au moins comme son égal, en tant que dirigeant d’un pays souverain. Georges Bush, par contre, était mon ami. Il m’a d’ailleurs téléphoné à quelques minutes du déclenchement de la guerre en Irak.
Nicolas Sarkozy ne semble pas favorable à votre candidature, comme en attestent les vifs propos d’Alain Juppé contre vous et contre celle-ci…
Nicolas Sarkozy n’a jamais rien dit de tel. Certaines réactions l’étonnent d’ailleurs autant que moi. Sarkozy est un homme intelligent, il dirige un pays qui a des rapports historiques avec le Sénégal, et qui y gère des lourds intérêts. Jamais il ne fera de telles déclarations à l’emporte pièces, comme certains qui prétendent parler en son nom ou au nom de la France.
Malgré tout, le peuple sénégalais réclame votre départ au point d’avoir inventé le slogan « Wade dégage ! »…
Quel peuple ? Ces quelques jeunes manipulés par des apprentis-sorciers et qui occupent parfois les rues de Dakar ? Ils ne sont même pas représentatifs de Dakar, a fortiori du Sénégal. Ma décision de partir ne peut dépendre ni être déterminée par ce type d’agitation. Je tiens à faire bénéficier mon pays de mon expérience et de ma volonté de faire. A mon âge et au regard de ma carrière passée, je n’attends plus rien de personnel du pouvoir. Je ne suis animé que par un seul moteur : le plaisir de servir.
Propos recueillis par Cheikh Yérim Seck.
Monsieur le président, la Constitution du Sénégal vous confère le droit d’exercer deux mandats successifs. En en briguant un troisième, vous êtes en train de violer la Loi fondamentale de notre pays…
Cette affaire de deuxième ou de troisième mandat n’est pas à mes yeux un débat. Dans le cadre de la nouvelle république instaurée par la Constitution de 2001, je n’ai pas encore de deuxième mandat. La nouvelle Loi fondamentale ne peut pas comptabiliser celui qui a couru de 2000 à 2007. Elle dispose pour l’avenir.
A votre âge et après douze ans au pouvoir, quel sens y a-t-il à ce que vous briguiez un nouveau mandat que vous n’êtes même pas sûr de pouvoir exercer intégralement ?
Ceux qui aujourd’hui sont de ma génération dans la classe politique sont dans l’opposition. Ma prochaine élection aura d’abord pour conséquence de les envoyer tous à une retraite définitive. Ils vont être remplacés par d’autres, qui préparent cette alternance générationnelle. Les jeunes cadres du Parti socialiste enterrent Tanor Dieng en douceur, et il se laisse faire. S’il était malin, il serait venu à moi maintenant, et il aurait été le bienvenu comme ministre d’Etat dans mon gouvernement. Il serait un partenaire, son parti est quand même le deuxième du Sénégal, quoiqu’on puisse dire. Mais il a des scrupules à me rejoindre. Ce n’est pas un leader. Moi, j’avais tout mon parti contre moi, et pourtant je suis allé avec Abdou Diouf, je n’avais pas le choix. Il fallait que je le fasse. La conséquence première donc de ma réélection, c’est l’apparition au sein du PS de la génération qui vient juste après, composée des Aissata Tall Sall, Khalifa Sall, et d’autres. Tandis que de mon côté, je serai pratiquement seul. C’est pourquoi je veux préparer un large gouvernement d’union nationale ou de majorité présidentielle élargie, avec ceux qui voudront en faire partie, même du Parti socialiste, des jeunes qui n’ont pas les conflits historiques que je peux avoir avec Amath Dansokho ou Abdoulaye Bathily.
Pourquoi croyez-vous que votre schéma va marcher ?
Il va marcher parce que la relève dans mon parti et celle au sein de l’opposition vont s’entendre. Mes congénères s’étripent entre marxistes et libéraux. Et nous avons des problèmes qui remontent aux bancs de l’université. Les jeunes de nos partis respectifs n’ont pas de différends idéologiques et se retrouvent autour de l’essentiel. Entre eux, ils vont parler de choses concrètes et développer des synergies. C’est cet autre Sénégal que je suis en train de mettre en place. C’est cela mon rôle historique.
N’est-ce pas tout cela un simple prétexte pour conserver le pouvoir ? Et pour sept longues autres années…
C’est moi-même qui ai rédigé le nouvel article 37, issu de la réforme constitutionnelle de 2008, qui dit que le mandat du président de la République est de 7 ans. J’ai été élu sur la base de la Constitution de 1963, comme Senghor et Diouf, et ai ai entrepris une nouvelle Loi fondamentale qui a été votée après mon élection. Quand j’étais dans l’opposition, je défendais l’idée d’un mandat de cinq ans, comme tous les opposants. Une fois élu, j’ai changé la Constitution pour instituer le quinquennat. Après mes premiers 7 ans à la tête de l'Etat, j’ai entamé un mandat de 5 ans. C’est à ce moment que j’ai consulté les présidents africains qui ont fait le même diagnostic que moi : cinq ans, ce n’est pas assez. On a juste le temps d’installer son pouvoir, de commencer à se faire la main, pour passer à une nouvelle campagne électorale. C’est dangereux de laisser à mon successeur un mandat de cinq ans. C’est la porte ouverte à l’instabilité. Voila le sens de la réforme de 2008.
Si vous êtes réélu, vous n’allez pas faire 7 ans…
Dieu Seul le sait. Moi, en tous cas, je vais m’atteler à terminer mes grands projets.
Lesquels, que vous n’ayez déjà réalisés ou initiés ?
L’aéroport Blaise Diagne doit fonctionner, je dois prendre un avion et y aller avant l’élection, pour l’inaugurer. Je veux multiplier les universités, c’est mon grand vœu de renforcer les universités régionales, construire deux nouvelles universités à Diamniadio, la grande Cité des affaires sur l’emprise de l’actuel l’aéroport et bâtir le plus grand port de l’Atlantique. Il y a aussi trois nouvelles villes que je compte ériger : celle administrative, celle du lac Rose, et une autre entre les deux. Sans oublier l’assainissement de Kaolack, le port de Kaolack à Kahone, pour être branché directement sur le Mali. L’acier de la région du Sénégal Oriental va nous permettre de construire des rails, des wagons. Je vais créer à Tambacounda une école des Mines comme il en existe à Paris. Je ferai tout cela dans les deux à trois ans.
Pour ensuite léguer le pouvoir à votre fils Karim ?
Pour organiser une élection transparente et passer le relais à celui qui va en sortir vainqueur.
L’Etat étant une continuité, pourquoi ne laissez-vous pas votre successeur terminer ces projets ?
Quel successeur ? Vous ne comprenez donc pas ? Mes projets ne sont pas que des constructions. Ils sont le fruit d’une vision qui est la mienne, que j’ai exposée dans le cadre du Nepad. Tous ceux auxquels vous pensez n’ont pas cette vision, encore moins l’efficacité pour la mettre en œuvre. Et puis, je suis presque au bout, il ne reste que deux ou trois années de travail, pour finir de moderniser totalement ce pays et le placer définitivement sur la voie de l’émergence. Je ne peux pas, en si bon chemin, laisser le Sénégal entre des mains d’aventuriers qui iront gâcher tous les acquis, et nous conduire vers des lendemains incertains.
Il y a de nombreuses personnalités étrangères qui s’opposent à votre candidature, comme Barack Obama, par exemple…
Ah bon ? Ce n’est pas ce qui me revient de façon officielle, tout au contraire. Hillary Clinton m’a d’ailleurs félicité à Monrovia, reconnaissant tous les efforts que j’ai faits dans le domaine du développement et de la démocratie dans mon pays. Quant à Barack Obama, nous ne nous connaissons pas bien, mais je me considère au moins comme son égal, en tant que dirigeant d’un pays souverain. Georges Bush, par contre, était mon ami. Il m’a d’ailleurs téléphoné à quelques minutes du déclenchement de la guerre en Irak.
Nicolas Sarkozy ne semble pas favorable à votre candidature, comme en attestent les vifs propos d’Alain Juppé contre vous et contre celle-ci…
Nicolas Sarkozy n’a jamais rien dit de tel. Certaines réactions l’étonnent d’ailleurs autant que moi. Sarkozy est un homme intelligent, il dirige un pays qui a des rapports historiques avec le Sénégal, et qui y gère des lourds intérêts. Jamais il ne fera de telles déclarations à l’emporte pièces, comme certains qui prétendent parler en son nom ou au nom de la France.
Malgré tout, le peuple sénégalais réclame votre départ au point d’avoir inventé le slogan « Wade dégage ! »…
Quel peuple ? Ces quelques jeunes manipulés par des apprentis-sorciers et qui occupent parfois les rues de Dakar ? Ils ne sont même pas représentatifs de Dakar, a fortiori du Sénégal. Ma décision de partir ne peut dépendre ni être déterminée par ce type d’agitation. Je tiens à faire bénéficier mon pays de mon expérience et de ma volonté de faire. A mon âge et au regard de ma carrière passée, je n’attends plus rien de personnel du pouvoir. Je ne suis animé que par un seul moteur : le plaisir de servir.
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