La laborieuse et trainante formation du gouvernement – nonobstant les journées de solitude passées à Marrakech – prouve que les pressions obscures et les impératifs sains d’une épure vraiment nationale de l’attelage (équité territoriale, poids politique, quotas de coalition etc.) sont plus puissants que la boulimie des réformes. Autrement dit, il est plus aisé de discourir sur le « recentrage autour des priorités » ou le « resserrement organique de l’équipe » que de bien réussir ce double pari. A ce propos, la configuration du nouveau gouvernement attire des remarques comme l’aimant attire le fer. Primo, le gouvernement sera vite orphelin de son chef, Boune Abdallah Dionne, assis dans un fauteuil rendu branlant par la boulimie des réformes. Secundo, beaucoup de visages sont réellement nouveaux, mais sont-ils vraiment avenants aux yeux des Sénégalais ? Tertio, la chirurgie gouvernementale – ablation de la phalange des dinosaures de l’APR – provoquera assurément des craquements ou des bruits politiques peu propices au déroulement optimal de l’agenda herculéen et post-électoral. Nous y reviendrons amplement dans un prochain Laser.
La grandissime soif des réformes chez le chef de l’Etat a accouché d’un mélange d’ivresse et d’hystérie dans la réorganisation des deux piliers de l’Exécutif national : Présidence et Gouvernement. La pente abrupte du resserrement et la planche glissante du recentrage – les maitres-mots du second mandat – conduisent directement vers les marécages de la gouvernance incongrue. Dans un pays qui a une longue tradition d’organisation et de méthode (Léopold Sédar Senghor est le père du BOM), les réformes s’adossent d’office à un excellent héritage de démarches méthodologiques et à une lumineuse leçon d’Histoire politique qui dispensent totalement le Président Macky Sall de toute quête accélérée, bâclée, frénétique et maladroite de changements structurels.
Taillons d’abord en pièces, les mauvaises comparaisons et les références historiquement approximatives ! Le bicéphalisme qui a prévalu aux premières heures de l’indépendance était, à la fois, un prolongement de l’application de la Loi-Cadre de Gaston Deferre (autonomie interne) et un avatar du brutal éclatement de la Fédération du Mali. Cet Exécutif bicéphale a connu son heure de vérité et son arrêt de mort, en décembre 1962. D’où la très justifiée et pertinente réforme de l’année suivante : 1963. Moins de dix ans après, le très visionnaire Président Senghor – très soucieux de relève sans désordre via le « dauphinat » et par le biais de l’article 35 – créa la Primature, mais ne restaura pas la Présidence du Conseil, jadis, coiffée par Mamadou Dia. Abdou Diouf devint le Premier ministre ou plus exactement le Premier d’entre les ministres, jusqu’à la fin de l’année 1980. Immédiatement après son investiture, le Président Abdou Diouf nomma son Premier ministre, en l’occurrence, Moustapha Niasse, en lui assignant une sommaire mission : la suppression de la Primature. Une courte mission que Moustapha Niasse accomplit sans changer de bureau, donc sans migrer vers la Présidence.
Aujourd’hui, on est témoin d’une incongruité qui dégage Boune Abdallah Dionne de sa station et lui impose d’organiser sa propre rétrogradation. Au plan Institutionnel, le schéma est inhabituel et inélégant. Politiquement, aucune conjoncture d’exception ne justifie la précipitation, notamment au lendemain d’une victoire électorale arithmétiquement confortable et dans la perspective d’un dialogue normalement porteur de décrispation ou de détente. Justement, ici, apparaît historiquement la démarcation des postures entre Abdou Diouf et Macky Sall. En effet, le Président Diouf – très mutilé, en termes de légitimité, entre 1980 et 1983 – avait grandement besoin de fortifier la Présidence de la république au détriment du gouvernement, afin d’endiguer les frustrations des barons socialistes détrônés (Magatte Lo, Babacar Ba, Alioune Badara Mbengue, Assane Seck etc.) et de déjouer leurs éventuelles menées subversives dans le Parti et dans le pays. Dans cette logique de neutralisation des barons et des ambitieux de tous bords, Jean Collin, anciennement Ministre de l’Intérieur, est nommé Ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la république. Dans la foulée de la réforme, tous les Gouverneurs de région ont été rattachés organiquement à la Présidence. C’est dire que les judicieuses réformes ont une histoire, un timing et des modalités. Faute de quoi, elles restent cosmétiques et contre-productives. Voire périlleuses.
En fait, l’inédit, ce n’est pas le décret présidentiel qui fait de l’ex-Premier ministre Boune Abdallah Dionne, un Ministre d’Etat. Michel Debré a été Premier ministre puis Ministre d’Etat chargé des Affaires Etrangères et, plus tard, chargé des Armées du Général De Gaulle. Même chose en Israël où Shimon Peres a navigué entre les grands ministères et les fonctions de Premier ministre. L’Etat hébreu ayant, à la différence du Sénégal, un régime fortement parlementaire. En Afrique, c’est plus rare. En revanche, nommer un ex-chef du gouvernement à la tête du Secrétariat général de la Présidence (un poste hybride au carrefour du politique et de l’administratif) est une incongruité qui heurte l’orthodoxie et bafoue la rigueur protocolaire.
Par ailleurs, le présent train de réformes induit quelques risques et de réelles servitudes. Premièrement, le Président Macky Sall perd cette paroi qui protège des coups politiques et des étincelles sociales, comme les grèves, les émeutes, les bavures d’origine militaire ou policière. Deuxièmement, l’amoncellement des dossiers sur sa table feront de lui un « Roi » non paresseux et obligatoirement un « Empereur » travailleur, à l’instar de Léopold Sédar Senghor qui transportait, tous les week-end, à Poponguine, une lourde pile de documents (Inspection générale d’Etat, Cour des comptes, Contrôle financier, notes diplomatiques sensibles) qu’il lisait « crayon à la main » et annotait. Parfois, le Président Senghor pointait et corrigeait les lacunes grammaticales. Du reste, les arguments de justification autour de la « souplesse dans l’action gouvernementale », de la suppression des « goulots d’étrangement » et de la « lisibilité de l’échelle des responsabilités » passeraient la rampe de la crédibilité, si le Président Macky Sall transférait simultanément ses charges de chef de l’APR sur les épaules d’un de ses camarades de Parti, conformément aux fermes recommandations des Assises nationales. Bref, la leçon du Président Bourguiba demeure le meilleur bréviaire pour tous ceux qui sont friands de changements structurels : « Une réforme modeste qui permet et facilite une autre, est préférable à un miracle impossible ».
PS : N’excluons pas que derrière ce rideau de réformes se nichent des arrière-pensées successorales en faveur de Boune Abdallah Dionne, le meilleur et le plus sûr soldat, totalement dévoué et, surtout, disposé à sécuriser le repli du chef, en 2024. D’où les artifices et les astuces qui modifient formellement les institutions exécutives, endorment réellement les héritiers les plus pressés au sein de l’APR. Non sans étouffer les guérillas internes qui sont de nature à polluer voire empoisonner le second mandat. Voilà qui explique la défenestration rampante du Ministre Amadou Ba. Les Affaires Etrangères sont les affaires…du dehors.
Erratum : un oubli de la part de Babacar Justin Ndiaye a occulté la parenthèse Habib Thiam (1981-1983) dans la chronologie historique du Laser. Toutes nos excuses auprès des lecteurs.
La grandissime soif des réformes chez le chef de l’Etat a accouché d’un mélange d’ivresse et d’hystérie dans la réorganisation des deux piliers de l’Exécutif national : Présidence et Gouvernement. La pente abrupte du resserrement et la planche glissante du recentrage – les maitres-mots du second mandat – conduisent directement vers les marécages de la gouvernance incongrue. Dans un pays qui a une longue tradition d’organisation et de méthode (Léopold Sédar Senghor est le père du BOM), les réformes s’adossent d’office à un excellent héritage de démarches méthodologiques et à une lumineuse leçon d’Histoire politique qui dispensent totalement le Président Macky Sall de toute quête accélérée, bâclée, frénétique et maladroite de changements structurels.
Taillons d’abord en pièces, les mauvaises comparaisons et les références historiquement approximatives ! Le bicéphalisme qui a prévalu aux premières heures de l’indépendance était, à la fois, un prolongement de l’application de la Loi-Cadre de Gaston Deferre (autonomie interne) et un avatar du brutal éclatement de la Fédération du Mali. Cet Exécutif bicéphale a connu son heure de vérité et son arrêt de mort, en décembre 1962. D’où la très justifiée et pertinente réforme de l’année suivante : 1963. Moins de dix ans après, le très visionnaire Président Senghor – très soucieux de relève sans désordre via le « dauphinat » et par le biais de l’article 35 – créa la Primature, mais ne restaura pas la Présidence du Conseil, jadis, coiffée par Mamadou Dia. Abdou Diouf devint le Premier ministre ou plus exactement le Premier d’entre les ministres, jusqu’à la fin de l’année 1980. Immédiatement après son investiture, le Président Abdou Diouf nomma son Premier ministre, en l’occurrence, Moustapha Niasse, en lui assignant une sommaire mission : la suppression de la Primature. Une courte mission que Moustapha Niasse accomplit sans changer de bureau, donc sans migrer vers la Présidence.
Aujourd’hui, on est témoin d’une incongruité qui dégage Boune Abdallah Dionne de sa station et lui impose d’organiser sa propre rétrogradation. Au plan Institutionnel, le schéma est inhabituel et inélégant. Politiquement, aucune conjoncture d’exception ne justifie la précipitation, notamment au lendemain d’une victoire électorale arithmétiquement confortable et dans la perspective d’un dialogue normalement porteur de décrispation ou de détente. Justement, ici, apparaît historiquement la démarcation des postures entre Abdou Diouf et Macky Sall. En effet, le Président Diouf – très mutilé, en termes de légitimité, entre 1980 et 1983 – avait grandement besoin de fortifier la Présidence de la république au détriment du gouvernement, afin d’endiguer les frustrations des barons socialistes détrônés (Magatte Lo, Babacar Ba, Alioune Badara Mbengue, Assane Seck etc.) et de déjouer leurs éventuelles menées subversives dans le Parti et dans le pays. Dans cette logique de neutralisation des barons et des ambitieux de tous bords, Jean Collin, anciennement Ministre de l’Intérieur, est nommé Ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la république. Dans la foulée de la réforme, tous les Gouverneurs de région ont été rattachés organiquement à la Présidence. C’est dire que les judicieuses réformes ont une histoire, un timing et des modalités. Faute de quoi, elles restent cosmétiques et contre-productives. Voire périlleuses.
En fait, l’inédit, ce n’est pas le décret présidentiel qui fait de l’ex-Premier ministre Boune Abdallah Dionne, un Ministre d’Etat. Michel Debré a été Premier ministre puis Ministre d’Etat chargé des Affaires Etrangères et, plus tard, chargé des Armées du Général De Gaulle. Même chose en Israël où Shimon Peres a navigué entre les grands ministères et les fonctions de Premier ministre. L’Etat hébreu ayant, à la différence du Sénégal, un régime fortement parlementaire. En Afrique, c’est plus rare. En revanche, nommer un ex-chef du gouvernement à la tête du Secrétariat général de la Présidence (un poste hybride au carrefour du politique et de l’administratif) est une incongruité qui heurte l’orthodoxie et bafoue la rigueur protocolaire.
Par ailleurs, le présent train de réformes induit quelques risques et de réelles servitudes. Premièrement, le Président Macky Sall perd cette paroi qui protège des coups politiques et des étincelles sociales, comme les grèves, les émeutes, les bavures d’origine militaire ou policière. Deuxièmement, l’amoncellement des dossiers sur sa table feront de lui un « Roi » non paresseux et obligatoirement un « Empereur » travailleur, à l’instar de Léopold Sédar Senghor qui transportait, tous les week-end, à Poponguine, une lourde pile de documents (Inspection générale d’Etat, Cour des comptes, Contrôle financier, notes diplomatiques sensibles) qu’il lisait « crayon à la main » et annotait. Parfois, le Président Senghor pointait et corrigeait les lacunes grammaticales. Du reste, les arguments de justification autour de la « souplesse dans l’action gouvernementale », de la suppression des « goulots d’étrangement » et de la « lisibilité de l’échelle des responsabilités » passeraient la rampe de la crédibilité, si le Président Macky Sall transférait simultanément ses charges de chef de l’APR sur les épaules d’un de ses camarades de Parti, conformément aux fermes recommandations des Assises nationales. Bref, la leçon du Président Bourguiba demeure le meilleur bréviaire pour tous ceux qui sont friands de changements structurels : « Une réforme modeste qui permet et facilite une autre, est préférable à un miracle impossible ».
PS : N’excluons pas que derrière ce rideau de réformes se nichent des arrière-pensées successorales en faveur de Boune Abdallah Dionne, le meilleur et le plus sûr soldat, totalement dévoué et, surtout, disposé à sécuriser le repli du chef, en 2024. D’où les artifices et les astuces qui modifient formellement les institutions exécutives, endorment réellement les héritiers les plus pressés au sein de l’APR. Non sans étouffer les guérillas internes qui sont de nature à polluer voire empoisonner le second mandat. Voilà qui explique la défenestration rampante du Ministre Amadou Ba. Les Affaires Etrangères sont les affaires…du dehors.
Erratum : un oubli de la part de Babacar Justin Ndiaye a occulté la parenthèse Habib Thiam (1981-1983) dans la chronologie historique du Laser. Toutes nos excuses auprès des lecteurs.
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