DAKARACTU.COM Beaucoup de Sénégalais s’attendaient à ce qu’il parle au lendemain des soulèvements populaires des 23 et 27 juin. Les journaux, les radios et les télévisions ont multiplié les titres pour s’inquiéter de son silence. Abdoulaye Wade a toutefois persisté dans une réserve inhabituelle. Et pour cause, il a tardé à prendre la pleine mesure de la situation et a mis du temps à savoir où aller, et donc quoi dire. Il a énormément consulté et beaucoup discuté. A tous ceux dont il a recueilli l’avis, il a martelé : « J’écoute tout le monde. Mais aucun point de vue ne me lie. Je prendrai les décisions qui me sembleront les plus appropriées. »
Au bout de plus de deux semaines de concertations, le chef de l’Etat, qui a maintenant les idées claires, a décidé de parler le 14 juillet à l’occasion d’une rencontre qu’il aura avec les élus (sénateurs, députés, élus locaux…). Ses proches lui ont conseillé ce jour-là de ne pas se limiter à commenter ce qui est arrivé, mais plutôt d’annoncer des décisions fortes pour reprendre la main. Selon une source proche de l’entourage présidentiel, « Wade devrait se prononcer sans nuance contre toute forme de dévolution monarchique du pouvoir et annoncer la formation d’un gouvernement resserré. » Quant à son fils et ministre d’Etat Karim Wade, ses proches lui ont suggéré de le maintenir au gouvernement, pour ne pas concéder une victoire symbolique à l’opposition qui réclame son départ, mais de réduire le nombre de portefeuilles ministériels qu’il détient. Fera-t-il tout ce qu’on lui a dit ? Tout porte à le penser. D’autant que la crise actuelle a inculqué à Wade l’esprit de concertation. Il a resserré son pouvoir autour de quelques personnalités avec lesquelles il discute régulièrement : le président de l’Assemblée nationale, Mamadou Seck, le Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, le ministre des Affaires étrangères, Madické Niang, l’ex-garde des sceaux devenu responsable de la communication dans le directoire de campagne, Me Amadou Sall, le conseiller de son fils Karim Wade, Cheikh Diallo, aujourd’hui consulté sur tout… Mais aussi Pape Diop, le président du Sénat, qui a mis à profit la crise pour faire montre de fidélité et revenir peu à peu en grâce.
Le président ne veut plus rien laisser au hasard. Babacar Gaye, le porte-parole de son parti, lui a proposé un plan de reconquête de l’opinion qu’il a accepté et qu’il va mettre en œuvre. Il va former un Groupe fermé d’utilisateurs (GFU) dans le cadre duquel tous les responsables du parti vont échanger sur les grandes questions. Le volet reconquête du terrain consistera en l’envoi chaque weekend de 25 cadres du parti dans chacune des 40 localités les plus importantes du pays. Pour contrer le mouvement « Y en a marre » qui élabore sa lutte à partir d’e-mails, de sms et de certains réseaux sociaux comme Facebook, Wade va développer le cybermilitantisme. Des milieux de jeunes de son parti vont être formés pour intervenir dans les forums de discussion, faire entendre leur voix à travers les réseaux sociaux, tisser leur toile sur le web…
Pour contenir la capacité de nuisance du Mouvement des forces vives du 23 juin, le chef de l’Etat va s’appuyer sur les « comités de défense de la démocratie et des institutions » que les jeunes militants de son parti sont entrain de constituer dans chaque structure de base du pays. Mais aussi sur une police plus massive (avec l’intégration de 270 policiers municipaux dans la police nationale) et mieux équipée (du matériel de maintien de l’ordre a été commandé au Maroc, en Arabie Saoudite et en France). Pour sécuriser son régime, il va continuer à travailler au corps les officiers supérieurs de l’armée. A l’un de ses visiteurs, il a récemment assuré : « N’ayez crainte. Je suis en phase avec la haute hiérarchie de l’armée. »
Abdoulaye Wade et les siens vont multiplier meetings et descentes sur le terrain, sorties dans les médias et activités de sensibilisation de la population. Et, contrairement aux rumeurs et manipulations véhiculées par une certaine presse, Wade n’a pas renoncé et ne renoncera pas à sa candidature à la présidentielle de février 2012. Une seule chose peut l’empêcher de briguer un troisième mandat, c’est que l’opposition accepte qu’il dirige la transition qu’elle a théorisée dans le cadre de Bennoo Siggil Senegaal. Faute de prolongation de son mandat, le chef de l’Etat sera sur la ligne de départ du scrutin.
S’il se sent affaibli au point de ne plus pouvoir s’opposer à un dialogue avec ses adversaires, Wade ne négociera jamais sa candidature, la place de son fils au sein du pouvoir et ses prérogatives de président élu. Il a ainsi précisé au Groupe des six qu’il veut « un dialogue républicain », donc fondé sur la reconnaissance des institutions et le respect de leurs pouvoirs.
Il y a deux seules choses qu’il va concéder. Il ne renverra pas à l’Assemblée nationale, comme le lui a suggéré Mamadou Seck, le projet de loi constitutionnelle retiré le 23 juin sous la pression de la rue. Et, quitte à y injecter tout le budget de l’Etat, il n’acceptera plus que les délestages du courant électrique atteignent un niveau qui puisse susciter un autre 27 juin. Le Sénégal n’en a pas encore fini avec Abdoulaye Wade.
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