Dans cette période de mer agitée où le navire PDS tangue, un des proches du commandant se tait, joue le pourrissement et se prépare. Pape Diop, car c’est de lui qu’il s’agit, parle peu mais a son monde pour parler pour lui. Il n’agit pas directement mais use de seconds couteaux qui posent les actes à sa place. Alors que tout le monde le croyait définitivement tombé de son piédestal de dauphin constitutionnel, au profit d’un vice-président emmené par une réforme constitutionnelle, le voici toujours dans la position de se succéder au calife au cas où… Aux moments les plus durs de la controverse au parlement réuni en congrès pour examiner le projet de réforme constitutionnelle, il n’a pas pipé mot. Mais des lieutenants à lui notoirement connus comme Moussa Sy ont fait le nécessaire pour aider la rue à faire capoter le projet de révision constitutionnelle. Président du Sénat, la chambre haute du Parlement, dauphin constitutionnel de jure, trésorier du parti au pouvoir, militant du PDS depuis sa création, en 1974, président de l’Assemblée nationale de 2002 à 2007, maire de Dakar de 2002 à 2009… En dépit de ce parcours exceptionnel, Pape Diop reste perçu dans la galaxie présidentielle comme étant inapte à exercer la fonction présidentielle. Aucun des prétendants à la succession du chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, ne voit en lui un concurrent. Sauf peut-être Wade lui-même qui, à l’occasion d’une réunion de l’instance dirigeante du parti au pouvoir tenue au palais il y a quelques semaines, lui a lancé : « Je me suis levé juste pour quelques minutes et tu t’es empressé d’occuper mon siège. Tu es trop pressé. » Entre Abdoulaye Wade et Pape Diop, il se passe quelque chose qui relève du psychologique. Chaque fois que le premier, aujourd’hui âgé de 85 ans, sent le moindre ennui de santé, il se fâche contre le second et le lui fait sentir.
Très proche du président de 2004 à 2009, Pape Diop est subitement tombé en disgrâce au lendemain des élections locales du 22 mars 2009 qui ont vu le parti au pouvoir perdre toutes les grandes villes du pays. Il a été détrôné à la mairie de Dakar, et a donc gâché l’opportunité pour Karim Wade, le fils du président, de lui succéder à la tête de la capitale pour se faire la main avant de briguer la magistrature suprême. Le chef de l’Etat ne lui pardonne pas jusqu’ici ce qu’il perçoit comme un sabotage délibéré de la campagne électorale orchestré par le maire sortant pour ne pas avoir à céder son fauteuil.
Abdoulaye Wade tentera peu après la débâcle électorale de liquider Pape Diop comme il a procédé avec ses anciens numéros deux Idrissa Seck et Macky Sall. Mais la famille maraboutique de Touba oppose son veto pour arrêter la machine à briser qui se mettait peu à peu en place. Après avoir fait dos rond et tout encaissé sans broncher pendant plusieurs mois, le survivant a passé la vague en réussissant un subtil dosage entre l’usage de ses énormes moyens financiers et la mise en action de ses alliés au sein du régime. Il a beaucoup trop de relais dans l’Etat et dans le gouvernement (Madické Niang, Cheikh Tidiane Sy, Samuel Sarr et Awa Ndiaye pour ne citer que ceux-là) pour sombrer. Il n’est pas rare que d’éminents membres du gouvernement quittent le bureau du président pour passer lui rendre compte. Le jeu en vaut certes la chandelle. Pape Diop est riche à milliards et se montre généreux avec tous ceux de son cercle affectif.
Même pour faire de bonnes affaires, il faut être proche de lui. Il est au cœur de tout le business juteux sous l’ère de l’alternance. Mbackiyou Faye, qui s’est vu attribuer 29 hectares de terres en plein Dakar en contrepartie du financement du coût de l’édification du Monument de la renaissance africaine, est l’un de ses hommes-lige. C’est d’ailleurs lui qu’il a délégué pour servir de missi dominici entre le chef de l’Etat et les syndicats de la Sonatel afin d’aplanir le différend résultant de la mise en place d’un dispositif de taxation des appels internationaux entrants par Global Voice. Avant de se déplacer lui-même à Paris pour aller tenter de convaincre les émigrés de la pertinence de ce dispositif même s’il accroît le coût de leurs appels vers le pays. L’enjeu est certes de taille : il se chiffre en milliards de francs cfa par mois non budgétisés. C’est ainsi : Pape Diop est dans tous les coups. C’est, à n’en pas douter, l’un des meilleurs businessmen de la politique au Sénégal.
Celui qui a fondé en 1978 Soumbédioune Express (Soumex), une entreprise d’exportation de produits halieutiques vers l’Europe, proclame qu’il a gagné de l’argent, voyagé en première classe et découvert le monde avant d’entrer en politique. Il ne s’est toutefois jamais aussi enrichi qu’au cours de ces années Wade. Signe de cette ascension vertigineuse, son patrimoine immobilier connu ou dissimulé derrière une SCI ou des personnes-écrans donne le vertige. Quelques échantillons suffisent pour en illustrer l’immensité. Il est le logeur des Nations -unies dans un bâtiment situé derrière la clinique des Mamelles, perché sur un rocher et surplombant l’océan, érigé sur un site censé abriter un hôtel avec toutes les facilitations qui vont avec… Non loin de là, sur les contrebas, un hôtel inachevé pied dans l’eau vient d’être acquis à plusieurs milliards par Mbackiyou Faye. Pour qui ? En face s’élancent des bâtiments à l’architecture pharaonique dessinée par Pierre Goudiaby Atépa. C’est la Cité Touba Almadies qui a pour maître d’œuvre Touba Real Estate (TRE) de l’homme d’affaires Cheikh Amar. Ici les travaux en finition de ces centaines de villas se déroule sous l’œil d’une des épouses de Pape Diop. Simple coïncidence ? Pure rumeur ? Elles sont nombreuses les rumeurs qui prennent l’ancien maire pour le véritable propriétaire de l’immeuble des Almadies qui abritait jusqu’à récemment le siège de la Croix-Rouge, de celui qui surplombe le Centre culturel français, en centre-ville, de bien d’autres et bien d’autres encore.
Rien ne prédisposait ce fils de marabout issu d’une famille modeste du bassin arachidier sénégalais à une telle prospérité. Né il y a 57 ans à Kaolack – et non à Mbour, comme une confusion installée a pu le faire penser -, il n’a que 4 ans lorsque son père, Daouda Diop, décède. La rudesse du quotidien oblige sa mère, Fatou Dièye, à le confier à sa tante qui réside à Thiès. Quand elle découvre qu’à dix ans révolus son fils n’a pas été inscrit à l’école, elle demande à un de ses cousins de lui trouver des papiers pour qu’il puisse s’inscrire. Ce cousin le déclare par méprise sous le prénom « Pape » et non « Moustapha », son vrai prénom. Orphelin très jeune, élevé par une tante, inscrit à l’école sous un prénom qui n’est pas le sien, Pape Diop a dans son CV deux lignes qui sont contestées : l’obtention d’un diplôme de comptabilité en IUT en 1976 et le recrutement comme fonctionnaire à l’Office national de coopération et d’assistance pour le développement (Oncad) entre 1976 et 1978.
Si sa formation sommaire le fait apparaître aux yeux des diplômés comme étant en-deça du niveau requis par la fonction présidentielle, Pape Diop cultive ses champs situés à Pout, à une soixante de kilomètres de Dakar, étend ses tentacules et attend son heure. Sa survie est un défi quotidien à Wade qui a toujours « tué » ses numéros deux. Le problème Pape Diop reste plus que jamais un casse-tête pour le régime.
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