Le Sénégal officiel a une mémoire qui sédimente bien les servitudes les plus orthodoxes du protocole d’Etat. Par conséquent, aucune soif de second mandat ne justifie valablement qu’on expose à la ruine, le prestige de l’Etat sans lequel, notre gouvernance démocratique plus évidente que nos richesses naturelles, s’en ira ou tournera en eau de boudin. Bien entendu, celui qui a besoin du Pape se rend à Rome. Il va donc sans dire que le chef de l’Etat doit aller au-devant des chefs religieux. Et chez eux. Mais en chevauchant impérativement une modalité qui préserve le respect conféré aux marabouts, tout en laissant intact le prestige inhérent à l’Etat. Par exemple, sur les douze mois de l’année (deux semestres ou quatre trimestres) le Président de la république a la latitude de prévoir dans son calendrier, quatre visites à dates fixes, auprès des Khalifes généraux. Un programme modulable en cas de nécessité absolue, c’est-à-dire d’urgence nationale. C’est là un schéma de travail plus en adéquation avec les charges présidentielles qu’une cascade de visites risquées ; parce que fertiles en huées désobligeantes pour le premier magistrat du pays.
Pourtant, un antécédent senghorien et un précédent wadien ont déjà balisé un axe de contacts très équilibrés entre les deux
pôles d’autorité, en fonction des lieux. Au cours de la décennie 70-80, le Président Senghor a visité la ville sainte de Touba et rencontré le Khalife général Sérigne Abdou Lahat Mbacké. Un séjour d’autant plus surveillé par les observateurs que le successeur du Vénéré Sérigne Fallou Mbacké entretenait des relations tièdes – c’est un euphémisme – avec le premier Président du Sénégal. Une tiédeur qui n’a pas empêché, plus tard, une audience sereine au Palais présidentiel. Une entrevue en marge d’un séjour dakarois de Sérigne Abdou Lahat chez son talibé, le richissime Ndiouga Kébé.
Dans une période récente, Abdoulaye Wade a reçu, en grande pompe, le Khalife Sérigne Bara Mbacké, dans un salon majestueux du Palais de la république. C’est dire que le Président Macky Sall, fraichement revenu de la retraite champêtre de Nganda (région de Kaffrine) pouvait, à la faveur du séjour dakarois de l’actuel Khalife général, adresser une invitation au Vénéré Sérigne Cheikh Sidy Mocktar Mbacké. Etant entendu que la réponse reste à l’exclusive appréciation de l’illustrissime invité. Dans tous les cas de figure, l’Etat ne flâne pas. Son chef ne vadrouille pas. Et, surtout, il ne doit pas être politiquement à la remorque des opposants infiniment plus libres de leurs mouvements et de leurs initiatives. En un mot, un Président de la république ne cale pas son agenda très national sur celui de ses rivaux politiques.
En effet, le chef de l’Etat n’est ni le chef de l’opposition ni le chef de la camarilla politique. Sa posture probante conditionne la vitalité des institutions et assure la sauvegarde de la cohésion nationale. Le Président de la république ne saurait être confondu avec aucune fraction. Il doit être l’homme de la nation tout entière, exprimer et servir l‘intérêt national qui est radicalement différent de l’avantage électoral. Voilà pourquoi, il ne sied pas à Macky Sall de contrecarrer, par une profusion d’efforts utiles au Plan Sénégal Emergent (PSE), les manœuvres ou les menées politico-religieuses de Maitre Abdoulaye Wade. Un Président ne rivalise pas en obséquiosité confessionnelle, il ne se bouscule pas sur le terrain des ferveurs confrériques. Il tracte le pays en maintenant le cap sur les engagements pris auprès du corps électoral, grand garant de sa réélection. Et puissant moteur de l’élection éventuelle d’un de ses adversaires.
Sur ce chapitre-là, Macky Sall associe allègrement le cap de l‘Emergence nationale à la calebasse des cadeaux spécifiques. Pour coiffer au poteau ses concurrents de tout bord, le Président a réitéré sa promesse d’achever les anciens chantiers de Touba. Et d’inonder la ville sainte de nouvelles infrastructures. En commençant par la construction de l’autoroute Diamniadio-Thiès-Touba. Des investissements qui seront massivement bénéfiques pour Touba, ville du Sénégal et du monde ; mais aussi politiquement significatifs pour leur artisan. La question éminemment citoyenne est la suivante : l’équipement d’un pays obéit-il à un plan directeur national ou à un schéma stratégique d’obtention d’un second mandat ? Il y a des calculs qui payent à court terme ; mais hypothèquent le futur d’un pays. Dans cet ordre d’idées, il n’est guère étonnant que le chef de l‘Etat descende, aujourd’hui, de l’empyrée de la république, campe sur l’échiquier, enfile ses habits de leader de Parti et plonge dans la mêlée politicienne. Entre un arbitrage au sein de l’APR et un réglage dans la coalition Benno Bok Yakaar (BBY), Macky Sall préside un meeting plus indiqué au parc à mazout que dans le temple de l’Exécutif national : le Palais présidentiel.
Comme le voit, c’est le gardien de la Constitution qui ébrèche dangereusement le rempart protecteur de la Loi fondamentale. Des brèches élargies puis empruntées par la crème civile et militaire de la République. C’est ainsi qu’un Général des Forces de Défense et de Sécurité a été aperçu aux HLM, lieu de résidence du Khalife général des mourides. En somme, un grand talibé en uniforme, comme il en a toujours existé dans ce pays et dans toutes les confréries. Toutefois, les temps ont manifestement changé. Et les mœurs républicaines ont également évolué. Car les Généraux Waly Faye et Idrissa Fall n’ont jamais été publiquement vus dans des postures de type confrérique. D’ailleurs était-ce possible sans l’autorisation de Senghor, de Diouf et de Collin ?
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