DAKARACTU.COM - Le Sénégal n’est pas situé dans l’Asie des moussons et des typhons. La presqu’île du Cap-Vert (site abritant la capitale, Dakar) n’est pas à proximité de la mer des Caraïbes qui fait figure d’autoroute des cyclones. En bordure du Sahara et en plein Sahel, le Sénégal est le pays le moins arrosé et le moins humide – nonobstant le fleuve éponyme – parmi les quatre voisins qui l’entourent. Exceptée, l’immensité aride et désertique de la Mauritanie.
Ce sont là des constats géographiques qui indexent de façon accablante tous les régimes qui se sont succédé, depuis la proclamation de l’indépendance, avec des parts de responsabilité et des doses de culpabilité évidemment variables, dans le surgissement du phénomène chronique et désolant des inondations. Même si le déficit d’anticipation et le manque de rigueur des Pouvoirs publics, largement partagés, n’absolvent aucun des nombreux gouvernements passés et actuels, au nom de la continuité de l’Etat.
S’agissant de Dakar – condensé grossissant des catastrophes enregistrées sur l’ensemble du territoire – le cauchemar sans fin des inondations trouve son origine dans un mélange incroyable de fautes (pagaille sans restrictions, incivisme sans bornes et gouvernance sans fermeté) qui ont scellé durablement le mariage avec les eaux.
Pourtant, le stock des archives géomorphologiques léguées par le colonisateur auxquelles s’ajoutent les témoignages disponibles des anciens (notamment les fameux conseillers coutumiers de l’Etat encore vivants) auraient pu dicter une politique enrayant cette occupation massive plus rapide que l’aménagement et le lotissement d’un espace aussi revêtu de bourrelets et de trous que la région de Dakar.
Au cours d’un débat sur le plateau de la défunte chaîne Canal Infos, Abdoulaye Makhtar Diop (Grand Dakarois et Grand Sérigne) a égrené devant moi, ses souvenirs de jeune adolescent allant se baigner et, parfois, se procurer des poissons dans de petits lacs et de grandes mares, non loin de la Sotiba, qui – sans l’occupation accélérée et invraisemblable de la zone – escorteraient, aujourd’hui, l’autoroute à péage. Et formeraient des Lacs Léman en miniatures, sans nocivité, entre Dakar et sa banlieue.
Que dire alors du quartier très bien nommé « Wakhinane », littéralement : dégager la terre et boire de l’eau ? Sinon le loger à la même enseigne que les pâtés de maisons établies sur la ceinture de pénéplaines (vallées évasées couronnant le stade final du cycle d’érosion d’un terrain) qui boucle la conurbation dakaroise. Bref, squatter les voies d’eau momentanément asséchées ou s’installer dans les cuvettes meublées d’immondices, reste le sûr moyen de signer un bail avec les inondations.
Il va sans dire que dans cette tragédie des eaux, les victimes ne sont point les seuls artisans de leurs propres malheurs ; puisqu’une gouvernance non dissuasive mais complaisante a permis à des sociétés sur lesquelles l’Etat a barre (la SONEES d’alors – ancêtre de la SDE – et la SENELEC) de multiplier les installations et de fournir des prestations payées dans des endroits que le Plan directeur d’urbanisation de Dakar et son instrument privilégié (le cadastre) ont clairement mis en quarantaine.
Toutefois, on peut, historiquement séquencer cette démission rampante de l’Etat et, par conséquent, tempérer le blâme à l’endroit de deux ou trois générations de dirigeants du pays. Au chapitre des responsabilités, les Présidents Senghor et Dia ont gouverné ensemble, jusqu’en décembre 1962, moins de 3 millions de Sénégalais dont moins de 500 000 habitaient Dakar. Jusqu’en 1965, la sécheresse et son corollaire (l’exode rural) n’avaient pas submergé la capitale.
Mieux, l’ultime facteur accélérateur de l’enflure physique et urbaine de Dakar, à savoir la démographie galopante, était à l’état latent. N’empêche le visionnaire Senghor avait ébauché une réponse relativement adaptée en créant la Société des Terres Neuves. Laquelle a incidemment réorienté une portion de l’exode rural vers le Sénégal Oriental.
Le casse-tête des inondations est donc consécutif à la période de sécheresse couvrant la moitié des années 60 et toute la décennie 1970 – 1980. Le Président Abdou Diouf s’est donc coltiné simultanément les graves inondations et le douloureux programme d’ajustement structurel. Sans oublier les constructions anarchiques et irrégulières que lui et son ministre de l’Urbanisme, Hamidou Sakho, ont démolies avec des bulldozers, sous une salve de critiques démagogiques émanant d’une importante palette de l’opposition : Pds, Ld et Pit. Ironie du sort, ce sont ces anciens détracteurs de la politique de déguerpissement de Diouf, qui sont maintenant (à l’exception du Pds) confrontés au même dilemme.
Et pourtant, la solution n’est pas introuvable. Bien au contraire. Elle passe par des emprunts extérieurs et des inventions nationales. La jurisprudence Sankara est encore fraiche dans les mémoires. Avant la révolution burkinabé d’août 1983, Ouagadougou était couverte de taudis laids et sales. Dès 1985, Thomas Sankara prit le taureau par les cornes.
Avec sa gouvernance à la hussarde (peu soucieuse de légalité mais très efficace) le jeune capitaine rasa plus du tiers de la commune et démarra la construction des quartiers Ouaga An 1, Ouaga An 2 et An 3. Après sa mort, le processus ne s’arreta pas : Ouaga An 4 a bel et bien vu le jour. Et le visage de la capitale burkinabé est actuellement très avenant, sur fond d’assainissement total.
Le Sénégal n’ayant jamais connu un régime politique d’exception, de telles méthodes – administrativement cavalières et électoralement suicidaires – sont à exclure. Cependant, une batterie de mesures s’imposent ; potentiellement faisables, au vu des chiffres officiels dévoilés ici et là.
En multipliant par 3 les 40 milliards vainement engloutis dans la construction d’ouvrages et d’infrastructures anti-inondations (somme à la portée du budget national et dans le champ de solvabilité de l’Etat) on rachèterait le maximum de maisons noyées (titres fonciers et permis confondus) ; et verserait in extremis une aide au recasement en guise de bonus.
Cette piste financière-là, verra sûrement ses limites vite atteintes. D’où la nécessité de la coupler avec le palliatif en cours, c’est-à-dire la construction de logements sociaux à une cadence soutenue. Bref, n’importe quel choix, sauf le maintien d’une option qui s’apparente à la volonté de remplir un Tonneau des Danaïdes.
Macky Sall doit savoir que rien de grand ne peut être fait pour la nation, sans blâme dans l’opinion. Les visites présidentielles techniquement inopportunes et politiquement opportunistes, ne fournissent aucun remède au mal des inondations. Elles sont, à peine, un sédatif qui présage de futures et intenses douleurs. A la perfusion aléatoire, il faut préférer la chirurgie saignante mais réparatrice.
Ce sont là des constats géographiques qui indexent de façon accablante tous les régimes qui se sont succédé, depuis la proclamation de l’indépendance, avec des parts de responsabilité et des doses de culpabilité évidemment variables, dans le surgissement du phénomène chronique et désolant des inondations. Même si le déficit d’anticipation et le manque de rigueur des Pouvoirs publics, largement partagés, n’absolvent aucun des nombreux gouvernements passés et actuels, au nom de la continuité de l’Etat.
S’agissant de Dakar – condensé grossissant des catastrophes enregistrées sur l’ensemble du territoire – le cauchemar sans fin des inondations trouve son origine dans un mélange incroyable de fautes (pagaille sans restrictions, incivisme sans bornes et gouvernance sans fermeté) qui ont scellé durablement le mariage avec les eaux.
Pourtant, le stock des archives géomorphologiques léguées par le colonisateur auxquelles s’ajoutent les témoignages disponibles des anciens (notamment les fameux conseillers coutumiers de l’Etat encore vivants) auraient pu dicter une politique enrayant cette occupation massive plus rapide que l’aménagement et le lotissement d’un espace aussi revêtu de bourrelets et de trous que la région de Dakar.
Au cours d’un débat sur le plateau de la défunte chaîne Canal Infos, Abdoulaye Makhtar Diop (Grand Dakarois et Grand Sérigne) a égrené devant moi, ses souvenirs de jeune adolescent allant se baigner et, parfois, se procurer des poissons dans de petits lacs et de grandes mares, non loin de la Sotiba, qui – sans l’occupation accélérée et invraisemblable de la zone – escorteraient, aujourd’hui, l’autoroute à péage. Et formeraient des Lacs Léman en miniatures, sans nocivité, entre Dakar et sa banlieue.
Que dire alors du quartier très bien nommé « Wakhinane », littéralement : dégager la terre et boire de l’eau ? Sinon le loger à la même enseigne que les pâtés de maisons établies sur la ceinture de pénéplaines (vallées évasées couronnant le stade final du cycle d’érosion d’un terrain) qui boucle la conurbation dakaroise. Bref, squatter les voies d’eau momentanément asséchées ou s’installer dans les cuvettes meublées d’immondices, reste le sûr moyen de signer un bail avec les inondations.
Il va sans dire que dans cette tragédie des eaux, les victimes ne sont point les seuls artisans de leurs propres malheurs ; puisqu’une gouvernance non dissuasive mais complaisante a permis à des sociétés sur lesquelles l’Etat a barre (la SONEES d’alors – ancêtre de la SDE – et la SENELEC) de multiplier les installations et de fournir des prestations payées dans des endroits que le Plan directeur d’urbanisation de Dakar et son instrument privilégié (le cadastre) ont clairement mis en quarantaine.
Toutefois, on peut, historiquement séquencer cette démission rampante de l’Etat et, par conséquent, tempérer le blâme à l’endroit de deux ou trois générations de dirigeants du pays. Au chapitre des responsabilités, les Présidents Senghor et Dia ont gouverné ensemble, jusqu’en décembre 1962, moins de 3 millions de Sénégalais dont moins de 500 000 habitaient Dakar. Jusqu’en 1965, la sécheresse et son corollaire (l’exode rural) n’avaient pas submergé la capitale.
Mieux, l’ultime facteur accélérateur de l’enflure physique et urbaine de Dakar, à savoir la démographie galopante, était à l’état latent. N’empêche le visionnaire Senghor avait ébauché une réponse relativement adaptée en créant la Société des Terres Neuves. Laquelle a incidemment réorienté une portion de l’exode rural vers le Sénégal Oriental.
Le casse-tête des inondations est donc consécutif à la période de sécheresse couvrant la moitié des années 60 et toute la décennie 1970 – 1980. Le Président Abdou Diouf s’est donc coltiné simultanément les graves inondations et le douloureux programme d’ajustement structurel. Sans oublier les constructions anarchiques et irrégulières que lui et son ministre de l’Urbanisme, Hamidou Sakho, ont démolies avec des bulldozers, sous une salve de critiques démagogiques émanant d’une importante palette de l’opposition : Pds, Ld et Pit. Ironie du sort, ce sont ces anciens détracteurs de la politique de déguerpissement de Diouf, qui sont maintenant (à l’exception du Pds) confrontés au même dilemme.
Et pourtant, la solution n’est pas introuvable. Bien au contraire. Elle passe par des emprunts extérieurs et des inventions nationales. La jurisprudence Sankara est encore fraiche dans les mémoires. Avant la révolution burkinabé d’août 1983, Ouagadougou était couverte de taudis laids et sales. Dès 1985, Thomas Sankara prit le taureau par les cornes.
Avec sa gouvernance à la hussarde (peu soucieuse de légalité mais très efficace) le jeune capitaine rasa plus du tiers de la commune et démarra la construction des quartiers Ouaga An 1, Ouaga An 2 et An 3. Après sa mort, le processus ne s’arreta pas : Ouaga An 4 a bel et bien vu le jour. Et le visage de la capitale burkinabé est actuellement très avenant, sur fond d’assainissement total.
Le Sénégal n’ayant jamais connu un régime politique d’exception, de telles méthodes – administrativement cavalières et électoralement suicidaires – sont à exclure. Cependant, une batterie de mesures s’imposent ; potentiellement faisables, au vu des chiffres officiels dévoilés ici et là.
En multipliant par 3 les 40 milliards vainement engloutis dans la construction d’ouvrages et d’infrastructures anti-inondations (somme à la portée du budget national et dans le champ de solvabilité de l’Etat) on rachèterait le maximum de maisons noyées (titres fonciers et permis confondus) ; et verserait in extremis une aide au recasement en guise de bonus.
Cette piste financière-là, verra sûrement ses limites vite atteintes. D’où la nécessité de la coupler avec le palliatif en cours, c’est-à-dire la construction de logements sociaux à une cadence soutenue. Bref, n’importe quel choix, sauf le maintien d’une option qui s’apparente à la volonté de remplir un Tonneau des Danaïdes.
Macky Sall doit savoir que rien de grand ne peut être fait pour la nation, sans blâme dans l’opinion. Les visites présidentielles techniquement inopportunes et politiquement opportunistes, ne fournissent aucun remède au mal des inondations. Elles sont, à peine, un sédatif qui présage de futures et intenses douleurs. A la perfusion aléatoire, il faut préférer la chirurgie saignante mais réparatrice.
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