DAKARACTU.COM - La dernière actualité autour des frustrations grosses de démissions voire de coups d’éclat dans les hautes sphères de l’Etat et de la majorité, met en relief la décadence de la vie politique et l’écroulement du culte de l’Etat. Elle prouve tristement que l’ardeur civique, l’orthodoxie républicaine et le sacerdoce national sont en berne. Assurément, les pionniers qui ont arraché (pacifiquement et politiquement) l’indépendance, forgé les institutions, posé les rails du développement et ébauché le système démocratique – en l’occurrence, les Présidents Senghor, Lamine Guèye et Mamadou Dia – bougent dans leurs tombes. Tellement l’héritage est en voie de largage.
A quelques exceptions près (l’avocat Doudou Ndoye et l‘agronome Jacques Diouf) tous les grognards et autres potentiels candidats à la démission mettent en avant des motifs (de colère) liés au rang, au rôle et à la fonction. Donc prosaïquement à la taille et à la succulence du fromage. Monsieur X, longtemps adjoint, se mutine pour devenir titulaire. Madame Y, déjà ministre-conseiller, aspire à devenir ministre d’Etat pour satisfaire, à la fois, sa soif d’artifices protocolaires et son besoin de privilèges non artificiels mais réels : salaire élevé, limousine luxueuse, carburant abondant etc. Navrant ! La politique est ravalée puis assimilée à un ascenseur social ; tandis que la République fait figure de garden-party. A mille lieues d’un sacerdoce.
Voilà pourquoi les partis politiques poussent comme des champignons. Et le PMU (parti mutuel urbain ou loto) du suffrage universel aidant, les « quotataires » les moins imbibés du sens de l’Etat et issus des coalitions les plus hétéroclites, sont catapultés au cœur de l’Etat. Avec les conséquences dommageables qui s’étalent sous nos yeux. La sinécure a vite chassé le sacerdoce. Les critères censés fortifier l’orthodoxie républicaine (compétence avérée et ferveur civique) ont cédé la place aux considérations partisanes, sentimentales et familiales qui, elles, sont les ingrédients les plus appropriés pour déliter les Pouvoirs publics.
On est frappé de stupeur devant le comportement inqualifiable de ces membres du cabinet présidentiel (centre nerveux de l’appareil d’Etat) qui agissent davantage en ogres boulimiques qu’en grands commis recrus d’ardeur au travail et de disponibilité pour le Sénégal. On est d’autant plus indigné que d’autres compatriotes non moins méritants – des admistrateurs civils sortis premiers de leurs promotions – servent la République dans les sous-préfectures déshéritées de Saldé et de Salémata. A ce sujet, Mirabeau disait fort justement : « Partout dans le monde et de tous les temps vit et meurt une multitude d’hommes supérieurs à ceux qui jouent un rôle sur la scène du monde ». Ramenez le monde aux dimensions modestes du Sénégal, et la vérité de Mirabeau prend un relief biblique.
L’affaissement des valeurs civiques et républicaines a des racines relativement profondes. Certes, les symptômes d’une érosion du culte de l’Etat étaient déjà perceptibles voire patents durant le crépuscule du régime d’Abdou Diouf ; mais c’est à partir de 2000 que le tournant du naufrage est pris. Abdoulaye Wade a merveilleusement équipé le Sénégal, d’infrastructures d’envergure. Toutefois, le troisième Président du Sénégal a également saccagé l’Etat (vigoureux) légué par ses deux prédécesseurs. Pur produit de l’université et du barreau, Wade percevait et ressentait l’Etat comme un corset presque…orthopédique. En clair, le poids de la bureaucratie, la réalité du filtre (on n’y entre pas comme dans un moulin), les contrôles tatillons et les dédales des procédures – notamment d’embauche et de décaissement – l‘horripilaient terriblement.
D’où sa propension à créer une multitude d’agences, véritables et coûteux doublons des ministères. La commodité avantageuse aux yeux de l’économiste Wade se situe dans l’autonomie de gestion et son corollaire : l’utilisation rapide du budget. Le double inconvénient étant manifestement que les agences organiquement arrimées à la Présidence de la république, possèdent un cordon ombilical (la tutelle présidentielle) qui embête les corps de contrôle de l’Etat ; et paralyse techniquement – le feu vert du Président est nécessaire pour toute convocation – et politiquement la majorité (favorable au chef de l’Etat) à l’Assemblée nationale. Donc, point d’audition par les députés. Le mémorable précédent de l’ANOCI et de son chef, Karim Wade, en fait foi.
Ce printemps des agences sous Wade n’est pas étranger à l’évaporation d’un certain moral et d’une certaine morale caractéristiques des grands serviteurs de l’Etat. D’autant que les deux mandats (2000-2012) ont été marqués par des recrutements souvent opérés en dehors des canaux bien surveillés de la Fonction publique. L’arrivée en force de ces surdiplômés (avec ou sans guillemets), venus parfois de la Diaspora, a creusé irrémédiablement le fossé entre ceux qui – par formation ou par expérience – divinisent l’Etat (exemple : les purs produits de l’ENAM devenue ENA) et ceux qui instrumentalisent, à la hussarde, l’Etat. Il s’y ajoute que les promotions politiciennes à la pelle ont si salement meublé les Ecuries d’Augias que la traque des biens mal acquis peine à les nettoyer proprement.
Indéniablement, la gouvernance libérale a interloqué les Sénégalais. En effet, le feuilleton des chantiers de Thiès – bien que terminé en eau de boudin par un non-lieu –, les milliards de Taiwan, la traque des biens mal acquis en cours et ses épisodes (les accusations d’enrichissement croisés entre libéraux traqués et libéraux mués en apéristes) ont forgé l’idée que l’appareil d’Etat est une mine d’or aussi fabuleuse que le gisement de Simandou en Guinée.
Or, c’est par la tête que le poisson pourrit. Aujourd’hui, le spectacle est désolant. Cinquante ans après l’indépendance, le Président Macky Sall, s’échine à réamorcer la pompe du civisme, à travers une cérémonie du drapeau programmée, le premier lundi de chaque mois. Les optimistes encouragent le chef de l’Etat désireux d’accomplir cette tâche titanesque de restauration du civisme. Les pessimistes, eux, sont convaincus que le barrage de Manantali et son immense lac de retenue ne suffisent pas pour irriguer le désert civique qu’est le Sénégal. Aride à l’image du Kalahari. L‘horizon est apparemment bouché ; puisqu’un demi-siècle de souveraineté vide de civisme signifie que le Sénégal, par la faute de ses élites dirigeantes, a raté le coche du développement qui est mental, avant d’être matériel.
Car, à la différence des déficits relatifs aux balances bien connues (la commerciale et celle des paiements) le déficit civique, lui, est plus ardu à résorber. Lorsque l’individu aime sa poche plus que son pays, on ne trouve aucun sérum d’amour instantané de la patrie, à lui inoculer. Seule une bonne et exemplaire gouvernance pourra, dans la durée, renverser la vapeur dans une société très mal soudée à l’intérêt général.
Autrefois, le Président Léopold Sédar Senghor imposait aux administrateurs frais émoulus de l’école (y compris ses inconditionnels d’obédience socialiste d’alors, tel Djibo Ka) d’aller se frotter aux réalités du terrain sur lequel se déploie le commandement territorial, notamment auprès de gouverneurs (cas de Thierno Birahim Ndao) qui ont blanchi sous le harnais. Une sorte de stage d’immersion qui trempe le futur décideur. Et le prémunit contre des dérives aux antipodes de la vocation originelle.
Moins d’une génération après la retraite politique de Senghor (1980-2000), c’est la mort des vocations, singulièrement celle de servir son pays avec dévouement. Désormais c’est le triomphe des occasions, principalement celles de s’enrichir en accédant aux hautes sphères de l’Etat via les magouilles, les manœuvres politiques et… les coalitions. Bref, c’est le pactole avant le parti ou le pécule avant la patrie. Pendant ce temps, la rupture (claironnée et tambourinée au début du mandat) gèle dans une chambre froide d’un supermarché de Dakar, tel un saumon importé.
Comment convaincre les frustrés et futurs révoltés (à tort) du cabinet présidentiel, des institutions gouvernementales et des instances de l’APR que les Pouvoirs publics n’ont pas vocation à fabriquer de richissimes gens comme feu Silèye Guissé, Abdoulaye Ndiaye Médina-Gounass et autre Dangoté ? Peut-être en leur apprenant la définition de la grandeur : « Avoir le monde à ses pieds, sans se baisser pour le ramasser ».
A quelques exceptions près (l’avocat Doudou Ndoye et l‘agronome Jacques Diouf) tous les grognards et autres potentiels candidats à la démission mettent en avant des motifs (de colère) liés au rang, au rôle et à la fonction. Donc prosaïquement à la taille et à la succulence du fromage. Monsieur X, longtemps adjoint, se mutine pour devenir titulaire. Madame Y, déjà ministre-conseiller, aspire à devenir ministre d’Etat pour satisfaire, à la fois, sa soif d’artifices protocolaires et son besoin de privilèges non artificiels mais réels : salaire élevé, limousine luxueuse, carburant abondant etc. Navrant ! La politique est ravalée puis assimilée à un ascenseur social ; tandis que la République fait figure de garden-party. A mille lieues d’un sacerdoce.
Voilà pourquoi les partis politiques poussent comme des champignons. Et le PMU (parti mutuel urbain ou loto) du suffrage universel aidant, les « quotataires » les moins imbibés du sens de l’Etat et issus des coalitions les plus hétéroclites, sont catapultés au cœur de l’Etat. Avec les conséquences dommageables qui s’étalent sous nos yeux. La sinécure a vite chassé le sacerdoce. Les critères censés fortifier l’orthodoxie républicaine (compétence avérée et ferveur civique) ont cédé la place aux considérations partisanes, sentimentales et familiales qui, elles, sont les ingrédients les plus appropriés pour déliter les Pouvoirs publics.
On est frappé de stupeur devant le comportement inqualifiable de ces membres du cabinet présidentiel (centre nerveux de l’appareil d’Etat) qui agissent davantage en ogres boulimiques qu’en grands commis recrus d’ardeur au travail et de disponibilité pour le Sénégal. On est d’autant plus indigné que d’autres compatriotes non moins méritants – des admistrateurs civils sortis premiers de leurs promotions – servent la République dans les sous-préfectures déshéritées de Saldé et de Salémata. A ce sujet, Mirabeau disait fort justement : « Partout dans le monde et de tous les temps vit et meurt une multitude d’hommes supérieurs à ceux qui jouent un rôle sur la scène du monde ». Ramenez le monde aux dimensions modestes du Sénégal, et la vérité de Mirabeau prend un relief biblique.
L’affaissement des valeurs civiques et républicaines a des racines relativement profondes. Certes, les symptômes d’une érosion du culte de l’Etat étaient déjà perceptibles voire patents durant le crépuscule du régime d’Abdou Diouf ; mais c’est à partir de 2000 que le tournant du naufrage est pris. Abdoulaye Wade a merveilleusement équipé le Sénégal, d’infrastructures d’envergure. Toutefois, le troisième Président du Sénégal a également saccagé l’Etat (vigoureux) légué par ses deux prédécesseurs. Pur produit de l’université et du barreau, Wade percevait et ressentait l’Etat comme un corset presque…orthopédique. En clair, le poids de la bureaucratie, la réalité du filtre (on n’y entre pas comme dans un moulin), les contrôles tatillons et les dédales des procédures – notamment d’embauche et de décaissement – l‘horripilaient terriblement.
D’où sa propension à créer une multitude d’agences, véritables et coûteux doublons des ministères. La commodité avantageuse aux yeux de l’économiste Wade se situe dans l’autonomie de gestion et son corollaire : l’utilisation rapide du budget. Le double inconvénient étant manifestement que les agences organiquement arrimées à la Présidence de la république, possèdent un cordon ombilical (la tutelle présidentielle) qui embête les corps de contrôle de l’Etat ; et paralyse techniquement – le feu vert du Président est nécessaire pour toute convocation – et politiquement la majorité (favorable au chef de l’Etat) à l’Assemblée nationale. Donc, point d’audition par les députés. Le mémorable précédent de l’ANOCI et de son chef, Karim Wade, en fait foi.
Ce printemps des agences sous Wade n’est pas étranger à l’évaporation d’un certain moral et d’une certaine morale caractéristiques des grands serviteurs de l’Etat. D’autant que les deux mandats (2000-2012) ont été marqués par des recrutements souvent opérés en dehors des canaux bien surveillés de la Fonction publique. L’arrivée en force de ces surdiplômés (avec ou sans guillemets), venus parfois de la Diaspora, a creusé irrémédiablement le fossé entre ceux qui – par formation ou par expérience – divinisent l’Etat (exemple : les purs produits de l’ENAM devenue ENA) et ceux qui instrumentalisent, à la hussarde, l’Etat. Il s’y ajoute que les promotions politiciennes à la pelle ont si salement meublé les Ecuries d’Augias que la traque des biens mal acquis peine à les nettoyer proprement.
Indéniablement, la gouvernance libérale a interloqué les Sénégalais. En effet, le feuilleton des chantiers de Thiès – bien que terminé en eau de boudin par un non-lieu –, les milliards de Taiwan, la traque des biens mal acquis en cours et ses épisodes (les accusations d’enrichissement croisés entre libéraux traqués et libéraux mués en apéristes) ont forgé l’idée que l’appareil d’Etat est une mine d’or aussi fabuleuse que le gisement de Simandou en Guinée.
Or, c’est par la tête que le poisson pourrit. Aujourd’hui, le spectacle est désolant. Cinquante ans après l’indépendance, le Président Macky Sall, s’échine à réamorcer la pompe du civisme, à travers une cérémonie du drapeau programmée, le premier lundi de chaque mois. Les optimistes encouragent le chef de l’Etat désireux d’accomplir cette tâche titanesque de restauration du civisme. Les pessimistes, eux, sont convaincus que le barrage de Manantali et son immense lac de retenue ne suffisent pas pour irriguer le désert civique qu’est le Sénégal. Aride à l’image du Kalahari. L‘horizon est apparemment bouché ; puisqu’un demi-siècle de souveraineté vide de civisme signifie que le Sénégal, par la faute de ses élites dirigeantes, a raté le coche du développement qui est mental, avant d’être matériel.
Car, à la différence des déficits relatifs aux balances bien connues (la commerciale et celle des paiements) le déficit civique, lui, est plus ardu à résorber. Lorsque l’individu aime sa poche plus que son pays, on ne trouve aucun sérum d’amour instantané de la patrie, à lui inoculer. Seule une bonne et exemplaire gouvernance pourra, dans la durée, renverser la vapeur dans une société très mal soudée à l’intérêt général.
Autrefois, le Président Léopold Sédar Senghor imposait aux administrateurs frais émoulus de l’école (y compris ses inconditionnels d’obédience socialiste d’alors, tel Djibo Ka) d’aller se frotter aux réalités du terrain sur lequel se déploie le commandement territorial, notamment auprès de gouverneurs (cas de Thierno Birahim Ndao) qui ont blanchi sous le harnais. Une sorte de stage d’immersion qui trempe le futur décideur. Et le prémunit contre des dérives aux antipodes de la vocation originelle.
Moins d’une génération après la retraite politique de Senghor (1980-2000), c’est la mort des vocations, singulièrement celle de servir son pays avec dévouement. Désormais c’est le triomphe des occasions, principalement celles de s’enrichir en accédant aux hautes sphères de l’Etat via les magouilles, les manœuvres politiques et… les coalitions. Bref, c’est le pactole avant le parti ou le pécule avant la patrie. Pendant ce temps, la rupture (claironnée et tambourinée au début du mandat) gèle dans une chambre froide d’un supermarché de Dakar, tel un saumon importé.
Comment convaincre les frustrés et futurs révoltés (à tort) du cabinet présidentiel, des institutions gouvernementales et des instances de l’APR que les Pouvoirs publics n’ont pas vocation à fabriquer de richissimes gens comme feu Silèye Guissé, Abdoulaye Ndiaye Médina-Gounass et autre Dangoté ? Peut-être en leur apprenant la définition de la grandeur : « Avoir le monde à ses pieds, sans se baisser pour le ramasser ».
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