L’ancien secrétaire d’État à la Coopération avait appelé "au décès de la Françafrique", en janvier 2008. Deux mois plus tard, il était débarqué. Jeune Afrique l'a consulté pour avoir son sentiment sur les récentes déclarations de Robert Bourgi, qui affirme avoir fait transité des mallettes "pleines de billets" entre des présidents africains et des personnalités politiques françaises, dont Jacques Chirac.
Jeune Afrique : Les accusations de Robert Bourgi sont-elles crédibles ?
Jean-Marie Bockel : L’existence de financements occultes était un secret de polichinelle. Mais durant mon passage à la Coopération, je n’avais pas connaissance de qui recevait, combien et comment. Je n’étais pas dans ces « réseaux ». En revanche, des diplomaties parallèles sont de tout temps à l’œuvre avec un certain nombre d’intermédiaires. Certains sont efficaces, d’autres ont surtout un rôle alimentaire.
Revenons justement sur votre fameux discours de janvier 2008 sur le « décès de la Françafrique » ; vous aviez signé votre arrêt de mort…
Mon discours avait été revu et corrigé par mes amis de la cellule Afrique de l’Élysée, dirigée à l’époque par Bruno Joubert. Eux, comme moi, devaient savoir qu’il y avait des réseaux parallèles. Mais nous étions dans l’idée qu’ils reculeraient progressivement. J’ai manifestement sous-estimé leur importance, car, si j’avais continué à faire mon travail sans ce coup d’éclat, j’aurais duré plus longtemps. Ou alors, si j’avais été dans certains réseaux, j’aurais pu être alerté.
Car ces réseaux sont plus forts que la diplomatie officielle ?
La conjonction de mes déclarations – qui n’étaient qu’une reprise de la feuille de route de Cotonou [discours de Nicolas Sarkozy en mai 2006 promettant la rupture, NDLR] – avec l’affaire des « biens mal acquis » qui commençait à sortir dans la presse a pu donner le sentiment à certains dirigeants africains qu’il y avait un complot contre eux. Les réseaux ont alors supplanté la diplomatie officielle.
Mais on peut aussi estimer que mon histoire puis les accusations de Bourgi sont un peu le chant du cygne de la Françafrique. Les actions les plus brutales et les déclarations les plus fracassantes sont souvent la marque des réseaux en fin de vie.
Quel a été le rôle de Bourgi dans votre éviction ?
J’ai fait la connaissance de Robert Bourgi après mon passage à la Coopération, grâce à des amis communs. Il est toujours intéressant que la victime puisse rencontrer son bourreau ! J’ai pu découvrir sa personnalité complexe et à bien des égards attachante. Il a été l’ultime messager auprès de Claude Guéant, je suppose. Plusieurs signaux avaient été envoyés : « Bockel, c’est plus possible ! » Il les a relayés. Durant sa longue carrière, il a bien illustré le rôle de ces intermédiaires. Avec un talent variable, ils peuvent se rendre utiles lorsque la diplomatie bloque, mais ils monnaient aussi leur prétendue influence.
Avec une dimension affairiste ?
Oui, les valises sont un avatar de la Françafrique.
Ne peut-on pas parler de duplicité à propos de Nicolas Sarkozy ? Entre le discours de Cotonou et la réalité des choses, c’est le grand écart…
J’en ai parlé récemment avec Nicolas Sarkozy. Notre désaccord porte sur la mise en œuvre de la feuille de route de Cotonou. J’ai voulu aller plus vite. Le président a, lui, invoqué la raison d’État : certains pays sont des amis de la France et ils contribuent à son influence, cela ne sert à rien de se fâcher avec des alliés. Avec le recul, à la Coopération, j’aurais eu la curiosité de rencontrer Robert Bourgi. J’aurais préparé le terrain avec quelques chefs d’État africains et retardé ma déclaration de quelques mois.
Car votre appel au décès de la Françafrique avait particulièrement irrité Omar Bongo Ondimba et Denis Sassou Nguesso…
C’est ce que l’on m’a dit…
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Propos recueillis par Philippe Perdrix
L'affaire Bourgi vue d'Europe : "Shocking !"
Mallettes remplies de diamants ou djembés bourrés de billets de banque ? Voilà des choses dont on n’a jamais entendu parler à Londres, à Madrid ou à Lisbonne et qui suscitent beaucoup d’intérêt. « On attend tous la suite de cette affaire », commente Pinar Ersoy, journaliste turque. Mais, outre l’aspect croustillant de « l’affaire Bourgi », ce sont les rapports entre l’Afrique et la France qui rendent perplexe. « Aucun autre pays européen n’entretient le même genre de relations avec l’Afrique », analyse Alex Vines, chercheur à l’institut Chatham de Londres. « L’Angola est si important pour l’économie du Portugal, que ce pays n’hésite pas à faire du lobbying pour son ancienne colonie. Le Moyen-Orient est très présent dans les pays arabes… Mais la Françafrique, c’est unique », analyse-t-il. Et la presse anglo-saxonne, particulièrement pugnace, en a fait les gros titres. « S’il était prouvé qu’un Premier ministre anglais a touché de l’argent d’un dirigeant africain ou autre, ce serait une crise politique majeure », explique Alex Vines. Et un déshonneur dont il ne se remettrait pas.
( Jeune Afrique )
Jeune Afrique : Les accusations de Robert Bourgi sont-elles crédibles ?
Jean-Marie Bockel : L’existence de financements occultes était un secret de polichinelle. Mais durant mon passage à la Coopération, je n’avais pas connaissance de qui recevait, combien et comment. Je n’étais pas dans ces « réseaux ». En revanche, des diplomaties parallèles sont de tout temps à l’œuvre avec un certain nombre d’intermédiaires. Certains sont efficaces, d’autres ont surtout un rôle alimentaire.
Revenons justement sur votre fameux discours de janvier 2008 sur le « décès de la Françafrique » ; vous aviez signé votre arrêt de mort…
Mon discours avait été revu et corrigé par mes amis de la cellule Afrique de l’Élysée, dirigée à l’époque par Bruno Joubert. Eux, comme moi, devaient savoir qu’il y avait des réseaux parallèles. Mais nous étions dans l’idée qu’ils reculeraient progressivement. J’ai manifestement sous-estimé leur importance, car, si j’avais continué à faire mon travail sans ce coup d’éclat, j’aurais duré plus longtemps. Ou alors, si j’avais été dans certains réseaux, j’aurais pu être alerté.
Car ces réseaux sont plus forts que la diplomatie officielle ?
La conjonction de mes déclarations – qui n’étaient qu’une reprise de la feuille de route de Cotonou [discours de Nicolas Sarkozy en mai 2006 promettant la rupture, NDLR] – avec l’affaire des « biens mal acquis » qui commençait à sortir dans la presse a pu donner le sentiment à certains dirigeants africains qu’il y avait un complot contre eux. Les réseaux ont alors supplanté la diplomatie officielle.
Mais on peut aussi estimer que mon histoire puis les accusations de Bourgi sont un peu le chant du cygne de la Françafrique. Les actions les plus brutales et les déclarations les plus fracassantes sont souvent la marque des réseaux en fin de vie.
Quel a été le rôle de Bourgi dans votre éviction ?
J’ai fait la connaissance de Robert Bourgi après mon passage à la Coopération, grâce à des amis communs. Il est toujours intéressant que la victime puisse rencontrer son bourreau ! J’ai pu découvrir sa personnalité complexe et à bien des égards attachante. Il a été l’ultime messager auprès de Claude Guéant, je suppose. Plusieurs signaux avaient été envoyés : « Bockel, c’est plus possible ! » Il les a relayés. Durant sa longue carrière, il a bien illustré le rôle de ces intermédiaires. Avec un talent variable, ils peuvent se rendre utiles lorsque la diplomatie bloque, mais ils monnaient aussi leur prétendue influence.
Avec une dimension affairiste ?
Oui, les valises sont un avatar de la Françafrique.
Ne peut-on pas parler de duplicité à propos de Nicolas Sarkozy ? Entre le discours de Cotonou et la réalité des choses, c’est le grand écart…
J’en ai parlé récemment avec Nicolas Sarkozy. Notre désaccord porte sur la mise en œuvre de la feuille de route de Cotonou. J’ai voulu aller plus vite. Le président a, lui, invoqué la raison d’État : certains pays sont des amis de la France et ils contribuent à son influence, cela ne sert à rien de se fâcher avec des alliés. Avec le recul, à la Coopération, j’aurais eu la curiosité de rencontrer Robert Bourgi. J’aurais préparé le terrain avec quelques chefs d’État africains et retardé ma déclaration de quelques mois.
Car votre appel au décès de la Françafrique avait particulièrement irrité Omar Bongo Ondimba et Denis Sassou Nguesso…
C’est ce que l’on m’a dit…
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Propos recueillis par Philippe Perdrix
L'affaire Bourgi vue d'Europe : "Shocking !"
Mallettes remplies de diamants ou djembés bourrés de billets de banque ? Voilà des choses dont on n’a jamais entendu parler à Londres, à Madrid ou à Lisbonne et qui suscitent beaucoup d’intérêt. « On attend tous la suite de cette affaire », commente Pinar Ersoy, journaliste turque. Mais, outre l’aspect croustillant de « l’affaire Bourgi », ce sont les rapports entre l’Afrique et la France qui rendent perplexe. « Aucun autre pays européen n’entretient le même genre de relations avec l’Afrique », analyse Alex Vines, chercheur à l’institut Chatham de Londres. « L’Angola est si important pour l’économie du Portugal, que ce pays n’hésite pas à faire du lobbying pour son ancienne colonie. Le Moyen-Orient est très présent dans les pays arabes… Mais la Françafrique, c’est unique », analyse-t-il. Et la presse anglo-saxonne, particulièrement pugnace, en a fait les gros titres. « S’il était prouvé qu’un Premier ministre anglais a touché de l’argent d’un dirigeant africain ou autre, ce serait une crise politique majeure », explique Alex Vines. Et un déshonneur dont il ne se remettrait pas.
( Jeune Afrique )
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