DAKARACTU.COM - Après avoir atteint le fond au lendemain des soulèvements populaires des 23 et 27 juin, le chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, sort la tête hors de l’eau. Celui qui avait perdu l’initiative reprend peu à peu la main. Le plus vieux crocodile du marigot politique sénégalais a durci le cuir pour ne pas se laisser dévorer. Sonné au point d’être sans voix pendant trois semaines, le très politique Abdoulaye Wade a conçu et mis en œuvre une stratégie de reconquête. Un méga-meeting et une mobilisation populaire à Touba plus tard, c’est un Wade requinqué qui a quitté Dakar ce 7 août pour assister à N’Djamena à la prestation de serment de son homologue tchadien, Idriss Déby Itno. Voila près de 60 jours où il n’était pas sorti du Sénégal. Son voyage est le signe qu’à ses yeux les choses sont rentrées dans l’ordre.
Il a recommencé à imprimer son rythme à la vie politique du pays. C’est à la suite de sa décision, prise début juillet, d’organiser un méga-meeting le 23 juillet que ses adversaires regroupés au sein du Mouvement des forces vives du 23 juin (M23) ont monté une manifestation pour ce même jour du 23 juillet. C’est également après son séjour des 29 et 30 juillet à Touba que le M23 est parti sur ses traces rencontrer le khalife général des mourides.
Le 23 juillet, Abdoulaye Wade a été impressionné par la mobilisation de la matinée du M23. Même s’il a payé pour déplacer ses militants des quatre coins du pays, la vue de la foule interminable réunie dans l’après-midi sur l’Ancienne piste lui a redonné l’espoir qu’il avait perdu. Le 29 juillet, les milliers de personnes massées de part et d’autre de la route, de l’héliport de Touba à la résidence Khadimou Rassoul, ont fini de convaincre le vieux félin qu’il a encore ses griffes. D’autant que toute cette foule s’est mobilisée à l’appel du khalife lui-même qui l’a accueilli en présence de tous les aînés des différentes branches de la famille de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme. A l’exception notable du premier fils du défunt Serigne Saliou Mbacké officiellement retenu en brousse par ses travaux champêtres.
Abdoulaye Wade a vu dans ces signes d’égard à son endroit un engagement du khalife général des mourides, Serigne Cheikh Maty Léye, à ses côtés. Les mots qu’il a lâchés (« Avec cette foule, je gagne deux fois l’élection »)traduisent son état d’esprit au sortir de l’accueil populaire qui lui a été réservé. D’autant que Touba est en passe de devenir, avec 150 000 nouvelles inscriptions, l’un des principaux réservoirs de suffrages du pays.
S’il est seul contre tous (les partis politiques, les syndicats, les organisations de la société civile, les mouvements de jeunes, une bonne partie de la presse…), Abdoulaye Wade considère tout ce beau monde comme étant la partie frondeuse du microcosme dakarois, qui n’a rien à voir avec le pays réel. Quand il déclare, dans une interview à La Croix que « Y en a marre ne représente que lui-même », il pense à la jeunesse de l’intérieur du pays, notamment du monde rural.
« Nous allons faire encercler les villes par les campagnes. » C’est par cette formule maoïste que Souleymane Ndéné Ndiaye, directeur de campagne du candidat Wade, définit la stratégie que son camp compte mettre en œuvre. Il a d’autant plus d’espace que l’opposition, plus présente à Dakar et dans les médias de la capitale, semble laisser le champ libre dans les profondeurs du pays.
Sur la question qui le gêne le plus, celle de l’irrecevabilité de sa candidature à la présidentielle de février 2012, Abdoulaye Wade a reçu un coup de main inattendu de Nicolas Normand, ambassadeur de France à Dakar. Recevant des leaders de la coalition Bennoo Siggil Senegaal, le diplomate a lâché : « Si vous êtes sûrs que Wade ne représente rien et qu’il va être battu, pourquoi ne le laissez-vous pas se présenter ? »
Ses interlocuteurs se sont offusqués mais n’ont pas pour autant réglé le problème de fond. Le vrai défi des adversaires de Wade consiste à reprendre l’initiative. Pour ce faire, ils doivent repenser le M23, le structurer de manière à le rendre plus opérationnel, élargir son spectre à toute l’étendue du pays… Le séminaire prévu pour le 13 août offre l’occasion d’avancer sur ces questions.
Pour l’heure, les forces du changement doivent s’atteler à rétablir un rapport de force que Wade retourne peu à peu en sa faveur. Ni Paris ni Touba ni le Conseil constitutionnel ne peuvent dénouer une crise qui n’a de solution que sur le terrain politique.
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