DAKARACTU.COM Les soulèvements populaires des 23 et 27 juin ont surpris Abdoulaye Wade et l’ont même sonné sur le coup. Vers 17h le 23 juin, les rapports alarmistes qui lui parvenaient sur l’embrasement progressif du pays l’ont ébranlé et contraint à retirer le projet de loi constitutionnelle. Deux faits majeurs ont précipité sa décision de reculer : la rébellion de députés de son parti qui commençaient à exprimer ouvertement leur intention de ne pas voter le texte, et l’information qu’il a reçue des services secrets selon laquelle les manifestants commençaient à planifier des attaques contre les pontes du régime et leurs biens.
S’il a plié pour laisser passer l’orage, Abdoulaye Wade refuse de rompre. Nombre de ses paires chefs d’Etat auraient abdiqué après un revers si traumatisant et attendu tranquillement la fin de leur mandat pour partir sans tambour ni trompette. Pas lui. Sa période de flottement a duré quelques heures avant qu’il ne se reprenne en main et décide de se battre. Son entourage l’y a certes aidé. L’idée d’un remaniement ministériel qui lui a traversé la tête en a été ôtée très vite par le Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, qui lui a lancé, le ton martial : « Un remaniement nous affaiblirait. » Un autre de ses proches devenu son conseiller officieux après avoir été ministre lui a tenu pareil discours : « M. le président, il n’y a pas péril en la demeure. Abdou Diouf a subi en 1988 une violente vague de manifestations qui l’a même poussé à instaurer l’état d’urgence pendant plusieurs mois. Cela ne l’a pas empêché de garder le pouvoir plusieurs années après. Plus récemment, le président yéménite a été blessé dans son palais. Il continue à se battre dans son lit d’hôpital et conserve le pouvoir. On est loin de ces cas. Il est question d’une marche de l’opposition qui n’a duré qu’une journée et qui ne peut pas saper les bases du pouvoir. »
Comme requinqué par ces propos guerriers, Wade a pensé un moment à lancer la justice contre ses adversaires politiques, en particulier contre Abdoulaye Bathily, Macky Sall et Alioune Tine qui lui inspirent une plus grande adversité. Puis il s’est ravisé devant la lourdeur et les risques liés à cette option. Faute de pouvoir agir, il ne s’est pas privé de parler. Dès le 24 juin, il a commencé à marteler aux visiteurs qui défilaient au palais : « Je ne vais nulle part. Je reste ici. Je ne suis pas quelqu’un qu’on intimide. » A un de ses ministres titulaire d’un poste régalien, il a confié, le 25 juin : « Ils ont commencé et doivent le payer. Ils m’ont attaqué. Et, quand on m’attaque, je me défends. » C’est d’ailleurs à l’issue de cette conversation qu’a été prise la décision d’acquérir au plus vite des équipements militaires et du matériel de maintien de l’ordre en France, en Arabie Saoudite, en France…
A ses ministres, il a ordonné, la voix nouée par la colère : « Ne déménagez pas ! Cela crée un dangereux précédent. S’ils brûlent vos maisons, vous connaissez les leurs. Et ce ne sont pas les seuls à savoir mettre le feu. » Devant les ambassadeurs des pays membres de l’Union européenne accrédités à Dakar, le chef de l’Etat s’est montré un peu plus diplomate mais n’a pas changé de discours sur le fond. Après avoir accusé l’opposition d’avoir commencé, d’avoir instrumentalisé les jeunes pour semer le chaos et d’avoir ciblé les pontes du régime, il a dit en des termes à peine voilés que « c’est une affaire de parti » si sa formation politique, le Parti démocratique sénégalais (PDS), décide d’organiser la riposte. Avant de leur lancer : « Je vais rester jusqu’à la fin de mon mandat et présenter ma candidature en février 2012. » En un mot comme en mille, Abdoulaye Wade a décidé d’aller au combat. Et se dote des meilleures armes pour pouvoir l’emporter. Multipliant les rencontres avec ses troupes (le président de l’UJTL, un responsable des Calots bleus, des boutefeux du PDS…), il a insisté pour que les forces soient organisées. Et pour qu’il y ait des structures à tous les échelons, jusqu’aux comités de quartier. Comme s’il imaginait le Sénégal devenir un vaste champ de bagarre, il a recommandé que chaque groupe ait l’information sur les autorités et militants de l’opposition établis dans son secteur.
Abdoulaye Wade veut que ses militants l’emportent en cas d’affrontement, mais aussi que les forces de sécurité ne se laissent plus déborder par les soulèvements de l’opposition. Pour ce faire, il a fait comprendre au ministre de l’Intérieur que la police pouvait user de tous les moyens pour éviter d’être submergée à nouveau. Dakaractu.com a tenté de comprendre le sens de cette instruction. L’explication qui lui en a été fournie par un officier de police, sous couvert de l’anonymat, donne froid dans le dos.
Tous les témoignages sont unanimes : tous ceux qui ont rencontré Wade depuis les soulèvements populaires des 23 et 27 mars le décrivent comme quelqu’un qui ne veut rien lâcher, déterminé à faire face à l’adversité. Pareille attitude n’étonne guère ceux qui le connaissent. Au plus de fort de son bras de fer avec Idrissa Seck, début 2005, Abdoulaye Wade m’a asséné deux phrases en wolof, alors que je déplorais la violence de son combat contre son ex-homme de confiance : « Khouloo seunn la loo djott saani ci » ; « xeex amoul reegalman, soo amee yatt dooral soo amee fetal dooral ». Traduisez « quand tu te disputes contre quelqu’un, dis-lui les pires choses » ; « toutes les armes sont réglementaires quand une bagarre éclate ».
Ayant lu et compris L’art de la guerre, le chef de l’Etat sénégalais croit en la stratégie du bord du gouffre, une technique de combat qui consiste à user de moyens extrêmes contre l’ennemi pour le déstabiliser. Sauf que les types de bataille deviennent moins passionnants quand on les fait passer de la théorie à l’application sur un territoire et des êtres humains.
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