Sarkozy et son "cher Robert"

En 2007, Nicolas Sarkozy, remettait la Légion d’honneur à Robert Bourgi, le porteur de valises de la Françafrique, entendu ce jeudi par la police, avec force hommage. Par Claude Weill.


Sarkozy et son "cher Robert"
La scène se passe à l’Elysée. Le 27 septembre 2007, soit quatre mois après son entrée en fonction, Nicolas Sarkozy en personne remet les insignes de la Légion d’honneur à Robert Bourgi, l’ex-"porteur de valises" de Chirac et Villepin rallié au clan sarkoziste. Le compliment de circonstance du président vaut d’être relu. Pas seulement pour son ton, exceptionnellement cordial, chaleureux même, à l’adresse de son "cher Robert", à qui l’unit "une amitié de 24 ans". Mais surtout pour les sous-entendus et messages cryptés dont un Nicolas Sarkozy très en verve émaille son allocution : à la lumière des derniers événements, elle prend une saveur toute particulière.

D’entrée de jeu, le président souligne que c’est "sur la suggestion de Claude Guéant", secrétaire général de l’Elysée, qu’il a précisé de décorer lui-même l’heureux récipiendaire. Il précise aussi que c’est Renaud Dutreil (ministre du Commerce dans le dernier gouvernement Raffarin) qui l’a proposé pour cette distinction. "Renaud, je veux ici te remercier très profondément d’avoir permis à la France de récompenser ainsi l’un de ses grands serviteurs." Le "grand serviteur", Robert Bourgi, est donc celui qui, fin 2005, si l’on en croit ses récentes déclarations au "Journal du Dimanche", a "tout raconté" à Nicolas Sarkozy sur son rôle occulte dans les coulisses de la Françafrique. "Tout", c’est-à-dire les mallettes d’argent liquide, les djembés bourrés de billets verts… Au total, précise-t-il, vingt millions de dollars remis à Chirac et Villepin, de la part de chefs d’Etat africains attentionnés.

"Défenseur infatigable de notre pays"

Un juriste vétilleux trouverait sûrement là quelques motifs de mises en examen. Nicolas Sarkozy, lui, ce 27 septembre 2007, n’a pas de mots assez élogieux pour ce "défenseur infatigable de notre pays à travers le monde", qu’il exhortera dans une curieuse péroraison : "Cette distinction, fais-moi un grand plaisir, porte la. Porte la pour moi. Porte la pour la France. Porte-la, car tu peux en être fier."

Les éminents représentants de la Françafrique présents ce jour-là à l’Elysée auront apprécié en initiés l’hommage appuyé à Jacques Foccart, qui fut le mentor de Bourgi et l’initia à la science des valises. Ou le salut amical à Omar Bongo, pilier de la Françafrique et, toujours selon Bourgi, l’un des plus généreux mécènes du duo Chirac-Villepin.

"Efficacité et discrétion"

Nul besoin d’être dans le secret, en revanche, pour capter 5 sur 5 le mise en garde à peine voilée à celui qui se voit ce jour-là publiquement confirmé dans son rôle d’officieux M. Afrique : "Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France avec efficacité et discrétion. Je sais que sur le terrain de l’efficacité et de la discrétion, tu as eu le meilleur des professeurs et que tu n’es pas homme à oublier les conseils de celui qui te conseillait jadis de ‘rester à l’ombre pour ne pas attraper de coup de soleil’. Sous le chaud soleil africain, ce n’est pas une vaine précaution. Jacques Foccart avait bien raison."

Qu’est ce qui a finalement amené l’homme de l’ombre à négliger ces conseils de prudence ? Un goût immodéré de la publicité ? Le dépit d’un fidèle tombé en disgrâce pour avoir - déjà - trop parlé ? Beaucoup soupçonnent plutôt qu’il était en service commandé pour la sarkozie. A l’époque en tout cas, Nicolas Sarkozy ne doutait pas de la loyauté de son "cher Robert". "Je n’ignore pas qu’en amitié, le cap des 30 ans est le plus difficile à passer…", déclarait-il dans une allusion transparente à la guerre des chiraquiens et des balladuriens. "Mais je suis tranquille et serein, tant je sais que tu portes très haut la fidélité à notre pays, à nos valeurs et à tes amis."

Claude Weill - Le Nouvel Observateur
Jeudi 22 Septembre 2011




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