En plaçant sur orbite – non pas ministérielle mais présidentielle – la Délégation Générale au Renseignement National (DGRN), Macky Sall a commencé l’écriture d’un nouveau chapitre de l’Histoire des services de sécurité du Sénégal indépendant. Et de quelle manière ! Dans un domaine aussi sensible, le chef de l’Etat a enjambé voire repoussé, très loin, les barrières de la rupture, en faisant le choix d’un chambardement voisin du big-bang. Car, le nouvel et névralgique organe, tel qu’il est configuré et lesté de prérogatives par décret présidentiel, est, en réalité, un Ministère de la Sécurité Intérieure et Extérieure (MSIE) qui ne porte pas son nom. Et ne dépend pas du Premier ministre. Question : le fétichisme de la rupture est-il partout bénéfique ou maléfique ?
Bien entendu, le besoin vital de sécurité et l’indispensable protection des institutions du pays ne sont ni contestables ni contestés. Toutefois, un Etat démocratique comme celui du Sénégal est tenu de relever les défis sécuritaires – nouveaux et complexes soient-ils – avec des précautions qui ne le défigurent pas. De prime abord, la réorganisation opérée par le Président de la république ne présente aucun motif d’interrogation. En surface, le francophile Macky Sall nous a effectivement servi une lithographie (copie conforme) du modèle français qui est, lui-même, le fruit d’une réforme relativement récente. En profondeur, on décèle cependant deux différences de taille. Premièrement, la communauté française du renseignement (CFR) n’est pas fondue dans une structure extra-ministérielle. Deuxièmement, la militarisation rampante voire galopante du renseignement, au Sénégal, est à l’opposé d’une parité, à la limite, favorable aux civils, c’est-à-dire les grands commis de l’Etat, dans l’Hexagone.
En effet, la galaxie retouchée du renseignement en France (inspiratrice du chambardement décidé par le Président Macky Sall) comprend l’Académie du renseignement dirigée par une femme ; la DGSE (ex-SDECE) ; la DGSI en charge de la sécurité intérieure ; la DRM chargée comme l’indique son sigle, du renseignement militaire et la DPSD ou Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense… auxquelles il faut associer la Gendarmerie nationale et le Service Central du Renseignement Territorial (SCRT : ex-Renseignements généraux) de la Police nationale. Toute cette constellation de services peu ou prou secrets sont organiquement éparpillés entre les tutelles respectives de Matignon (Premier ministre), du ministère de la Défense, et de la Place Beauvau (ministère de l’Intérieur) etc. Même la DGSE qui est le navire-amiral de la communauté française du renseignement, est placée sous l’autorité du ministre de la Défense. Un rattachement décidé par le Général De Gaulle, au lendemain de l’affaire Ben Barka, en 1965. A l’Elysée, officie un coordonnateur du renseignement (sans rang ministériel) qui impulse et sert d’interface entre François Hollande et les services. Il n’est ni Amiral ni Général. Il s’agit de l’ex-Préfet de Corrèze, Alain Zabulon. Tout comme le directeur de la DGSE, le diplomate Bernard Bajolet, est un civil.
A contrario, Macky Sall a opté pour une militarisation et une autonomisation excessives du renseignement national. Aujourd’hui, le Délégué Général au Renseignement National, et non moins Amiral Farba Sarr, commande tous les démembrements civil et militaire de l’appareil sécuritaire. Tous les bastions de résistance policière et de gendarmerie sont coiffés. La très historique et solide citadelle de Rondon (crème des services spéciaux) est contournée puis prise en tenaille. En devenant le patron de la Direction Générale du Renseignement Extérieur (DGRE), l’Amiral Samba Fall a, en effet, avalé la DDSE puis arraché des pans entiers de compétences à l’ANSE anciennement Bureau de Sécurité de la Présidence de la République. Bref, tout est maintenant tombé dans l’escarcelle des militaires. Du coup, il saute aux yeux des observateurs avertis que les militaires ont si bien manœuvré qu’ils possèdent désormais le monopole stratégique de l’influence décisionnelle au plus haut niveau de l’Etat.
Le fait est sans précédent au Sénégal. Le tout-puissant Jean-Baptiste Collin auquel on pourrait comparer l’Amiral Sarr, était quand même un ministre d’Etat doublé d’un homme politique bardé de légitimité historique et électorale. En république et en démocratie, une certaine vigilance s’impose. Autrement dit, il y a des choses sur lesquelles, il faut être regardant. Faute de quoi, l’Empire du renseignement s’installe puis caporalise et enfin capture l’Etat comme en Algérie, au Cameroun et en Angola etc. Le doyen de l’opposition algérienne, Hocine Aït Ahmed a l’habitude de dire : « Dans tous les pays, l’Etat a son armée, sauf en Algérie où l’armée a son Etat ». Au train où vont les choses, c’est le Renseignement sous contrôle militaire qui aura bientôt son Etat au Sénégal. Sauf, si la Police qui est l’alpha et l’oméga de tout système sécuritaire et la Gendarmerie (habituée à une splendide autonomie de commandement depuis l’époque du Général Waly Faye) donnent la colique, telle une grosse mangue verte, à la gourmande et boulimique Délégation Générale au Renseignement National.
Une question taraude l’esprit : pourquoi le Président Macky Sall est allé aussi loin dans une direction que l’Histoire institutionnelle du pays n’a jamais indiquée ou favorisée ? Le défi djihadiste dans la sous-région est une réalité qui commande un regain de vigilance. Mais la riposte n’est pas synonyme de militarisation. En quoi une militarisation poussée garantit une efficacité optimale dans ce domaine ? Le succès du Plan Sénégal Emergent (PSE) sécurisera davantage le Sénégal contre la menace terroriste et la subversion politique interne que les très étroites et relatives performances de nos barbouzes. Ce sont les ventres repus de nourritures – et non les ventres creux – qui assurent véritablement la quiétude d’un régime et celle de son chef. En clair, la bonne gouvernance est infiniment plus sécurisante que toute expertise policière. La Délégation Générale au Renseignement National peut-elle dompter la Médina de Dakar honteusement privée d’eau par la SDE, un jour de Tabaski ? Les vertus du renseignement ne sont pas niées. Mais, ce sont les effets pervers de la fixation sécuritaire et, surtout, le mythe fondateur de la l’hégémonie militaire qui sont à recadrer.
A cet égard, le catalogue des expériences sécuritaires peut être feuilleté à l’échelle mondiale. A tout Seigneur, tout honneur ! Commençons par Israël – le Mossad a eu vent, en 1964, de la destitution de Nikita Khrouchtchev par Brejnev, avant la CIA – où les grandes réussites des services secrets sont à l’actif d’un civil du nom de Hisser Harel, un grand ami de David Ben Gourion. En revanche, l’échec le plus mémorable accable le Général Meïr Dagan qui a échoué en Jordanie, dans sa tentative d’empoisonner le chef du Hamas, Khaled Mechaal. Au Maroc, le Roi Hassan II s’est trouvé dans l’obligation d’éliminer successivement les Généraux Oufkir et Dlimi, pour ne pas être éliminé. Au Cameroun, le Président Amadou Ahidjo dut sa longévité au pouvoir, au redouté commissaire de Police Jean Fochivé, formé à Dakar, dans les années 50. Pour refermer le catalogue, signalons que le régime crépusculaire du Président Amadou Toumani Touré dont les piliers ont été tous des militaires ou paramilitaires – ATT lui-même Général parachutiste, le Premier ministre Modibo Sidibé Contrôleur-Général de Police, le Général Kafougouna Koné ministre de l’Intérieur, le Général Sadio Gasssama ministre de la Défense, le Général Hamidou Cissokho alias Man directeur de la Sécurité d’Etat – a été bousculé au Nord par les rebelles du MNLA et balayé à Bamako par le petit capitaine Sanogo. Moralité : la suprématie en la matière n’est ni militaire ni civile. Elle est partagée. Pour peindre un tableau fidèle et équilibré, réservons une mention spéciale au Colonel et aristocrate Alexandre de Marenches (ex-aide de camp du Maréchal Juin pendant la campagne d’Italie) qui a longtemps dirigé le SDECE, et raffermi les intérêts extérieurs de la France.
Après l’échec du débarquement de la Baie des cochons – une opération montée par la CIA en vue de renverser le régime communiste de Fidel Castro à Cuba – le Président Kennedy ressentait et parlait avec amertume de l’avantage dont jouissent les militaires de profession dans la présentation de leurs arguments : « Si quelqu’un vient me tenir ici tel ou tel propos sur le salaire minimum, je n’hésiterai pas à décider contre son avis. Mais on croit toujours que les militaires et les gens du renseignement possèdent des compétences auxquelles le commun des mortels n’a pas accès. C’est pourquoi, le premier conseil que je donnerai à mon successeur sera de se méfier des Généraux et d’éviter de croire que, parce qu’ils sont militaires, leurs opinions sur les questions stratégiques se passent d’évaluations et de vérifications ». Sans commentaires. Sauf pour dire que le Président Kennedy n’a pas eu le temps de parler à son successeur, puisque le 35e Président des Etats-Unis sera assassiné le 22 novembre 1963, malgré la protection – censée être efficace – du Secret Service.
PS : ces confidences du défunt Président américain figurent dans les livres-mémoires des journalistes Pierre Salinger et Ben Bradley, respectivement porte-parole de la Maison-Blanche et ami personnel de Kennedy.
Bien entendu, le besoin vital de sécurité et l’indispensable protection des institutions du pays ne sont ni contestables ni contestés. Toutefois, un Etat démocratique comme celui du Sénégal est tenu de relever les défis sécuritaires – nouveaux et complexes soient-ils – avec des précautions qui ne le défigurent pas. De prime abord, la réorganisation opérée par le Président de la république ne présente aucun motif d’interrogation. En surface, le francophile Macky Sall nous a effectivement servi une lithographie (copie conforme) du modèle français qui est, lui-même, le fruit d’une réforme relativement récente. En profondeur, on décèle cependant deux différences de taille. Premièrement, la communauté française du renseignement (CFR) n’est pas fondue dans une structure extra-ministérielle. Deuxièmement, la militarisation rampante voire galopante du renseignement, au Sénégal, est à l’opposé d’une parité, à la limite, favorable aux civils, c’est-à-dire les grands commis de l’Etat, dans l’Hexagone.
En effet, la galaxie retouchée du renseignement en France (inspiratrice du chambardement décidé par le Président Macky Sall) comprend l’Académie du renseignement dirigée par une femme ; la DGSE (ex-SDECE) ; la DGSI en charge de la sécurité intérieure ; la DRM chargée comme l’indique son sigle, du renseignement militaire et la DPSD ou Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense… auxquelles il faut associer la Gendarmerie nationale et le Service Central du Renseignement Territorial (SCRT : ex-Renseignements généraux) de la Police nationale. Toute cette constellation de services peu ou prou secrets sont organiquement éparpillés entre les tutelles respectives de Matignon (Premier ministre), du ministère de la Défense, et de la Place Beauvau (ministère de l’Intérieur) etc. Même la DGSE qui est le navire-amiral de la communauté française du renseignement, est placée sous l’autorité du ministre de la Défense. Un rattachement décidé par le Général De Gaulle, au lendemain de l’affaire Ben Barka, en 1965. A l’Elysée, officie un coordonnateur du renseignement (sans rang ministériel) qui impulse et sert d’interface entre François Hollande et les services. Il n’est ni Amiral ni Général. Il s’agit de l’ex-Préfet de Corrèze, Alain Zabulon. Tout comme le directeur de la DGSE, le diplomate Bernard Bajolet, est un civil.
A contrario, Macky Sall a opté pour une militarisation et une autonomisation excessives du renseignement national. Aujourd’hui, le Délégué Général au Renseignement National, et non moins Amiral Farba Sarr, commande tous les démembrements civil et militaire de l’appareil sécuritaire. Tous les bastions de résistance policière et de gendarmerie sont coiffés. La très historique et solide citadelle de Rondon (crème des services spéciaux) est contournée puis prise en tenaille. En devenant le patron de la Direction Générale du Renseignement Extérieur (DGRE), l’Amiral Samba Fall a, en effet, avalé la DDSE puis arraché des pans entiers de compétences à l’ANSE anciennement Bureau de Sécurité de la Présidence de la République. Bref, tout est maintenant tombé dans l’escarcelle des militaires. Du coup, il saute aux yeux des observateurs avertis que les militaires ont si bien manœuvré qu’ils possèdent désormais le monopole stratégique de l’influence décisionnelle au plus haut niveau de l’Etat.
Le fait est sans précédent au Sénégal. Le tout-puissant Jean-Baptiste Collin auquel on pourrait comparer l’Amiral Sarr, était quand même un ministre d’Etat doublé d’un homme politique bardé de légitimité historique et électorale. En république et en démocratie, une certaine vigilance s’impose. Autrement dit, il y a des choses sur lesquelles, il faut être regardant. Faute de quoi, l’Empire du renseignement s’installe puis caporalise et enfin capture l’Etat comme en Algérie, au Cameroun et en Angola etc. Le doyen de l’opposition algérienne, Hocine Aït Ahmed a l’habitude de dire : « Dans tous les pays, l’Etat a son armée, sauf en Algérie où l’armée a son Etat ». Au train où vont les choses, c’est le Renseignement sous contrôle militaire qui aura bientôt son Etat au Sénégal. Sauf, si la Police qui est l’alpha et l’oméga de tout système sécuritaire et la Gendarmerie (habituée à une splendide autonomie de commandement depuis l’époque du Général Waly Faye) donnent la colique, telle une grosse mangue verte, à la gourmande et boulimique Délégation Générale au Renseignement National.
Une question taraude l’esprit : pourquoi le Président Macky Sall est allé aussi loin dans une direction que l’Histoire institutionnelle du pays n’a jamais indiquée ou favorisée ? Le défi djihadiste dans la sous-région est une réalité qui commande un regain de vigilance. Mais la riposte n’est pas synonyme de militarisation. En quoi une militarisation poussée garantit une efficacité optimale dans ce domaine ? Le succès du Plan Sénégal Emergent (PSE) sécurisera davantage le Sénégal contre la menace terroriste et la subversion politique interne que les très étroites et relatives performances de nos barbouzes. Ce sont les ventres repus de nourritures – et non les ventres creux – qui assurent véritablement la quiétude d’un régime et celle de son chef. En clair, la bonne gouvernance est infiniment plus sécurisante que toute expertise policière. La Délégation Générale au Renseignement National peut-elle dompter la Médina de Dakar honteusement privée d’eau par la SDE, un jour de Tabaski ? Les vertus du renseignement ne sont pas niées. Mais, ce sont les effets pervers de la fixation sécuritaire et, surtout, le mythe fondateur de la l’hégémonie militaire qui sont à recadrer.
A cet égard, le catalogue des expériences sécuritaires peut être feuilleté à l’échelle mondiale. A tout Seigneur, tout honneur ! Commençons par Israël – le Mossad a eu vent, en 1964, de la destitution de Nikita Khrouchtchev par Brejnev, avant la CIA – où les grandes réussites des services secrets sont à l’actif d’un civil du nom de Hisser Harel, un grand ami de David Ben Gourion. En revanche, l’échec le plus mémorable accable le Général Meïr Dagan qui a échoué en Jordanie, dans sa tentative d’empoisonner le chef du Hamas, Khaled Mechaal. Au Maroc, le Roi Hassan II s’est trouvé dans l’obligation d’éliminer successivement les Généraux Oufkir et Dlimi, pour ne pas être éliminé. Au Cameroun, le Président Amadou Ahidjo dut sa longévité au pouvoir, au redouté commissaire de Police Jean Fochivé, formé à Dakar, dans les années 50. Pour refermer le catalogue, signalons que le régime crépusculaire du Président Amadou Toumani Touré dont les piliers ont été tous des militaires ou paramilitaires – ATT lui-même Général parachutiste, le Premier ministre Modibo Sidibé Contrôleur-Général de Police, le Général Kafougouna Koné ministre de l’Intérieur, le Général Sadio Gasssama ministre de la Défense, le Général Hamidou Cissokho alias Man directeur de la Sécurité d’Etat – a été bousculé au Nord par les rebelles du MNLA et balayé à Bamako par le petit capitaine Sanogo. Moralité : la suprématie en la matière n’est ni militaire ni civile. Elle est partagée. Pour peindre un tableau fidèle et équilibré, réservons une mention spéciale au Colonel et aristocrate Alexandre de Marenches (ex-aide de camp du Maréchal Juin pendant la campagne d’Italie) qui a longtemps dirigé le SDECE, et raffermi les intérêts extérieurs de la France.
Après l’échec du débarquement de la Baie des cochons – une opération montée par la CIA en vue de renverser le régime communiste de Fidel Castro à Cuba – le Président Kennedy ressentait et parlait avec amertume de l’avantage dont jouissent les militaires de profession dans la présentation de leurs arguments : « Si quelqu’un vient me tenir ici tel ou tel propos sur le salaire minimum, je n’hésiterai pas à décider contre son avis. Mais on croit toujours que les militaires et les gens du renseignement possèdent des compétences auxquelles le commun des mortels n’a pas accès. C’est pourquoi, le premier conseil que je donnerai à mon successeur sera de se méfier des Généraux et d’éviter de croire que, parce qu’ils sont militaires, leurs opinions sur les questions stratégiques se passent d’évaluations et de vérifications ». Sans commentaires. Sauf pour dire que le Président Kennedy n’a pas eu le temps de parler à son successeur, puisque le 35e Président des Etats-Unis sera assassiné le 22 novembre 1963, malgré la protection – censée être efficace – du Secret Service.
PS : ces confidences du défunt Président américain figurent dans les livres-mémoires des journalistes Pierre Salinger et Ben Bradley, respectivement porte-parole de la Maison-Blanche et ami personnel de Kennedy.
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