Le développement économique territorial peut être défini comme étant une transformation (sociale du territoire...) vers un mieux-être global, au moyen de la mise en œuvre de projets de développement économique, avec valorisation des ressources économiques locales dans une vision à long terme. Dans cette perspective, les institutions d’appui au développement local et au développement économique (en France notamment) travaillent depuis une dizaine d’années à mettre en œuvre une stratégie de mise en synergie des acteurs, qui s’appuie sur la maîtrise de l’information territoriale et le développement de la coproduction des acteurs au niveau territorial, pour l’atteinte du développement économique territorial. Cette démarche prend le nom d’intelligence économique territoriale. Le postulat de base est que les acteurs territoriaux et les institutions intervenant sur le territoire pourraient le compléter par le niveau des pratiques et tester la validité contextuelle de la démarche, dans le cadre de la réforme territoriale en cours au Sénégal. Le questionnement est dans ce contexte particulier :
- Est-ce que la stratégie de mise en réseau des acteurs territoriaux, entendu dans le sens de la loi d’orientation de l’administration territoriale permettrait d'atteindre une situation améliorée de l'économie du territoire.
- Cette démarche pourrait-elle constituer une panacée à la faiblesse de coproduction des acteurs soulignée dans l’avant-propos du code général de collectivités locales soutenant la réforme en cours ?
- Pour l’atteinte de la viabilité et de la compétitivité des territoires telles que proposée par la réforme, faut-il renforcer le capital formel territorial afin de construire un système de marketing territorial adapté à nos territoires ?
Au Sénégal, l'apport de l'information dans la construction du développement territorial est aujourd'hui matérialisé par la construction de l’observatoire des territoires par le PNDL, dont la finalité est d'assurer le partage des informations entre partenaires chargés d'alimenter une base de données très précise sur le territoire. L’observatoire est un dispositif d’intelligence territoriale qui rentre dans un champ de pratiques plus vaste que les acteurs territoriaux pourraient construire, après une formation adaptée sur la question. La mise en réseau des acteurs pour une intervention efficiente sur les territoires des collectivités territoriales pourrait constituer une solution pour compenser la faiblesse des budgets locaux et des fonds de dotation et d’équipement. Le renforcement des compétences des acteurs de territoires par le transfert mutuel des savoirs cognitifs, des savoirs-procéduraux et des savoir-faire procéduraux et des savoirs expérientiels pourrait se substituer jusqu’à un certaine mesure à des finances locales encore dominées par la part allouée au fonctionnement des institutions publiques locales. L’investissement des collectivités territoriales reste très résiduel. Ce qui compromet de fait la volonté du Législateur de susciter des collectivités territoriales compétitives. Toutes les études empiriques montrent que l’investissement est un déterminant de la compétitivité.
Dans le cadre potentiel de constitution d'un réseau d'acteurs territoriaux, que nous pouvons considérer comme des ''développeurs locaux'', la mobilisation des informations concernant l'économie des territoires peut servir à nourrir par une connaissance fine du territoire les choix stratégiques de développement. Les communes, les conseils départementaux ainsi que les agences de développement régional pourraient s’appuyer sur un tel outil d’aide à la décision pour accroître leur efficience sur les territoires. Une des forces du réseau peut être de doter le territoire d'une réputation en termes de réactivité, voire de proactivité face à la demande d'installation d'une entreprise dans le Département de Rufisque par exemple.
Cette possibilité pourrait servir de relais d’information à l’APIX qui peut travailler dans ce sens avec la commune ou le département concerné. Un tel travail peut être initié dans les 45 départements. Cette force de proposition pour l’optimisation de l’information territoriale dans le domaine de la professionnalisation des territoires, jetterait les bases d’une meilleure collaboration entre les services déconcentrés de l’Etat avec les collectivités territoriales. Avec la mise en œuvre de cet outil, les territoires sénégalais peuvent profiter du phénomène de délocalisation/relocalisation des entreprises en expansion dans le monde. Les grandes entreprises, de même que les firmes multinationales cherchent à localiser une partie de leur entreprise ou de leur production dans les territoires qui offrent de meilleures garanties en termes de profitabilité économiques ou en termes de rentabilité des investissements. Dans ce sens, les territoires sont en situation de compétition dans le monde pour attirer les investissements directs étrangers (IDE), les événements professionnels, les activités de loisir etc. Pour leur implantation, les déterminants de localisation sont fonction de l’offre territoriale, autrement des dispositions mises en place pour rendre le territoire attractif pour un investisseur ou pour la mise en œuvre d’activités marchandes ou non marchandes, pouvant participer dans tous les cas à rendre le territoire pourvoyeur de sens, de viabilité et de valeur ajoutée, voire de plus-value.
Cette dynamique semble être celle prise par l’orientation donnée au Pôle urbain de Diamniadio. En effet, cette composante du Plan Sénégal Emergent, principal référentiel des politiques publique sénégalaises semble intégrer cette volonté de positionner le pôle urbain de Diamniadio comme une zone qui remplirait en apparence les fonctions d’un pôle de développement. Il est entendu comme un « espace (ensemble, système pour reprendre une terminologie scientifique) territorial habité, où les évolutions sociales, économiques et résidentielles sont conduites dans le cadre d’un projet prospectif de développement ». Toutefois, la formulation du pôle urbain de Diamniadio ne laisse pas entrevoir une volonté d’associer les catégories d’acteurs dans le cadre d’un réseau, en dehors de quelques rares exceptions. Le concept de proximité tant vantée par la géographie économique et qui a fait la célébrité des clusters de Porter et des pôles de compétitivité françaises n’est pas associée à la conception du pôle urbain de Diamniadio. En d’autres termes, le pôle urbain de Diamniadio pourrait dépasser la notion de pôle de développement et migrer aussi vers un pôle de compétitivité de nature hybride, en ce qu’il associerait un pôle de service et un pôle industriel. Pour cela une nouvelle orientation peut être donnée en intégrant des centres de formation (exception faite de l’institut du pétrole) orientés vers la production des services et l’industrialisation des territoires.
Aussi, faudrait-il dire que sa vocation doit être plus large et plus orientée vers la complémentarité avec son hinterland. La ville de Rufisque souffre en effet d’une insuffisance de son projet de territoire (qu’on ne parvient pas à identifier clairement dans tous les cas). Une complémentarité peut être trouvée en proposant d’aménager son espace côtier pour des réceptifs hôteliers, mis aussi en travaillant sur son riche patrimoine architectural pour en faire des objets de découverte et de parcours touristique. Ce levier par le tourisme pourrait susciter l’intérêt des usagers du pôle pour Rufisque intra-muros. L’emploi et les taxes/impôts ne doivent pas être les seules retombées du Département de Rufisque. Le pôle doit et peut créer les conditions de mise en œuvre d’une connectivité entre ses territoires constitutifs. L’aboutissement pourrait être l’émergence de réseaux territoriaux d’organisation (ensembles coordonnés d’acteurs hétérogènes, géographiquement proches, qui coopèrent et participent collectivement à un processus de production.
Compris dans le sens ou le réseau agrège des compétences pour mobiliser de l'information et pour produire des connaissances que les acteurs peuvent utiliser, ''l'organisation réseau'' peut générer des situations de mieux-être en favorisant la création d'activités économiques ou l'installation d'entreprises dans le territoire.
In fine, une telle démarche basée sur la maîtrise de l’information territoriale ou sur une parfaite mobilisation du capital formel du département, renforcerait la vocation du pôle urbain. La notion de « mieux-être global énoncée au début de cette réflexion pourrait se réaliser, non seulement pour les usagers directs du pôle, mais aussi par ses territoires proches. Par le réseau des acteurs en synarchie (possibilité de pouvoir ensemble), la coproduction souhaitée par le Législateur peut se réaliser. Suite à cette méthodologie d’intelligence territorial, les communes et les aires urbaines pourraient à l’image des entreprises, commencer à développer une compétitivité-prix (en proposant des conditions financières d’installation avantageuses pour les organisations locales et internationales) et une compétitivité hors-prix (en proposant des services de qualité supérieure pour son offre, ou plutôt pour que nous qualifions de service territorial. Serait-on dès lors tenté de conclure que l’intelligence territoriale, comme outil du marketing des territoires locaux permet l’atteinte de la viabilité, par un développement économique territorial cohérent.
Alassane SENE
Professeur vacataire en Intelligence territoriale et en marketing territorial
Ecole Supérieure d’Economie Appliquée (ESEA ex ENEA)
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