POURQUOI Y A-T-IL TOUJOURS DEUX « SERIGNE NDAKARU »?


POURQUOI Y A-T-IL TOUJOURS DEUX « SERIGNE NDAKARU »?
« Simplement parce qu’il en a toujours été ainsi ! ». Cette réplique que me fit allégrement un jour un vieux dignitaire lébou pourrait, de prime abord, être considérée comme réductrice, simpliste voire infantile. Mais la réalité historique atteste parfaitement que, depuis le 18e siècle, qui connu l’avènement du premier Grand Serigne de Dakar, Dial Diop, en 1795, les Lébous ont toujours une sacrée réputation de frondeurs qui leur colle obstinément à la peau !
En effet, il n'y a presque jamais eu de succession d'un Grand Serigne de Dakar, sans qu'une branche dissidente de cette grande famille traditionnelle n'élise à son tour "son" Grand Serigne. Il convient d’admettre aussi que ces divergences sont souvent exacerbées par l’immixtion (intéressée) des politiques, dans les affaires internes de cette communauté traditionnelle. C'est ainsi que, du temps du premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sedar Senghor, Doudou Diop Moussé (le père du député Abdoulaye Diop Makhtar), candidat à la succession du défunt Grand Serigne de Dakar (El hadji Ibrahima Diop, décédé en 1969), soupçonné d'être proche de l'opposition clandestine (le pouvoir Senghorien l'accusait même d'être un ancien du Pra-Sénégal), s'était vu "rafler" la mise par Momar Maréme Diop, proche du président Senghor, qui reconnut ce dernier comme le Grand Serigne légitime.
Après le décès de Momar Maréme Diop, en 1985, une autre bataille de succession déchira la famille léboue. Abdou Diouf, qui venait d'arriver au pouvoir, en 1981, reconnu comme Grand Serigne légitime El hadji Bassirou Diagne Maréme Diop, qui avait comme challenger El hadji Mame Youssou Diop (fils de El Hadji Ibrahima Diop), qui entra alors en dissidence. (Notons que El Hadji Bassirou Diagne, qui se réclame de la lignée de Dial-Diop de par sa filiation maternelle, aura été le 3e Serigne Ndakaaru à ne pas être un « Diop », après les Grand Serigne Elimane Diol (1831-1855), d’ascendance toucouleur et descendant lui aussi de Dial Diop de par sa mère, et Alpha Diol, fils d’Elimane Diol, qui régna prés de 50 ans (1896-1942).
Avec la survenue de l’Alternance de mars 2000, le nouveau pouvoir (de Abdoulaye Wade) s’immisça à nouveau dans les affaires de succession léboue et considéra El hadji Libasse Diop (continuateur de la dissidence du défunt Mame Youssou Diop) comme légitime. Ce dernier, à son décès, fut successivement suppléé par Ibrahima Diop, fils de Momar Maréme Diop, et ensuite par Massamba Coki Diop (petit-fils de Massamba N'della Sow Diop), qui vient d’être rappelé à Dieu, la semaine dernière (que Dieu agrée son âme). Cependant, la Collectivité Léboue aura noté un fait inédit dans ses rapports avec les différents pouvoirs politiques du Sénégal : c’est le président Wade qui aura été le premier chef de l’Etat sénégalais à avoir réussi la prouesse de se concilier les sensibilités « antagonistes » de cette communauté turbulente et rebelle. En effet, il finit par opter de traiter sur un même pied El Hadji Bassirou Diagne Maréme Diop et son oncle maternel Massamba Coki Diop. Cette nouvelle posture du pouvoir aurait-il contribué à embellir davantage la qualité des rapports qu’entretenaient El Hadji Bassirou Diagne et son défunt oncle Massamba Coki? Peut-être.
Contestataires dans l’âme !
Toujours est-il, et l’histoire le rapporte à suffisance, que le « Lébougi » aura su, en dépit de ses séculaires courants contradictoires internes, tenir tête, pendant des siècles, aux assauts des fantassins ceddo des différents Damels du Cayor, qui se considéraient comme les souverains de la presqu’île. Ce que les Lébous leur ont toujours contesté, avec Dial Diop, le premier Serigne Ndakaru, comme leader de la fronde. Jaloux jusqu’au bout des ongles de leur « indépendance » (ils n’ont jamais voulu se fondre dans le Cayor, comme l’ont toujours voulu les Damels), les Lébous auront régulièrement bravé l’autorité coloniale, en fondant leur propre "République" - la première République noir au monde, bien avant Haiti, le pouvoir coloniale français ayant trouvé, dés 1815, un « Etat lébou ». Leur rébellion, endémique, aura surtout eu pour effet, avec l’avènement du premier pouvoir politique post-colonial, d’avoir incité l’ancien Président du Conseil, Mamadou Dia, à procéder, le 4 avril 1960, au transfert de la Capital, de Saint-Louis à Dakar, pour contrecarrer toute velléité sécessionniste.
En effet, peu avant l’indépendance, notre pays a failli connaître un remake à rebours du dramatique irrédentisme casamançais, suite au discours contestataire, historique, du Grand Serigne de Dakar, El hadji Ibrahima Diop (le grand père maternel de Me Mame Adama Guèye). Ce 11e Serigne Ndakaru exprima ouvertement, dans une déclaration martiale, parue le 11 septembre 1958, dans le quotidien « Paris-Dakar », la ferme volonté de la communauté léboue de défendre fermement son unité et son identité, au prix même de détacher leur terroir, la Presqu’île du Cap-Vert, du reste du Sénégal, s’il n’était pas mis un terme aux manœuvres d’assujettissement les visant. Et si, également, le « non » l’emportait à l’issu du référendum constitutionnel de 1958, que les lébous redoutaient comme un promontoire pour concrétiser le projet d’annexion de la Presqu’île du Cap-Vert au Cayor.
Depuis l’époque coloniale, le Grand Serigne de Dakar a toujours été un interlocuteur privilégié du pouvoir central, dans la mise en œuvre des différents programmes de développement, touchant le foncier, l’agriculture, l’industrie, etc., et nécessitant souvent des traités préalables avec de grands propriétaires fonciers ou des cartels familiaux traditionnels lébous. Le deuxième Serigne Ndakaru, Matar Diop (fils de Dial Diop) en accueillant « en ami », pour la première fois, en juillet 1816, le premier gouverneur français, M. Schmaltz, posa, sans s’en rendre compte, le premier acte pacificateur entre le pouvoir colonial et les Lébous. En effet, ce fut le début de l’installation permanente des français – qui jusque-là « ne faisaient que passer ». L’exploitation de cette opportunité encouragea d’ailleurs les colons à pousser le bouchon plus loin, en allant tout bonnement installer leur première gouvernance à Saint-Louis, en janvier 1817.
En reconnaissance à cette marque d’hospitalité notoire des Lébous, et par respect sans doute à leur volonté de souveraineté, M. Schmaltz, premier gouverneur français nommé au Sénégal en ce 19e siècle, pris sur lui l’engagement de verser une indemnité quotidienne de 54 francs et d’une livre de pain au deuxième Grand Serigne de Dakar, Matar Diop. Au demeurant, cette tradition a été maintenue par les différents pouvoirs politiques qui, même après l’indépendance, l’auront formalisé en nommant systématiquement, par décret, le Grand Serigne de Dakar comme « Conseiller coutumier auprès du Gouverneur de la Région de Dakar ». Avec tous les égards y afférent.
Aussi, la position stratégique de porte-étendard, de responsable moral de la Collectivité Léboue et d’interlocuteur privilégié du pouvoir politique que confère la fonction de Grand Serigne de Dakar a toujours suscité d’âpres batailles de positionnement, à l’heure de la succéssion. Depuis le décès du premier Serigne Ndakaru, Dial Diop, en 1815, l’élection des 18 Grand Serigne de Dakar qui se sont succédé au « Serignat », n’a jamais été de tout repos pour la Collectivité Léboue. Il est devenu banale, à l’issue de chaque intronisation, de voir émerger un, voire deux Grands Notables, contestataires, créer leur « courant », pour se réclamer dépositaires de la légitimité - laquelle peut être tiré aussi bien de la lignée patrilinéaire que matrilinéaire (comme Alpha Diol, qui régna un demi-siècle sur la Collectivité), dés lors que la filiation conduise à Dial Diop, premier dépositaire du titre. Mais pour l’essentiel, les dignitaires lébous auront su garder la tête froide, en faisant prévaloir, par-dessus de tout, leurs liens familiaux, préservant ainsi leur unité. Et ce, en dépit des aléas de la politiques et des farouches et épisodiques tiraillements, du reste considérés comme la preuve de la vitalité démocratique ayant toujours caractérisé l’organisation communautaire de ces autochtones de la « Presqu’Ile du Cap-Vert ».
Mame Mactar Guèye
Membre du Collectif des Cadres lébous
Sg du Rds - mamemactar@yahoo.fr
Jeudi 7 Février 2013




1.Posté par deug le 07/02/2013 11:02
Tres inStructif . Faut noter que la Cour Supreme du Senegal avait, au debut des années 60, dans un litige foncier, refuse la qualite de personne morale a la Communaute Leboue du Cap-Vert

2.Posté par jamaa jigi le 07/02/2013 15:01
Très instructifs, en effet. Mais cela prouve que:
1. Soit les critères de désignation du grand serigne ne sont pas clairement définis d'avance, soit c'est le seul soucis mercantiliste qui a, souvent, animé les prétendants au trône. La seconde hypothèse est, probablement, la plus plausible dans la mesure où, en pays musulman les choses sont claires: les successions s'opèrent toujours, en s'appuyant sur le socle de la traditon patrilinéaire et, en règle général, le choix du chef se fait dans le respect scrupuleux du droit de primogéniture.
2. Ce que vous appelez "la république lébou" ne doit sa survie qu'à la seule collaboration avec les différents pouvoirs qui se sont succédés dans la presqu'ile du Cap-Vert, de l'époque coloniale à nos jours.

3.Posté par mansour lébou le 07/02/2013 17:04
Les liens familiaux valent plus que ces titres. Le titre de "SERIGNE NDAKAROU" me semble plus approprié que le titre français de "GRAND SERIGNE DE DAKAR" qui n'est qu'une déformation ou une traduction du titre par les français qui cohabitaient avec les lébou de Dakar du Sénégal. Le 'Lébougui" est une Communauté ouverte et généreuse. Dans les religions révélées, il y a eu toujours des divergences de succession mais cela n'enlève en rien la foi des religieux. Merci



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