Le 25 mars 2012, le Sénégal a connu, pour la deuxième fois de son histoire, une alternance politique à la tête de l’Etat. Une ère nouvelle s’ouvrait ainsi pour le Sénégal, imprimant sa marque dans toutes les sphères de la société.
L’administration publique, parce ce que constituant le fer de lance de la puissance publique, s’est trouvée, plus que tout autre corps social, concernée par le changement de régime politique. Les fonctionnaires, habitués à travailler pendant douze ans avec les équipes du Président Abdoulaye Wade, se devaient d’accompagner la prise de responsabilités d’un nouveau régime.
Une telle situation appelle une interrogation : l’administration publique sénégalaise est-elle en mesure de vivre le changement politique tout en gardant les fondements de son identité?
En toute rigueur, l’administration se doit d’être républicaine, c’est à dire qu’elle doit servir le pouvoir politique sans s’asservir, lui obéir en évitant de lui être inféodée, demeurer professionnelle, impartiale et garante de l’intérêt public. Ceci participe de la bonne gouvernance devenue un des principaux facteurs de développement économique et social.
Il est arrivé, dans certains pays et en un certain moment de leur histoire, que cette règle d’orthodoxie républicaine soit foulée aux pieds et que l’administration soit complètement « politisée ». Le Pouvoir politique exerce alors une emprise complète sur la fonction publique, privilégiant, dans les nominations aux postes de responsabilité, les amis politiques au détriment de la compétence et de l’expérience.
Dans ces cas là, la performance du pays concerné et son image internationale en ont subi les conséquences, à travers la défiance des investisseurs, la perte de la culture de l’excellence dans l’administration, ainsi que la propagation de la corruption et de l’amateurisme dans la gestion des affaires de l’Etat.
Maintenant que tous les pays du monde cherchent activement à attirer les investissements et à rejoindre le rang des Nations développées, le paradigme de l’administration républicaine et efficace est unanimement admis. Mais, au delà de la rhétorique, il importe de le faire vivre dans les faits.
Deux voies s’offrent à cet égard :
- soit, compter sur les hommes politiques pour le respect d’un code déontologique dans leurs relations avec la fonction publique ;
- soit, institutionnaliser ces relations dans le cadre des textes constitutionnels, législatifs et réglementaires.
L’expérience montre que cette dernière voie est meilleure parce moins susceptible d’être transgressée par des leaders qui refuseraient de jouer le jeu républicain. C’est du reste le choix retenu par les pays qui présentent le meilleur profil d’administration.
Partant du droit positif sénégalais en matière d’organisation de la fonction publique, les évolutions ci-après paraissent souhaitables pour consolider davantage le caractère républicain de l’administration :
1. Isoler les fonctionnaires des influences partisanes
Aujourd’hui, rien n’interdit aux fonctionnaires de participer activement à la vie politique. Il en découle une tentation pour adhérer, par nécessité et, appuyer fortement le ou les partis majoritaires, dans l’espoir d’obtenir une promotion ou de conserver son poste.
Il est vrai aussi que l’expertise des fonctionnaires peut valablement servir à enrichir le personnel politique, surtout dans un pays en développement dont les capacités humaines sont par nature limitées.
Sans aller jusqu’à empêcher les fonctionnaires de prendre la carte d’un parti politique ou de contribuer à animer ses instances de réflexion, il convient d’encadrer cette implication dans la vie partisane, en posant des limites à ne pas dépasser pour éviter d’entretenir des situations malsaines et dangereuses pour l’éthique administrative. Le droit de réserve attendu des fonctionnaires le justifierait amplement.
C’est de cette manière que certains pays ont procédé en érigeant des barrières strictes entre la fonction publique et les partis politiques.
En Inde par exemple, interdiction absolue est faite aux fonctionnaires de participer aux meetings politiques, de tenir des réunions politiques dans les édifices publics, d’utiliser les biens et moyens (matériels et financiers) de l’Etat au profit des partis ou de participer à leur financement. En Grande Bretagne, tout fonctionnaire souhaitant se présenter aux élections doit auparavant se mettre en congé de la Fonction publique.
Toutes ces dispositions pourraient être introduites dans une charte de la fonction publique sénégalaise qui serait le livre de chevet de tous les fonctionnaires. Ces derniers pourraient également prêter serment lors de leur prise de fonction, pour leur faire mesurer tout le poids qui s’y attache.
En outre, bien que la Constitution sénégalaise dispose, dans son préambule, que les citoyens sont égaux devant les services publics, il importe que le médiateur de la République et le Conseil d’Etat (juge de l’excès du pouvoir) veillent concrètement à l’application concrète de cette mesure dans la vie de tous les jours.
2. Renforcer le rôle des Secrétaires généraux dans les ministères.
Notre organisation ministérielle place, après le Ministre, le directeur de cabinet au sommet de la hiérarchie administrative. Le Ministre et son cabinet deviennent ainsi les rouages essentiels du département ministériel, impulsant les chantiers de réforme et coordonnant l’activité des directions.
Le handicap majeur d’un tel schéma réside dans l’instabilité ministérielle qui fait que le Ministre et son cabinet ne possèdent pas la durée et sont appelés à être remplacés à plus ou moins brève échéance. Le nouveau Ministre nommé, avec l’appui de son cabinet lui-même nouveau, ont alors toute latitude de lancer de nouveaux chantiers, de définir de nouvelles stratégies pour le département ministériel et de donner une certaine coloration politique aux décisions administratives.
C’est encore plus vrai en cas d’alternance politique, les nouveaux venus ne partageant pas nécessairement les vues idéologiques et les choix des sortants.
Dès lors, les fonctionnaires tout comme les usagers ne se retrouvent plus dans les orientations à long terme et les priorités du ministère. Sans compter le gaspillage de temps, d’énergie et de ressources, denrées rares pour un pays en développement qui, plus que tout autre pays, doit rechercher l’efficience et l’efficacité.
De surcroît, rien ne garantit que le cabinet du Ministre soit toujours suffisamment expérimenté et techniquement compétent pour coordonner comme il le faut les directions et faire avancer les dossiers du département.
A contrario, l’institution d’un secrétaire général de ministère, permanent et choisi en dehors de toute considération politique, possède un double avantage: (i) professionnaliser la gestion du département ministériel en lui conservant qualité, technicité et respect strict des règles, normes et procédures ; (ii) assurer la continuité administrative et donner une cohérence au suivi des dossiers.
De plus, le Secrétaire général, ayant la durée avec lui, peut développer progressivement une connaissance du personnel du ministère et de ses partenaires, qui lui permette d’aider le nouveau Ministre à « entrer dans ses fonctions » et de lui donner des atouts pour faire face, rapidement et sûrement, à toutes ses responsabilités.
L’on cite souvent l’exemple du Secrétaire permanent de la Primature britannique qui, lors d’une élection législative, prend connaissance des programmes des partis susceptibles de gouverner et, dès la nomination du Premier Ministre, se met à sa disposition pour l’aider à mettre en œuvre son programme, dans le respect de l’orthodoxie administrative.
Le cas de Mr Marceau Long, Secrétaire général du Gouvernement français au moment de l’alternance de 1981, est également bien connu des étudiants en sciences politiques, pour avoir réussi à faciliter la passation en douceur du témoin entre la Droite et la Gauche. Ce grand commis de l’Etat et d’autres comme René Denoix de Saint Marc, François Bloch-Lainé et le Président Kéba MBaye, continuent d’inspirer encore plusieurs jeunes hauts fonctionnaires et à leur donner le courage de servir l’Etat avec loyauté et dans un esprit républicain.
Enfin et surtout, l’existence du secrétaire général au sommet de la hiérarchie exerce de facto un effet sur le comportement des agents du ministère, incités qu’ils sont à travailler durement pour mériter une bonne appréciation et progresser dans leur carrière. Le sens du service et le dévouement au profit des usagers en sont les corollaires naturels.
Après avoir institué des secrétaires généraux dans les ministères, pendant plusieurs années, le gouvernement du Sénégal a retenu de les supprimer dans les années 80, à l’exception notable du ministère des affaires étrangères. Certains ministres ont en effet pris ombrage de ces personnages puissants, ce qui s’est traduit parfois par des conflits ouverts entre eux. Le régime du Président Abdoulaye Wade a rétabli la fonction de secrétaire général dans plusieurs ministères, ce qui est une bonne chose.
De fait, la plupart des pays du monde, y compris la Gambie voisine et l’Ile Maurice, sont le théâtre d’une cohabitation harmonieuse entre Ministre et Secrétaire général, preuve que le Sénégal ne pourrait pas faire exception à la règle ; il convient simplement de clarifier les compétences respectives du ministre et du Secrétaire général.
Au surplus, le succès de l’exemple du ministère des affaires étrangères sénégalais constitue une illustration parfaite de ce qui pourrait être réalisé dans les autres ministères.
Avec l’existence de la fonction de secrétaire général de ministère, le cabinet du Ministre devrait naturellement se rétrécir en nombre ; la plupart des conseillers, techniquement compétents, pouvant rejoindre le cabinet du secrétaire général (les actuels conseillers dits de département jouent parfaitement ce rôle).
L’on relèvera, au passage, que la France, dont le modèle administratif nous a très souvent inspiré, ne possède pas de secrétaires généraux de ministères, sauf dans quelques rares départements de souveraineté.
Mais la grande technicité des directeurs de cabinet français, généralement sortis de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et ayant une vocation interministérielle, leur permet de prendre très rapidement le pouls des dossiers des ministères et de les faire évoluer dans le sens positif. Sans compter que la culture administrative est suffisamment développée au sein du personnel politique français - dont beaucoup sortent eux-mêmes de l’ENA ou de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris- pour que la cohabitation entre le cabinet et les directions se passe sans heurts et sans dommage pour l’efficacité administrative.
En revanche, le Sénégal, au regard de son développement institutionnel actuel, gagnerait à ré-instituer des secrétaires généraux dans les ministères.
Une mission spéciale pourrait être mise en place par le gouvernement, pour, après examen de plusieurs exemples étrangers, sur tous les continents, proposer les modalités de la création de ces postes de secrétaires généraux.
En tout état de cause, le Secrétaire général devra être, dans chaque ministère, le meilleur cadre au point de vue de l’expérience, de la compétence, du dynamisme, de la probité et du dévouement.
3. Rationaliser la nomination des directeurs d’administration centrale et des cadres du commandement territorial
Il est normal qu’un nouveau pouvoir s’entoure de collaborateurs dignes de confiance. Cela ne doit justifier ni « chasse aux sorcières » ni nomination à des postes de responsabilité de cadres dont les capacités sont inadaptées. Certains grands pays, les Etats Unis et même la France, dans une moindre mesure, voient alterner, en cas de changement de régime politique, des directeurs relativement proches du nouveau pouvoir. Mais, ces pays ont la chance de posséder une grande masse de cadres administratifs de haut niveau, également répartis entre les partis appelés à gouverner. Tel n’est pas le cas d’un pays en développement qui doit développer progressivement ses ressources humaines de qualité.
C’est pourquoi, en plus de renforcer la neutralité politique des fonctionnaires (cf. ci-dessus), il importe d’encadrer la nomination des directeurs et des cadres du commandement territorial, pour éviter que des personnes moins qualifiées que d’autres ne bénéficient de promotions.
Un moyen efficace pourrait être de procéder à une différenciation entre le poste et le grade de directeur ou de préfet.
Tout agent de l’Etat, l’ayant mérité par ses qualités intrinsèques, pourrait prétendre, après un certain nombre d’années de service, au grade de directeur ou de préfet. Il pourra ainsi porter le titre de directeur ou de préfet et bénéficier d’un traitement salarial conséquent, d’une formation spécifique et de responsabilités qui le préparent à ses futures tâches de direction et de commandement territorial.
Le directeur d’administration centrale ou le préfet devront alors être obligatoirement choisis parmi les cadres ayant le grade de directeur ou de préfet. On éviterait ainsi de bousculer anormalement la hiérarchie en propulsant par exemple, pour des raisons politiques, un chef de bureau au rang de directeur, alors que des cadres plus expérimentés sont disponibles dans la direction.
Inversement, les directeurs d’administration centrale et les préfets relevés de leur fonctions rejoindraient tout naturellement la « réserve » des directeurs et des préfets, de sorte que des missions spécifiques puissent leur être confiées pour utiliser pleinement l’expérience qu’ils ont accumulée.
En définitive, les réformes ainsi proposées sont indispensables dans le contexte politique sénégalais qui verra sans nul doute alterner, dorénavant, différentes forces politiques au sommet de l’Etat. Dans ce tourbillon politique, il est de la plus haute importance d’aménager à l’Administration un îlot de tranquillité lui permettant de préserver son âme et de contribuer, sereinement et dans un esprit républicain, à l’émergence du Sénégal.
Par Moubarack LO
Président du Mouvement pour un Sénégal émergent (MOUSEM)
Membre du CA2017
Email :moubaracklo@gmail.com
L’administration publique, parce ce que constituant le fer de lance de la puissance publique, s’est trouvée, plus que tout autre corps social, concernée par le changement de régime politique. Les fonctionnaires, habitués à travailler pendant douze ans avec les équipes du Président Abdoulaye Wade, se devaient d’accompagner la prise de responsabilités d’un nouveau régime.
Une telle situation appelle une interrogation : l’administration publique sénégalaise est-elle en mesure de vivre le changement politique tout en gardant les fondements de son identité?
En toute rigueur, l’administration se doit d’être républicaine, c’est à dire qu’elle doit servir le pouvoir politique sans s’asservir, lui obéir en évitant de lui être inféodée, demeurer professionnelle, impartiale et garante de l’intérêt public. Ceci participe de la bonne gouvernance devenue un des principaux facteurs de développement économique et social.
Il est arrivé, dans certains pays et en un certain moment de leur histoire, que cette règle d’orthodoxie républicaine soit foulée aux pieds et que l’administration soit complètement « politisée ». Le Pouvoir politique exerce alors une emprise complète sur la fonction publique, privilégiant, dans les nominations aux postes de responsabilité, les amis politiques au détriment de la compétence et de l’expérience.
Dans ces cas là, la performance du pays concerné et son image internationale en ont subi les conséquences, à travers la défiance des investisseurs, la perte de la culture de l’excellence dans l’administration, ainsi que la propagation de la corruption et de l’amateurisme dans la gestion des affaires de l’Etat.
Maintenant que tous les pays du monde cherchent activement à attirer les investissements et à rejoindre le rang des Nations développées, le paradigme de l’administration républicaine et efficace est unanimement admis. Mais, au delà de la rhétorique, il importe de le faire vivre dans les faits.
Deux voies s’offrent à cet égard :
- soit, compter sur les hommes politiques pour le respect d’un code déontologique dans leurs relations avec la fonction publique ;
- soit, institutionnaliser ces relations dans le cadre des textes constitutionnels, législatifs et réglementaires.
L’expérience montre que cette dernière voie est meilleure parce moins susceptible d’être transgressée par des leaders qui refuseraient de jouer le jeu républicain. C’est du reste le choix retenu par les pays qui présentent le meilleur profil d’administration.
Partant du droit positif sénégalais en matière d’organisation de la fonction publique, les évolutions ci-après paraissent souhaitables pour consolider davantage le caractère républicain de l’administration :
1. Isoler les fonctionnaires des influences partisanes
Aujourd’hui, rien n’interdit aux fonctionnaires de participer activement à la vie politique. Il en découle une tentation pour adhérer, par nécessité et, appuyer fortement le ou les partis majoritaires, dans l’espoir d’obtenir une promotion ou de conserver son poste.
Il est vrai aussi que l’expertise des fonctionnaires peut valablement servir à enrichir le personnel politique, surtout dans un pays en développement dont les capacités humaines sont par nature limitées.
Sans aller jusqu’à empêcher les fonctionnaires de prendre la carte d’un parti politique ou de contribuer à animer ses instances de réflexion, il convient d’encadrer cette implication dans la vie partisane, en posant des limites à ne pas dépasser pour éviter d’entretenir des situations malsaines et dangereuses pour l’éthique administrative. Le droit de réserve attendu des fonctionnaires le justifierait amplement.
C’est de cette manière que certains pays ont procédé en érigeant des barrières strictes entre la fonction publique et les partis politiques.
En Inde par exemple, interdiction absolue est faite aux fonctionnaires de participer aux meetings politiques, de tenir des réunions politiques dans les édifices publics, d’utiliser les biens et moyens (matériels et financiers) de l’Etat au profit des partis ou de participer à leur financement. En Grande Bretagne, tout fonctionnaire souhaitant se présenter aux élections doit auparavant se mettre en congé de la Fonction publique.
Toutes ces dispositions pourraient être introduites dans une charte de la fonction publique sénégalaise qui serait le livre de chevet de tous les fonctionnaires. Ces derniers pourraient également prêter serment lors de leur prise de fonction, pour leur faire mesurer tout le poids qui s’y attache.
En outre, bien que la Constitution sénégalaise dispose, dans son préambule, que les citoyens sont égaux devant les services publics, il importe que le médiateur de la République et le Conseil d’Etat (juge de l’excès du pouvoir) veillent concrètement à l’application concrète de cette mesure dans la vie de tous les jours.
2. Renforcer le rôle des Secrétaires généraux dans les ministères.
Notre organisation ministérielle place, après le Ministre, le directeur de cabinet au sommet de la hiérarchie administrative. Le Ministre et son cabinet deviennent ainsi les rouages essentiels du département ministériel, impulsant les chantiers de réforme et coordonnant l’activité des directions.
Le handicap majeur d’un tel schéma réside dans l’instabilité ministérielle qui fait que le Ministre et son cabinet ne possèdent pas la durée et sont appelés à être remplacés à plus ou moins brève échéance. Le nouveau Ministre nommé, avec l’appui de son cabinet lui-même nouveau, ont alors toute latitude de lancer de nouveaux chantiers, de définir de nouvelles stratégies pour le département ministériel et de donner une certaine coloration politique aux décisions administratives.
C’est encore plus vrai en cas d’alternance politique, les nouveaux venus ne partageant pas nécessairement les vues idéologiques et les choix des sortants.
Dès lors, les fonctionnaires tout comme les usagers ne se retrouvent plus dans les orientations à long terme et les priorités du ministère. Sans compter le gaspillage de temps, d’énergie et de ressources, denrées rares pour un pays en développement qui, plus que tout autre pays, doit rechercher l’efficience et l’efficacité.
De surcroît, rien ne garantit que le cabinet du Ministre soit toujours suffisamment expérimenté et techniquement compétent pour coordonner comme il le faut les directions et faire avancer les dossiers du département.
A contrario, l’institution d’un secrétaire général de ministère, permanent et choisi en dehors de toute considération politique, possède un double avantage: (i) professionnaliser la gestion du département ministériel en lui conservant qualité, technicité et respect strict des règles, normes et procédures ; (ii) assurer la continuité administrative et donner une cohérence au suivi des dossiers.
De plus, le Secrétaire général, ayant la durée avec lui, peut développer progressivement une connaissance du personnel du ministère et de ses partenaires, qui lui permette d’aider le nouveau Ministre à « entrer dans ses fonctions » et de lui donner des atouts pour faire face, rapidement et sûrement, à toutes ses responsabilités.
L’on cite souvent l’exemple du Secrétaire permanent de la Primature britannique qui, lors d’une élection législative, prend connaissance des programmes des partis susceptibles de gouverner et, dès la nomination du Premier Ministre, se met à sa disposition pour l’aider à mettre en œuvre son programme, dans le respect de l’orthodoxie administrative.
Le cas de Mr Marceau Long, Secrétaire général du Gouvernement français au moment de l’alternance de 1981, est également bien connu des étudiants en sciences politiques, pour avoir réussi à faciliter la passation en douceur du témoin entre la Droite et la Gauche. Ce grand commis de l’Etat et d’autres comme René Denoix de Saint Marc, François Bloch-Lainé et le Président Kéba MBaye, continuent d’inspirer encore plusieurs jeunes hauts fonctionnaires et à leur donner le courage de servir l’Etat avec loyauté et dans un esprit républicain.
Enfin et surtout, l’existence du secrétaire général au sommet de la hiérarchie exerce de facto un effet sur le comportement des agents du ministère, incités qu’ils sont à travailler durement pour mériter une bonne appréciation et progresser dans leur carrière. Le sens du service et le dévouement au profit des usagers en sont les corollaires naturels.
Après avoir institué des secrétaires généraux dans les ministères, pendant plusieurs années, le gouvernement du Sénégal a retenu de les supprimer dans les années 80, à l’exception notable du ministère des affaires étrangères. Certains ministres ont en effet pris ombrage de ces personnages puissants, ce qui s’est traduit parfois par des conflits ouverts entre eux. Le régime du Président Abdoulaye Wade a rétabli la fonction de secrétaire général dans plusieurs ministères, ce qui est une bonne chose.
De fait, la plupart des pays du monde, y compris la Gambie voisine et l’Ile Maurice, sont le théâtre d’une cohabitation harmonieuse entre Ministre et Secrétaire général, preuve que le Sénégal ne pourrait pas faire exception à la règle ; il convient simplement de clarifier les compétences respectives du ministre et du Secrétaire général.
Au surplus, le succès de l’exemple du ministère des affaires étrangères sénégalais constitue une illustration parfaite de ce qui pourrait être réalisé dans les autres ministères.
Avec l’existence de la fonction de secrétaire général de ministère, le cabinet du Ministre devrait naturellement se rétrécir en nombre ; la plupart des conseillers, techniquement compétents, pouvant rejoindre le cabinet du secrétaire général (les actuels conseillers dits de département jouent parfaitement ce rôle).
L’on relèvera, au passage, que la France, dont le modèle administratif nous a très souvent inspiré, ne possède pas de secrétaires généraux de ministères, sauf dans quelques rares départements de souveraineté.
Mais la grande technicité des directeurs de cabinet français, généralement sortis de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et ayant une vocation interministérielle, leur permet de prendre très rapidement le pouls des dossiers des ministères et de les faire évoluer dans le sens positif. Sans compter que la culture administrative est suffisamment développée au sein du personnel politique français - dont beaucoup sortent eux-mêmes de l’ENA ou de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris- pour que la cohabitation entre le cabinet et les directions se passe sans heurts et sans dommage pour l’efficacité administrative.
En revanche, le Sénégal, au regard de son développement institutionnel actuel, gagnerait à ré-instituer des secrétaires généraux dans les ministères.
Une mission spéciale pourrait être mise en place par le gouvernement, pour, après examen de plusieurs exemples étrangers, sur tous les continents, proposer les modalités de la création de ces postes de secrétaires généraux.
En tout état de cause, le Secrétaire général devra être, dans chaque ministère, le meilleur cadre au point de vue de l’expérience, de la compétence, du dynamisme, de la probité et du dévouement.
3. Rationaliser la nomination des directeurs d’administration centrale et des cadres du commandement territorial
Il est normal qu’un nouveau pouvoir s’entoure de collaborateurs dignes de confiance. Cela ne doit justifier ni « chasse aux sorcières » ni nomination à des postes de responsabilité de cadres dont les capacités sont inadaptées. Certains grands pays, les Etats Unis et même la France, dans une moindre mesure, voient alterner, en cas de changement de régime politique, des directeurs relativement proches du nouveau pouvoir. Mais, ces pays ont la chance de posséder une grande masse de cadres administratifs de haut niveau, également répartis entre les partis appelés à gouverner. Tel n’est pas le cas d’un pays en développement qui doit développer progressivement ses ressources humaines de qualité.
C’est pourquoi, en plus de renforcer la neutralité politique des fonctionnaires (cf. ci-dessus), il importe d’encadrer la nomination des directeurs et des cadres du commandement territorial, pour éviter que des personnes moins qualifiées que d’autres ne bénéficient de promotions.
Un moyen efficace pourrait être de procéder à une différenciation entre le poste et le grade de directeur ou de préfet.
Tout agent de l’Etat, l’ayant mérité par ses qualités intrinsèques, pourrait prétendre, après un certain nombre d’années de service, au grade de directeur ou de préfet. Il pourra ainsi porter le titre de directeur ou de préfet et bénéficier d’un traitement salarial conséquent, d’une formation spécifique et de responsabilités qui le préparent à ses futures tâches de direction et de commandement territorial.
Le directeur d’administration centrale ou le préfet devront alors être obligatoirement choisis parmi les cadres ayant le grade de directeur ou de préfet. On éviterait ainsi de bousculer anormalement la hiérarchie en propulsant par exemple, pour des raisons politiques, un chef de bureau au rang de directeur, alors que des cadres plus expérimentés sont disponibles dans la direction.
Inversement, les directeurs d’administration centrale et les préfets relevés de leur fonctions rejoindraient tout naturellement la « réserve » des directeurs et des préfets, de sorte que des missions spécifiques puissent leur être confiées pour utiliser pleinement l’expérience qu’ils ont accumulée.
En définitive, les réformes ainsi proposées sont indispensables dans le contexte politique sénégalais qui verra sans nul doute alterner, dorénavant, différentes forces politiques au sommet de l’Etat. Dans ce tourbillon politique, il est de la plus haute importance d’aménager à l’Administration un îlot de tranquillité lui permettant de préserver son âme et de contribuer, sereinement et dans un esprit républicain, à l’émergence du Sénégal.
Par Moubarack LO
Président du Mouvement pour un Sénégal émergent (MOUSEM)
Membre du CA2017
Email :moubaracklo@gmail.com
Autres articles