Dans le discours sur la première décade de ‘Tite-Live’ Machiavel, après avoir rappelé que ‘toutes les choses de ce monde ont un terme à leur existence’, indique que la République échappe à cette règle, parce qu’elle trouve dans ses propres lois de quoi se rénover d’où l’importance d’élections sincères et transparentes organisées périodiquement. A l’époque où le seigneur était l’élément fédérateur dans la république, les Médicis, qui ont régné à Florence de 1434 à 1494, avaient compris cette nécessité et pour cause, le seigneur répétait tous les cinq ans les scènes de terreur et de violences qui lui avaient permis de s’emparer du pouvoir. Mais dans l’Etat républicain et démocratique, c’est la Constitution qui est l’élément fédérateur. C’est le pacte par lequel une nation manifeste sa souveraineté en définissant librement les modalités de dévolution et d’exercice du pouvoir politique.
Dès lors, il est compréhensible qu’une divergence dans l’interprétation de dispositions constitutionnelles aussi substantielles que les articles 27 et 104 de la Constitution de 2001 puisse être constitutive de prodromes de troubles graves. Pour une question de clarté, il convient de rappeler ce que recouvrent les articles dont l’interprétation suscite une controverse nourrie.
Art 27 : ‘La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois’.
Art 104 : ‘Le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme. Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables’.
Il faut préciser qu’en 2000, le président Wade a été élu pour sept ans. Interprétant les dispositions que voilà, les uns soutiennent que la réélection en 2007 du président, qui était en fonction depuis 2000 pour un mandat de sept ans, ne peut pas être considérée comme un renouvellement au sens de l’article 27 de la Constitution de 2001. Par contre, les autres estiment que la réélection du président Wade en 2007 tombe sous l’empire de l’article 27 de la Constitution de 2001, parce que le législateur en utilisant à l’alinéa 2 de l’article 104, le déterminant ‘Toutes’ qui s’adresse à une totalité, n’entendait laisser la Constitution de 2001 souffrir d’aucune exception, si ce ne fut la durée de sept ans du mandat qui était en cours. Donc tous les actes survenus ultérieurement à la promulgation de cette Constitution tombent sous son empire.
Depuis que cette controverse est née, l’on eût dit qu’un vent mu par une fureur iconoclastique souffle sur le Sénégal. Il est devenu incontestable qu’aujourd’hui, il règne dans le pays une atmosphère lourde des stimuli d’une crise aux conséquences imprévisibles. Il peut d’ores et déjà être observé que les passions s’avivent au fur et à mesure que l’année 2012 approche. Or, la passion étant le garrot de la raison, lorsqu’elle se déchaîne dans une société croire que la prison peut produire un effet inhibiteur serait une erreur, puisque même en temps normal, des études (en pénologie et en criminologie) ont conclu que la prison n’a plus l’effet intimidant qu’on lui prêtait. En tout cas, si l’on y prend garde, il est à redouter que la calamité qui s’était abattue sur la Côte d’Ivoire et ailleurs, vienne frapper notre pays. Ceci n’est pas pure affabulation, car même si l’histoire ne se répète pas constamment, il convient de rappeler que selon Aristote, ‘il peut exister des proximités repérables’ pouvant faire craindre une issue similaire, entre des situations ayant existé à des moments différents.
Toutefois, il est vrai que dans les pays où des drames se sont déroulés récemment, les autorités politiques avaient tardé à comprendre que le temps était passé où d’après Gordon Di Renzo, l’homme politique croyait devoir conquérir le pouvoir par n’importe quel moyen. En effet, il est fort probable que les tenants du pouvoir dans les pays concernés ne s’étaient pas rendus compte, que si dans le monde, les thèmes des critiques dans les années 60 et 70 s’adressaient à la domination coloniale et à l’exploitation des peuples ; à partir des années 80, les thèmes des critiques portent sur la justice, les droits des peuples, la morale, et ceci a fini par réveiller dans l’opinion internationale une forte répulsion pour tout ce qui s’apparente à l’oppression et à la tyrannie. Cette évolution de l’opinion internationale a permis à l’Onu et à la Cour pénale internationale de mettre en œuvre dans certains pays et sous des formes déguisées le concept ‘d’ingérence humanitaire’ naguère proposé par Bernard Kouchner (Balkans, Kenya, Côte d’ivoire etc.)
Par ailleurs, l’irréparable a été commis par les autorités de ces pays, à partir du moment où elles avaient préféré la répression brutale à la concertation, alors que pour Spinoza, ‘dans l’Etat, les conflits doivent être résolus, il est illusoire d’essayer de les éradiquer’, d’autant plus que selon Kant ‘les opinions se nourrissent de l’acharnement qu’on déploie à vouloir les combattre’. Mais, l’attitude de ces autorités pourrait s’expliquer par le fait qu’ayant toujours agi ‘par droit de nature’ à l’égard de leur peuple, c'est-à-dire toujours faire comme si rien n’est injuste, tout est permis, elles ne pouvaient pas s’apercevoir qu’après de longues années d’assujettissement et de servitude, leurs populations en étaient arrivées à constater qu’au lieu d’œuvrer à leur émancipation, ces autorités s’employaient à river les chaînes qui les avaient maintenues durant des siècles en deçà de la citoyenneté.
Et, puisque ce sont ces populations qui les avaient librement élues, elles pouvaient entrer dans une résistance irréductible, surtout s’il leur venait à l’idée qu’elles avaient été abusées et, que par ruse, elles avaient été amenées à courir avec enthousiasme ‘au-devant de leur fers, croyant assurer leur liberté’ (Rousseau). En tout état de cause, l’actualité observée ici et là montre que ce que J.P Sartre appelle ‘la conscience de soi’ est devenue une réalité au niveau de toutes les populations et, que par conséquent, les autorités politiques doivent savoir qu’elles ont désormais des citoyens et non ‘des personnes déterminables prêtes à obéir’ au sens où l’entend Weber (les catégories de la sociologie).
A tout prendre, ce qui précède commande que nous précisions qu’il ne s’agit ni de susciter ni d’exalter l’anarchie. Après avoir établi un constat, notre démarche a consisté à montrer combien le général De Gaulle avait raison de rappeler que ‘du jour où la noblesse française consacra son ardeur à défendre ses privilèges plutôt qu’à conduire l’Etat, la victoire du Tiers Etat était d’avance certaine’ (le fil de l’Epée). Pour conclure cette partie de notre exposé, nous aurions pu paraphraser Rousseau et dire qu’ ‘un peuple libre obéit, mais ne sert pas…, il obéit aux lois mais il n’obéit qu’aux lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes’.
Cependant, les cas qui sont exposés ci-dessus cachent une énigme que nous ne saurons éclairer avec certitude. En effet, nous ne pouvons pas affirmer que les chefs d’Etat concernés avaient délibérément fait la sourde oreille aux propos de leurs conseillers juridiques, qui auraient porté à leur ‘haute attention’ que si du temps de Pierre Corneille les crimes perpétrés par ou pour le Roi étaient absous, dans l’Etat moderne, pratiquer ou susciter des violences pour perpétuer un pouvoir est constitutif d’un double crime :
- Un crime politique pouvant être qualifié de ‘haute trahison’ parce qu’il y a viol du serment solennel fait au peuple lors de l’investiture.
- Un crime de droit commun, parce qu’en invoquant la théorie de la provocation en droit pénal, il peut être victorieusement soutenu qu’à cause de la position occupée sur l’échelle sociale, les propos et les discours ont eu un effet déterminant sur l’esprit des populations.
Dès lors, le crime de ‘provocation aux violences collectives’ peut être retenu. Or, une telle incrimination peut dans certains cas provoquer l’irruption de la Cour pénale internationale par le biais des articles 17 à 19 du statut de la Cpi. Mais après tout, peut-être que la libido dominendi exacerbée de ces chefs d’Etat n’a jamais été contrariée par des conseils de cette nature, tant l’expérience semble montrer que depuis la survenue des indépendances, beaucoup de chefs d’Etat refusent de se faire à l’idée qu’ ‘à notre époque, il n’y a pas de salut en dehors de la démocratie légitime, de la délégation du pouvoir par le peuple’ (G. Ferrero).
S’agissant des tendances réactionnelles notées çà et là dans notre pays, à l’approche de l’élection présidentielle de 2012, il est rassurant de savoir que le peuple sénégalais n’est pas facilement inflammable, et qu’il ne sort pas des bornes à la moindre impulsion. Mais, il faut reconnaître que des nuages ne cessent de s’accumuler dans le ciel sénégalais, justifiant le fait qu’aujourd’hui il n’y a de certitude nulle part. Partout, ‘l’attente inquiète’, qui avait gagné les populations se transforme peu à peu en une peur instinctive au fur et à mesure que l’année 2012 approche. Cet état psychosocial dans lequel se trouvent les populations s’explique par la tendance effrénée à constituer des milices, à proférer des menaces, à organiser des opérations d’intimidation par des groupes appuyés par des chiens. Il y a aussi, la manifestation excessive d’un intentionnaliste malveillant se traduisant par un discours qui :
- soit avive la suspicion tant il rappelle les propos de Cicéron s’adressant au sénat pour susciter l’opposition contre Lucius Catilina : ‘Il ne s’agit pas de savoir si notre vie est morale ou immorale, ni où est la grandeur de l’empire romain ! Il s’agit de savoir si tous ces biens, quelque opinion qu’on en ait, resteront à nous ou tomberont au pouvoir de nos adversaires’.
- soit par une entreprise de destruction menée avec une pugnacité et une hargne qui rappellent l’insecte perçant une poutre. Tout cela fait croire que le pays s’apprête à devenir un champ de bataille de rats, laquelle ne cesse que faute de combattants.
Il y a aussi la constitution de milices qui est loin d’être un danger moindre. Il s’agit de groupes dont l’organisation et la formation présentent le caractère du groupe de combat. Les milices privées se définissent comme des groupes fortement entraînés, pouvant se rassembler rapidement et intervenir avec force dans des manifestations ou à l’occasion de troubles politiques ou sociaux. La doctrine estime que ces groupes peuvent être le prélude de mouvements insurrectionnels, d’où leur dangerosité dans l’Etat.
Au vu de la situation ainsi décrite, il pourrait être considéré comme superflu le fait de dire qu’il y a bien lieu pour tous les Sénégalais de s’inquiéter au plus haut point. Car, nonobstant le caractère pacifique de notre peuple, il faut tenir compte des travaux du savant belge De Greeff, dont les conclusions nous apprennent qu’ ’il existe chez l’homme des mécanismes aveugles, qui tendent à le diriger d’une manière réflexe sous l’influence des instincts de défense’. Dès lors, nous pouvons dire qu’en cas d’agression physique ou morale, tout être humain peut tomber sous l’influence de ces mécanismes obscurs, et faire ce qu’il répugne le plus en temps ordinaire : tuer, dévaster etc. Cette thèse a été confortée par Monseigneur Emmanuel Lafond qui a pu dire, sur les ondes de Rfi, à la suite des observations faites à Soweto où il fut évêque qu’ : ‘A un certain niveau, tous les êtres humains ont le même courage, la même haine, la même lâcheté’.
Au total, la situation décrite supra montre que l’intérêt supérieur de la Nation nécessite qu’un glissement vers l’irréparable soit évité. Et puisque, selon Alain, ‘la capacité d’ouverture et d’action du chef de l’Etat, constitue dans la République le ferment d’une évolution positive’, la nature de la tournure que prendra ladite situation dépendra essentiellement du président Wade. En tout cas, nous pensons que ceux qui ont lutté pendant de longues années aux côtés du secrétaire général du Pds souhaiteraient voir le président Wade agir à l’image du soleil de Balthazar Gracian, en se disant comme lui qu’ ‘il faut laisser les choses avant qu’elles ne vous laissent. Il est d’un homme sage de savoir se faire un triomphe ( de sa propre fin) à l’imitation du soleil qui, pendant qu’il est encore tout lumineux, a coutume de se retirer, pour n’être point vu baisser et, par ce moyen, laisser en doute s’il est couché ou non’. En termes clairs, laisser à l’Histoire et à la postérité le doute de savoir s’il allait sortir vainqueur ou non des élections de février 2012, s’il y avait pris part.
Souleymane NDIAYE Officier à la retraite Docteur en Droit et Sciences criminelles 3éme Cycle études politiques.
Dès lors, il est compréhensible qu’une divergence dans l’interprétation de dispositions constitutionnelles aussi substantielles que les articles 27 et 104 de la Constitution de 2001 puisse être constitutive de prodromes de troubles graves. Pour une question de clarté, il convient de rappeler ce que recouvrent les articles dont l’interprétation suscite une controverse nourrie.
Art 27 : ‘La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois’.
Art 104 : ‘Le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme. Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables’.
Il faut préciser qu’en 2000, le président Wade a été élu pour sept ans. Interprétant les dispositions que voilà, les uns soutiennent que la réélection en 2007 du président, qui était en fonction depuis 2000 pour un mandat de sept ans, ne peut pas être considérée comme un renouvellement au sens de l’article 27 de la Constitution de 2001. Par contre, les autres estiment que la réélection du président Wade en 2007 tombe sous l’empire de l’article 27 de la Constitution de 2001, parce que le législateur en utilisant à l’alinéa 2 de l’article 104, le déterminant ‘Toutes’ qui s’adresse à une totalité, n’entendait laisser la Constitution de 2001 souffrir d’aucune exception, si ce ne fut la durée de sept ans du mandat qui était en cours. Donc tous les actes survenus ultérieurement à la promulgation de cette Constitution tombent sous son empire.
Depuis que cette controverse est née, l’on eût dit qu’un vent mu par une fureur iconoclastique souffle sur le Sénégal. Il est devenu incontestable qu’aujourd’hui, il règne dans le pays une atmosphère lourde des stimuli d’une crise aux conséquences imprévisibles. Il peut d’ores et déjà être observé que les passions s’avivent au fur et à mesure que l’année 2012 approche. Or, la passion étant le garrot de la raison, lorsqu’elle se déchaîne dans une société croire que la prison peut produire un effet inhibiteur serait une erreur, puisque même en temps normal, des études (en pénologie et en criminologie) ont conclu que la prison n’a plus l’effet intimidant qu’on lui prêtait. En tout cas, si l’on y prend garde, il est à redouter que la calamité qui s’était abattue sur la Côte d’Ivoire et ailleurs, vienne frapper notre pays. Ceci n’est pas pure affabulation, car même si l’histoire ne se répète pas constamment, il convient de rappeler que selon Aristote, ‘il peut exister des proximités repérables’ pouvant faire craindre une issue similaire, entre des situations ayant existé à des moments différents.
Toutefois, il est vrai que dans les pays où des drames se sont déroulés récemment, les autorités politiques avaient tardé à comprendre que le temps était passé où d’après Gordon Di Renzo, l’homme politique croyait devoir conquérir le pouvoir par n’importe quel moyen. En effet, il est fort probable que les tenants du pouvoir dans les pays concernés ne s’étaient pas rendus compte, que si dans le monde, les thèmes des critiques dans les années 60 et 70 s’adressaient à la domination coloniale et à l’exploitation des peuples ; à partir des années 80, les thèmes des critiques portent sur la justice, les droits des peuples, la morale, et ceci a fini par réveiller dans l’opinion internationale une forte répulsion pour tout ce qui s’apparente à l’oppression et à la tyrannie. Cette évolution de l’opinion internationale a permis à l’Onu et à la Cour pénale internationale de mettre en œuvre dans certains pays et sous des formes déguisées le concept ‘d’ingérence humanitaire’ naguère proposé par Bernard Kouchner (Balkans, Kenya, Côte d’ivoire etc.)
Par ailleurs, l’irréparable a été commis par les autorités de ces pays, à partir du moment où elles avaient préféré la répression brutale à la concertation, alors que pour Spinoza, ‘dans l’Etat, les conflits doivent être résolus, il est illusoire d’essayer de les éradiquer’, d’autant plus que selon Kant ‘les opinions se nourrissent de l’acharnement qu’on déploie à vouloir les combattre’. Mais, l’attitude de ces autorités pourrait s’expliquer par le fait qu’ayant toujours agi ‘par droit de nature’ à l’égard de leur peuple, c'est-à-dire toujours faire comme si rien n’est injuste, tout est permis, elles ne pouvaient pas s’apercevoir qu’après de longues années d’assujettissement et de servitude, leurs populations en étaient arrivées à constater qu’au lieu d’œuvrer à leur émancipation, ces autorités s’employaient à river les chaînes qui les avaient maintenues durant des siècles en deçà de la citoyenneté.
Et, puisque ce sont ces populations qui les avaient librement élues, elles pouvaient entrer dans une résistance irréductible, surtout s’il leur venait à l’idée qu’elles avaient été abusées et, que par ruse, elles avaient été amenées à courir avec enthousiasme ‘au-devant de leur fers, croyant assurer leur liberté’ (Rousseau). En tout état de cause, l’actualité observée ici et là montre que ce que J.P Sartre appelle ‘la conscience de soi’ est devenue une réalité au niveau de toutes les populations et, que par conséquent, les autorités politiques doivent savoir qu’elles ont désormais des citoyens et non ‘des personnes déterminables prêtes à obéir’ au sens où l’entend Weber (les catégories de la sociologie).
A tout prendre, ce qui précède commande que nous précisions qu’il ne s’agit ni de susciter ni d’exalter l’anarchie. Après avoir établi un constat, notre démarche a consisté à montrer combien le général De Gaulle avait raison de rappeler que ‘du jour où la noblesse française consacra son ardeur à défendre ses privilèges plutôt qu’à conduire l’Etat, la victoire du Tiers Etat était d’avance certaine’ (le fil de l’Epée). Pour conclure cette partie de notre exposé, nous aurions pu paraphraser Rousseau et dire qu’ ‘un peuple libre obéit, mais ne sert pas…, il obéit aux lois mais il n’obéit qu’aux lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes’.
Cependant, les cas qui sont exposés ci-dessus cachent une énigme que nous ne saurons éclairer avec certitude. En effet, nous ne pouvons pas affirmer que les chefs d’Etat concernés avaient délibérément fait la sourde oreille aux propos de leurs conseillers juridiques, qui auraient porté à leur ‘haute attention’ que si du temps de Pierre Corneille les crimes perpétrés par ou pour le Roi étaient absous, dans l’Etat moderne, pratiquer ou susciter des violences pour perpétuer un pouvoir est constitutif d’un double crime :
- Un crime politique pouvant être qualifié de ‘haute trahison’ parce qu’il y a viol du serment solennel fait au peuple lors de l’investiture.
- Un crime de droit commun, parce qu’en invoquant la théorie de la provocation en droit pénal, il peut être victorieusement soutenu qu’à cause de la position occupée sur l’échelle sociale, les propos et les discours ont eu un effet déterminant sur l’esprit des populations.
Dès lors, le crime de ‘provocation aux violences collectives’ peut être retenu. Or, une telle incrimination peut dans certains cas provoquer l’irruption de la Cour pénale internationale par le biais des articles 17 à 19 du statut de la Cpi. Mais après tout, peut-être que la libido dominendi exacerbée de ces chefs d’Etat n’a jamais été contrariée par des conseils de cette nature, tant l’expérience semble montrer que depuis la survenue des indépendances, beaucoup de chefs d’Etat refusent de se faire à l’idée qu’ ‘à notre époque, il n’y a pas de salut en dehors de la démocratie légitime, de la délégation du pouvoir par le peuple’ (G. Ferrero).
S’agissant des tendances réactionnelles notées çà et là dans notre pays, à l’approche de l’élection présidentielle de 2012, il est rassurant de savoir que le peuple sénégalais n’est pas facilement inflammable, et qu’il ne sort pas des bornes à la moindre impulsion. Mais, il faut reconnaître que des nuages ne cessent de s’accumuler dans le ciel sénégalais, justifiant le fait qu’aujourd’hui il n’y a de certitude nulle part. Partout, ‘l’attente inquiète’, qui avait gagné les populations se transforme peu à peu en une peur instinctive au fur et à mesure que l’année 2012 approche. Cet état psychosocial dans lequel se trouvent les populations s’explique par la tendance effrénée à constituer des milices, à proférer des menaces, à organiser des opérations d’intimidation par des groupes appuyés par des chiens. Il y a aussi, la manifestation excessive d’un intentionnaliste malveillant se traduisant par un discours qui :
- soit avive la suspicion tant il rappelle les propos de Cicéron s’adressant au sénat pour susciter l’opposition contre Lucius Catilina : ‘Il ne s’agit pas de savoir si notre vie est morale ou immorale, ni où est la grandeur de l’empire romain ! Il s’agit de savoir si tous ces biens, quelque opinion qu’on en ait, resteront à nous ou tomberont au pouvoir de nos adversaires’.
- soit par une entreprise de destruction menée avec une pugnacité et une hargne qui rappellent l’insecte perçant une poutre. Tout cela fait croire que le pays s’apprête à devenir un champ de bataille de rats, laquelle ne cesse que faute de combattants.
Il y a aussi la constitution de milices qui est loin d’être un danger moindre. Il s’agit de groupes dont l’organisation et la formation présentent le caractère du groupe de combat. Les milices privées se définissent comme des groupes fortement entraînés, pouvant se rassembler rapidement et intervenir avec force dans des manifestations ou à l’occasion de troubles politiques ou sociaux. La doctrine estime que ces groupes peuvent être le prélude de mouvements insurrectionnels, d’où leur dangerosité dans l’Etat.
Au vu de la situation ainsi décrite, il pourrait être considéré comme superflu le fait de dire qu’il y a bien lieu pour tous les Sénégalais de s’inquiéter au plus haut point. Car, nonobstant le caractère pacifique de notre peuple, il faut tenir compte des travaux du savant belge De Greeff, dont les conclusions nous apprennent qu’ ’il existe chez l’homme des mécanismes aveugles, qui tendent à le diriger d’une manière réflexe sous l’influence des instincts de défense’. Dès lors, nous pouvons dire qu’en cas d’agression physique ou morale, tout être humain peut tomber sous l’influence de ces mécanismes obscurs, et faire ce qu’il répugne le plus en temps ordinaire : tuer, dévaster etc. Cette thèse a été confortée par Monseigneur Emmanuel Lafond qui a pu dire, sur les ondes de Rfi, à la suite des observations faites à Soweto où il fut évêque qu’ : ‘A un certain niveau, tous les êtres humains ont le même courage, la même haine, la même lâcheté’.
Au total, la situation décrite supra montre que l’intérêt supérieur de la Nation nécessite qu’un glissement vers l’irréparable soit évité. Et puisque, selon Alain, ‘la capacité d’ouverture et d’action du chef de l’Etat, constitue dans la République le ferment d’une évolution positive’, la nature de la tournure que prendra ladite situation dépendra essentiellement du président Wade. En tout cas, nous pensons que ceux qui ont lutté pendant de longues années aux côtés du secrétaire général du Pds souhaiteraient voir le président Wade agir à l’image du soleil de Balthazar Gracian, en se disant comme lui qu’ ‘il faut laisser les choses avant qu’elles ne vous laissent. Il est d’un homme sage de savoir se faire un triomphe ( de sa propre fin) à l’imitation du soleil qui, pendant qu’il est encore tout lumineux, a coutume de se retirer, pour n’être point vu baisser et, par ce moyen, laisser en doute s’il est couché ou non’. En termes clairs, laisser à l’Histoire et à la postérité le doute de savoir s’il allait sortir vainqueur ou non des élections de février 2012, s’il y avait pris part.
Souleymane NDIAYE Officier à la retraite Docteur en Droit et Sciences criminelles 3éme Cycle études politiques.
Autres articles