Les larmes, une stratégie de séduction politique au Sénégal?


Les larmes, une stratégie de séduction politique au Sénégal?
«Que ce soit avec les femmes, avec les rois ou avec le peuple, qui veut régner doit plaire». Ce commentaire de Frédéric Mistral est assuré d’être promptement connu de tous. En effet, comme art du paraître, pour faire carrière en politique, il faut nécessairement aimer séduire dit-on. La séduction, dérivée du latin seduccere signifiant littéralement « tirer à l’écart», « mener à part», «conduire ailleurs», peut être comprise ici comme un procédé visant à susciter délibérément une admiration, une attirance, voire l’amour d’un ou de plusieurs individus. Elle porte, nous renseigne Christian Delporte sur « le caractère d’une irrésistible attraction et d’un rapport de domination redoutable pour celle ou celui qui est séduit(e)». Ainsi fascinée, conquise, assujettie, soumise par le personnage politique, la personne séduite, contrairement aux enchainés dans l’allégorie de la caverne de Platon qui en étaient obligés, prend tout pour acquis et renonce inévitablement à ses idées, ses convictions, ses aspirations, sa capacité de discernement, sa vision au profit du politicien charmeur. Donc pour bien «conduire ailleurs» les citoyens, le séducteur déploie souvent des stratagèmes en termes de mensonges, de ruse et de manœuvre nourris en grande partie par les apparences. C’est ce que précise justement l’auteur du livre Une histoire de la séduction politique. Pour lui, en effet, l’acteur politique ou le candidat met en valeur son physique, éblouit par ses paroles, et use avec habileté de ses sens, de sa voix, de son regard, de son geste. L’image idéale de soi projetée partout devient, par conséquent, un emblème recherché de marketing politique. Des exemples, à travers l’histoire politique mondiale, sont nombreux. On se rappelle de la générosité du général et homme d’État romain Pompée le Grand qui distribuait à son peuple des jeux grandioses; de la fameuse phrase de Napoléon qui disait : « je n’ai qu’une passion, qu’une maîtresse, la France. Je couche avec elle»; de la rhétorique envoûtante et vénéneuse d’Adolf Hitler, de la «légende dorée» de Kennedy avec son sourire télégénique; de Giscard d’Estaing qui dissimulait sa calvitie; de Vladimir Poutine qui gonflait ses biceps; de Berlusconi qui devient un habitué des clinique d’esthétique, de la divinisation de beaucoup de chefs d’États africains…
Dans le même ordre d’idées, le spectre politique sénégalais, par l’attitude des femmes et des hommes politiques qui l’animent, n’échappe pas à cette réalité de «tirer à l’écart» les citoyens ou les potentiels électeurs. Au-delà, des «outils de séduction» connus, au Sénégal on voit de plus en plus à travers les médias, des politiciens qui expriment leurs émotions devant les caméras en pleurs. Après l’actuel président de l’Assemblée nationale Moustapha Niasse, l’ex ministre de l’Intérieur Mbaye Ndiaye, c’était le tour, le lundi 25 mars 2013, d’Idrissa Seck du parti REWMI. Vous conviendrez avec moi que ces trois personnalités politiques dites « en larmes» ne détiennent pas l’exclusivité au monde. Car avant eux d’autres ont bel et bien perdu leur illustre flegme en public. On peut noter ainsi : Poutine, Ségolène Royal, François Mitterrand, Barak Obama, Mobutu le roi Baudouin, Lionel Jospin, etc. Les raisons avancées sont, pour la plupart, la joie, la tristesse, le regret ou la déception qui émaneraient généralement d’une victoire ou d’une défaite électorale. Mais en dehors de celles-ci, y a-t-il vraiment d’autres? Pourquoi les larmes de Niasse, de Mbaye Ndiaye et du leader de REWMI ont-t-elles autant déferlé la chronique des médias? Quelle lecture pourrons-nous avoir de ces spectacles? Y a-t-il concrètement des retombées politiques au Sénégal en pleurant en public? En effet, à chaque fois qu’un personnage politique craque, beaucoup de compatriotes réagissent spontanément en tentant d’apporter, chacun sous l’angle qui l’intéresse et l’outil de communication à ses dispositions, des éléments de réponses. Certains, très inspirés vont jusqu’à parler même de « Pleurs académie» ou de « Chants des larmes au Sénégal».
Tout d’abord, les larmes du président de l’Assemblée nationale, sont considérées comme le reflet d’une expression de joie suscitée par son investiture à la tête de l’hémicycle. Il est connu de tous que le fondateur et secrétaire général de l’Alliance des Forces du Progrès (AFP) a essuyé, sous fond d’alliances controversées, trois défaites aux élections présidentielles (2000, 2007, 2012). Ainsi en cherchant la signification de ses pleurs, des citoyens ont ainsi avancé l’idée selon laquelle : « Niasse a pleuré la joie de ne pas avoir été envoyé, par la force à la retraite politique. Ensuite, parce qu’il sera pour le reste de sa vie appelé, enfin, président ; même si ce n’est pas de la République». Quelques jours plus tard, en se rendant à Touba pour une visite de courtoisie au Khalife Général des Mourides Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké, l’homme de Keur Madiabel s’était encore fondu en larmes. Cette fois-ci, les raisons avancées étaient dues aux bonnes paroles et aux cadeaux (un Coran et un chapelet) du saint-homme. Rien qu’avec des propos comme : tu es un fervent musulman et garde bien le chapelet. Comme un enfant, Moustapha Niasse éclate en sanglots! « Il est doux de pleurer, il est doux de sourire au souvenir des maux qu’on pourrait oublier», disait Alfred de Musset. Mais, avec ses 73 bougies soufflées et sa très riche et longue expérience politique débutée en 1970 comme directeur de cabinet du président Senghor, on se demande encore ce qui peut bien justifier ces incessants sanglots? Cherche-t-il comme les autres à toucher «l’émotion nègre» de ses concitoyens ou a-t-il simplement compris avec Saint Augustin que «Dieu entend bien un sanglot qu’un appel»? Amen!
Ensuite, pour ce qui est de l’ex ministre de l’intérieur, Mbaye Ndiaye alias «Mbaye Diooye», on retiendra que les chaudes larmes qu’il a versées au moment de passer le témoin au Général Pathé Seck sont synonyme, pour plusieurs observateurs de la scène politique sénégalaise, de regrets. En faisant ses adieux à ses collaborateurs, « il a tout de même reconnu des manquements graves dans le dispositif sécuritaire, lors des manifestations suivies de casses des Thiantacounes à Dakar». En pleurant ainsi on dirait qu’il espérait dans le fond prendre les sénégalais par les sentiments et se faire pardonner de ne pas être à la hauteur des charges étatiques régaliennes qui lui ont été confiées. Invité dans des émissions de télévision, l’ancien maire des Parcelles Assainies avoue avoir fait preuve de faiblesse en pleurant. C’est pourtant ce même Mbaye Ndiaye qu’on a entendu, juste après avoir inondé la Place de Washington et comme s’il voulait profiter de la médiatisation de ses larmes de crocodile, s’octroyer de l’indélicatesse privilège de faire «des déclarations puériles et inopportunes» à l’endroit du maire de Dakar, Khalifa Sall. Décidément, pleurer donne du courage politique!
Et enfin, en pleurant volontairement ou non, le fait de verser quelques larmes peut apparaître, pour ce qui est du cas de l’ancien Premier ministre, comme une bonne stratégie de communication, d’autant qu’il fait l’unanimité d’être un bon orateur. En consacrant son mémoire de DEA en 2005 sur le sujet : Communication politique et séduction à travers la Déclaration de politique générale du Premier ministre Idrissa Seck à l’Assemblée nationale le 03 février 2003, Mamadou Thiam exposait les caractéristiques de l’éthos du maire de Thiès. Les sénégalais percevaient déjà le personnage, selon Mr Thiam comme «un homme pressé, imbu de sa personne, à la limite de la suffisance et de l'arrogance, qui n'hésite pas à exclure ou à marginaliser ses détracteurs et qui affiche un goût immodéré du pouvoir». Cette perception s’est ensuite renforcée avec les accusations et les déboires que l’homme politique avait vécus de son Mentor en politique, Abdoulaye Wade. Désormais, à cette longue liste de Mamadou Thiam, s’y ajoutent d’autres comme c’est le cas de mon compatriote Amidou Diao qui, tout en insistant sur la valeur que la crédibilité devrait avoir sur le sensationnel, s’interroge sur la victimisation à outrance dans laquelle se conforme et se plait sans cesse Idrissa Seck. L’homme en question, pour tout dire, n’inspire plus confiance malgré qu’il veuille, à tout prix, rester DEBOUT! Et de plus en plus, il fait peur à une grande partie de l’électorat sénégalais qui le considère, à tord ou à raison, comme étant un voleur plus dangereux et plus rusé que le président Wade. La contribution d’Ibrahima Diop au titre incendiaire : Chapeau, Monsieur Idrissa Seck! Tu t’es royalement foutu du Peuple, en est une preuve. Avec une main de fer dans un gant de velours, le co-animateur de DEET/Benno Jubel nous confie qu’«en fin manipulateur, Idrissa Seck a tenté de se construire une légende mensongère, sous forme d’une tragédie héroïque, rien que pour redorer son blason qu’il a jadis roulé exprès dans la bouse répugnante de la tortuosité où il soupçonnait de l’or enfoui. Malheureusement pour lui, comme toute tricherie comporte des failles souvent imperceptibles par le tricheur, Monsieur Seck s’est trahi lui-même, sans le savoir». Ce portait non reluisant de celui qui veut devenir le 4ème président du Sénégal crée des quiproquos au sein des ses partisans. Donc pour combattre les «incompréhensions» et les «fausses interprétations», séduite par son Mara préféré, Haby Sirah Dia s’adonne à un exercice périlleux pour nous dresser «La vraie histoire d’un homme politique longtemps incompris ». Ces tentatives de relooker ou de reformater son image en le présentant comme un homme intelligent et ouvert d’esprit, non suffisant et soucieux de prendre en compte les besoins de tous les sénégalais, demeurent jusqu’ici vaines. D’ailleurs son éclat de rire en plein deuil, le lendemain après ses fameuses larmes, lors de la levée du corps du Grand Serigne de Dakar, El Hadji Bassirou Diagne Maréme Diop (Qu’Allah l’accueille dans son Firdaws), est un fait-divers qui «indispose tout le monde» et rend plus que difficile ses efforts de se requinquer.
Au total, dans un contexte de désemparement où on pense souvent avoir vidé tout le contenu de la « boite magique» des astuces de séduction dont on dispose, les larmes sont désormais les seuls recours en art de séduction politique au Sénégal que se ravivent les politiciens. Or, « apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute», telle est la morale que Jean de La Fontaine nous livre dans Le Corbeau et le renard!
Lundi 1 Avril 2013
Pathé GUEYE




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