« Le mensonge cherche toujours à imiter la vérité »
Fustel de Coulanges
« On pourra nous mener au bûcher, on pourra nous brûler vifs, mais on ne pourra pas nous faire renoncer à nos convictions. (…) renoncer à un fait simplement parce que quelqu’un de haut placé le désire, non, c’est impossible. »
Vavilov, éminent généticien soviétique, 1939
Que ceux qui parmi les supporters d'Abdoulaye Wade avaient encore des doutes quant à sa réelle volonté d'en découdre lors de la prochaine joute électorale se rassurent. Visiblement, la bête politique même blessée n'en demeure pas moins résolue à rejoindre vaille que vaille son terrain de chasse favori qu'est l'élection présidentielle. En ce jour de 21 novembre 2011, ce sont donc les sceptiques et autres convaincus d'un volte face de dernière minute du Chef de l’État qui en ont été pour leurs frais. Car s'il n'avait pas la ferme intention de violer la Constitution et de briguer l'obtention d'un troisième mandat consécutif, Abdoulaye Wade n'aurait certainement pas mis les petits plats dans les grands pour contacter, convaincre, convoyer et rassembler avec tambours et trompettes un parterre impressionnant de juristes étrangers (le tout aux frais du contribuable), afin qu'ils associent leur nom à ce séminaire qui il faut bien le dire n'était rien d'autre qu'un meeting politique tenu par des spécialistes du droit.
Dans la la forme ( organisation d'un séminaire), dans le choix des intervenants (professeurs de droit non sénégalais et donc à priori neutres), dans celui du public (présence des membres du Conseil constitutionnel), comme dans la stratégie communication mis à profit, tout a pourtant été entrepris pour nous convaincre de la scientificité de cette conférence. Néanmoins, il faut croire que la ficelle était trop grosse ou que nos yeux de citoyens sénégalais étaient beaucoup trop ébahis pour ne pas s'apercevoir de la supercherie. D'abord amusé comme beaucoup par le cirque loufoque de ses prétendus emblèmes de la rigueur juridique, la vue du véritable faciès du clown dissimulé sous son maquillage désopilant, n'a, comme chez beaucoup, pas tardé à me faire sortir de mes gonds. Très vite, ce n'est en effet plus à une énième représentation du Wade comédie club à laquelle j'avais le sentiment d'assister, mais à une obscure table ronde en hommage au non-regrétté Trofim Denissovitch Lyssenko. Simple ouvrier agricole, Lyssenko était parvenu avec l'appui de Staline et des soviets à imposer sa théorie génétique pseudo scientifique au détriment des travaux des véritables généticiens que ses campagnes incessantes de dénigrement menaient le plus souvent au goulag. Figure de proue d'une fausse science d'État destinée à appuyer la politique stalinienne d'une dévalorisation des intellectuels bourgeois, Lyssenko était donc l'archétype même du savant imposteur qui, mue par des considérations personnelles et politiques, n'a pas hésité à adapter la biologie à l'idéologie de l'État soviétique. Tombé dans l'anonymat à partir de la disgrâce de son inspirateur en 1965, le lyssenkisme a ainsi progressivement été exilé aux oubliettes de l'Histoire, sauf peut être dans l'esprit de notre cher Président de la République et de ces messieurs les juristes godillots.
D'une vacuité absolue car empreinte d'arguments qui n'auraient même pas valu un « médiocre » aux étudiants du professeur Guillenchmidt ou du professeur Zogbibe, les démonstrations ayant parsemées le séminaire du 21 novembre doivent en effet être appréhendées suivant ce qu'elles sont, à savoir des théories taillées à la juste mesure des ambitions wadiennes. Tandis que le symposium du M23 sur la régularité de la candidature du Chef de l'État avait pris le parti de convier la fine fleur du droit constitutionnel sénégalais et notamment les sommités qui avaient participé à la rédaction de la constitution du 21 janvier 2001, le Président de la République a lui préféré s'en remettre à la compétence venue d'ailleurs, non sans oublier au passage de vilipender l'expertise locale qualifiée de horde d'apprentis sorciers par la voix de son premier ministre. Nonobstant toute autre considération, une telle attitude ne peut, en tout état de cause, pas manquer de nous laisser dubitatif quant à la profondeur du patriotisme d'Abdoulaye Wade. Toutefois, ce reproche (déjà conséquent) aurait pu être le seul, si ce pool de chercheurs avait été légitime à se prononcer sur le sujet et s'il avait été manifestement animé par une volonté d'objectivité sans équivoque. Or, non seulement ce comité ne comprenait aucun spécialiste du domaine constitutionnel, mais la teneur des propos de ses membres, leur posture ainsi que la mise à l'écart brutale de la seule opinion dissidente (celle du doyen Madany Sy) laissent en outre distinctement transparaître leur intention de motiver coûte de coûte la constitutionnalité de la candidature du Chef de l'État, quitte d'ailleurs à se ridiculiser à la face du monde sur un plateau de télévision.
Dans le Sénégal à priori démocratique de 2011, c'est donc à une exhibition de très mauvais goût digne de l'épistémologie d'État de la Russie stalinienne à laquelle nous avons eu droit et l'on se demande bien pourquoi. Parce qu'à part discréditer encore plus l'argumentaire de la validité de la candidature du Président de la République et conforter ses opposants, il était prévisible que ce rassemblement d'apprentis Lyssenko n'aurait pas eu d'autres effets et en tout cas pas ceux escomptés par ses promoteurs. D'où l'inévitable interrogation sur sa motivation. Sans avoir la prétention d'être dans le secret des dieux, l'une des pistes de réponse pourrait être de soupçonner Abdoulaye Wade et son entourage d'assimiler les sénégalais à des gogos, bref à ce personnage de Robert Macaire, la comédie de Saint Armand, connu pour sa très grande crédulité et son aptitude à mordre à l'hameçon de toutes les tromperies. A moins que la cible de cette pitoyable mascarade ne soit pas celle à laquelle on serait tenté à penser d'emblée et que ce ne soit pas les sénégalais que le plaidoyer de nos sous-Lyssenko devait en priorité convaincre. Ayant jailli de la bouche de juristes provenant d'un peu partout et d'Europe en particulier, il se pourrait en effet que cette doctrine de la constitutionnalité de la candidature du Président Wade soit avant tout destinée à la crédibiliser aux yeux de la communauté internationale. Mais quelque soit le fin mot de l'histoire, ce que cette épisode nous aura appris est que le temps des sorciers blanc est bel et bien révolu. Le simple fait d'être européen ou américain ne constitue plus aujourd'hui un paramètre permettant de conférer à son propos une autorité de principe sur celui du sénégalais. Le complexe d'infériorité à l'égard du colonisateur dépassé, ce qui compte aujourd'hui n'est plus le pedigree mais la force de l'argument et de ce point de vue, les professeurs Mody Gadiaga et Ameth Ndiaye ont prouvé de fort belle manière que celle-ci se trouvait davantage du côté de la parole domestique que du côté de la compétence extérieure.
Non, Monsieur le Président de la République, obtenir le soutien de l'ensemble des autres pays du monde ne suffira pas à emporter la décision parce que c'est là où votre sort se jouera, c'est à dire au Sénégal, qu'il faut convaincre . Or, les hommes et les femmes de ce pays sont loin d'être des gogos que l'ont peu constamment duper en un tour de main. Cela étant dit, il faudra donc un peu plus que les pitoyables stratagèmes d'apprentis Lyssenko pour faire passer la pilule de votre candidature. On peut tromper une fois mille personnes, mais on ne peut pas tromper mille fois mille personnes.
PAPE MOUSSA BEYE
Doctorant en droit public et sciences politiques
à l'université Paris 2 panthéon Assas
Fustel de Coulanges
« On pourra nous mener au bûcher, on pourra nous brûler vifs, mais on ne pourra pas nous faire renoncer à nos convictions. (…) renoncer à un fait simplement parce que quelqu’un de haut placé le désire, non, c’est impossible. »
Vavilov, éminent généticien soviétique, 1939
Que ceux qui parmi les supporters d'Abdoulaye Wade avaient encore des doutes quant à sa réelle volonté d'en découdre lors de la prochaine joute électorale se rassurent. Visiblement, la bête politique même blessée n'en demeure pas moins résolue à rejoindre vaille que vaille son terrain de chasse favori qu'est l'élection présidentielle. En ce jour de 21 novembre 2011, ce sont donc les sceptiques et autres convaincus d'un volte face de dernière minute du Chef de l’État qui en ont été pour leurs frais. Car s'il n'avait pas la ferme intention de violer la Constitution et de briguer l'obtention d'un troisième mandat consécutif, Abdoulaye Wade n'aurait certainement pas mis les petits plats dans les grands pour contacter, convaincre, convoyer et rassembler avec tambours et trompettes un parterre impressionnant de juristes étrangers (le tout aux frais du contribuable), afin qu'ils associent leur nom à ce séminaire qui il faut bien le dire n'était rien d'autre qu'un meeting politique tenu par des spécialistes du droit.
Dans la la forme ( organisation d'un séminaire), dans le choix des intervenants (professeurs de droit non sénégalais et donc à priori neutres), dans celui du public (présence des membres du Conseil constitutionnel), comme dans la stratégie communication mis à profit, tout a pourtant été entrepris pour nous convaincre de la scientificité de cette conférence. Néanmoins, il faut croire que la ficelle était trop grosse ou que nos yeux de citoyens sénégalais étaient beaucoup trop ébahis pour ne pas s'apercevoir de la supercherie. D'abord amusé comme beaucoup par le cirque loufoque de ses prétendus emblèmes de la rigueur juridique, la vue du véritable faciès du clown dissimulé sous son maquillage désopilant, n'a, comme chez beaucoup, pas tardé à me faire sortir de mes gonds. Très vite, ce n'est en effet plus à une énième représentation du Wade comédie club à laquelle j'avais le sentiment d'assister, mais à une obscure table ronde en hommage au non-regrétté Trofim Denissovitch Lyssenko. Simple ouvrier agricole, Lyssenko était parvenu avec l'appui de Staline et des soviets à imposer sa théorie génétique pseudo scientifique au détriment des travaux des véritables généticiens que ses campagnes incessantes de dénigrement menaient le plus souvent au goulag. Figure de proue d'une fausse science d'État destinée à appuyer la politique stalinienne d'une dévalorisation des intellectuels bourgeois, Lyssenko était donc l'archétype même du savant imposteur qui, mue par des considérations personnelles et politiques, n'a pas hésité à adapter la biologie à l'idéologie de l'État soviétique. Tombé dans l'anonymat à partir de la disgrâce de son inspirateur en 1965, le lyssenkisme a ainsi progressivement été exilé aux oubliettes de l'Histoire, sauf peut être dans l'esprit de notre cher Président de la République et de ces messieurs les juristes godillots.
D'une vacuité absolue car empreinte d'arguments qui n'auraient même pas valu un « médiocre » aux étudiants du professeur Guillenchmidt ou du professeur Zogbibe, les démonstrations ayant parsemées le séminaire du 21 novembre doivent en effet être appréhendées suivant ce qu'elles sont, à savoir des théories taillées à la juste mesure des ambitions wadiennes. Tandis que le symposium du M23 sur la régularité de la candidature du Chef de l'État avait pris le parti de convier la fine fleur du droit constitutionnel sénégalais et notamment les sommités qui avaient participé à la rédaction de la constitution du 21 janvier 2001, le Président de la République a lui préféré s'en remettre à la compétence venue d'ailleurs, non sans oublier au passage de vilipender l'expertise locale qualifiée de horde d'apprentis sorciers par la voix de son premier ministre. Nonobstant toute autre considération, une telle attitude ne peut, en tout état de cause, pas manquer de nous laisser dubitatif quant à la profondeur du patriotisme d'Abdoulaye Wade. Toutefois, ce reproche (déjà conséquent) aurait pu être le seul, si ce pool de chercheurs avait été légitime à se prononcer sur le sujet et s'il avait été manifestement animé par une volonté d'objectivité sans équivoque. Or, non seulement ce comité ne comprenait aucun spécialiste du domaine constitutionnel, mais la teneur des propos de ses membres, leur posture ainsi que la mise à l'écart brutale de la seule opinion dissidente (celle du doyen Madany Sy) laissent en outre distinctement transparaître leur intention de motiver coûte de coûte la constitutionnalité de la candidature du Chef de l'État, quitte d'ailleurs à se ridiculiser à la face du monde sur un plateau de télévision.
Dans le Sénégal à priori démocratique de 2011, c'est donc à une exhibition de très mauvais goût digne de l'épistémologie d'État de la Russie stalinienne à laquelle nous avons eu droit et l'on se demande bien pourquoi. Parce qu'à part discréditer encore plus l'argumentaire de la validité de la candidature du Président de la République et conforter ses opposants, il était prévisible que ce rassemblement d'apprentis Lyssenko n'aurait pas eu d'autres effets et en tout cas pas ceux escomptés par ses promoteurs. D'où l'inévitable interrogation sur sa motivation. Sans avoir la prétention d'être dans le secret des dieux, l'une des pistes de réponse pourrait être de soupçonner Abdoulaye Wade et son entourage d'assimiler les sénégalais à des gogos, bref à ce personnage de Robert Macaire, la comédie de Saint Armand, connu pour sa très grande crédulité et son aptitude à mordre à l'hameçon de toutes les tromperies. A moins que la cible de cette pitoyable mascarade ne soit pas celle à laquelle on serait tenté à penser d'emblée et que ce ne soit pas les sénégalais que le plaidoyer de nos sous-Lyssenko devait en priorité convaincre. Ayant jailli de la bouche de juristes provenant d'un peu partout et d'Europe en particulier, il se pourrait en effet que cette doctrine de la constitutionnalité de la candidature du Président Wade soit avant tout destinée à la crédibiliser aux yeux de la communauté internationale. Mais quelque soit le fin mot de l'histoire, ce que cette épisode nous aura appris est que le temps des sorciers blanc est bel et bien révolu. Le simple fait d'être européen ou américain ne constitue plus aujourd'hui un paramètre permettant de conférer à son propos une autorité de principe sur celui du sénégalais. Le complexe d'infériorité à l'égard du colonisateur dépassé, ce qui compte aujourd'hui n'est plus le pedigree mais la force de l'argument et de ce point de vue, les professeurs Mody Gadiaga et Ameth Ndiaye ont prouvé de fort belle manière que celle-ci se trouvait davantage du côté de la parole domestique que du côté de la compétence extérieure.
Non, Monsieur le Président de la République, obtenir le soutien de l'ensemble des autres pays du monde ne suffira pas à emporter la décision parce que c'est là où votre sort se jouera, c'est à dire au Sénégal, qu'il faut convaincre . Or, les hommes et les femmes de ce pays sont loin d'être des gogos que l'ont peu constamment duper en un tour de main. Cela étant dit, il faudra donc un peu plus que les pitoyables stratagèmes d'apprentis Lyssenko pour faire passer la pilule de votre candidature. On peut tromper une fois mille personnes, mais on ne peut pas tromper mille fois mille personnes.
PAPE MOUSSA BEYE
Doctorant en droit public et sciences politiques
à l'université Paris 2 panthéon Assas
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