Par Mor SECK, Doctorant en Droit.
Les organisations patronales sénégalaises, le CNP, la CNES et le MDES, ont eu, sans conteste, beaucoup de mérite, pour avoir porté sur nombre d’années les revendications des entreprises locales et tant bien que mal, joué leur partition dans le landerneau des affaires et du développement économique de notre pays.
Cependant, il nous faut reconnaitre, face aux nouveaux défis de la mondialisation et l’impératif à réaliser l’émergence économique et sociale dans notre pays voire dans notre sous-région, que des ruptures fondamentales s’imposent pour sortir du sous-développement chronique.
Le dernier classement du FMI (très controversé) avec le Sénégal au 25ème rang des pays pauvres, devrait finir de convaincre les plus sceptiques sur l’urgente nécessité d’enclencher les mutations et réformes indispensables, pour constituer le socle et les piliers du nouvel environnement des affaires prôné par tous les acteurs au développement.
A cet égard, le patronat sénégalais devrait jouer un rôle central tant il est reconnu et accepté par tous que le secteur privé constitue le moteur de l’émergence.
A force de persister avec tous les régimes en place à privilégier des modes d’intervention désuets, les actuelles organisations patronales du secteur structuré, gagnées par l’obsolescence ont largement fini de faire leur temps.
L’absence de vision claire et de structuration adaptée conjuguée à des agissements et conflits d’intérêts aux antipodes d’une bonne gouvernance moderne les a, au fil des années, déconnecté des enjeux réelles et exigences actuelles de notre économie.
Point dans notre esprit, une volonté de porter le discrédit sur quiconque, non plus à chercher à défendre un intérêt personnel. Le seul souci qui vaille étant de pousser à la performance. Car, il faut déboucher sur un patronat unique et fort, partenaire incontournable et respecté des pouvoirs publics et syndicats des travailleurs. C’est à notre avis, le seul gage de constituer ce maillon fondamental dans tout processus d’émergence économique et sociale.
Indiscutablement l’action patronale dans notre pays a besoin d’un souffle nouveau tant ses animateurs actuels n’ont plus l’emprise suffisante sur les entreprises et d’une manière générale sur les affaires économiques du pays. Ils n’ont plus le devoir légitime de parler au nom des véritables patrons pour pouvoir de façon énergique défendre les intérêts d’une économie nationale , porteuse d’une croissance inclusive, adossée à des règles de bonne gouvernance et ouverte sur la sous-région et sur le monde.
Au-delà du mérite qui leur revient et du bilan en termes d’actions passées, il faut tenir compte de l’évolution du contexte et de l’impérieuse nécessité de passer la main au bon moment pour s’inscrire du bon côté de l’histoire.
En effet, il s’agit, pour le patronat et ses membres, de faire preuve de lucidité et de maturité pour se départir d’une image d’immobilisme, de partage de positions et d’intérêts pour oser l’alternance et la mise en place d’un comité national de restructuration afin de permettre la consolidation des acquis et de baliser le chemin à de nouvelles compétences plus en phase avec les exigences nationales, régionales et mondiales au plan économique et en matière de gouvernance.
Nous ne saurions perpétuer au niveau du patronat sans le regretter, l’absence d’alternance, de transparence et de mutation déplorée par tout sénégalais pour les Chefs d’Etat et de partis. C’est une perception tenace qui ne ferait que desservir et l’entreprise et l’économie nationale si aucune évolution ne se réalisait.
En revanche, et l’opinion s’en féliciterait vivement, l’initiative doit être prise simultanément par les organisations actuelles et les nouvelles initiatives qui se font jour, pour engager à bref délai, cette mutation salutaire pour l’instauration d’un patronat fort, uni et résolument engagé aux cotés de l’Etat, à tenir sa place et à jouer en maestro sa partition dans le processus de développement durable de notre pays.
Chaque leader sectoriel est comptable de cette démarche pour déboucher sur une prise de conscience collective, à même de préserver les entreprises et les entrepreneurs sénégalais d’une situation périlleuse, d’une concurrence exacerbée et asymétrique de firmes européennes que la crise dans leur pays d’origine, a poussé à se tourner vers nos marchés.
Le second acte de la détermination de nos capitaines d’industrie à assumer leur mission naturelle, est leur capacité à mobiliser et à mettre en place des fonds d’investissements à partir de ressources nationales. Comme qui dirait que l’argent est le nerf de la guerre, il est heureux de constater que ce changement important de paradigme est en gestation pour l’édification d’un espace économique national dynamique, créateur de croissance, qui placerait l’homme d’affaire sénégalais et son entreprise, à l’épicentre de son activité.
C’est un des signes évidents, qu’un patronat engagé et moderne ne peut se suffire à des réactions ou de simples revendications de type classique et conjoncturel. En acteurs avertis, les chefs d’entreprises sénégalais doivent tout au moins comprendre, qu’il ne suffit plus de revendiquer et de clamer fort l’idée de préférence nationale, pour gagner des marchés ou participer à la réalisation de la commande publique. Dans un contexte d’intégration régionale et des affaires mondialisées, ils ne doivent pas accepter d’être instrumentalisés ou de devenir de simples courtiers d’affaires, sans poids ni poigne sur l’orientation et l’évolution de notre économie.
L’Etat providence n’existe plus et l’Etat interventionniste doit se limiter à prendre en charge le secteur non marchand et la régulation pour les besoins de la relance économique.
Par conséquent, le chef d’entreprise, acteur économique de premier rang, doit être conscient de son statut et de son rôle dans le processus d’émergence économique. Cette posture pour être efficiente, s’exerce en complémentarité et en concertation permanente avec l’Etat, à travers des organisations patronales légitimes, responsables, ambitieuses et conquérantes.
Tous ces attributs requièrent naturellement des moyens d’agir, pour la sauvegarde et la satisfaction des intérêts de l’entreprise en toutes circonstances. Et pour dire comme l’adage : « Tout ce qui est bon pour l’entreprise l’est pour l’économie ».
Une multitude de fonds d’investissements permet d’assurer aux acteurs nationaux des moyens d’investir et d’affronter la compétition sur les marchés porteurs de croissance et de participer à la réalisation de la commande publique. Le contexte de mondialisation et d’intégration régionale requièrent de leur part une capacité financière consolidée, mais aussi une efficacité organisationnelle, des aptitudes techniques et l’ambition légitime de conquérir et gagner de nouveaux marchés.
Dans cette dynamique, l’Etat aura à mettre en place des incitations appropriées pour favoriser en toute légalité dans le cadre de règles transparentes et connues de tous, les entreprises sénégalaises pour des raisons d’efficiences bien comprises.
En effet, il s’agit de favoriser l’augmentation des revenus localement avec une bonne redistribution sociale et non le transfert de bénéfices ;
De créer des emplois et promouvoir l’expertise locale en privilégiant notoirement nos PME dans les marchés publics ;
De développer la production locale avec des chaines de valeurs bien établies, au plan agricole, artisanal et industriel, par le « consommer local » et une politique d’exportations bien soutenue.
A cet égard, il importe de saluer l’initiative de la mise en place d’instruments pour accompagner et financer l’investissement avec le Fongip, le Foncis, la Bnde entre autres. Ce qui implique que ces structures accomplissent efficacement, leur rôle de levier à l’échelle nationale dans la mobilisation de ressources pour le financement des entreprises locales.
Le temps économique de nos jours, requiert de l’Etat la promotion des entrepreneurs nationaux, notamment à travers sa plus haute incarnation, le Président de la République. A l’instar des pays développés, c’est devenue une responsabilité régalienne dans le cadre non pas d’une simple figuration mais d’une collaboration franche, transparente et constructive dans l’intérêt exclusif de l’économie nationale..
C’est justement en cela, c'est-à-dire au niveau de la connexion (complicité) entre l’Etat et les patrons sénégalais, face au challenge du développement, que ces derniers à travers leurs organisations, doivent saisir leur responsabilité et jouer pleinement leur rôle de promoteur de l’entreprise d’une manière générale et particulièrement de l’entreprise sénégalaise.
Cette activité de promotion de l’entreprise par le patronat est multiforme et diverse. A priori, elle ne doit pas être conflictuelle avec l’Etat, avec les travailleurs ou avec les consommateurs, mais elle doit toujours être franche, transparente, combattante et constructive dans l’intérêt exclusif de l’économie nationale.
Elle s’exerce à travers des instruments et cadres multiples, qui le plus souvent, procèdent par la réflexion, la concertation, la proposition, le dialogue, la négociation, la prospection, l’information et la communication, dans les rapports avec les différends partenaires que sont l’Etat, les institutions privées, les travailleurs, les consommateurs, le capital étranger, la presse etc.
Aussi et faut- il le souligner, l’activité patronale peut et doit s’exprimer dans un rapport de forces même avec l’Etat, à chaque fois que les circonstances et les intérêts nationaux en jeu l’exigent. Mais il ne faut pas perdre de vue, que la quintessence de l’action patronale, doit résider dans l’esprit et la pratique des principes et méthodes de l’intelligence économique. Elle doit être orientée vers la mise en place de structures techniques, d’organisations fortes à caractère professionnel, capables de promouvoir des initiatives entrepreneuriales, de les accompagner vers le succès et de les consolider dans l’espace économique.
Il en est ainsi notamment des Chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture qui, si elles avaient pleinement joué leur rôle et correctement assumé leur mission consulaire et d’interface, empêcheraient sans doute la création de l’Apix, ou tout au moins certaines des missions actuelles qui lui sont assignées et qui reviennent naturellement aux Chambres de commerce. Mais face à l’absence d’un management convenable, approprié de ces importants leviers économiques par le patronat, l’Etat du Sénégal est intervenu pour pallier un vide, une carence, en sa qualité et avec son pouvoir de régulateur et de promoteur de l’économie.
Il en est de même du Centre d’arbitrage, de conciliation et de médiation, rattaché et logé à la chambre de commerce de Dakar depuis des années maintenant et qui est laissé sans âme et en profonde hibernation. Pourtant avec la mondialisation et le libéralisme économique ambiant, la justice privée a fini de faire ses preuves dans bon nombre de pays développés et plus récemment de pays émergents. Elle est même devenue un indicateur ou une référence de bonne gouvernance, dans l’appréciation des dispositifs nationaux, pour les investisseurs et les partenaires au développement. Dans tous les cas, le Sénégal gagnerait certainement à promouvoir l’arbitrage commercial, en offrant une justice alternative aux entrepreneurs privés ( surtout internationaux) soucieux de justice, de rapidité, de discrétion et surtout de conciliation dans le dénouement des litiges d’ affaires et qui désengorgerait ses juridictions publiques.
Un pays voisin à forte croissance économique, la Cote d’Ivoire pour ne pas la nommer, a bien compris les enjeux en mettant en place le dispositif approprié et en favorisant sa promotion et son bon fonctionnement par son patronat.
Il en est également de même du Comité National de la Chambre de Commerce Internationale – CN CCI structure internationale privée (crée par des patrons d’entreprises européens) qui a son siège principal basé à Paris, dont la vocation est traditionnellement de rechercher, d’élaborer et de promouvoir les règles et bonnes pratiques ayant ou devant avoir cours, dans le commerce mondial et les affaires internationales d’une manière générale. La branche sénégalaise de cette structure existe depuis plusieurs années, mais en totale léthargie et accaparée par des dirigeants d’entreprises à la retraite et totalement déconnectés et qui continuent de jouir des privilèges attachées, par une gestion sans reddition de comptes aucune.
On aurait pu continuer à évoquer d’autres structures partenaires naturels du patronat, au plan national comme international, qui ne sont toujours pas réseautées et usitées en bon escient.
Au total, le contexte et la justification pour un changement véritable, de la vision et des comportements dans ce qu’on peut appeler le « Top management » de notre économie, sont là. Incontestablement la nécessité de changement s’impose à plusieurs niveaux et particulièrement au niveau de l’Etat que des patrons d’entreprises, pour pouvoir bien positionner l’entreprise sénégalaise sur l’échiquier économique. Il n'y a point de développement économique et social durable et profitable à toute la nation, par procuration.
Certes l’apport de l’étranger est nécessaire voir même dans une certaine mesure indispensable pour la croissance de notre économie, mondialisation et libéralisation des affaires économiques obligent. Mais, il faut impérativement travailler à mettre en place une vision et un dispositif national (politique)susceptible d’assurer un équilibre des pouvoirs et des rôles entre nationaux et étrangers, dans la conduite des affaires économiques nationales, qui dans tous les cas, devrait en priorité tenir compte des intérêts majeurs du Sénégal.
Cette révolution doit se faire et elle doit passer par un élan national pour ne pas dire nationaliste, un diagnostic et une réflexion qui impliqueraient tous les acteurs de l’économie nationale et qui pourraient déboucher sur des consensus forts à l’échelle nationale, autour des grandes questions de choix et d’orientations économiques, par l’Etat. Il devrait en être ainsi comme dans les grandes économies mondiales, par une concertation et un dialogue constructif et permanent entre partenaires des secteurs public et privé, sur notamment des problématiques économiques nationales ,tels que le foncier, la fiscalité, l’investissement, l’accès à la commande publique (PSE, Offres spontanées, PPP, etc.), la réforme de l’administration économique, la RSE, la flexibilité du travail, l’équilibre et la rationalité dans les importations et les exportations etc.
Il y va de l’harmonie et de la cohésion nationale pour un sursaut citoyen, basé sur une confiance mutuelle entre tous les acteurs, un sentiment collectif de solidarité nationale.
Facile à dire, difficile à réaliser me dirait-on. Mais n’est ce pas comme le dit la célèbre pensée » c’est le difficile qui est le chemin… » et j’ajouterai explicitement « dans l’accomplissement durables des grandes œuvres humaines ».
Y penser sérieusement et agir vite et bien avec en bandoulière, la fière ambition nationale de hisser notre Cher Sénégal, au podium mondial des pays émergents.
Pour y arriver, faisons au préalable l’effort civique et citoyen, de taire les accusations faciles et souvent sans fondements ; de mettre fin aux tergiversations lassantes et décourageantes sur les questions cruciales de l’heure, qui interpellent notre conscience collective et qui nous assaillent sans cesse ; d’assainir nos pratiques et mœurs afin de consolider et d’approfondir la tradition de démocratie et de téranga attachée à notre pays, qui lui vaut une image appréciable et attractive ; d’instaurer plus de rigueur et de responsabilité dans le milieu de notre vaillante presse qui ne manque pas certainement de professionnalisme ; de réaliser des consensus forts pour revisiter et stabiliser l’école sénégalaise ; croire fondamentalement à l’agriculture en évitant les effets d’annonce et les simples slogans sans lendemain. Voilà les défis…
Autrement, le réveil sera dur et il sera déjà trop tard pour agir.
Mor SECK
Doctorant en droit
Spécialiste, consultant en Droit des affaires, fiscalité et assurances.
Conseiller municipal à Touba
Email : morseck99@yahoo.fr
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