L’attitude du Conseil Constitutionnel se déclarant souvent incompétent devant certains actes posés par les autorités en place est, dans une certaine mesure, à l’origine de la situation de confusion sur la candidature de Wade. Devant les juridictions à paliers, les justiciables disposent de recours auprès du juge supérieur jusqu’à l’épuisement de la procédure. Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont pas susceptibles de recours. L’impossibilité de recours et la fréquence de la déclaration d’incompétence de la part du Conseil Constitutionnel ont dû amener les pouvoirs publics à se donner des libertés dans la prise des décisions souvent non conformes aux textes en vigueur. La conséquence est qu’il y a aujourd’hui comme une sorte d’immunité à l’impunité dans la gestion du pays.
Après l’élection présidentielle du 19 Mars 2000 et après le vote par referendum d’une nouvelle Constitution en Janvier 2001, il était clair pour tous, y compris les institutions, en l’occurrence, le Conseil Constitutionnel, que désormais personne ne pouvait briguer un troisième mandat pour la présidentielle. L’engagement de Wade, aussitôt après sa réélection en 2007, qu’il ne ferait que deux mandats, n’a fait que conforter cette conviction. La question alors est de savoir ce qui justifie, explique ou motive sa déclaration de candidature pour la présidentielle de 2012.
La raison principale, c’est l’échec du PLAN A ou plan de succession dite de dévolution monarchique, avec la défaite du camp présidentiel aux locales de 2009. La succession de Wade par son fils biologique avait bel et bien été un souhait ardent. J’ai eu à expliquer dans un article intitulé "Pourquoi la dévolution monarchique est impossible au Sénégal", l’impossibilité d’une telle opération. Mais Wade était tellement sûr de la réussite de cette opération qu’il n’avait pas prévu de plan de substitution. C’est pourquoi la défaite aux locales l’avait surpris et pris au dépourvu. Sa candidature est un plan de substitution au PLAN A, c’est le véritable plan PLAN B. Sa candidature n’était certainement pas prévue, mais il n’avait pas le choix. S’il maintient jusqu’à maintenant cette candidature, c’est peut-être qu’il n’a aucune autre perspective que la sienne propre. Il n’y a pas encore de PLAN C Mais cela suffit-il comme explication ?
Dans un système social normal, l’on évite ou hésite souvent d’entreprendre une action lorsque l’on est conscient de n’être pas habilité ou autorisé à la faire du fait d’interdits ou de sanctions. Wade savait qu’il n’avait pas droit à un autre mandat après celui en cours. Mais il a tenté, il a franchi le rubicond. La question est de savoir ce qui fonde sa décision. A ce propos, il faut dire que l’homme Wade ne se fixe pas de limites, aussi bien dans ses actes qu’en paroles, dans son mode de fonctionnement en tant qu’individu et dans la gestion du pays en tant que Chef de l’Etat. Quand il veut s’exprimer, il le fait comme un citoyen ordinaire (ainsi le wakh wakheet). Quand il veut prendre une décision même d’importance, il ne s’entoure souvent pas de précautions suffisantes. Cette de façon de faire a des effets à la fois sur le comportement des citoyens et sur le fonctionnement des institutions de l’Etat. Cette attitude est cependant basée sur un ensemble de facteurs que j’appellerai les certitudes de Wade. Retenons-en quatre. Il pourrait y en avoir d’autres non moins importantes. Toutefois, ces certitudes, faut-il le souligner, ne sont pas fortuites, elles ont été forgées par sa pratique du pouvoir depuis son élection en 2000 (peut-être même bien avant). En effet, au fil du temps, Wade s’est complu dans la conviction qu’il pouvait poser tous les actes qu’il voulait sans obstacles et cela l’avait souvent réussi. Parmi ces certitudes, les trois ne seront pas analysées de façon exhaustive dans le présent document. Il s’agit d’abord de l’attitude dite républicaine de l’opposition face aux actes posés qu’il pose, au point qu’il se soit targué de dire qu’en fait il n’a pas d’opposition. Il s’agit ensuite de la passivité des citoyens, ce qui lui a fait dire qu’il était en état de grâce perpétuel. Il s’agit enfin du contrôle du Parlement dont les membres se plaisent à dire qu’ils sont ses députés.
Il faut reconnaître que ces certitudes sont maintenant remises en cause. Même le contrôle du Parlement semble ébranlé avec des voix discordantes que l’on entend de plus en plus du côté de l’Hémicycle. La presse rapporte qu’il y a des défections depuis quelque temps. Qu’est-ce qui explique alors le maintien de cette candidature malgré cette évolution défavorable. Certainement qu’il garde encore le secret espoir que le Conseil Constitutionnel va valider sa candidature. C’est la quatrième certitude de notre analyse et qui nous semble la plus importante.
L’attitude du Conseil constitutionnel : un déni de justice ?
Le Conseil Constitutionnel nous a habitués à un fait, celui de se déclarer souvent incompétent lorsqu’il est interpelé sur la régularité des actes pris par les autorités publiques. En se contentant de se conformer strictement aux textes qui l’ont créé, son attitude a engendré des types de comportements de la part des autorités de l’alternance dans la prise des décisions régissant la vie de la nation. Cette fréquence de la déclaration d’incompétence semble être à l’origine de la prise de décisions parfois impopulaires, comme par exemple la fameuse loi Ezzan et les innombrables modifications de la charte fondamentale. De ce point de vue, on peut dire que le Conseil a quelque peu failli à sa mission de protecteur de la Constitution. Il est le véritable garant de la Constitution que les politiques, presque partout dans le monde ont la manie de modifier, ou de contourner à leur profit, comme cela semble être le cas avec la candidature de Wade ou le projet de modification instituant le fameux ticket avec son corollaire de suppression de fait du deuxième tour de la présidentielle. Au moment de soumettre ce projet, Wade était convaincu qu’après l’adoption par le Parlement, la modification n’allait pas être remise en cause par le Conseil Constitutionnel en cas de recours. En se barricadant derrière les textes l’organisant, le Conseil Constitutionnel avait tendance à agir comme s’il était enfermé dans un carcan énumérant de façon limitative ses compétences. C’est comme s’il s’était trouvé dans des situations de vide juridique qu’il se garde de combler dans l’application des textes dans les cas qu’il a eu à connaître. Or, en matière d’application des textes juridiques, le vide juridique n’existe pas pour le juge qui peut utiliser des mécanismes, des techniques juridiques pour dire le droit. Il peut ainsi faire appel à un éventail de ressources, comme par exemple l’esprit du texte lui-même, d’autres textes juridiques, la jurisprudence, etc, pour éviter de faire ce que l’on appelle un déni de justice. Les membres du Conseil Constitutionnel sont tous des hommes d’expérience dotés de compétences avérées. De ce point de vue, ils disposent de suffisamment de ressources pour ne pas se trouver dans cette situation. Ils auraient dû faire œuvre de jurisprudence. C’est comme cela que ça se passe en matière d’application du droit positif. Les textes peuvent rester immuables pendant longtemps puisque leur mutation, leur évolution peuvent dépendre de la volonté de ceux qui animent la vie politique. Mais cela n’empêche pas ceux qui disent le droit de le rendre, sans pour autant que cela soit une violation des textes en vigueur. Ils disposent du pouvoir d’interprétation comme marge de manœuvre. C’est ainsi que la vitalité de la jurisprudence supplée l’immobilisme, parfois motivé par des calculs politiciens. On cite souvent les Etats Unis dans ce domaine. La Constitution de ce pays n’a pas été modifiée depuis fort longtemps mais cela n’empêche pas la justice de traiter et de dénouer les situations juridiques de tous genres. Le Conseil Constitutionnel sénégalais, en s’enfermant dans ce carcan, est aujourd’hui rattrapé par l’histoire. En réalité, c’est lui-même qui s’est enfermé dans un carcan. Heureusement, celui-ci semble maintenant brisé par les analyses des spécialistes du droit à l’occasion du débat sur la candidature de Wade.
L’attitude du Conseil Constitutionnel, facteur déterminant de la déclaration de candidature de Wade
La répétition de la déclaration d’incompétence a frayé un large boulevard que les hommes politiques ont allègrement emprunté pour adopter à leur profit des textes ou tout simplement modifier à souhait la Constitution, grâce à l’arrangement politique par voie parlementaire. Me Ousmane SEYE, l’un des conseillers et fervent défenseur du camp présidentiel se fonde manifestement sur cette attitude pour soutenir l’incompétence du Conseil Constitutionnel. Est-ce que c’est ce qui a poussé ou encouragé le Président de la République à aller dans ce sens ? Dans ses nombreuses interventions, notamment lors du débat sur la question, au cours de l’émission DINE AK DIAMONO de Walf Tv du jeudi 08 Septembre 2011, il a révélé que le Président s’est rendu compte que l’article 104 tel que libellé n’était par clair, il semblait confus. Il pensait alors que cela lui permettait de se présenter pour un troisième mandat. Me SEYE impute la faute aux rédacteurs de la Constitution. Je pense que si erreur ou confusion il y avait, elles ne sont ici pas intentionnelles. La question d’ailleurs est de savoir si une erreur de rédaction ou la confusion d’une disposition peuvent remettre en cause l’esprit et la volonté populaire. En votant pour l’alternance en 2000 et en adoptant la Constitution de 2001, le peuple n’entendait pas qu’un troisième mandat soit accordé à un citoyen quel qu’il soit. La Constitution est l’expression matérielle de la volonté populaire. La réforme institutionnelle réalisée par la Constitution de 2001 a été une réponse à cette aspiration populaire. Mais que reste-il aujourd’hui de cette Constitution de Janvier 2001 ? Pas grand-chose. Le Sénat et le Conseil Economique et Social consacrés par la Constitution de 1963 ont été supprimés puis réhabilités. La durée du mandat présidentiel est passée de 7 à 5 ans puis ramenés encore à 7. Le nombre de mandats présidentiels limités à deux est aujourd’hui remis en cause avec la candidature de Wade qui a déjà fait deux mandats et qui veut briguer un troisième. Le second tour de l’élection présidentielle a failli être supprimé de fait, n’eût été une farouche opposition des populations le 23 Juin 2011. Le Président de la République est toujours chef de parti. Au total, on peut retenir que la Constitution de 2001 qui a instauré des réformes institutionnelles démocratiques majeures a pratiquement été vidée de sa substance. C’est une copie pâle de celle de 1963 par rapport à laquelle elle est d’ailleurs moins démocratique, notamment avec la création de ce fameux poste de vice président qui n’a pas ou n’a pas encore trouvé d’occupant. C’est une régression, peut-on dire.
Si le Conseil Constitutionnel se déclare incompétent sur la candidature de Wade, celle-ci serait alors validée. Cela risquerait de paralyser l’application des dispositions constitutionnelles en matière de candidature et du nombre de mandats (articles 27 et 104 de la Constitution). La limitation du nombre de mandats présidentiels n’aurait alors plus de sens dans l’actuelle Constitution. Ce qui serait contraire au referendum de Janvier 2001 la consacrant par le peuple et à l’éclairage personnel du gardien actuel de cette même Constitution quand il déclare avoir bloqué le nombre de mandats à deux, empêchant lui-même de se présenter en 2012. A moins d’un recours des autres candidats invoquant les articles 116 et 118 du code électoral. Dans ces cas, le Conseil Constitutionnel va indubitablement analyser et se prononcer sur la validité ou non de la candidature de Wade, sur la base de ces dispositions constitutionnelles.
Toutefois, il faut constater que ces certitudes ont connu un glissement progressif dans la défense de la candidature de Wade. L’incompétence en était d’abord l’argument massue. Mais après le séminaire organisé sur le Conseil Constitutionnel, on est passé à la recevabilité, à l’appel aux juristes étrangers et enfin, au recours à un cabinet de lobbying étranger. Ce glissement s’explique par le doute créé par les analyses faites par les constitutionnalistes sénégalais et qui font planer le suspense quant à la décision du Conseil Constitutionnel. Ce qui fait que l’attitude de celui-ci n’est plus une certitude pour le camp présidentiel.
La déclaration de candidature de Wade a engendré des situations de violences politiques et a mis le Conseil Constitutionnel dans une situation fort embarrassante, beaucoup plus que les menaces des mouvements s’opposant à cette candidature. Celui-ci pourrait être gêné en validant cette candidature. Pour l’opinion publique, sa décision serait fondée sur les analyses faites par les juristes étrangers plutôt que sur celles des constitutionnalistes sénégalais. Ceux-là mêmes qui ont rédigé la Constitution, la pratiquent au quotidien en l’enseignant à l’Université, la plus haute institution de formation du pays. Ils sont des spécialistes de la Constitution sénégalaise. Ils font aujourd’hui ce que l’appelle l’ingénierie constitutionnelle. Ils ont, de façon libre, indépendante et désintéressée et de manière détaillée, livré à l’opinion publique d’ici et d’ailleurs les résultats de leur expertise sur cette question. Ils ont tous abouti à la même conclusion. La non validité de la candidature de Wade au regard de la Constitution qu’il a lui-même proposée au peuple et que celui-ci a adoptée massivement. Peuvent-ils tous se tromper dans leur analyse ? Ces juristes étrangers et ces lobbyistes américains connaissent-ils le droit sénégalais en général et le droit et les techniques constitutionnels en particulier mieux que nos ingénieurs en droit constitutionnel ? Il paraîtrait que ces juristes étrangers, ne se sont, pour la plupart, accoutumés avec la Constitution sénégalaise que pour la circonstance. Ils n’avaient aucune expérience en la matière.
Le recours à des cabinets de juristes étrangers est une réplique de Wade à ce débat hautement scientifique et technique, faut-il le reconnaître, mais qui lui est largement défavorable. C’est une sorte de validation anticipée de sa candidature. Elle est destinée à l’opinion publique mais surtout au Conseil Constitutionnel à la suite de unanimité de l’analyse de la doctrine, défavorable sur cette question. C’est aussi un défi, qui est le reflet d’un état d’esprit qui se manifeste par des comportements, des réflexes, des habitudes, acquis ces dernières années, dans la prise des décisions et vis-à-vis des institutions judiciaires du pays. Mais n’ont-elles pas prêté le flanc ? Que d’occasions ratées de leur part pour sévir ! La déclaration de candidature de Wade fait partie de ce type de comportements, de ce lot de décisions prises parfois avec désinvolture et qui ont rythmé la vie de la nation ces dix dernières années. Comment comprendre que le pays soit aujourd’hui dans une situation de menace de guerre civile du fait de la candidature du Président alors que lui-même avait fait devant l’opinion publique nationale et internationale une déclaration solennelle selon laquelle il ne briguerait pas un troisième mandat parce que la Constitution qu’il a lui-même initiée (et rédigée de sa propre main ?) ne le lui permet pas ? Cette candidature, il faut le souligner, est à l’origine de la forte pression qui pèse depuis lors sur le Conseil Constitutionnel.
C’est pourquoi le débat sur la candidature de Wade est aussi et surtout celui sur le Conseil Constitutionnel. Il est au cœur du débat. On peut même dire qu’il est à l’origine de ce débat. Mais ce débat a ceci d’important qu’il va désormais lui permettre de sortir du carcan dans lequel les hommes politiques semblent ou veulent l’enfermer. D’ailleurs, ne l’est-il pas présentement de fait ? L’éloignement dans la zone dite sécurisée des Almadies ne fait-il pas accentuer la pression sur lui ? L’arrestation et l’incarcération de Malick Noël SECK ont dû accentuer la pression sur le Conseil Constitutionnel. Cet isolement ainsi que l’incarcération de Malick Noël SECK n’ont-ils pas l’air d’une forme voilée d’intimidation, une manière de mettre ses membres dans la psychose de ce qui est arrivé à Me Babacar SEYE, en faisant croire que leur vie est en danger ? Mais le débat n’a-t-il pas exorcisé cette psychose ? N’a-t-il pas quelque peu libéré le Conseil Constitutionnel du joug (le texte qui l’a créé) par lequel il paraissait tenu ? En tout état de cause, le Conseil Constitutionnel doit s’assumer et faire preuve de beaucoup de responsabilité, de rigueur, de sérénité mais aussi et surtout de témérité afin de dissuader ceux qui tentent de remettre en cause les lois de la République.
Doudou MANE
Agroéconomiste
Master en Economie Agricole
Maîtrise ès Sciences Juridiques
Consultant
doudoumane@hotmail.com
Dakar, Janvier 2012
Après l’élection présidentielle du 19 Mars 2000 et après le vote par referendum d’une nouvelle Constitution en Janvier 2001, il était clair pour tous, y compris les institutions, en l’occurrence, le Conseil Constitutionnel, que désormais personne ne pouvait briguer un troisième mandat pour la présidentielle. L’engagement de Wade, aussitôt après sa réélection en 2007, qu’il ne ferait que deux mandats, n’a fait que conforter cette conviction. La question alors est de savoir ce qui justifie, explique ou motive sa déclaration de candidature pour la présidentielle de 2012.
La raison principale, c’est l’échec du PLAN A ou plan de succession dite de dévolution monarchique, avec la défaite du camp présidentiel aux locales de 2009. La succession de Wade par son fils biologique avait bel et bien été un souhait ardent. J’ai eu à expliquer dans un article intitulé "Pourquoi la dévolution monarchique est impossible au Sénégal", l’impossibilité d’une telle opération. Mais Wade était tellement sûr de la réussite de cette opération qu’il n’avait pas prévu de plan de substitution. C’est pourquoi la défaite aux locales l’avait surpris et pris au dépourvu. Sa candidature est un plan de substitution au PLAN A, c’est le véritable plan PLAN B. Sa candidature n’était certainement pas prévue, mais il n’avait pas le choix. S’il maintient jusqu’à maintenant cette candidature, c’est peut-être qu’il n’a aucune autre perspective que la sienne propre. Il n’y a pas encore de PLAN C Mais cela suffit-il comme explication ?
Dans un système social normal, l’on évite ou hésite souvent d’entreprendre une action lorsque l’on est conscient de n’être pas habilité ou autorisé à la faire du fait d’interdits ou de sanctions. Wade savait qu’il n’avait pas droit à un autre mandat après celui en cours. Mais il a tenté, il a franchi le rubicond. La question est de savoir ce qui fonde sa décision. A ce propos, il faut dire que l’homme Wade ne se fixe pas de limites, aussi bien dans ses actes qu’en paroles, dans son mode de fonctionnement en tant qu’individu et dans la gestion du pays en tant que Chef de l’Etat. Quand il veut s’exprimer, il le fait comme un citoyen ordinaire (ainsi le wakh wakheet). Quand il veut prendre une décision même d’importance, il ne s’entoure souvent pas de précautions suffisantes. Cette de façon de faire a des effets à la fois sur le comportement des citoyens et sur le fonctionnement des institutions de l’Etat. Cette attitude est cependant basée sur un ensemble de facteurs que j’appellerai les certitudes de Wade. Retenons-en quatre. Il pourrait y en avoir d’autres non moins importantes. Toutefois, ces certitudes, faut-il le souligner, ne sont pas fortuites, elles ont été forgées par sa pratique du pouvoir depuis son élection en 2000 (peut-être même bien avant). En effet, au fil du temps, Wade s’est complu dans la conviction qu’il pouvait poser tous les actes qu’il voulait sans obstacles et cela l’avait souvent réussi. Parmi ces certitudes, les trois ne seront pas analysées de façon exhaustive dans le présent document. Il s’agit d’abord de l’attitude dite républicaine de l’opposition face aux actes posés qu’il pose, au point qu’il se soit targué de dire qu’en fait il n’a pas d’opposition. Il s’agit ensuite de la passivité des citoyens, ce qui lui a fait dire qu’il était en état de grâce perpétuel. Il s’agit enfin du contrôle du Parlement dont les membres se plaisent à dire qu’ils sont ses députés.
Il faut reconnaître que ces certitudes sont maintenant remises en cause. Même le contrôle du Parlement semble ébranlé avec des voix discordantes que l’on entend de plus en plus du côté de l’Hémicycle. La presse rapporte qu’il y a des défections depuis quelque temps. Qu’est-ce qui explique alors le maintien de cette candidature malgré cette évolution défavorable. Certainement qu’il garde encore le secret espoir que le Conseil Constitutionnel va valider sa candidature. C’est la quatrième certitude de notre analyse et qui nous semble la plus importante.
L’attitude du Conseil constitutionnel : un déni de justice ?
Le Conseil Constitutionnel nous a habitués à un fait, celui de se déclarer souvent incompétent lorsqu’il est interpelé sur la régularité des actes pris par les autorités publiques. En se contentant de se conformer strictement aux textes qui l’ont créé, son attitude a engendré des types de comportements de la part des autorités de l’alternance dans la prise des décisions régissant la vie de la nation. Cette fréquence de la déclaration d’incompétence semble être à l’origine de la prise de décisions parfois impopulaires, comme par exemple la fameuse loi Ezzan et les innombrables modifications de la charte fondamentale. De ce point de vue, on peut dire que le Conseil a quelque peu failli à sa mission de protecteur de la Constitution. Il est le véritable garant de la Constitution que les politiques, presque partout dans le monde ont la manie de modifier, ou de contourner à leur profit, comme cela semble être le cas avec la candidature de Wade ou le projet de modification instituant le fameux ticket avec son corollaire de suppression de fait du deuxième tour de la présidentielle. Au moment de soumettre ce projet, Wade était convaincu qu’après l’adoption par le Parlement, la modification n’allait pas être remise en cause par le Conseil Constitutionnel en cas de recours. En se barricadant derrière les textes l’organisant, le Conseil Constitutionnel avait tendance à agir comme s’il était enfermé dans un carcan énumérant de façon limitative ses compétences. C’est comme s’il s’était trouvé dans des situations de vide juridique qu’il se garde de combler dans l’application des textes dans les cas qu’il a eu à connaître. Or, en matière d’application des textes juridiques, le vide juridique n’existe pas pour le juge qui peut utiliser des mécanismes, des techniques juridiques pour dire le droit. Il peut ainsi faire appel à un éventail de ressources, comme par exemple l’esprit du texte lui-même, d’autres textes juridiques, la jurisprudence, etc, pour éviter de faire ce que l’on appelle un déni de justice. Les membres du Conseil Constitutionnel sont tous des hommes d’expérience dotés de compétences avérées. De ce point de vue, ils disposent de suffisamment de ressources pour ne pas se trouver dans cette situation. Ils auraient dû faire œuvre de jurisprudence. C’est comme cela que ça se passe en matière d’application du droit positif. Les textes peuvent rester immuables pendant longtemps puisque leur mutation, leur évolution peuvent dépendre de la volonté de ceux qui animent la vie politique. Mais cela n’empêche pas ceux qui disent le droit de le rendre, sans pour autant que cela soit une violation des textes en vigueur. Ils disposent du pouvoir d’interprétation comme marge de manœuvre. C’est ainsi que la vitalité de la jurisprudence supplée l’immobilisme, parfois motivé par des calculs politiciens. On cite souvent les Etats Unis dans ce domaine. La Constitution de ce pays n’a pas été modifiée depuis fort longtemps mais cela n’empêche pas la justice de traiter et de dénouer les situations juridiques de tous genres. Le Conseil Constitutionnel sénégalais, en s’enfermant dans ce carcan, est aujourd’hui rattrapé par l’histoire. En réalité, c’est lui-même qui s’est enfermé dans un carcan. Heureusement, celui-ci semble maintenant brisé par les analyses des spécialistes du droit à l’occasion du débat sur la candidature de Wade.
L’attitude du Conseil Constitutionnel, facteur déterminant de la déclaration de candidature de Wade
La répétition de la déclaration d’incompétence a frayé un large boulevard que les hommes politiques ont allègrement emprunté pour adopter à leur profit des textes ou tout simplement modifier à souhait la Constitution, grâce à l’arrangement politique par voie parlementaire. Me Ousmane SEYE, l’un des conseillers et fervent défenseur du camp présidentiel se fonde manifestement sur cette attitude pour soutenir l’incompétence du Conseil Constitutionnel. Est-ce que c’est ce qui a poussé ou encouragé le Président de la République à aller dans ce sens ? Dans ses nombreuses interventions, notamment lors du débat sur la question, au cours de l’émission DINE AK DIAMONO de Walf Tv du jeudi 08 Septembre 2011, il a révélé que le Président s’est rendu compte que l’article 104 tel que libellé n’était par clair, il semblait confus. Il pensait alors que cela lui permettait de se présenter pour un troisième mandat. Me SEYE impute la faute aux rédacteurs de la Constitution. Je pense que si erreur ou confusion il y avait, elles ne sont ici pas intentionnelles. La question d’ailleurs est de savoir si une erreur de rédaction ou la confusion d’une disposition peuvent remettre en cause l’esprit et la volonté populaire. En votant pour l’alternance en 2000 et en adoptant la Constitution de 2001, le peuple n’entendait pas qu’un troisième mandat soit accordé à un citoyen quel qu’il soit. La Constitution est l’expression matérielle de la volonté populaire. La réforme institutionnelle réalisée par la Constitution de 2001 a été une réponse à cette aspiration populaire. Mais que reste-il aujourd’hui de cette Constitution de Janvier 2001 ? Pas grand-chose. Le Sénat et le Conseil Economique et Social consacrés par la Constitution de 1963 ont été supprimés puis réhabilités. La durée du mandat présidentiel est passée de 7 à 5 ans puis ramenés encore à 7. Le nombre de mandats présidentiels limités à deux est aujourd’hui remis en cause avec la candidature de Wade qui a déjà fait deux mandats et qui veut briguer un troisième. Le second tour de l’élection présidentielle a failli être supprimé de fait, n’eût été une farouche opposition des populations le 23 Juin 2011. Le Président de la République est toujours chef de parti. Au total, on peut retenir que la Constitution de 2001 qui a instauré des réformes institutionnelles démocratiques majeures a pratiquement été vidée de sa substance. C’est une copie pâle de celle de 1963 par rapport à laquelle elle est d’ailleurs moins démocratique, notamment avec la création de ce fameux poste de vice président qui n’a pas ou n’a pas encore trouvé d’occupant. C’est une régression, peut-on dire.
Si le Conseil Constitutionnel se déclare incompétent sur la candidature de Wade, celle-ci serait alors validée. Cela risquerait de paralyser l’application des dispositions constitutionnelles en matière de candidature et du nombre de mandats (articles 27 et 104 de la Constitution). La limitation du nombre de mandats présidentiels n’aurait alors plus de sens dans l’actuelle Constitution. Ce qui serait contraire au referendum de Janvier 2001 la consacrant par le peuple et à l’éclairage personnel du gardien actuel de cette même Constitution quand il déclare avoir bloqué le nombre de mandats à deux, empêchant lui-même de se présenter en 2012. A moins d’un recours des autres candidats invoquant les articles 116 et 118 du code électoral. Dans ces cas, le Conseil Constitutionnel va indubitablement analyser et se prononcer sur la validité ou non de la candidature de Wade, sur la base de ces dispositions constitutionnelles.
Toutefois, il faut constater que ces certitudes ont connu un glissement progressif dans la défense de la candidature de Wade. L’incompétence en était d’abord l’argument massue. Mais après le séminaire organisé sur le Conseil Constitutionnel, on est passé à la recevabilité, à l’appel aux juristes étrangers et enfin, au recours à un cabinet de lobbying étranger. Ce glissement s’explique par le doute créé par les analyses faites par les constitutionnalistes sénégalais et qui font planer le suspense quant à la décision du Conseil Constitutionnel. Ce qui fait que l’attitude de celui-ci n’est plus une certitude pour le camp présidentiel.
La déclaration de candidature de Wade a engendré des situations de violences politiques et a mis le Conseil Constitutionnel dans une situation fort embarrassante, beaucoup plus que les menaces des mouvements s’opposant à cette candidature. Celui-ci pourrait être gêné en validant cette candidature. Pour l’opinion publique, sa décision serait fondée sur les analyses faites par les juristes étrangers plutôt que sur celles des constitutionnalistes sénégalais. Ceux-là mêmes qui ont rédigé la Constitution, la pratiquent au quotidien en l’enseignant à l’Université, la plus haute institution de formation du pays. Ils sont des spécialistes de la Constitution sénégalaise. Ils font aujourd’hui ce que l’appelle l’ingénierie constitutionnelle. Ils ont, de façon libre, indépendante et désintéressée et de manière détaillée, livré à l’opinion publique d’ici et d’ailleurs les résultats de leur expertise sur cette question. Ils ont tous abouti à la même conclusion. La non validité de la candidature de Wade au regard de la Constitution qu’il a lui-même proposée au peuple et que celui-ci a adoptée massivement. Peuvent-ils tous se tromper dans leur analyse ? Ces juristes étrangers et ces lobbyistes américains connaissent-ils le droit sénégalais en général et le droit et les techniques constitutionnels en particulier mieux que nos ingénieurs en droit constitutionnel ? Il paraîtrait que ces juristes étrangers, ne se sont, pour la plupart, accoutumés avec la Constitution sénégalaise que pour la circonstance. Ils n’avaient aucune expérience en la matière.
Le recours à des cabinets de juristes étrangers est une réplique de Wade à ce débat hautement scientifique et technique, faut-il le reconnaître, mais qui lui est largement défavorable. C’est une sorte de validation anticipée de sa candidature. Elle est destinée à l’opinion publique mais surtout au Conseil Constitutionnel à la suite de unanimité de l’analyse de la doctrine, défavorable sur cette question. C’est aussi un défi, qui est le reflet d’un état d’esprit qui se manifeste par des comportements, des réflexes, des habitudes, acquis ces dernières années, dans la prise des décisions et vis-à-vis des institutions judiciaires du pays. Mais n’ont-elles pas prêté le flanc ? Que d’occasions ratées de leur part pour sévir ! La déclaration de candidature de Wade fait partie de ce type de comportements, de ce lot de décisions prises parfois avec désinvolture et qui ont rythmé la vie de la nation ces dix dernières années. Comment comprendre que le pays soit aujourd’hui dans une situation de menace de guerre civile du fait de la candidature du Président alors que lui-même avait fait devant l’opinion publique nationale et internationale une déclaration solennelle selon laquelle il ne briguerait pas un troisième mandat parce que la Constitution qu’il a lui-même initiée (et rédigée de sa propre main ?) ne le lui permet pas ? Cette candidature, il faut le souligner, est à l’origine de la forte pression qui pèse depuis lors sur le Conseil Constitutionnel.
C’est pourquoi le débat sur la candidature de Wade est aussi et surtout celui sur le Conseil Constitutionnel. Il est au cœur du débat. On peut même dire qu’il est à l’origine de ce débat. Mais ce débat a ceci d’important qu’il va désormais lui permettre de sortir du carcan dans lequel les hommes politiques semblent ou veulent l’enfermer. D’ailleurs, ne l’est-il pas présentement de fait ? L’éloignement dans la zone dite sécurisée des Almadies ne fait-il pas accentuer la pression sur lui ? L’arrestation et l’incarcération de Malick Noël SECK ont dû accentuer la pression sur le Conseil Constitutionnel. Cet isolement ainsi que l’incarcération de Malick Noël SECK n’ont-ils pas l’air d’une forme voilée d’intimidation, une manière de mettre ses membres dans la psychose de ce qui est arrivé à Me Babacar SEYE, en faisant croire que leur vie est en danger ? Mais le débat n’a-t-il pas exorcisé cette psychose ? N’a-t-il pas quelque peu libéré le Conseil Constitutionnel du joug (le texte qui l’a créé) par lequel il paraissait tenu ? En tout état de cause, le Conseil Constitutionnel doit s’assumer et faire preuve de beaucoup de responsabilité, de rigueur, de sérénité mais aussi et surtout de témérité afin de dissuader ceux qui tentent de remettre en cause les lois de la République.
Doudou MANE
Agroéconomiste
Master en Economie Agricole
Maîtrise ès Sciences Juridiques
Consultant
doudoumane@hotmail.com
Dakar, Janvier 2012
Autres articles