La finance islamique: un facteur d'intégration et de communication interculturelle ( Dr Djibril Safi SECK )


La finance islamique: un facteur d'intégration et de communication interculturelle ( Dr Djibril Safi SECK )
La littérature, reliant les notions de « communication » et d’ « interculturel », est aujourd’hui florissante. On fait recours souvent aux notions de communication interculturelle ou de management interculturel pour faciliter la communication et la gestion des biens et personnes dans un contexte de relations entre cultures différentes. Aussi, ces concepts sont-ils beaucoup utilisés dans les entreprises pour des raisons de management ou de marketing ou dans les institutions étatiques ou non gouvernementales. Mais, qu’entend-on par communicationnel et interculturel ?
-Le communicationnel : tout projet interculturel (quelle qu’en soit la nature) nécessite la mise en relation et la participation au moins de deux groupes d’origine culturelle différente. La communication favorise cette mise en relation et facilite la participation des acteurs concernés dans la mise en œuvre de ce projet. Le communicationnel traduit tous les processus de communication qui accompagnent la conduite d’un projet, qu’ils soient ceux établis entre les différents acteurs du projet ou ceux développés à l’endroit du public.
-L’interculturel : Le culturel se veut par lui-même englobant de la personne dans sa totalité et recouvrant donc à la fois : ses origines ethniques, sa religion, sa culture, son milieu familial et social, ses goûts, ses affects, ses comportements, ses attitudes, ses compétences... Le préfixe « inter » contient, à lui seul, toutes les caractéristiques fondamentales que nous retenons pour ce type de relation : il renvoie à la réciprocité, à l'échange, à la communication, au dialogue, de telle façon que chacun offre à chacun l'opportunité d'un enrichissement mutuel.
Une approche communicationnelle et interculturelle des projets ne dissocie pas les deux termes dans la mise en œuvre de ces derniers. Elle renvoie à la « communication interculturelle » dans le sens où l’entend Hans Jürgen Lusebrink : « la communication interculturelle définit des relations entre différentes cultures, et ses relations reposent sur plusieurs processus : des processus d’interaction interculturelle, des processus de perception de l’autre dans l’interaction, mais aussi façonnés et transmis par les médias et des processus de transfert et de réception entre cultures » . Aussi, la communication interculturelle invite-t-elle à une éducation à l’interculturalité, c’est-à-dire à la prise de conscience de la diversité des cultures et à la reconnaissance réciproque de l’altérité en tant que source d’enrichissement mutuel.
Toutefois, les postures que les uns ont par rapport aux cultures des autres ne sont les mêmes. Ce qui nous amène à définir trois niveaux d’engagement culturel : un niveau d’engagement culturel faible, un niveau d’engagement culturel moyen et un niveau d’engagement culturel fort.
- un niveau d’engagement culturel faible : c’est le genre d’engagement où la prise en compte de la culture de l’autre ne fait pas partie des priorités des organisations islamiques et non islamiques dans la réalisation de leurs objectifs. C’est généralement le cas de projets humanitaires ou d’actes caritatifs suite à une catastrophe naturelle où l’urgence de la situation commande une intervention rapide pour aider les populations en détresse. Le personnel d’une organisation peut recevoir un briefing sur les réalités socio-culturelles des bénéficiaires afin de mieux réussir leurs actions. D’ailleurs, des fois la compréhension de la culture de l’autre est nécessaire à la perception que les populations bénéficiaires ont de cette aide financière ou technique et de ses conséquences dans la vie de ces populations.
- un niveau d’engagement culturel moyen : c’est le cas d’un partenariat entre une organisation islamique et une organisation non islamique. Ce partenariat peut amener l’organisation non islamique à s’intéresser à la culture de l’organisation islamique, et vis-versa, soit par la recherche documentaire sur les pays respectifs, soit par le recours à des personnes-ressources, de consultants, soit par une immersion sociale directe afin de mieux saisir les réalités socio-culturelles de ces pays. Sauf que toute cette démarche est effectuée dans le seul but de rendre la réalisation des objectifs meilleure. Ce type d’engagement culturel peut aussi se caractériser par un besoin d’exotisme, une affinité culturelle, entre autres.
- un niveau d’engagement culturel fort se caractérise par une véritable relation d’échange et d’enrichissement mutuel quelle que soit la nature de la relation qui lie un partenaire islamique et un partenaire non islamique. Il est fondé sur le principe du partage d’expériences, de savoirs et de cultures. C’est, en outre, l’occasion de mettre en relation des sociétés et des mentalités différentes. Aussi, la finance islamique constitue-elle aujourd’hui un pôle scientifique important des connaissances actuelles et un facteur d’échange interculturel eu égard à l’émergence des Instituts, des centres de formation, des recherches, des fora, des séminaires, des colloques, des livres, des diplômes universitaires dans ce domaine.
C’est dire que l’interculturel ne peut s’appréhender que par degrés de niveaux d’engagement culturel que nous avons déclinés en niveaux d’engagement culturel faible, moyen et fort. Mais les frontières entre ces trois niveaux d’engagement ne sont pas étanches.
Même si le fait que des pays occidentaux recourent à la finance islamique participe avant tout de leurs besoins économiques, il reste malgré tout une marque de reconnaissance d’une expertise édictée à travers des principes éthiques islamiques. Ce qui donne, d’une manière ou d’une autre, aux musulmans, un sentiment d’être porteurs d’un savoir et d’un savoir-faire que l’Occident accepte et valorise. Il en va de même pour le commerce halal qui, au-delà de la manne financière qu’il constitue, permet aux musulmans de mieux s’intégrer dans les sociétés occidentales, car sur le plan symbolique, ce sont leurs pratiques culturelles et cultuelles qui sont reconnues. Aussi, y a-t-il beaucoup de non musulmans qui mangent halal pour des raisons qui leur sont propres. Enfin, l’installation de banques islamiques dans les pays non musulmans ou des fenêtres islamiques dans des banques non islamiques sont autant de facteurs d’ouverture vers l’autre, même si les premières raisons sont d’ordre financier. Toutefois, une véritable relation d’échange entre deux cultures nécessite d’éviter certains clichés. C’est la raison pour laquelle, Benoît Théry préconise de prendre certaines précautions à l’égard des stéréotypes qui peuvent inhiber une véritable communication interculturelle.
Tout d’abord « un individu n’est pas forcément représentatif de sa culture nationale ». Ce n’est pas parce qu’on est Français qu’on porte en soi toutes les caractéristiques de la culture française. Le comportement d’un Sénégalais peut ne pas être symptomatique du comportement général des Sénégalais. Certes, l’individu est déterminé par des valeurs culturelles, mais il est aussi une personnalité qui marque sa spécificité par rapport aux autres membres de la société dans laquelle il vit.
Aussi, la culture n’est-elle pas homogène à l’intérieur d’une même société. « Chaque individu est porteur simultanément de plusieurs cultures, en fonction de ses différentes appartenances communautaires : nationale certes, mais aussi régionale, professionnelle, sociale, religieuse, sans compter son appartenance à une entreprise qui peut avoir aussi une forte culture ». C’est dire que la culture n’est pas statique ; elle n’est pas acquise une fois pour toute ; elle ne peut pas être essentialisée.
Cependant, dans le management des organisations, il ne faut pas tout ramener à la culture car la logique des groupes transcende des conflits ou des incompréhensions d’ordre culturel. « Dans les relations interculturelles, les difficultés constatées peuvent ne pas être d’origine culturelle ; elles peuvent être d’ordre psycho-sociologique (relations interpersonnelles et fonctionnellement du groupe) ou d’ordre stratégique (intérêts et jeux des acteurs) ». Dans les organisations, les acteurs développent souvent des stratégies pour s’accaparer des enjeux ; c’est là un des signes caractéristiques des logiques de groupes. Nul doute que la finance islamique constitue des enjeux de plusieurs ordres et peut susciter plusieurs types de conflits qu’on peut sérier en trois : des « conflits cognitifs », des « conflits d’affects » et des « conflits de process ». Et chaque type de conflit peut déteindre sur l’autre. Par exemple, un non musulman, c’est parce qu’il n’aime pas l’islam, pourrait rejeter ipso facto la finance islamique sans chercher à voir, par la raison, la crédibilité de son caractère éthique et de son efficacité économique. A ce niveau, les conflits d’affects se traduisent en conflits cognitifs. De même, deux banques islamiques, suivant l’école juridique dont se réclament leurs scholars (jurisconsultes), peuvent avoir des conflits cognitifs (d’interprétation) qui se traduiront en conflits de process (de procédures pour la validation des produits sharia-compliant).
En outre, tout modèle de cultures différentes est fondé lui-même sur un système de pensée qui peut avoir sa dimension culturelle propre. Toute culture a sa propre logique interne ; la signification que l’on a d’un fait culturel peut ne pas correspondre exactement à son répertoire culturel de signification.
Dans le chapitre 2 de son ouvrage précité, Benoît Théry a exposé les approches scientifiques du management interculturel. Mais, elles ne sont pas suffisantes pour expliquer et contourner toutes les difficultés liées aux communications et relations interculturelles. C’est pourquoi, il a jugé nécessaire d’y ajouter des éléments de sociologie des religions, par exemple pour l’explication des cultures orientales, dont ces démarches scientifiques occidentales ne rendent pas toujours suffisamment compte. Même en Occident, l’approche magistrale de Max Weber dans « l’Ethique protestante et l’Esprit du Capitalisme » a démontré l’importance du facteur religieux pour la vie économique.
Pour les sociétés orientales, une approche des religions et éthiques peut être également largement explicative du management interculturel. En effet, les valeurs sont la composante motrice d’une culture et, parmi celles-ci, les valeurs religieuses sont souvent placées en haut de la pyramide, même quand elles le sont de façon plus implicite qu’explicite.
Dans l’approche socio-religieuse du management interculturel, Théry a pris les exemples de l’Islam et du Confucianisme pour analyser l’influence que ces deux religions et éthiques du monde ont sur la vie sociale et professionnelle de certains peuples. L’un des cas rapportés par Benoît Théry est une enquête de Philippe d’Iribane rapportée dans Culture et Mondialisation. Gérer par-delà les Frontières. Paris : Seuil, 1998.
Philippe d’Iribane a fait une analyse très intéressante dans une entreprise de Casablanca en montrant que le succès d’une méthode managériale occidentale s’expliquait parce qu’elle rejoignait les valeurs de l’Islam. Il s’agit d’une démarche de management par la qualité totale (TQM : Total Quality Management), proposée par la direction française d’une filiale marocaine d’un groupe international d’électronique (SGS-THOMSON). Cette démarche a été pleinement acceptée par le personnel marocain, qui a expliqué abondamment au sociologue venu enquêter sur ce succès inattendu, que son adhésion provenait d’une cohérence de la démarche TQM avec les valeurs de l’Islam.
En somme, le titre de l’ouvrage de Christophe Eberhard « Droits de l’homme et dialogue interculturel » révèle que le dialogue des cultures ne peut s’opérer que dans le respect des droits de l’Homme, c’est-à-dire dans le respect de son humanité. Chaque culture est un fragment de ce qui fait l’Homme intégral.

Dr Djibril Safi SECK
Président du GREFIA (Groupe de Recherche sur la Finance Islamique en Afrique)
Mardi 11 Octobre 2011
Dr Djibril Safi SECK, Président du GREFIA




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