MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE,
TENEZ BIEN LES CACTUS DANS VOS MAINS !
Au moment où, loin du Sénégal, je m’apprêtais à conclure mon humble lettre à votre endroit, j’apprends tard dans la presse -vrai ou faux-, que vous aviez autorisé la poursuite du programme de pavage de Dakar, alors que la rumeur colportait les plus invraisemblables ragot sur l’interdit qui viendrait du premier de votre gouvernement, encore qu’il faille le vérifier dans un pays devenu effrayant en matière d’informations et de calomnies.
Interdire à la Ville de Dakar de poursuivre ses travaux de pavage de la capitale, serait comme interdire à une femme de faire sa toilette, de se parer pour être belle, accueillante, attirante ?
On peut vous critiquer comme on veut, Monsieur le Président, mais il est difficile de ne pas vous reconnaitre une détermination, une courageuse lucidité et une rage tranquille de ne pas céder un seul pouce à votre ligne d’airain de rendre à notre pays ses valeurs morales, par une discipline, sans laquelle, il est vain de bâtir une communauté de destin. Le Sénégal a eu mal et il est temps de trancher dans le vif pour que chacun sache désormais que rien de dégradant pour notre pays ne sera et ne pourra plus être permis.
Aucun Sénégalais ne comprendrait qu’on lui dise que notre capitale n’a pas besoin de paver ses trottoirs, ses rues, ses ruelles. On devrait l’imposer même à tous les maires du Sénégal. Terre du Sahel, nous sommes envahis par des marées et des océans de sable à longueur d’années. Qui vous dit par ailleurs que Dakar est une ville belle et praticable, celui-là a menti. Dakar n’est pas une ville, Dakar est une plaie à qui il arrive de se réveiller souvent la jambe bandée pour cacher sa gangrène. Dakar est une cité cernée, violée et désespérante dans l’état de vernis et de chaos où elle se trouve. Tenez, comment d’ailleurs peut-on une seule fois imaginer qu’on puisse, comme aujourd’hui, abandonner à son sort le Boulevard du Général de Gaulle? Une avenue symbolique et jadis belle aujourd’hui méconnaissable et indigne de nos décideurs politiques. Mais que se passe t-il donc pour qu’une occupation barbare et dégradante dure si longtemps? Si le maire de Dakar ne réagit pas enfin à ce drame -et il n’est pas de ses principes d’accepter une telle vomissure au cœur de sa ville- il est de votre devoir, Monsieur le président de la République, de faire prendre les mesures urgentes pour rendre à cette avenue sa lumière et sa solennité d’antan. Vous imaginez les Champs-Élysées occupés et envahis de cette manière si sauvage? Un État doit avoir de l’autorité et nous savons que vous n’en manquez pas Monsieur le Président quand la situation le commande ! Les Sénégalais savent désormais distinguer très vite ceux qui travaillent de ceux qui s’amusent.
Ce n’est pas pour rien, dit-on d’ailleurs, que vous avez tenu à nommer un Premier ministre hors du champ de la politique. Comme vous avez eu raison, Monsieur le Président ! Les politiciens ne font plus fortune. Ils ne font même plus rire. Nous ne sommes pas fatigués mais morts de continuer à entretenir une catégorie de dirigeants retors qui n’ont qu’un seul slogan à la bouche: aimez-moi et enrichissez-moi les uns les autres. Le Sénégal a changé et il a terriblement changé. Parce que vous le savez, il y a chez vous, Monsieur le Président, une sérénité implacable et un choix tenace de s’occuper avant tout de votre peuple, de ce peuple qui vous a élu, de ce peuple devenu exigeant et qui semble désormais avoir fait le pari de chasser plus de Présidents qu’il n’en élit.
Faire deux mandats est devenu improbable dans ce pays pressé et qui a raison de l’être. A ceux qui sont élus d’en prendre acte. Cela aussi vous le comprenez et c’est rassurant.
La réduction de votre mandat par vous-même de sept à cinq ans est un gage et un engagement qui vous honorent et qui vous disculpent d’un appétit irraisonné du pouvoir. Le peuple en a pris acte. Ce libre choix pourrait être payant, même si l’on sait que les Sénégalais sont moins sentimentaux côté marmite. Senghor disait bien que le peuple sénégalais est un peuple de fluctuants ! Ce qui pourrait vouloir dire que dans quatre ans, votre façon d’être et de gouverner, votre fermeté, votre honnêteté d’avouer que le chemin est difficile et que l’on ne peut pas tout réussir, pourrait jouer en votre faveur. Les Sénégalais savent être résolument déterminés, mais sans excès, dit-on. Mais allez savoir jusqu’où on peut être civilisé le ventre et les poches vides !
Il reste, s’il en était besoin, la question de savoir qui et ce qui pourrait vous empêcher d’accéder à un second mandat. D’abord vous-même. Vous êtes votre premier adversaire. Vos réussites compteront bien sûr, mais plus encore leur résonance et leur poids sur le quotidien du peuple sénégalais. Vous ne pourrez pas faire face à tous les foyers d’urgence. Aucun Président ne le peut, le voudrait-il de tout son cœur. Du cœur vous en avez Monsieur le Président, mais les défis économiques sont, eux, sans cœur. Cependant les Sénégalais, quoiqu’il arrive, prendront en compte votre combat, mais jusqu’où, une fois encore, celui-ci pèsera t-il sur leur vote le moment venu ?
Dans un autre registre, l’espace politique et civil, à ce jour, n’offre aucune visibilité sur une ou un candidat capable de vous battre -je ne dis pas de vous succéder- dans quatre ans. Mais l’horizon peut s’éclaircir très vite. Les anciens candidats à la présidentielle ne reviendront pas tous. Ceux qui ont été avalés par la coalition autour du Président ont très peu de chance. Ceux qui tenteront de s’en extraire auront du mal à se débarrasser de leurs zébrures aux yeux du peuple. Pour les futurs arrivants, Dieu qu’il leur faudra se démener pour accéder au pouvoir ! En un mot, vous avez toutes les chances de succéder à vous-même, car vous avez de l’avance et désormais du métier. Mais rien n’est jamais joué en politique. Il reste qu’il serait plus naturel -je ne dis pas rationnel- de vous concéder un second mandat et de vous laisser poser vos marques. Mais le naturel ne commande pas toujours la raison des peuples. Jusqu’ici pourtant, dans notre histoire politique, depuis Senghor, en passant par Diouf et Wade, les princes ont rempli au moins deux mandats. Vous pouvez, bien sûr, vous inscrire dans la même tradition. Des trois, vous êtes loin d’être le moins armé, le moins doué, mais sûrement celui qui aura le plus à travailler. Si vous gouvernez en faisant moins de bruit, en remaniant moins et fidèle à l’image que les Sénégalais vous reconnaissent: un chef discret, sobre, bien éduqué, humble, serein, responsable et résolument ferme, vous avez toutes les chances de vous voir pardonner des résultats économiques et sociaux qui pourraient ne pas être à la mesure de l’attente que l’on nourrissait sur votre premier mandat. Gardez votre Premier ministre aussi longtemps qu’il vous est possible de le faire, car c’est dans la durée que les résultats se confirment. Ne croyez pas à l’adage qui dit qu’un Président n’a pas d’amis. Songez à une loi pour combattre le cumul des mandats. Hâtez votre réforme de nos institutions. Ouvrez notre pays aux investisseurs dans des industries de production et de transformation. Donnez la priorité aux énergies alternatives comme le solaire. Développer l’esprit d’entreprise en garantissant l’octroi de crédits aux jeunes, particulièrement dans les banlieues. Investissez dans les écoles de métier pour votre jeunesse. L’Université doit être ressentie comme un lieu de réussite et non d’échec. Œuvrez pour une diplomatie familiale, mais sans faiblesse, pour les voisins à nos frontières. Dépassez les égoïsmes et la défense des intérêts particuliers. Ne vous barricadez-pas et pour cela prenez le temps d’aller vous-même à la rencontre des populations déshéritées.
Monsieur le Président, vous pourriez envisager en ces temps de crise et d’héritage douloureux, de programmer par secteur et par an, pour les quatre années qui restent de votre premier mandat, l’instauration d’une légère taxe de solidarité sur les billets d’avion -en effaçant les anciennes taxes gourmandes imposées par l’ancien régime et qui semblent courir encore- et sur l’importation des véhicules au profit de la santé, de l’agriculture, de l’éducation, de la culture. Cette taxe alimenterait et renforcerait chaque année, en apport au budget déjà consenti par l’État, les secteurs cités ou des programmes prioritaires d’urgence. Des pays plus nantis que nous ont adopté ce système. Une journée de salaire par an pourrait également être prélevée, secteur public et privé confondu, pour venir alternativement au secours des handicapés, du troisième âge où servir à l’équipement d’appareils d’analyse ou de chirurgie de haute technologie incontournables comme plateaux techniques minimas dans nos hôpitaux. Soyons créatifs et solidaires dans la recherche de ressources additionnelles. Notre pays est peu productif, notre croissance chétive, nos emprunts incompressibles, nos finances publiques sur le fil du rasoir. Les besoins sont énormes, la pression sociale intenable, le temps trop court et le couteau sur la gorge des gouvernants. Chaque franc doit compter. En effet, il arrive un moment où il faut choisir entre ce qui est nécessaire et ce qui est utile. Il faut plus penser aux démunis, les en bas de en bas. Être riche n’est pas certes une tare. La tare, c’est d’être un riche voleur.
Notre pays gardera longtemps dans sa chair et sa mémoire l’insoutenable razzia de ses fonds publics. C’est plus qu’un crime. C’est un génocide économique qui a eu comme lit le plus grand pourrissement et le plus effrayant délitement de nos valeurs sociales, culturelles et judiciaires. Ce fut un concours d’impostures indigne de l’histoire politique de notre pays et perpétré par des êtres de glace, sans cœur. Nous étions en face d’une race qui a atteint un raffinement de déperdition et de corruption sans nom, une race jamais imaginée de vampires et de prédateurs qui, dans leur exercice dévoyé du pouvoir, ont bu tout le sang du peuple. Terrible et inacceptable question, mais jusqu’où fallait-il d’ailleurs appliquer les lois de la guerre et des droits de l’homme à des tueurs de si basse humanité ?
Monsieur le Président, notre pays était devenu au km² la première fabrique mondiale de politiciens visqueux. C’était pour cette race le plus court chemin pour accéder à un niveau de confort et d’impunité jamais égalé, alors que le peuple trimait. Avec vous, notre pays tend à devenir moins producteur de politiciens prédateurs. Dans ce domaine, la natalité baisse. Elle s’éteint même.
Monsieur le président de la République, vous savez ce dont vous avez hérité, et sans doute vous en avez tremblé bien des soirs dans votre lit. Vos anciens ennemis de même parti vous accusent à longueur de journée -et cela durera encore longtemps- d’avoir fait partie de la ruine. N’oublions pas que dans toute ruine, il y a une aurore. Et c’est à cette aurore que le peuple sénégalais en choisissant de vous élire, a voulu confier son destin. Le verdict, tout le verdict est là. Si les grands Présidents viennent après de grandes calamités publiques comme cela se dit, Macky Sall devrait s’inscrire parmi ces grands nouveaux leaders qui manquent tant à l’Afrique. A vous de jouer. Notre vœu est que vous réussissiez pour que notre beau et si grand petit pays garde son cap démocratique et retrouve son rayonnement universitaire, culturel et artistique.
C’est en tenant les cactus dans vos mains, c'est-à-dire en affrontant à la fois les sondages les plus sombres et les obstacles les plus ardus, en allant au devant des difficultés et des impasses de toutes sortes, en résolvant des problèmes au risque que cela vous coûte l’impopularité, voilà comment, parmi d’autres voies, Monsieur le Président, vous sortirez notre nation de ses maux. Puissent la vertu être votre demeure, le devoir votre voie, la politesse votre vêtement, la réussite votre sceau. Gardez bien les pieds sur l’asphalte et la tête dans les champs rabougris et les cases sommaires de nos braves paysans !
Commençons désormais par peser ce pays qui nous est si cher avec des calebasses de sueur issues du labeur de nos fronts. Seulement après, laissons-le à la grâce de Dieu qui a tellement à faire et qui pourtant ne nous a jamais abandonnés!
Mes respects Monsieur le Président !
Amadou lamine Sall
poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
TENEZ BIEN LES CACTUS DANS VOS MAINS !
Au moment où, loin du Sénégal, je m’apprêtais à conclure mon humble lettre à votre endroit, j’apprends tard dans la presse -vrai ou faux-, que vous aviez autorisé la poursuite du programme de pavage de Dakar, alors que la rumeur colportait les plus invraisemblables ragot sur l’interdit qui viendrait du premier de votre gouvernement, encore qu’il faille le vérifier dans un pays devenu effrayant en matière d’informations et de calomnies.
Interdire à la Ville de Dakar de poursuivre ses travaux de pavage de la capitale, serait comme interdire à une femme de faire sa toilette, de se parer pour être belle, accueillante, attirante ?
On peut vous critiquer comme on veut, Monsieur le Président, mais il est difficile de ne pas vous reconnaitre une détermination, une courageuse lucidité et une rage tranquille de ne pas céder un seul pouce à votre ligne d’airain de rendre à notre pays ses valeurs morales, par une discipline, sans laquelle, il est vain de bâtir une communauté de destin. Le Sénégal a eu mal et il est temps de trancher dans le vif pour que chacun sache désormais que rien de dégradant pour notre pays ne sera et ne pourra plus être permis.
Aucun Sénégalais ne comprendrait qu’on lui dise que notre capitale n’a pas besoin de paver ses trottoirs, ses rues, ses ruelles. On devrait l’imposer même à tous les maires du Sénégal. Terre du Sahel, nous sommes envahis par des marées et des océans de sable à longueur d’années. Qui vous dit par ailleurs que Dakar est une ville belle et praticable, celui-là a menti. Dakar n’est pas une ville, Dakar est une plaie à qui il arrive de se réveiller souvent la jambe bandée pour cacher sa gangrène. Dakar est une cité cernée, violée et désespérante dans l’état de vernis et de chaos où elle se trouve. Tenez, comment d’ailleurs peut-on une seule fois imaginer qu’on puisse, comme aujourd’hui, abandonner à son sort le Boulevard du Général de Gaulle? Une avenue symbolique et jadis belle aujourd’hui méconnaissable et indigne de nos décideurs politiques. Mais que se passe t-il donc pour qu’une occupation barbare et dégradante dure si longtemps? Si le maire de Dakar ne réagit pas enfin à ce drame -et il n’est pas de ses principes d’accepter une telle vomissure au cœur de sa ville- il est de votre devoir, Monsieur le président de la République, de faire prendre les mesures urgentes pour rendre à cette avenue sa lumière et sa solennité d’antan. Vous imaginez les Champs-Élysées occupés et envahis de cette manière si sauvage? Un État doit avoir de l’autorité et nous savons que vous n’en manquez pas Monsieur le Président quand la situation le commande ! Les Sénégalais savent désormais distinguer très vite ceux qui travaillent de ceux qui s’amusent.
Ce n’est pas pour rien, dit-on d’ailleurs, que vous avez tenu à nommer un Premier ministre hors du champ de la politique. Comme vous avez eu raison, Monsieur le Président ! Les politiciens ne font plus fortune. Ils ne font même plus rire. Nous ne sommes pas fatigués mais morts de continuer à entretenir une catégorie de dirigeants retors qui n’ont qu’un seul slogan à la bouche: aimez-moi et enrichissez-moi les uns les autres. Le Sénégal a changé et il a terriblement changé. Parce que vous le savez, il y a chez vous, Monsieur le Président, une sérénité implacable et un choix tenace de s’occuper avant tout de votre peuple, de ce peuple qui vous a élu, de ce peuple devenu exigeant et qui semble désormais avoir fait le pari de chasser plus de Présidents qu’il n’en élit.
Faire deux mandats est devenu improbable dans ce pays pressé et qui a raison de l’être. A ceux qui sont élus d’en prendre acte. Cela aussi vous le comprenez et c’est rassurant.
La réduction de votre mandat par vous-même de sept à cinq ans est un gage et un engagement qui vous honorent et qui vous disculpent d’un appétit irraisonné du pouvoir. Le peuple en a pris acte. Ce libre choix pourrait être payant, même si l’on sait que les Sénégalais sont moins sentimentaux côté marmite. Senghor disait bien que le peuple sénégalais est un peuple de fluctuants ! Ce qui pourrait vouloir dire que dans quatre ans, votre façon d’être et de gouverner, votre fermeté, votre honnêteté d’avouer que le chemin est difficile et que l’on ne peut pas tout réussir, pourrait jouer en votre faveur. Les Sénégalais savent être résolument déterminés, mais sans excès, dit-on. Mais allez savoir jusqu’où on peut être civilisé le ventre et les poches vides !
Il reste, s’il en était besoin, la question de savoir qui et ce qui pourrait vous empêcher d’accéder à un second mandat. D’abord vous-même. Vous êtes votre premier adversaire. Vos réussites compteront bien sûr, mais plus encore leur résonance et leur poids sur le quotidien du peuple sénégalais. Vous ne pourrez pas faire face à tous les foyers d’urgence. Aucun Président ne le peut, le voudrait-il de tout son cœur. Du cœur vous en avez Monsieur le Président, mais les défis économiques sont, eux, sans cœur. Cependant les Sénégalais, quoiqu’il arrive, prendront en compte votre combat, mais jusqu’où, une fois encore, celui-ci pèsera t-il sur leur vote le moment venu ?
Dans un autre registre, l’espace politique et civil, à ce jour, n’offre aucune visibilité sur une ou un candidat capable de vous battre -je ne dis pas de vous succéder- dans quatre ans. Mais l’horizon peut s’éclaircir très vite. Les anciens candidats à la présidentielle ne reviendront pas tous. Ceux qui ont été avalés par la coalition autour du Président ont très peu de chance. Ceux qui tenteront de s’en extraire auront du mal à se débarrasser de leurs zébrures aux yeux du peuple. Pour les futurs arrivants, Dieu qu’il leur faudra se démener pour accéder au pouvoir ! En un mot, vous avez toutes les chances de succéder à vous-même, car vous avez de l’avance et désormais du métier. Mais rien n’est jamais joué en politique. Il reste qu’il serait plus naturel -je ne dis pas rationnel- de vous concéder un second mandat et de vous laisser poser vos marques. Mais le naturel ne commande pas toujours la raison des peuples. Jusqu’ici pourtant, dans notre histoire politique, depuis Senghor, en passant par Diouf et Wade, les princes ont rempli au moins deux mandats. Vous pouvez, bien sûr, vous inscrire dans la même tradition. Des trois, vous êtes loin d’être le moins armé, le moins doué, mais sûrement celui qui aura le plus à travailler. Si vous gouvernez en faisant moins de bruit, en remaniant moins et fidèle à l’image que les Sénégalais vous reconnaissent: un chef discret, sobre, bien éduqué, humble, serein, responsable et résolument ferme, vous avez toutes les chances de vous voir pardonner des résultats économiques et sociaux qui pourraient ne pas être à la mesure de l’attente que l’on nourrissait sur votre premier mandat. Gardez votre Premier ministre aussi longtemps qu’il vous est possible de le faire, car c’est dans la durée que les résultats se confirment. Ne croyez pas à l’adage qui dit qu’un Président n’a pas d’amis. Songez à une loi pour combattre le cumul des mandats. Hâtez votre réforme de nos institutions. Ouvrez notre pays aux investisseurs dans des industries de production et de transformation. Donnez la priorité aux énergies alternatives comme le solaire. Développer l’esprit d’entreprise en garantissant l’octroi de crédits aux jeunes, particulièrement dans les banlieues. Investissez dans les écoles de métier pour votre jeunesse. L’Université doit être ressentie comme un lieu de réussite et non d’échec. Œuvrez pour une diplomatie familiale, mais sans faiblesse, pour les voisins à nos frontières. Dépassez les égoïsmes et la défense des intérêts particuliers. Ne vous barricadez-pas et pour cela prenez le temps d’aller vous-même à la rencontre des populations déshéritées.
Monsieur le Président, vous pourriez envisager en ces temps de crise et d’héritage douloureux, de programmer par secteur et par an, pour les quatre années qui restent de votre premier mandat, l’instauration d’une légère taxe de solidarité sur les billets d’avion -en effaçant les anciennes taxes gourmandes imposées par l’ancien régime et qui semblent courir encore- et sur l’importation des véhicules au profit de la santé, de l’agriculture, de l’éducation, de la culture. Cette taxe alimenterait et renforcerait chaque année, en apport au budget déjà consenti par l’État, les secteurs cités ou des programmes prioritaires d’urgence. Des pays plus nantis que nous ont adopté ce système. Une journée de salaire par an pourrait également être prélevée, secteur public et privé confondu, pour venir alternativement au secours des handicapés, du troisième âge où servir à l’équipement d’appareils d’analyse ou de chirurgie de haute technologie incontournables comme plateaux techniques minimas dans nos hôpitaux. Soyons créatifs et solidaires dans la recherche de ressources additionnelles. Notre pays est peu productif, notre croissance chétive, nos emprunts incompressibles, nos finances publiques sur le fil du rasoir. Les besoins sont énormes, la pression sociale intenable, le temps trop court et le couteau sur la gorge des gouvernants. Chaque franc doit compter. En effet, il arrive un moment où il faut choisir entre ce qui est nécessaire et ce qui est utile. Il faut plus penser aux démunis, les en bas de en bas. Être riche n’est pas certes une tare. La tare, c’est d’être un riche voleur.
Notre pays gardera longtemps dans sa chair et sa mémoire l’insoutenable razzia de ses fonds publics. C’est plus qu’un crime. C’est un génocide économique qui a eu comme lit le plus grand pourrissement et le plus effrayant délitement de nos valeurs sociales, culturelles et judiciaires. Ce fut un concours d’impostures indigne de l’histoire politique de notre pays et perpétré par des êtres de glace, sans cœur. Nous étions en face d’une race qui a atteint un raffinement de déperdition et de corruption sans nom, une race jamais imaginée de vampires et de prédateurs qui, dans leur exercice dévoyé du pouvoir, ont bu tout le sang du peuple. Terrible et inacceptable question, mais jusqu’où fallait-il d’ailleurs appliquer les lois de la guerre et des droits de l’homme à des tueurs de si basse humanité ?
Monsieur le Président, notre pays était devenu au km² la première fabrique mondiale de politiciens visqueux. C’était pour cette race le plus court chemin pour accéder à un niveau de confort et d’impunité jamais égalé, alors que le peuple trimait. Avec vous, notre pays tend à devenir moins producteur de politiciens prédateurs. Dans ce domaine, la natalité baisse. Elle s’éteint même.
Monsieur le président de la République, vous savez ce dont vous avez hérité, et sans doute vous en avez tremblé bien des soirs dans votre lit. Vos anciens ennemis de même parti vous accusent à longueur de journée -et cela durera encore longtemps- d’avoir fait partie de la ruine. N’oublions pas que dans toute ruine, il y a une aurore. Et c’est à cette aurore que le peuple sénégalais en choisissant de vous élire, a voulu confier son destin. Le verdict, tout le verdict est là. Si les grands Présidents viennent après de grandes calamités publiques comme cela se dit, Macky Sall devrait s’inscrire parmi ces grands nouveaux leaders qui manquent tant à l’Afrique. A vous de jouer. Notre vœu est que vous réussissiez pour que notre beau et si grand petit pays garde son cap démocratique et retrouve son rayonnement universitaire, culturel et artistique.
C’est en tenant les cactus dans vos mains, c'est-à-dire en affrontant à la fois les sondages les plus sombres et les obstacles les plus ardus, en allant au devant des difficultés et des impasses de toutes sortes, en résolvant des problèmes au risque que cela vous coûte l’impopularité, voilà comment, parmi d’autres voies, Monsieur le Président, vous sortirez notre nation de ses maux. Puissent la vertu être votre demeure, le devoir votre voie, la politesse votre vêtement, la réussite votre sceau. Gardez bien les pieds sur l’asphalte et la tête dans les champs rabougris et les cases sommaires de nos braves paysans !
Commençons désormais par peser ce pays qui nous est si cher avec des calebasses de sueur issues du labeur de nos fronts. Seulement après, laissons-le à la grâce de Dieu qui a tellement à faire et qui pourtant ne nous a jamais abandonnés!
Mes respects Monsieur le Président !
Amadou lamine Sall
poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
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