Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Je m’appelle Idy Demba Thiam, j’étais au Lycée Seydina Limamou Laye de Pikine, avant d’aller poursuivre mes études en France. J’ai fait une formation en informatique, électronique, automatique et je me suis spécialisé dans la conception de systèmes électroniques embarqués appelés communément informatique temps réel ou informatique industrielle. Je travaille depuis 2008 en France. Je suis actuellement pilote du FSD/BJ à Grenoble et membre du M23 Grenoble 38
Pourquoi vous n’êtes pas rentré au Sénégal pour y travailler ?
Je ne suis pas rentré au Sénégal pour la bonne et simple raison que les études en informatique industrielle et des projets de conception en système embarqué n’existent pas encore au Sénégal. Je ne suis pas revenu parce que mon pays ne m’offrait pas la possibilité de venir le servir.
Et comment jugez-vous les conditions de travail en France par rapport au Sénégal ?
Les conditions de travail dépendent du domaine dans lequel on évolue. Mais le code du travail diffère de celui du Sénégal. On ne peut pas multiplier les contrats à durée déterminée (cdd) ou les stages en France. Au Sénégal ces cdd sont même très prisés par les chercheurs d’emploi, parce que ça leur permet d’être en activité et d’acquérir de l’expérience. Ce qui est toujours mieux que rien. C’est une chance d’être en activité ici même si c’est dans des conditions précaires et difficiles .Alors que la législation en France oblige à transformer les CDD en CDI au bout d’un certain temps.
Parlez nous un peu des conditions de vie des étudiants en France?
Tout d’abord, comme vous devez le savoir, ce n’est jamais évident de quitter son pays. Quand on arrive c’est en résidence universitaire comme ici à la faculté. Il faut forcément de l’argent pour survivre .La France est différente du Sénégal où l’on a de la famille sur qui l’on peut compter de temps à autre. Au niveau financier ce n’est pas évident si on n’a pas de parents aisés pouvant nous envoyer de l’argent à la fin du mois. On est obligé parallèlement à ses études de travailler. Moi même j’ai travaillé comme serveur. Ce genre de boulot (serveur, plongeur, bar man ,vendeur, pompiste etc. …) est souvent occupé par les étudiants Donc, j’ai travaillé comme serveur malgré ma bourse d’excellence de l’Etat sénégalais ,une bourse qui s’élève à 300 euros par mois (prés de 200 milles francs CFA) .Mais il y a beaucoup de problèmes liés aux bourses car elles sont souvent attribuées dans des conditions nébuleuses qui ne tiennent pas assez compte de la notion de mérite et/ou des critères sociaux. Je peux dire qu’elles n’ont de sociale que le nom. On voit des fils de ministres, de députés, de fonctionnaires d’Etat ou d’ambassadeurs qui en bénéficient alors qu’ils n’en ont pas besoin ; en gros la plupart des boursiers sociaux n’ont pas besoin de cette bourse pour vivre. D’autre part il y’a des étudiants (et c’est la majorité) qui n’ont ni bourse sociale ni bourse d’excellence encore moins de parents pouvant leur envoyer de l’argent à la fin du mois. Ceux là sont obligés de travailler pour s’en sortir .A défaut de boulot, ces étudiants se regroupent pour aller solliciter l’aide de la communauté locale française par l’intermédiaire d’organismes sociaux.
Est-ce que l’Etat honore ses engagements vis-à-vis des boursiers ?
L’Etat n’honore pas tous ses engagements comme il se devrait. Beaucoup d’étudiants arrivent en France au mois de septembre avec une attestation de bourse et ne reçoivent leur premier virement qu’au mois de Mai de l’année suivante. La raison avancée est que les boursiers sociaux de l’année courante sont comptés dans le budget de l’année suivante. En plus ceux qui ont une aide peinent à recevoir leur argent. Les boursiers d’excellence ont beaucoup plus de chance car ils perçoivent leurs bourses dès le mois d’Octobre. Bref l’Etat envoie des étudiants en France et ne s’occupe pas d’eux.
Vous faites parti des membres du mouvement du 23 juin en France plus précisément à Grenoble, pouvez vous nous dire ce qui vous à motivé à manifester ce jour là ?
Il y’a une phrase qui est très prisée par les sénégalais en général et en particulier par les jeunes c’est : « je suis apolitique ».j’ai horreur de cette phrase. On est tous politisé que ce soit le journaliste, l’écrivain, l’ingénieur. Toutes les décisions politiques prises affectent notre vie de tous les jours ; alors on a intérêt à savoir ce qui se passe et au-delà comment ces décisions ont été prises. Donc je peux dire que je suis politique et politisé. Maintenant ce n’est pas forcément cela qui a motivé la mobilisation du 23 juin. A Grenoble le 23 juin on a organisé un sit in devant la préfecture de l’Isère. Ce sit in a été initié par un groupe d’étudiants qui se sont regroupés dans leur résidence pour décider de ne pas se laisser faire. Il y’a eu beaucoup de choses au Sénégal que les gens ont laissé passer mais la donne a changé ; avant les sénégalais ne s’occupaient pas de la constitution ni du code électoral .Les jeunes sont de plus en plus conscients du fait que les décisions qui sont prises au sommet de l’Etat affectent leur vie quotidienne. Tout ceci associé à un ras le bol généralisé du régime en place a poussé à la révolte. Ce vent de révolte souffle plus fort en France où les étudiants sénégalais, en plus de se sentir abandonnés, sont très sensibles au sort de leurs parents restés au pays. Ils en ont marre et s’engagent de plus en plus dans les partis politiques, les mouvements comme celui du 23 juin, « y’en à marre » etc. Ils y sont très présents pour un seul but : changer les choses. Ce n’était pas compliqué de mobiliser car ce que la loi proposait à savoir gagner les élections avec seulement 25% des suffrages sonnait mal à l’oreille .Nous vivons dans un pays, la France, qui est l’une des démocraties les plus exemplaires au monde. Quand on compare avec le Sénégal on est logiquement mécontent .C’est avec ce mécontentement généralisé et ce projet de loi voulant instituer un ticket avec un président et un vice président élus avec 25%, qui nous ont poussé à dire non. On m’a appelé à minuit pour me dire qu’on allait organiser un sit in devant la préfecture pour dire non à ce projet de loi. Je devais aller travailler mais j’ai accepté sans hésiter.
Est-ce qu’il n’y avait pas un leader politique derrière ?
Sincèrement non, il n’y avait aucun leader politique derrière. Aujourd’hui les jeunes s’identifient à certains leaders politiques mais n’en font pas des messies. Ces leaders là après tout ne sont que des personnes comme vous et moi, ils ont leurs qualités et leurs défauts comme tout le monde. Alors quand ils sont dans l’erreur les jeunes d’aujourd’hui n’hésitent pas à les rappeler à l’ordre.Moi en tout cas je n’hésiterai pas à dire à mon leader politique qu’il est dans l’erreur. Pour ce 23 juin il n’y avait aucun leader. Cinq jeunes étudiants de Grenoble ont fait des banderoles et des pancartes pour mobiliser toute une ville dont des commerçants, des cadres, des jeunes, des personnes âgées … pour dire non malgré des sensibilités politiques différentes .Et c’est ainsi que dans la foulée un mouvement du 23 juin a été créé sous forme d’une association bénéficiant d’un statut juridique à Grenoble.
Est-ce que vous continuez de mener vos activités sans aucun leader politique derrière ?
Moi par exemple je suis membre du Fsd /Bj et du mouvement du 23 juin à Grenoble. Au sein de ce mouvement nous avons des sensibilités socialistes, libérales et d’autres sont apolitiques. Pourtant on s’est retrouvé autour de l’essentiel c’est à dire lutter pour sauvegarder la démocratie, combattre la mal gouvernance dans notre pays et pour que les conditions des étudiants en France soient améliorées. Je souhaite notamment que la bourse soit portée à 450 euros au lieu des 300 euros actuels, qui sont insuffisants. Il vaudrait mieux avoir moins de boursiers, mais que leur condition de vie soit bonne, plutôt que de faire une politique du chiffre qui ne fait que maintenir nos étudiants dans la précarité. Il faut aussi qu’on arrête de donner des bourses sociales à des gens qui ne le méritent pas ou qui n’en ont pas besoin.
Venons-en à la situation actuelle du pays à savoir l’électricité, les inondations… ?
C’est un calvaire insoutenable, je suis en France depuis huit (8) ans, Il n’y a eu en tout et pour tout que deux coupures d’électricité : l’une a duré 5mn et l’autre 15 mn et c’était juste pour régler des problèmes techniques. Je suis de Pikine et je peux vous dire que la situation est vraiment intenable pour les populations et constitue un frein à l’économie. Les petites et moyennes entreprises qui sont les poumons de cette économie n’ont pas les moyens de recourir à des énergies alternatives comme les groupes électrogènes ou les panneaux solaires. Le tissu industriel est entrain de se déliter de manière exponentielle parce qu’on n’arrive pas à faire de cette question une priorité. Ils ont beau dire que c’est une priorité, les investissements ne sont ni suivis ni réels .Il y’a une nébuleuse au niveau des montages financiers permettant à des gens de s’enrichir sur le dos des sénégalais. Les investissements doivent inclure la recherche sur les énergies alternatives. En Afrique c’est aberrant de s’obstiner à vouloir faire de l’énergie qu’à travers les hydrocarbures. La solution existe mais il faudra investir dans la recherche et la technologie, permettre aussi à des sénégalais qui sont à l’étranger évoluant dans ces domaines de venir apporter leur expertise pour régler définitivement ce problème. On pourrait par exemple équiper toute l’administration en panneaux solaires.
Que pensez-vous des inondations et du chômage en banlieue en tant que natif de cette zone ?
D’abord je voudrai éclaircir une chose : la banlieue n’est pas une entité homogène. Il y’a beaucoup d’endroits où les gens vivent bien et ne correspondent pas forcément à l’image que l’on veut donner de la banlieue. J’ai l’impression que les médias associent toutes les misères et les souffrances du Sénégal à la banlieue. Maintenant les inondations, le taux de chômage élevé, l’insécurité…sont les choses les mieux partagés dans le Sénégal d’aujourd’hui. Quand je quittais le Sénégal, la situation n’était pas aussi grave. Ce qui me choque le plus c’est quand le gouvernement dit qu’il va se « préparer à faire face aux inondations » au lieu de tout faire pour qu’il n’y en ait plus. C’est l’une des raisons pour lesquelles quelqu’un comme Nicolas Sarkozy ne s’est pas gêné pour dire entre autres que « l’africain attend un eternel recommencement du cycle de la nature ». Concernant le chômage, une politique de formation professionnelle adéquate pour les jeunes doit être initiée ; le décrochage scolaire est aussi une réalité qu’il faut combattre.
La situation des jeunes diplômés ?
L’état est le principal employeur au Sénégal, mais la fonction publique ne peut pas absorber tous les jeunes diplômés. Ce n’est pas possible économiquement. Maintenant ce qu’il peut faire c’est faciliter la création d’entreprises et favoriser l’activité et la production en baissant les taxes pour les entreprises qui acceptent de recruter des jeunes. Au lieu de baisser l’impôt de la Sonatel, il faudrait baisser les charges patronales des PME , de sorte qu’elles puissent recruter les jeunes. Le problème également au Sénégal est que les gens ne sont pas orientés vers les nouvelles technologies au niveau des formations. Aujourd’hui la France est entrain de délocaliser en cherchant des sous traitants marocains, tunisiens, chinois…et parmi ces pays aucun ne parle français ; Pourquoi ne pas s’orienter vers la création d’entreprises qui pourraient profiter de ce marché ?
Que pensez-vous de la candidature de Wade ?
Elle n’est pas recevable car la constitution ne lui permet pas de se présenter. L’article 27 de notre constitution dit que le mandat du président est de cinq ans et est renouvelable une seule fois. L’article 104 qui est une disposition transitoire, a permis au président de finir son septennat vu qu’il a été élu sous l’empire de la constitution de 1963. Mais cet article précise qu’au delà de cette disposition, toutes les autres lui sont applicables. Donc il ne peut pas avoir plus de deux mandats.
Quel est votre avis sur les candidatures multiples, et les mouvements citoyens?
Tout ceci n’est qu’une preuve de la maturité démocratique du Sénégal .Les gens sont conscients du fait que le garant de la démocratie dans un pays c’est le peuple. Tout vient du peuple et tout retourne au peuple. Ce n’est pas forcément l’idéal d’avoir trop de candidats, mais il ne faudrait pas non plus que les sénégalais en soient réduits à choisir entre la peste et le choléra. Pour moi ceux qui sont au pouvoir et ceux qui l’ont déjà été ne constituent plus une alternative crédible, dans le mesure où ils sont tous comptables du bilan catastrophique et des échecs des gouvernements qui se sont succédés. Macky Sall, Idrissa Seck, Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng entre autres ne peuvent se prévaloir d’aucune expérience réussie dans la gestion des affaires de l’Etat, et n’en sont partis que contre leur gré. Aucun d’eux n’a démissionné, et tous se sont subitement enrichis au contact du pouvoir. Les sénégalais doivent prendre leurs responsabilités et exiger que l’intégrité, la morale, l’éthique, la crédibilité soient au cœur des débats. Le projet Sénégal est aujourd’hui un échec, et seule une alternative générationnelle pourra nous remettre sur la voie du développement.
Qui est selon vous le candidat qui incarne le plus l’alternative générationnelle que vous souhaitez?
Aujourd’hui, je pense que Cheikh Bamba Dièye représente ce nouveau type de sénégalais et de dirigeants politiques; il peut inspirer les sénégalais et les remettre au travail, tout en promouvant les valeurs qui fondent notre société. Son éthique, sa probité morale, son courage politique ne sont plus à démontrer, et c’est d’hommes et femmes comme lui dont le Sénégal a besoin. Il a une expérience politique et a déjà fait ses preuves à Saint Louis et à l’Assemblée Nationale. Son travail à l’assemblée nationale, et plus récemment sa présence auprès du peuple sénégalais le 23 juin dernier témoignent de sa constance et de sa détermination.
Votre avis sur le mouvement y’en a marre.
Ce mouvement est pour moi une bouffée d’oxygène, un bol d’air envoyé à la démocratie sénégalaise ; je suis de très près ce mouvement.les leaders de ce mouvement à travers leur discours et leurs actes ont montré que l’intérêt supérieur de la nation n’est pas négociable. Ils essaient également de ne pas sortir de leur trajectoire. C’est des gens qui ont pris leur destin en main. Ils ne trahissent pas leur mission car comme le disait Frantz Fanon, « chaque génération doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Ce sont des valeurs qu’ils partagent avec les jeunes du FSDBJ. « Yen a marre » fait des choses extraordinaires et j’ai envie que ça continue.
Pourquoi le FSDBJ?
Pendant longtemps, je me suis défini comme apolitique, comme la plupart des jeunes sénégalais .Et aujourd’hui j’ai mal quand j’entends cette phrase. J’ai rejoint le FSD pour apporter ma contribution dans la marche de mon pays. Vu que ce sont mes idées et mes convictions qui m’ont poussé à militer, et non l’argent ou un quelconque prestige, le choix du FSDBJ s’est imposé naturellement. Le Benno Jübel c’est un idéal, une autre façon de penser, de faire la politique. J’ai commencé à me renseigner et à suivre cheikh Bamba Dièye à travers des émissions qu’il faisait dans les medias de la diaspora, je l’ai même appelé pour l’interroger sur l’énergie, son projet de société, la candidature de Wade… Il s’est trouvé que j’étais en phase avec lui et le parti sur tous ces points et bien d’autres encore.
Envisagez-vous de rentrer au Sénégal ?
J’envisage de revenir au Sénégal dans quelques années, en espérant qu’entre temps on aura massivement investi dans le domaine dans lequel j’évolue. Si tel n’est pas le cas, je souhaite être l’un des pionniers dans ce domaine au Sénégal. C’est le minimum que je dois à mon pays, car l’Etat du Sénégal a financé mes études. J’ai envie de rentrer et de participer à la construction de mon pays.
Autres articles