Ce que Wade, son parti et son pouvoir n'ont pas compris (Abdou Kébé)


Ce que Wade, son parti et son pouvoir n'ont pas compris (Abdou Kébé)
Il y a 17 ans, nous découvrions un genre musical pas comme les autres. Entre deux cours, sur un terrain de basket, nous étions tombés sur un article qui faisait référence à un groupe mythique : le Positive black soul. Entre la beauté des mots et leur profondeur, nous étions tombés sous le charme du rap. La fin des années 90 et le début de l’an 2000 était un débat houleux qui opposait les real au fake. Le hardcore avait gagné en cette période ses lettres de noblesse. Il représentait la ligne dure du mouvement. Les irréductibles. Les adeptes de cette ligne dure voulaient conserver une notion essentielle au mouvement. La conscientisation positive des masses. C’étaient entre les contradictions que Xumann, membre de Pee Froiss, avait défini le real (le vrai rappeur) en ces termes : «Un real se définit par la profondeur de ses textes.» La recherche du beau pour l’éveil des consciences a toujours été le leitmotiv des «real» et, au-delà, de tout le mouvement hip-hop.
Le fantastique mouvement qui aujourd’hui veut instaurer un Nouveau type de Sénégalais (Nts) est né de cette volonté, toujours exprimé par des lyrics, de faire naître l’esprit critique, de blâmer l’injustice et de n’accepter de s’inscrire que dans le progrès. Y’en a marre est un cri du cœur à base de lyrics épicés d’une détermination sans faille. Leurs précurseurs, sans exception, appartiennent à la ligne dure du mouvement. Le hardcore. Leur engagement a juste changé de canal, mais ils n’ont jamais failli dans leur mission première. La voix des sans voix.
Le pouvoir n’a pas compris que ce cri du cœur, cette exaltation du désespoir et de l’amertume n’est autre chose qu’un vécu. Chaque Sénégalais vit cette exaspération. Y’en a marre a permis aux jeunes de s’exprimer, tout comme le studio permet aux rappeurs de mettre sur le marché un produit musical répété entre quatre murs. Le 23 juin était le jour de lancement de ce tube. Les Sénégalais, particulièrement les jeunes, sont sortis pour entonner en chœur leur refrain favori. Y’en a marre.
Mais, le pouvoir n’a toujours pas compris, que c’est le peuple qui est sorti ce 23 juin et que l’opposition n’en était pas le porte étendard. Elle était du public et a juste payé le billet pour assister au spectacle. Un spectacle en feu et lumière. C’est ainsi qu’avec des pierres, leur seule arme face aux propos guerriers des porte-parole du gouvernement et du Président, la jeunesse a sauvé la République qui tanguait.
Ce que le fils du Président n’a pas compris, c’est qu’il est l’exemple parfait d’un pouvoir sans éthique et sans scrupule. Il est le maître de la terre, du ciel et de la mer. Il est au-dessus de tout, même de la Justice. Les Sénégalais ont assisté médusés aux cuillères et clefs Usb aux prix démesurés, à la lampe allumée en plein jour et qui a coûté 8,5 millions francs Cfa. La banlieue, symbole du «Y’en marrisme», a attendu sa part sur le budget de 372 milliards qui finalement n’a servi qu’à un petit tronçon de voie qu’empruntent les nantis de la République bananière. La «machine de guerre» qu’il croit de l’autre côté et qui jouerait en sa défaveur, c’est lui-même qui en tient la gâchette. Il s’est explosé la cervelle comme Icare avec ses ailes brûlées alors qu’il se croyait déjà au sommet.
Ce que le pouvoir n’a pas compris, c’est que des carrières se sont brisées, des rêves ensevelies puisque le fils, du haut de son perchoir, croit seul détenir le pouvoir de faire ce qu’il veut et d’écraser tout obstacle sur son passage. Les Sénégalais sont exaspérés par ce fait.
Ce que le pouvoir n’a pas compris, c’est que Abdou Diouf jusqu’aux derniers moments avant sa chute historique en 2000 savait drainer des foules à coup de tee-shirts et de frais de transport. Mais quand la vérité a sonné, sortie des urnes, il n’avait d’autres choix que d’appeler celui aujourd’hui qui a choisi d’emprunter les mêmes voies de perdition. Le pouvoir oublie qu’un peuple libre n’est pas l’égal d’un peuple embarqué dans des véhicules pour satisfaire l’orgueil déclinant d’un père de la Nation aux abois. Une symphonie de liberté et de justice a tonné ce 23 juin. Le real a encore remporté son duel face au fake.
Ce que le pouvoir n’a pas compris, c’est que la France a assisté au spectacle à distance mais n’en est point l’organisateur encore moins le catalyseur. Pourquoi un 14 juillet pour répondre à celui qui aurait lâché celui qui doit «s’appliquer les conseils prodigués à Kadhafi» ? Ils font fausse route car la raison d’exister d’un gouvernement n’est pas de répondre à un autre pays, mais de satisfaire une population qui se croit laissée à elle-même. Le peuple sénégalais survit plus qu’il ne vit ; et il fallait un jour exprimer cette colère et cette déception. 2012 n’est plus loin et l’occasion sera donnée au peuple d’exprimer son Y EN A MARRE. Cet état d’esprit a jusqu’ici rendu «passif» mon peuple. Quand ils ont vu 2012 s’éloigner, leur espoir réduit à 25% et leur durée de vie à un tour, ils ont choisi, ardemment, d’exprimer leur lassitude. C’était un instinct collectif de survie. Des édifices ont été saccagés, nous le déplorons, mais nous nous posons aussi la question de savoir s’ils avaient d’autres choix. Le pouvoir a fait voler l’édifice la plus importante. La notion de République et d’étique. Rien d’autre n’avait de valeurs aux yeux de cette jeunesse à l’espoir vaincu. Le fils a appelé le «tonton» au secours. La patrie de la mère. Sa patrie. C’est une insulte.
Le discours que nous avons entendu exaspère plus que le silence coupable. Nous avons vu des hommes et des femmes aux antipodes des réalités vécues par les Sénégalais. Ils n’ont pu cerner les impératifs de l’heure, aveuglés qu’ils sont par les luxures du pouvoir. Nous avons entendu un président de la République renier ses propos d’hier. Nous nous sommes demandé un instant s’il avait tout son esprit. Il a osé dire n’avoir jamais déclaré un certain 1er mars 2007 qu’il lui était impossible de se représenter à une élection pour avoir brigué deux mandats successifs. Nous avons entendu un président de la République légitimer les découpages administratifs et la révocation des élus choisis par les populations. Mais le plus sidérant, c’est d’entendre le Président excuser le parjure et en être fier. Il se donne le droit de dire et de se dédire. C’est dramatique !
Ce que le pouvoir n’a pas compris, c’est que l’exaltation du «moi» n’aide pas à cerner les réalités, à faire un bon diagnostic afin d’établir un plan d’action fiable. Nous avons vu des hommes et des femmes applaudir à tout va, méprisant le peuple qui souffre. Nous avons vu un président de la République obnubilé par sa réélection, oubliant le peuple qui debout l’a élu. Mais personne n’a été surpris. En choisissant de parler à son parti, il a choisi de snober le peuple et de ne parler que de ses intérêts.
Voilà pourquoi, le 23 juillet une partie du peuple mobilisée à travers tout le pays essayera de donner un spectacle à la hauteur de celui du 23 juin. Ils n’ont pas compris et toujours pas que le spectacle du 23 juin a été une réussite parce que le peuple s’est payé lui-même le billet et qu’il a entonné avec toutes ses composantes un re¬frain aimé de tous : Y’en a marre. Ils ont pincé ensemble les koras, ont rugi et ont dompté le monstre qui voulait les apprivoiser.
Le pouvoir n’a tout simplement pas compris qu’«a vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitable les révolutions violentes». John Fitzgerald Kennedy de¬vait servir de leçon à Me Abdoulaye Wade. Ce dernier devait garder son idéal en perdant ses illusions (la dévolution monarchique du pouvoir) afin de rester dans la vraie politique. Le jour se lève …
Désormais «il y aura un avant 23 juin et un après 23 juin». L’opposition aussi doit le comprendre. C’est au tour du peuple de prendre la parole et de définir les contours de la gestion de notre bien commun : Le Sénégal. L’arrogance, le népotisme et la démagogie ne seront plus acceptés. Le peuple a exprimé sa lassitude et a repris ce qui lui revient de fait : La souveraineté nationale. Aucune impunité ne sera acceptée. La justice pour tous est désormais réclamée. Il a été enseveli «un quart de siècle à la défense des libertés et à la conquête des droits individuels et collectifs». Abdoulaye Wade a joué et perdu. La dévolution monarchique a ainsi été ensevelie pour toujours. Il y a eu un 22 mars 2009 et un 23 juin 2011, il y aura inéluctablement un 26 février 2012. Ce sera à notre tour de prendre la parole, d’exprimer notre ras-le-bol et de choisir de meilleurs dirigeants.
Désormais aucun groupuscule d’individus assoiffés de pouvoir ne s’accaparera des biens appartenant à tout le monde. La volonté populaire sera prise en compte. La Justice indépendante et le Parlement des vrais représentants du peuple.
La gestion des affaires publiques ne doit plus être entre les mains d’hommes douteux, mais managée par des hommes de compétences et de vertus. Les tortueux doivent être poursuivis, les voyous emprisonnés. Peu importe le nom de famille.
Les hommes politiques, dans leur ensemble doivent comprendre, comme disait l’autre, que ceux qui ont trouvé tant de moyens d’étouffer la liberté où elle est née, n’en ont encore trouvé aucun pour l’empêcher de naître et de faire explosion là où elle ne s’est jamais montrée.
La nuit a trop duré, mais le jour se lève dans l’amertume pour un souffle nouveau. Il y a désormais l’émergence d’un Nouveau type de Sénégalais qui réclame plus de considération et de respect, et qui foulera au pied toute désinvolture. C’est le peuple qui donne le pouvoir et cela, les Sénégalais l’ont compris.

Abdou KEBE – Le déçu de l’Alternance
Mercredi 19 Octobre 2011
fallou_mar@yahoo.fr




1.Posté par samba le 20/10/2011 01:52
Abdou, ton texte c'est du vrai hardcore , et c'est la verite absolue.je suis sans pour cent avec toi.

2.Posté par abou le 20/10/2011 09:56
MERCI pour votre resume de ce calvaire que vive la population senegalaise, et j'espere l'eveil des consciences sera activé car il est temps de prendre le devenir de notre pays en main .



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