Interrogatoires sous le régime de la garde à vue : La grande confession du colonel Abdourahim Kébé

Le colonel à la retraite Abdourahim Kébé a été inculpé hier et placé sous contrôle judiciaire pour provocation directe à un attroupement armé suite à une information judiciaire confiée au juge du premier cabinet. Intercepté par la Section de Recherches de la gendarmerie à Saint-Louis puis interrogé sous le régime de la garde à vue en présence de son avocat, l'ancien patron de la Dirpa a tenu un discours très éloigné de la virulence contenue dans le post Facebook à l'origine de son interpellation. Révélations exclusives.


Après plusieurs heures passées dans la cave du Palais de Justice, le colonel à la retraite Abdourahim Kébé a fait face, hier, au doyen des juges, Samba Sall. Auparavant, le ministère public avait saisi le magistrat instructeur d'un réquisitoire introductif dans lequel il réclamait l'inculpation, sous le régime du contrôle judiciaire du mis en cause présumé pour provocation directe à un attroupement armé. C'est d'ailleurs pour ce délit que l'ancien colonel a été inculpé. À charge pour lui de se présenter dans la cabinet du juge pour "émarger" comme l'exige ce statut. Si le parquet a écarté de fait le mandat de dépôt et l'article 80 qui planait sur la tête du cadre de Rewmi, c'est parce que face aux enquêteurs de la Section de Recherches, Abdourahim Kébé s'est montré très prudent, pour ne pas dire…
Contrairement aux informations ayant circulé, il n'a jamais été entendu sur un fichier audio mais exclusivement sur deux points. À savoir le post facebook dans lequel il écrivait : "Sénégalais debout. Une riposte énergétique du peuple s'impose. Face à ce qui apparaît comme un hold-up électoral que veulent nous imposer les valets de Macron, une seule attitude, la révolte populaire. Nous ferons comprendre à la France que le Sénégal n'est pas un pays banania, et au pouvoir, que la confiscation de la volonté populaire ne sera pas acceptée" et le fait d'avoir manqué à son droit de réserve. 
D'emblée, Abdourahim Kébé a précisé que son post avait été publié juste à la fin de la campagne électorale. Pourquoi alors parler de holp-up électoral pour une élection qui n'avait pas encore lieu : "Il faut s'avoir que c'était une question d'actualité et les informations circulaient librement sur des pratiques malsaines des tenants du Pouvoir voulant faire du forcing électoral. Ceci étant un secret de polichinelle, je voudrai préciser que compte tenu de mon back ground, je suis profondément républicain, respectueux de la stabilité des institutions de la République. Si le Sénégal, malgré ses turbulences politiques reste un exemple de stabilité dans la sous-région, c'est surtout grâce à la loyauté des cadres de l'armée et la gendarmerie et je suis jaloux de ce Sénégal stable", confesse Abdourahim Kébé avait de comparer son post à celui plus "incisif" de Macky Sall menaçant alors, en 2012, de déloger Wade s'il tripatouillait les résultats de l'élection. 
N'empêche dans son post, Abdourahim Kébé appelle à la révolte populaire après avoir demandé aux Sénégalais de se mettre "debout" pour une "riposte énergétique" du "peuple" qui "s'impose". Sentant le piège lorsqu'il est interrogé sur ce point par les gendarmes, l'ancien patron de la Dirpa esquive : "Il faut le prendre au sens littéraire du terme, à ce titre la riposte populaire peut être perçue comme un appel à une réaction démocratique énergétique pour que les votants se mobilisent massivement en étant conscients que leurs cartes d'électeur est leur arme. Au lieu de parler de fusil ou d'actes violents, il s'agit tout simplement du bon usage de la carte d'électeur". 

"Il faut le prendre au sens littéraire" dit-il, les gendarmes sortent le dictionnaire 

Sans désemparer, les gendarmes exhibent le...dictionnaire et indiquent au gardé à vue les différentes définition du mot "révolte" qui rime souvent avec rébellion et mutinerie. Le colonel conteste : "Je ne pense pas . Je retiens dans la définition le mot "terme générique". Il s'agissait d'inciter les populations à utiliser leurs armes qui est leur carte d'électeur", persiste t-il. Autre curiosité, pourquoi alors s'il n'avait rien à se reprocher le colonel Kébé a supprimé le post de sa page Facebook? "(…) Je ne voulais pas qu'il y ait des amalgames puisque nous rêvons d'un Sénégal de paix et de stabilité (…) Nous n'avons jamais cautionné l'appel à la révolte et à la violence. Depuis le jour du vote, jusqu'à maintenant, je suis sorti de ma maison à Saint-Louis que le vendredi et c'était pour aller à la prière. C'est aujourd'hui que j'ai été cueilli par les éléments de la Sr alors que je préparais mes cours du lundi à l'Ucad". 
Mais les gendarmes n'étaient pas prêts de laisser du lest. C'est ainsi qu'ils ont demandé au colonel Kébé qui sont les "valets de Macron" évoqués dans son post. "J'assume entièrement cette déclaration dans la mesure où il y a une hégémonie française au Sénégal", argue Kébé "oubliant" de répondre au "qui sont?". Les enquêteurs le relancent sur l'identité de "ces valets", mais le colonel Kébé qui connaît les risques se veut….républicain : "C'est tout ce que je peux dire". 

"J'ai supprimé le post parce que…", confesse-t-il et refuse de citer les "valets de Macron" évoqués dans son post. 

Autre fait : les gendarmes ont signalé à Abourahim Kébé que tous les officiers admis à la retraite qu'ils soient subalternes ou supérieurs ou officiers généraux sont assujettis à l'obligation de réserve. Le colonel Kébé a t-il violé cette obligation à travers son post? "Je ne le pense pas", glisse l'intéressé. Qui ne manque pas de lancer : "Si c'est par rapport à la politique, je préciserai qu'il y'a des officiers généraux et supérieurs admis à la retraite qui militent activement au sein de l'Apr. Cette question intéresse plutôt les officiers généraux. Je suis d'avis que je suis en possession de mes droits civiques et que j'ai le droit de les exercer pleinement. Je préciserai toutefois qu'il ne me vient pas à l'esprit de violer le devoir de réserve notamment en ce qui concerne les activités pouvant porter atteinte à la sécurité de l'État et aux institutions de la République". Ambiance…
Mercredi 6 Mars 2019




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