Dans les relations entre l’Afrique et la France, le discours de Mitterrand à la Baule et celui de Macron à Ouagadougou sont des tournants. Au sommet France Afrique de la Baule de juin 1990, Mitterrand annonce aux dirigeants africains qu’avec la chute du mur de Berlin et la dislocation du bloc communiste, «le souffle de la démocratie fera le tour de la planète» et donc qu’il était temps de fermer la page des dictatures et des régimes despotiques que l’Occident a toujours tolérés sous prétexte de guerre froide, pour aller vers le multipartisme et la démocratie. Le Maitre français ayant donné des ordres, tous les élèves africains vont sagement s’y mettre. De multipartisme, il y en aura beaucoup, mais peu de démocratie car, dans beaucoup de ces pays, les élections au lieu d’être un mécanisme de remise en jeu du pouvoir comme au Sénégal ou au Cap Vert, ne seront qu’un simple mécanisme de re-légitimation du pouvoir en place (les 2 Congo, le Togo, le Tchad,…).
Avec la Baule, Mitterrand confirme le primat des causes exogènes sur l’évolution politique des pays africains, alors qu’à Ouagadougou, Macron est venu constater que les causes endogènes l’emportent désormais car les Burkinabè comme les Français un certain 14 juillet 1789, ont chassé le tyran. Ils ont mis fin aux dérives de l’Etat légal (utiliser sa majorité et la loi pour se maintenir éternellement au pouvoir en changeant les règles du jeu au gré de ses intérêts politiques du moment). Ce qui est le contraire de l’Etat de Droit, où il y a un consensus sur les règles du jeu. Le Sénégal et le Benin ont ouvert la page du primat des causes endogènes. Le Benin n’a pas attendu la Baule pour faire sa conférence nationale et au Sénégal en l’an 2000, il était évident que la France, pour éviter un «saut dans l’inconnu» avec Wade, comme disait Foccart, était du côté de Diouf.
Mais les Sénégalais en ont décidé autrement avec l’alternance. Si les Gabonais et les Togolais ne l’ont pas encore fait, c’est parce que l’opposition n’a pas encore suffisamment de forces sociales pour imposer le changement, ou ne veulent en payer le prix. Les discours sur les causes exogènes (colonisation, esclavage, balkanisation du continent) sont des tentatives de déculpabilisation des élites politiques africaines.
Soixante ans après les indépendances, si le Gabon, un pays pétrolier avec moins de 2 millions d’habitants, n’a pas le même train de vie que le Qatar, ce n’est certainement pas dû à la colonisation ou à l’esclavage ou au congrès de Berlin.
Les causes endogènes l’emportent sur celles exogènes, sinon pourquoi la Corée du Sud qui avait sensiblement le même Pnb que le Sénégal en 1960, est devenue membre du G20 alors que le Sénégal est encore un pays sous-développé. Ces exemples permettent de comprendre pourquoi le Tiers-monde qui regroupait les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, est devenu un club africain, l’Inde et la Chine ayant quitté le tiers-monde pour le premier monde, pour paraphraser le livre de Lee Kwan Yew de Singapour, «From third world to the first».
Pendant la colonisation, les Blancs étaient présents en Afrique et en Asie. Quand ils ont été obligés de partir (Inde) ou été chassés (Viet Nam, Algérie), les Asiatiques ont pris leur destin en main alors que les Africains, dans une logique de servitude volontaire, sont toujours en quête de maitre, d’où les sommets France-Afrique, Chine-Afrique, Inde-Afrique et bientôt Singapour-Afrique ou Liechtenstein-Afrique.
A Ouagadougou, Macron parle de nouvelle génération, d’une nouvelle culture politique (quand il y a un évènement comme la colonisation, qui marque toute une génération et crée des façons de penser et de comportement). Ainsi Senghor, Diouf et Wade, malgré toutes leurs différences, appartiennent à la même culture politique. C’est cette culture politique qui explique qu’après avoir été Présidents du Sénégal, ils retournent en France comme Pierre Messmer, le dernier gouverneur de l’Aof. C’est cette culture politique qui fait qu’ils sont toujours plus soucieux de ce qu’on pense d’eux à Saint Germain des Prés qu’à Sandaga. C’est pourquoi Senghor a réservé la primeur de sa démission au journal Le Monde, Diouf sa première sortie sur l’opération Gabou au Palais Bourbon et Wade, toutes ses grandes déclarations au perron de l’Elysée.
Macron appartient à une autre génération, mais les Africains, contrairement aux Asiatiques, continuent de refuser le sevrage, d’où l’ambiguïté des relations avec la France. Quand elle intervient, on dénonce l’ingérence, le néo-colonialisme. Quand elle ne fait rien, on dénonce l’indifférence, parce que nos élites politiques (majorité comme opposition) sont convaincues que c’est la France qui fait et défait, comme du temps de l’opération Barracuda qui a chassé Bokassa du pouvoir.
Pour comprendre les ambiguïtés entre la France et les pays africains, j’ai relu les mémoires de Pierre Messmer, «Les Blancs s’en vont». C’est le titre du livre qui retrace les mémoires du dernier Gouverneur général de l’Aof. Les Blancs sont de retour, même s’ils ne sont jamais partis à cause de l’incapacité des Africains sur des questions de défense au Mali, ou pour régler leurs conflits politiques internes comme en Côte d’Ivoire, devant une Union africaine évanescente. Messmer écrit : «La France est un gendarme blanc en Afrique noire et parmi les exceptions françaises, il en est une rarement citée : La France est le seul pays non africain présent militairement en Afrique.» Ce qui fait donc de la France une «puissance africaine», comme le disent les stratèges nigérians depuis fort longtemps. Les «Blancs sont de retour».
Mais en réalité, ils ne sont jamais partis. Les interventions se faisaient dans les années 60-70 parce que la France estimait avoir un droit naturel et historique de regard et d’intervention dans le pre-carré. C’est une doctrine de Foccart qui était à l’Afrique ce que la doctrine de Monroe a été à l’Amérique Latine. Aujourd’hui, les interventions se font sous le couvert des Nations-Unies et non plus par un droit de regard naturel, parce que le pre-carré est une chasse gardée. De Foccart jusqu’au parapluie de l’Onu, c’est la même constante : la France est une puissance africaine et l’Onu le reconnait très bien car, dans la division du travail, elle donne un cachet légal et la France s’occupe du volet militaire comme au Mali.
Seules les interventions militaires en Afrique confèrent encore à la France les attributs de grande puissance car, son savoir-faire africain est son avantage comparatif. Et l’Onu ne s’y trompe pas. Les interventions au Mali, en Rca et la crise en Côte d’Ivoire illustrent à merveille que l’Union africaine n’est qu’un machin sans grande utilité. La France est encore une «puissance africaine» parce que c’est dans l’intérêt de la France et surtout du refus du sevrage par ses «grands enfants africains», qui refusent d’arrêter de téter, bien que âgés de près de 60 ans.
Lors de la crise algérienne, De Gaulle avait dit que «la France de Papa est morte, ceux qui ne l’ont pas compris mourront avec elle». A Ouaga, Macron a dit la même chose aux Africains, en disant qu’il n’y a plus de politique africaine de la France. La France de Papa, c’était les paras français pour chasser Bokassa ou remettre Leon Mba au pouvoir. Cette France est morte à La Baule et enterrée à Ouaga, parce que l’intervention militaire pour aider un pays victime d’une agression extérieure est prévue dans les accords de défense, sans être jamais automatique. Depuis la chute du mur de Berlin, il n’y a presque plus d’agression extérieure ou de guerre entre Etats, mais que des conflits internes. La France est intervenue au Mali parce que le monde ne pouvait pas accepter qu’après l’Afghanistan des talibans, des terroristes puissent disposer d’un Etat. Donc, l’intervention ne dépend pas des accords, mais bien de la volonté du gouvernement français en place. Ce qui permet de comprendre pourquoi il n’y a pas eu une intervention en décembre 1999 lors du coup d’Etat de Guei et pourquoi il y en a eu en septembre 2002.
En 1999, la France était sous une cohabitation et bien que le Président soit chef des armées, la décision d’envoyer des troupes relevait du Premier ministre, en l’occurrence Jospin, qui a mis son veto, ce qui n’était plus le cas en 2002. Cela permet aussi de comprendre pourquoi sous De Gaulle on a envoyé des paras remettre Leon Mba au pouvoir au Gabon en 1964, et refusé ce privilège à Fulbert Youlou au Congo un an auparavant, et à Hamani Diori en 1974 au Niger. Aujourd’hui, la France ne veut plus intervenir dans les questions internes comme au Burkina où elle s’est contentée d’exfiltrer le tyran. L’intervention au Mali va probablement être une des dernières grandes interventions militaires de la France, qui ne voudra plus jouer au «gendarme blanc» en Afrique noire.
La création du G5 Sahel et la demande d’une plus grande implication militaire du Sénégal au Mali sont des signes manifestes de la lassitude du «gendarme blanc». La France de Papa est morte. Les jeunes Africains ne la regretteront pas comme ils ne regretteront pas non plus l’Afrique de Papa avec ses dictateurs, ses despotes et ses Etats prébendiers. C’est pourquoi la révolution burkinabè est un «superbe lever de soleil», comme avait dit Hegel de la révolution française. Et cette clarté brutale met à nu les anachronismes des régimes dynastiques et des dictateurs africains qui seront bientôt balayés par le «souffle de la démocratie» et de l’histoire.
Yoro DIA
Avec la Baule, Mitterrand confirme le primat des causes exogènes sur l’évolution politique des pays africains, alors qu’à Ouagadougou, Macron est venu constater que les causes endogènes l’emportent désormais car les Burkinabè comme les Français un certain 14 juillet 1789, ont chassé le tyran. Ils ont mis fin aux dérives de l’Etat légal (utiliser sa majorité et la loi pour se maintenir éternellement au pouvoir en changeant les règles du jeu au gré de ses intérêts politiques du moment). Ce qui est le contraire de l’Etat de Droit, où il y a un consensus sur les règles du jeu. Le Sénégal et le Benin ont ouvert la page du primat des causes endogènes. Le Benin n’a pas attendu la Baule pour faire sa conférence nationale et au Sénégal en l’an 2000, il était évident que la France, pour éviter un «saut dans l’inconnu» avec Wade, comme disait Foccart, était du côté de Diouf.
Mais les Sénégalais en ont décidé autrement avec l’alternance. Si les Gabonais et les Togolais ne l’ont pas encore fait, c’est parce que l’opposition n’a pas encore suffisamment de forces sociales pour imposer le changement, ou ne veulent en payer le prix. Les discours sur les causes exogènes (colonisation, esclavage, balkanisation du continent) sont des tentatives de déculpabilisation des élites politiques africaines.
Soixante ans après les indépendances, si le Gabon, un pays pétrolier avec moins de 2 millions d’habitants, n’a pas le même train de vie que le Qatar, ce n’est certainement pas dû à la colonisation ou à l’esclavage ou au congrès de Berlin.
Les causes endogènes l’emportent sur celles exogènes, sinon pourquoi la Corée du Sud qui avait sensiblement le même Pnb que le Sénégal en 1960, est devenue membre du G20 alors que le Sénégal est encore un pays sous-développé. Ces exemples permettent de comprendre pourquoi le Tiers-monde qui regroupait les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, est devenu un club africain, l’Inde et la Chine ayant quitté le tiers-monde pour le premier monde, pour paraphraser le livre de Lee Kwan Yew de Singapour, «From third world to the first».
Pendant la colonisation, les Blancs étaient présents en Afrique et en Asie. Quand ils ont été obligés de partir (Inde) ou été chassés (Viet Nam, Algérie), les Asiatiques ont pris leur destin en main alors que les Africains, dans une logique de servitude volontaire, sont toujours en quête de maitre, d’où les sommets France-Afrique, Chine-Afrique, Inde-Afrique et bientôt Singapour-Afrique ou Liechtenstein-Afrique.
A Ouagadougou, Macron parle de nouvelle génération, d’une nouvelle culture politique (quand il y a un évènement comme la colonisation, qui marque toute une génération et crée des façons de penser et de comportement). Ainsi Senghor, Diouf et Wade, malgré toutes leurs différences, appartiennent à la même culture politique. C’est cette culture politique qui explique qu’après avoir été Présidents du Sénégal, ils retournent en France comme Pierre Messmer, le dernier gouverneur de l’Aof. C’est cette culture politique qui fait qu’ils sont toujours plus soucieux de ce qu’on pense d’eux à Saint Germain des Prés qu’à Sandaga. C’est pourquoi Senghor a réservé la primeur de sa démission au journal Le Monde, Diouf sa première sortie sur l’opération Gabou au Palais Bourbon et Wade, toutes ses grandes déclarations au perron de l’Elysée.
Macron appartient à une autre génération, mais les Africains, contrairement aux Asiatiques, continuent de refuser le sevrage, d’où l’ambiguïté des relations avec la France. Quand elle intervient, on dénonce l’ingérence, le néo-colonialisme. Quand elle ne fait rien, on dénonce l’indifférence, parce que nos élites politiques (majorité comme opposition) sont convaincues que c’est la France qui fait et défait, comme du temps de l’opération Barracuda qui a chassé Bokassa du pouvoir.
Pour comprendre les ambiguïtés entre la France et les pays africains, j’ai relu les mémoires de Pierre Messmer, «Les Blancs s’en vont». C’est le titre du livre qui retrace les mémoires du dernier Gouverneur général de l’Aof. Les Blancs sont de retour, même s’ils ne sont jamais partis à cause de l’incapacité des Africains sur des questions de défense au Mali, ou pour régler leurs conflits politiques internes comme en Côte d’Ivoire, devant une Union africaine évanescente. Messmer écrit : «La France est un gendarme blanc en Afrique noire et parmi les exceptions françaises, il en est une rarement citée : La France est le seul pays non africain présent militairement en Afrique.» Ce qui fait donc de la France une «puissance africaine», comme le disent les stratèges nigérians depuis fort longtemps. Les «Blancs sont de retour».
Mais en réalité, ils ne sont jamais partis. Les interventions se faisaient dans les années 60-70 parce que la France estimait avoir un droit naturel et historique de regard et d’intervention dans le pre-carré. C’est une doctrine de Foccart qui était à l’Afrique ce que la doctrine de Monroe a été à l’Amérique Latine. Aujourd’hui, les interventions se font sous le couvert des Nations-Unies et non plus par un droit de regard naturel, parce que le pre-carré est une chasse gardée. De Foccart jusqu’au parapluie de l’Onu, c’est la même constante : la France est une puissance africaine et l’Onu le reconnait très bien car, dans la division du travail, elle donne un cachet légal et la France s’occupe du volet militaire comme au Mali.
Seules les interventions militaires en Afrique confèrent encore à la France les attributs de grande puissance car, son savoir-faire africain est son avantage comparatif. Et l’Onu ne s’y trompe pas. Les interventions au Mali, en Rca et la crise en Côte d’Ivoire illustrent à merveille que l’Union africaine n’est qu’un machin sans grande utilité. La France est encore une «puissance africaine» parce que c’est dans l’intérêt de la France et surtout du refus du sevrage par ses «grands enfants africains», qui refusent d’arrêter de téter, bien que âgés de près de 60 ans.
Lors de la crise algérienne, De Gaulle avait dit que «la France de Papa est morte, ceux qui ne l’ont pas compris mourront avec elle». A Ouaga, Macron a dit la même chose aux Africains, en disant qu’il n’y a plus de politique africaine de la France. La France de Papa, c’était les paras français pour chasser Bokassa ou remettre Leon Mba au pouvoir. Cette France est morte à La Baule et enterrée à Ouaga, parce que l’intervention militaire pour aider un pays victime d’une agression extérieure est prévue dans les accords de défense, sans être jamais automatique. Depuis la chute du mur de Berlin, il n’y a presque plus d’agression extérieure ou de guerre entre Etats, mais que des conflits internes. La France est intervenue au Mali parce que le monde ne pouvait pas accepter qu’après l’Afghanistan des talibans, des terroristes puissent disposer d’un Etat. Donc, l’intervention ne dépend pas des accords, mais bien de la volonté du gouvernement français en place. Ce qui permet de comprendre pourquoi il n’y a pas eu une intervention en décembre 1999 lors du coup d’Etat de Guei et pourquoi il y en a eu en septembre 2002.
En 1999, la France était sous une cohabitation et bien que le Président soit chef des armées, la décision d’envoyer des troupes relevait du Premier ministre, en l’occurrence Jospin, qui a mis son veto, ce qui n’était plus le cas en 2002. Cela permet aussi de comprendre pourquoi sous De Gaulle on a envoyé des paras remettre Leon Mba au pouvoir au Gabon en 1964, et refusé ce privilège à Fulbert Youlou au Congo un an auparavant, et à Hamani Diori en 1974 au Niger. Aujourd’hui, la France ne veut plus intervenir dans les questions internes comme au Burkina où elle s’est contentée d’exfiltrer le tyran. L’intervention au Mali va probablement être une des dernières grandes interventions militaires de la France, qui ne voudra plus jouer au «gendarme blanc» en Afrique noire.
La création du G5 Sahel et la demande d’une plus grande implication militaire du Sénégal au Mali sont des signes manifestes de la lassitude du «gendarme blanc». La France de Papa est morte. Les jeunes Africains ne la regretteront pas comme ils ne regretteront pas non plus l’Afrique de Papa avec ses dictateurs, ses despotes et ses Etats prébendiers. C’est pourquoi la révolution burkinabè est un «superbe lever de soleil», comme avait dit Hegel de la révolution française. Et cette clarté brutale met à nu les anachronismes des régimes dynastiques et des dictateurs africains qui seront bientôt balayés par le «souffle de la démocratie» et de l’histoire.
Yoro DIA
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