Selon le garde des sceaux, les changements majeurs concernent en réalité la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les infractions liées à la navigation maritime. « Pour une lutte efficace contre le terrorisme sous toutes ses formes, certaines infractions commises en bande organisées et toute autre forme d’économie parallèle, il convient d’élargir la palette des infractions de financement du terrorisme, de donner une vocation plus englobante de l’infraction d’association de malfaiteurs, fixer un régime général de la responsabilité pénale des personnes morales et repenser le régime des confiscations, par une refonte du droit y relatif », dit l’exposé des motifs.
Au sujet de la répression des faits de financement du terrorisme, l’exposé des motifs indique qu’elle n’avait pas été couverte par la loi n°2018-03 du 23 février 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Pour corriger ces imperfections, l’article 279-6 a été considérablement modifié.
Adoptée en février 2018, conformément à la directive 02/2015 du Conseil des ministres de l’Union économique monétaire ouest-africaine (UEMOA), la loi n°2018-03 entend par financement du terrorisme « tout acte commis par une personne physique ou morale, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, a délibérément fourni ou réuni des biens, fonds et autres ressources financières dans l’intention de les utiliser ou sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en partie, en vue de la commission d’un ou de plusieurs actes terroristes, d’un ou de plusieurs actes terroriste par une organisation terroriste, d’un ou de plusieurs actes terroristes, par un terroriste ou un groupe de terroriste ». « La commission d'un ou de plusieurs de ces actes constitue une infraction. La tentative de commettre une infraction de financement du terrorisme ou le fait d'aider, d'inciter ou d'assister quelqu'un en vue de la commettre, ou le fait d'en faciliter l'exécution, constitue également une infraction de financement du terrorisme. L'infraction est commise, que l'acte visé au présent article se produise ou non, ou que les biens aient ou non été utilisés pour commettre cet acte. L'infraction est commise également par toute personne physique ou morale qui participe en tant que complice, organise ou incite d'autres à commettre les actes susvisés. La connaissance ou l'intention, en tant qu'éléments des activités susmentionnées, peuvent être déduites de circonstances factuelles objectives », articule la loi de février 2018.
Il convient de rappeler que la lutte contre le financement du terrorisme a fait son entrée dans le code pénal sénégalais en 2007, en même temps que les premiers textes visant les actes de terrorisme. « Le Sénégal a réaménagé sa législation afin de prévoir et renforcer les sanctions contre les auteurs jugés extrémistes ou terroristes. En effet; par une loi n° 2007-04 du 12 février 20017 relative à la lutte contre les actes de terrorisme, le gouvernement du Sénégal a amendé son Code pénal pour criminaliser les actes terroristes tels que définis par la Convention de l'Organisation de l'Unité africaine sur la Prévention, et la Lutte contre le Terrorisme. De plus, 12 articles séparés du Code pénal permettent au gouvernement du Sénégal de poursuivre en justice les activités terroristes », fait constater la mission permanente du Sénégal auprès des Nations Unies.
Dans ladite loi modifiant le code pénal, c’est l’article 279-3 qui s'occupait du financement du terrorisme par ces termes : « constitue un acte de terrorisme, le fait de financer directement ou indirectement une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l’intention de voir ces fonds, valeurs ou bien utilisés ou en sachant qu’ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie en vue de commettre un acte terroriste. »
La peine de mort étant abolie au Sénégal depuis 2004, les travaux forcés à perpétuité étaient prévus à l'encontre des personnes coupables de ce crime. Pour compléter et renforcer le dispositif de lutte contre la criminalité transnationale, l’Union économique monétaire ouest africaine exige de ses États membres en son article 27, d’adopter la directive n°04-2007 du Conseil des ministres de l’institution. Par conséquent, la Loi Uniforme relative à la lutte contre le financement du terrorisme est adoptée au Sénégal en mars 2009.
L’année 2016 a vu évoluer le code pénal sénégalais avec l’intégration d’autres infractions liées au terrorisme. Entre-temps, une grande traque est lancée sur son sol et à l’étranger pour mettre la main sur ses nationaux soupçonnés de faire partie ou d’être en lien avec des organisations djihadistes. Dans la loi n°2016-29 du 08 novembre modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant code pénal, l’article 279-3 qui mettant en avant dans celle de 2007 la lutte contre le financement du terrorisme, est ainsi libellé : « toute personne qui fournit ou propose de fournir des armes à un groupe, à un membre d’un groupe ou à toute autre personne pour sa participation à la commission d’un acte terroriste, est punie de la peine de travaux forcés à perpétuité. »
Sous sa forme présentée et finalement adoptée par les députés ce vendredi 25 juin, la loi a été légèrement modifiée en son article 279-1 dans laquelle les travaux forcés à perpétuité ont été remplacés par la réclusion criminelle à perpétuité. En revanche, de nouvelles dispositions ont été insérées dans l’article 279-6 pour tenir compte des faits qui n’avaient pas été couverts par la loi n°2018-03 du 23 février 2018. a cet effet, l’alinéa 5 de 279-6 punit de la réclusion criminelle à perpétuité « le fait pour toute personne de fournir ou collecter délibérément, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, des fonds qu’elle prévoit d’utiliser ou dont elle sait qu’ils seront utilisés pour financer des voyages de personnes qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou dont elles sont les nationaux, dans le dessin de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme ».
À l’alinéa 7 du même article, la même peine est prévue pour toute personne qui met directement ou indirectement des fonds, avoirs financiers, ressources économiques ou services financiers ou autres services connexes à la disposition d’organisations terroristes ou de terroristes, quelle qu’en soit la raison, y compris mais pas exclusivement, le recrutement, l’entraînement ou le voyage, même en l’absence de lien avec un acte terroriste précis. L’alinéa 2 de l’article 279-8 punit d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 500 000 francs à 2 000 000 francs « ceux qui ne peuvent justifier de ressources correspondant à leur train de vie, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à un acte terroriste. »
Au regard de ces insertions, on est tenté de croire que des leçons ont été tirées des échecs de l’affaire dite Imam Ndao. Lors de ce procès qui a concerné une trentaine d’accusés, l’argent a occupé une place prépondérante dans les échanges. Qualifié de cerveau du groupe parti au Nigeria et intercepté à leur retour au Sénégal, Mokhtar Diokhané a reçu des millions de francs FCFA en coupures de 500 euros de la part d’un autre sénégalais, cadre de l’État islamique en Libye. De même, Diokhané et d’autres accusés qui ont séjourné dans le nord-est du Nigeria, dans les bastions d’alors de Boko Haram, ont reconnu avoir reçu 6 millions de nairas du défunt chef de l’organisation jihadiste, Aboubacar Shekau. Il leur a remis cet argent en guise de « frais de voyage » par le biais de son ex homme de main, Aboubacar Mainock. C’est d’ailleurs sur le chemin du retour que l’un des trois groupes constitués à partir de Khandak, à la frontière avec le Niger par Diokhané s’est fait arrêter avec des faux billets en CFA. Ils ont été floués lors du change.
Néanmoins, une partie de cet argent a foulé le sol sénégalais en même temps que son détenteur, le même Mokhtar Diokhané à qui revenait 3 millions des 6 que Shekau a mis à la disposition des sénégalais qui voulaient quitter la forêt de Sambisa. D’autres faits en relation avec cet argent ont été rapportés au cours de ce procès historique. Mais aucune peine de prison n’a été prononcée pour « financement du terrorisme ». Imam Ndao qui risquait 30 ans de travaux forcés a été condamné à un mois de prison avec sursis pour détention de munition sans autorisation administrative. Le financement du terrorisme faisait partie des crimes que lui reprochait le parquet. Diokhané et les accusés qui ont été au Nigeria ont écopé de peines diverses pour actes de terrorisme par association de malfaiteurs.
Aussi, ce procès a révélé que la majorité des candidats à l’« hégire » n’avait pas de quoi financer leur voyage. Par l’intermédiaire du nommé Ibrahima Bâ, Mouhamed Lamine Diop s’est proposé comme bailleur pour beaucoup de jeunes sénégalais qui ont souhaité rejoindre Boko Haram ou la branche libyenne de l’État islamique. Plus porté sur le recrutement, le 6e alinéa de l’article 279-6 inflige la réclusion à perpétuité à « toute personne qui, sur le territoire national, organise délibérément le voyage de personnes qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou dont elles sont les nationaux, dans le dessin de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, ou la participation à d’autres activités qui facilitent ces actes, y compris le recrutement. »
Dans son rapport d’évaluation mutuelle 2018 sur le Sénégal, le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment en Afrique de l’Ouest (GIABA) mettait en lumière le caractère vulnérable du pays sur le recrutement de jihadistes à partir de son sol. À ce péché, s’ajoutaient d’autres qui ont valu au Sénégal d’être mis « sous surveillance » par le Groupe d’Action financière en février dernier. Les autorités s’étaient engagées à travailler avec le GAFI et le GIABA pour renforcer l’efficacité du régime de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme. Si leur adoption est un grand pas pour les initiateurs de ces réformes, leur application risque d’être une autre paire de manche. Surtout si elle doit se faire dans le respect des droits humains...
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