Sénégal : la loi sur les sondages dépassée par la demande politique

Le Sénégal est en période de pré-campagne, en marche vers l'élection présidentielle de février 2012. La presse a publié ces dernières semaines des sondages d’opinion qui disent mesurer les intentions de vote des électeurs. Ces enquêtes offrent malheureusement peu de garanties de fiabilité, puisqu’on ignore la plupart du temps qui les a faites et suivant quelle méthodologie. Ce manque de transparence est un effet pervers de la loi adoptée en 1986, une loi contraignante qui visait à limiter la manipulation, mais qui, pour les professionnels des sondages, n’est pas opérationnelle.


Sénégal : la loi sur les sondages dépassée par la demande politique
Il travaille dans l’une des sociétés de Dakar qui vendent ce genre de services. Il a accepté de prendre l’appel téléphonique, mais il est manifestement embarrassé : « Cela va m’être très difficile de vous parler : au Sénégal, les sondages politiques ne sont pas autorisés ». L’argument n’est pas tout à fait exact. Mais impossible de le faire revenir sur sa décision. Pas un mot. Il ne rappellera pas non plus au numéro qu’on lui laisse. Discrétion avant tout.

Au Sénégal où la presse bénéficie d’une grande liberté, où chacun peut commenter comme bon lui semble les méandres de la vie politique nationale, les sondages d’opinion restent une sorte de tabou dans le débat politique. Depuis le début de la pré-campagne présidentielle, les enquêtes qui circulent sont quasiment passées sous le manteau.

Une loi contraignant

A l’origine de cette « omerta », il y a en grande partie le texte qui encadre le secteur, la loi du 14 avril 1986. Une loi contraignante, dont l’ambition était au départ de « protéger l’opinion publique sénégalaise contre toute manipulation à des fins politiques ou commerciales » face à « certains sondages ne respectant pas un minimum de règles techniques indispensables à leur fiabilité ».

Le texte interdit (article 20) la publication de sondages en période préélectorale : « La publication ou la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum ou une élection réglementée par le code électoral est interdite à compter de la date de publication au journal officiel du décret portant convocation du corps électoral jusqu’à la publication définitive des résultats du scrutin ».

La loi soumet par ailleurs, en règle générale, la publication des sondages à deux validations : la détention, par l’organisme qui procède à l’enquête, d’un agrément de la commission nationale des sondages (article 16). Et l’obtention, par ce même organisme, d’une autorisation de publier le sondage, sur la foi d’un certain nombre d’éléments à présenter à la commission (articles 17 et décret 86-616 du 22 mai 1986).

Le problème ? Si les autorités assurent que cette « commission nationale des sondages » a été constituée, les professionnels du secteur disent, eux, qu’ils ne l’ont pas encore vue à l’œuvre. Les enquêtes d’opinion sénégalaises sont du coup condamnées à poursuivre une vie semi-clandestine, la loi 86-16 suspendue au dessus de la tête comme une épée de Damoclès.

Forte demande des politiques

Si le cadre légal des sondages ne semble pas être tout à fait opérationnel, l’intérêt des hommes politiques, lui, semble aller crescendo. « Toutes les demandes n’aboutissent pas, mais nous sommes vraiment très sollicités… et pas forcément par les hommes politiques les plus en vue. », explique Yacine Ba Sall, directrice du cabinet BDA (Bâ Djibrill et Associés). Cela n’a aucune commune mesure avec ce que nous avons connu en 2007 ».

« Aucune organisation sérieuse ne peut se passer des sondages, estime un responsable d’un parti d’opposition. C’est un moyen de travail moderne. Le sondage que nous avons reçu nous a permis de connaître les zones dans lesquelles nous étions les plus forts, celles dans lesquelles nous étions les plus faibles ou encore quelles sont les tranches d’âge au sein desquelles nous avons la meilleure marge de manœuvre ».

« Nous utilisons les sondages pour notre campagne, admet de son côté Ousmane Thiongane, le responsable de la communication d’Idrissa Seck, ancien Premier ministre et candidat à la prochaine présidentielle. Nous les utilisons avant tout pour mieux cerner les priorités des Sénégalais. Pour servir la population il faut savoir ce qu’elle souhaite».

Enquêtes qualitatives

A défaut de sondages qui impliquent une machinerie lourde et coûteuse, certains candidats ont eu recours ces derniers mois à la technique plus souple du « focus group » qui consiste à réunir un ou plusieurs petits groupes de personnes pour recueillir leur avis. Ici, il ne s’agit plus de produire de chiffres, mais de collecter un éventail de points de vue.

« Nous avons été contactés par une agence de publicité, qui travaillait pour un candidat potentiel, raconte Maurice Fotsing du cabinet liaison marketing. Ce client voulait voir comment les leaders d’opinion percevaient les différentes candidatures possibles. Nous avons donc constitué 7 groupes de leaders d’une petite dizaine de personnes chacun, qui se sont réunis pendant 2 heures. On demandait notamment aux participants : ‘si vous deviez désigner un candidat, qui choisiriez vous’ ?»

L’Institut IRIS (Institut de Recherches et d’Investigations par Sondage) a été sollicité à plusieurs reprises ces derniers temps pour la constitution de tels focus group : « Dans un cas, il s’agissait d’un candidat potentiel qui voulait tester son image, détaille Aly Saleh Diop, le directeur de l’institut. Dans un autre, on nous a demandé de travailler sur les attentes des Sénégalais. Il y a également un parti politique qui a cherché à identifier dans différentes parties du pays les leaders d’opinion pour essayer de s’allier à eux à la présidentielle. Ce parti s’est appuyé sur nous pour améliorer sa connaissance des porteurs de voix et pouvoir les démarcher ».

Appels à une plus grande libéralisation

Quand la presse sénégalaise se risque à publier des résultats de sondages, elle leur adjoint régulièrement le qualificatif de « secrets » ou « confidentiels ». Les rédacteurs se gardent bien de dire qui les a commandés et qui les a réalisés. Les éléments qui permettraient de juger de la technicité de l’enquête sont souvent absents. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer un cadre juridique qui semble contre-productif : il visait à protéger les Sénégalais contre la manipulation, il les y expose un peu plus.

« Il faut qu’on arrête de décrédibiliser le métier de sondeur en publiant n’importe quoi, lance Aly Saleh Diop, d’IRIS. Ceux qui publient des résultats aujourd’hui doivent avoir le courage de les signer, sinon cela ouvre la porte à toutes les manipulations des partis politiques et des médias. Il faut un cadre qui permette de donner de la valeur aux résultats ».

« Une loi est nécessaire, mais la loi de 1986 est trop contraignante, estime pour sa part Yacine Ba Sall de BDA. S’il faut effectivement vérifier que les instituts de sondage sénégalais sont aux normes et animés par des professionnels, il faut aussi alléger les procédures préalables à un sondage. La commission nationale des sondages doit par ailleurs être une commission de techniciens ».

Les politiques ajoutent leurs voix aux professionnels pour réclamer une libéralisation du secteur. Alioune Sarr, le coordonnateur de l’alliance nationale des cadres de l’AFP (Alliances des Forces de Progrès) estime qu’« Une démocratie ne peut pas se construire sans qu’on ait des mesures objectives de l’opinion ».

Ousmane Thiongane, de Rewmi estime que la loi de 1986 « est archaïque ». « Le Sénégal a dépassé ce stade là, dit-il, il faut autoriser la publication des sondages ». Tandis que pour Benoît Sambou, chargé des élections de l’APR Yakaar, « Ce n’est pas la peine d’être aussi restrictif. L’opinion est là pour juger quels sont les instituts qui sont fiables et quels sont ceux qui ne le sont pas ».

( Laurent Correau - RFI )
Mercredi 9 Novembre 2011




1.Posté par CNN le 10/11/2011 10:43
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