Pour les voyagistes le partage fait par l’État qui s’attribue un quota de 2 000 pèlerins sur les 5 822 accordé au Sénégal pour l’édition 2022 du pèlerinage à la Mecque est digne du partage d’un lion. En l’absence d’une réaction officielle des voyagistes privés, des voix se sont levées pour fustiger ce ‘’partage inéquitable’’. Un partage qui est en contradiction avec les engagements qu’avait pris l’État qui portaient sur la privatisation prochaine du Hajj.
‘’L’État, en s'offrant la part du lion dans ce partage inéquitable, fait un grand pas en arrière dans sa volonté de privatiser le Hajj maintes fois affichée et confirmée par les ministres Mankeur Ndiaye et Amadou Ba. En vérité, en mettant un terme au Commissariat général aux lieux Saints de l’Islam créé depuis 1963 pour le remplacer en 2016 par la Délégation Générale : l'objectif était la privation du Hajj et le retrait de l’État du convoyage pour se réserver le rôle de superviseur. Mais là, le compteur semble être remis à zéro et les objectifs perdus de vue’’, a déclaré Cheikh Bamba Dioum, le Président du Gie Yoonu Makka, dans un entretien téléphonique qu’il a accordé à Dakaractu.
Aujourd’hui, les voyagistes privés qui sont approximativement au nombre de 300 (287 agences privées), selon lui, ne savent vraiment plus sur quel pied danser. À moins de 3 mois du pèlerinage à la Mecque, l’État qui semble tâtonner les a tous mis dans le désarroi. Cela pour la simple raison que beaucoup d’entre eux avaient tablé sur des quotas de loin plus importants que ceux qui leur ont été affectés. Des prévisions qui les avaient poussés à prendre des engagements, aussi bien au Sénégal qu’en Arabie Saoudite, qu’ils risquent de ne pas pouvoir respecter, si l’État ne refait pas le partage.
‘’Cette amère pilule destinée à faire avorter la fécondation que s’imaginaient les voyagistes …’’
L’annonce officielle de ce partage a été faite par Me Aïssata Tall Sall, ministre chargée des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur. C’est à l’issue d’une rencontre d’information avec les personnes ressources qu’elle a fait part de la réduction du quota de pèlerins jadis alloué au Sénégal. Mais elle a tenté de rassurer les privés en leur promettant que le gouvernement allait réfléchir pour voir la possibilité d’augmenter ledit quota. Il faut avouer que cela a plongé les voyagistes privés dans l’inquiétude. Comme pour les calmer, l’État en a profité pour annoncer la construction prochaine de ‘’La Maison du Hajj’’.
Pour M. Dioum, les privés qui gagnaient d’une main ‘’La Maison du Hajj’’, perdaient de l’autre ‘’le quota’’. Deux décisions importantes qui venaient d’être prises : l’une hautement salutaire, l’autre bouleversante’’, a-t-il dit dans une note parvenue à la rédaction. Note dans laquelle il se félicitait de cette décision du président Macky Sall d’ériger cette ‘’Maison du Hajj’’, qui est une vieille demande des privés.
‘’La construction de la Maison du Hajj est un impératif pour éviter les errements et parfaire l’organisation du pèlerinage. Elle a toujours été une demande forte pour nous. Il faut qu'elle soit vite réalisée avec une logistique pouvant abriter non seulement le siège de la Délégation, mais aussi les bureaux pour les associations d'organisateurs privés ainsi que toute l'infrastructure capable d'accueillir l'organisation des inscriptions et servir aussi de site d'accueil aux pèlerins qui viennent des régions le temps de finir leurs formalités’’.
‘’Il nous semble qu'une partie est en train d'abuser de l'autre’’
Relativement au quota, le voyagiste estime que ‘’l’État s’est taillé la part du lion avec ce quota de 2 000 pèlerins’’. Pour lui, cette annonce du ministre ‘’a été ressentie comme une amère pilule destinée à faire avorter la fécondation que s’imaginaient les voyagistes à travers la privatisation du Hajj maintes fois promise par le gouvernement. En s’arrogeant un quota de 2. 000 pèlerins sur 5 822 pour ne laisser aux 300 agences privées (287) que 3 822 pèlerins soit en moyenne entre 12 et 13 pèlerins par agence, l’autorité renvoie les esprits au fameux partage de Bouki pour ceux qui connaissent les contes et légendes du Sénégal’’, déplore M. Dioum.
Selon lui, le gouvernement a profité de la décision de l'Arabie Saoudite de diminuer les quotas de 45% de son effectif précédent et de réserver au Sénégal 5 822 pèlerins, pour renverser les choses. Il s’est alors octroyé ‘’107% de son quota qui passe de 1 860 à 2 000 au détriment des organisateurs privés qui passent tristement de 11 000 à 3 822 soit une diminution de 65%’’. En conséquence, prévient-il, ‘’de nombreux pèlerins qui attendaient depuis deux ans pour réaliser leur rêve de voir la Kaaba et d’accomplir le cinquième pilier de l’Islam, risquent de déchanter au profit d'une clientèle politique qui pouvait être d'un nombre raisonnable voire symbolique’’.
Il dit ne pas comprendre ‘’comment les organisateurs privés vont-ils faire (pour) sortir de cette équation à mille contraintes, quand on sait que pour convoyer des pèlerins et mener à bien cette noble mission, il faut en plus de sa prise en charge personnelle, faire partir un médecin, une sage-femme ou infirmière en plus d’un guide religieux, conditions sine qua non ?’’
‘’Le fameux partage de Bouki …’’ (voyagiste)
Une raison de plus pour le voyagiste d’inviter Macky Sall à procéder à la redistribution des cartes. ‘’Nous lui demandons de ne pas entériner la concurrence des organisateurs privés du Hajj par l’État. Si l’État maintient sa position, beaucoup de privés risquent de capituler. Car, n'ayant pas les moyens de convoyer un si petit quota pour un coût excessivement élevé. Mais, le plus grave serait de voir beaucoup de pèlerins qui avaient l'espoir d'accomplir le Hajj, céder leurs places à d'autres, qui sont juste ‘’récompensés pour leur activité politique. Le maintien serait très regrettable pour les privés. Cet état de fait est tout à fait anormal. L’État ne doit pas concurrencer les voyagistes privés. Il est vrai que pour le moment il n'y a pas une sortie médiatique à la dimension du préjudice. Mais le mot d'ordre est de toujours rester serein dans nos rapports. Mais là, il nous semble qu'une partie est en train d'abuser de l'autre’’.
Concernant ces quotas, il faut dessiner une courbe en dents de scie pour comprendre ces différents changements notés entre 2014 et aujourd’hui. Pour l'édition 2014, un quota de 10 500 pèlerins a été octroyé au Sénégal par le ministère saoudien du Hajj. Le Commissariat général au pèlerinage avait en charge 3 500 pèlerins. Les 7 500 ont été répartis entre les voyagistes privés. Pour cette année-là, une hausse de 100 000 f avait été notée sur le prix du package qui est passé de 2 350 000 à 2 450 000 francs Cfa au Sénégal.
‘’L'État ne doit pas concurrencer les voyagistes privés’’
Cependant, l’État était confronté à un gap de 600 pèlerins mettant ainsi le Commissariat au pèlerinage dans l’embarras. Cela a causé des pertes chiffrées à 650 millions de francs Cfa pour l’État. Nos confrères du journal Le Quotidien avaient cité des sources anonymes qui reprochaient au Commissariat général au pèlerinage d’avoir commis une erreur qui a conduit à cet excès. Selon elles, le quota des pèlerins avait considérablement baissé ces dernières années et était passé de 9 000 en 2006 à 2 400 pèlerins en 2013. Une tendance qui, aux yeux de certains acteurs, allait dans le sens d’une politique de privatisation progressive du pèlerinage définie par l’État.
Pour l’édition 2015 du Pèlerinage à la Mecque, le quota alloué au Sénégal est resté le même que l’année précédente (10 500 pèlerins). Selon le Commissaire général, la répartition faite réservait les 2 000 pèlerins à l’État (public) et les 8 500 restants aux voyagistes privés qui comptaient dans leurs rangs 47 organisations regroupées et 21 autonomes. Il faut rappeler que c’est au cours de cet Hajj qu’a eu l’accident dramatique à Mina avec un bilan d’au moins 2 236 morts dont près d’une centaine de pèlerins sénégalais identifiés.
En 2016, en pleine préparation du pèlerinage, une rencontre entre Amadou Kébé, secrétaire général du ministère des affaires étrangères et coordonnateur de la commission du pèlerinage et les voyagistes privés avait servi de cadre aux acteurs pour parler, entre autres, de la répartition des quotas, l’indemnisation des victimes de Mina. Une kyrielle d’incidents avait conduit à la dissolution de la Commission nationale qui avait en charge ce voyage aux lieux saints de l’Islam. Sur son habituel quota de 10 500 (comme les deux années précédentes) au Sénégal les 8 990 avaient été affectés aux voyagistes privés. À charge alors pour le Comité d’organisation du pèlerinage (l’État) de convoyer les 1 500 qui restaient. Ce qui constitue une réduction de 500 places de moins que l’année passée. Ces 500 quotas ont été aussi répartis entre les voyagistes.
‘’… progressivement, le quota du gouvernement’ va être rétrocédé aux privés’’ (Mankeur Ndiaye)
Alors ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, Mankeur Ndiaye avait profité de l’occasion pour expliquer les principaux changements apportés dans l’organisation du pèlerinage de cette année 2016. La Commission nationale pour le pèlerinage dissoute le Commissariat général à la Délégation générale au pèlerinage’’, est né pour gérer la période de transition. C’est Abdoul Aziz Kébé qui a été chargé de diriger ladite structure mise en place par le gouvernement pour conduire désormais l’organisation du pèlerinage.
Parmi les mesures nouvelles prises, il y a eu la suppression des quotas habituellement alloués à la Présidence de la République, la Primature et au ministère des Affaires étrangères. L’équipe d’officiels chargés d’organiser le Hajj a été alors réduite de près de 200 à 20 missionnaires au maximum. Mankeur Ndiaye chiffrait alors, le budget du pèlerinage à un milliard (1 000 000 000) de francs Cfa.
L’idée d’aller vers la privatisation du Hajj germait toujours dans la tête des autorités étatiques. Mankeur Ndiaye en donnait l’assurance. Pour l’édition 2016, l’État avait décidé de maintenir le package à 2 millions 600 mille francs CFA. Le même prix que l’année précédente. Concernant la privatisation du Hajj annoncée par le gouvernement, il affirme que le processus est toujours en cours. Et qu’à terme, l’État devra se retirer de l’organisation du pèlerinage et avoir juste une équipe d’encadrement.
Une gestion privée du pèlerinage sur la base d’une feuille de route ou cahier de charges préconisée
‘’L’État aura un droit de regard. Mais, progressivement, le ‘quota du gouvernement’ va être rétrocédé aux privés. Cette année, nous en sommes à 1 500 pour le gouvernement. Et les privés vont transporter 9 000 pèlerins’’, informait-il. L’autre innovation de l’édition 2016 concernait la réduction de la durée du séjour.
Nous sommes en 2017. Sur le quota de 10 500 pèlerins attribué au Sénégal, les voyagistes privés avaient en charge les 9 500 alors que la Délégation générale voyait sa part diminuer à 1 000 contre 1 500 l’année qui précédait (2016). En effet, l’État, dans une logique de responsabiliser davantage les voyagistes privés de l’organisation du pèlerinage aux lieux saints de l’Islam, avait choisi de revoir à la baisse son quota de 500 pèlerins de l’édition 2017. Le ministre Seydou Guèye, alors porte-parole du gouvernement avait annoncé cette baisse qui profitait aux voyagistes. C’était à l’issue d’un Conseil interministériel consacré à l’évaluation de l’édition 2016 du Pèlerinage aux lieux saints de l’Islam. Occasion qu’il a mise à profit pour annoncer la volonté de l’État de tout faire pour ‘’permettre au privé de prendre l’organisation’’, il était encadré par le Délégué général au pèlerinage, le Dr Abdou Aziz Kébé et son adjoint, le Dr Khadim Sylla.
‘’C’est un premier signal encourageant, mais cette réforme doit être poursuivie et consolidée puisque l’option est irréversible pour permettre au secteur privé de prendre, de plus en plus, en charge, l’organisation du pèlerinage dans notre pays. L’édition 2016 s’est donc globalement bien déroulée tant du point de vue organisationnel que de l’engagement souscrit par l’État et certains partenaires », avait soutenu Seydou Guèye.
‘’La privatisation intégrale, la meilleure alternative pour une gestion efficace du pèlerinage’’
Le Pèlerinage de l’année 2018 avait conduit à la tenue d’un autre Conseil interministériel, après celui initié en 2017. Une rencontre consacrée à l’édition 2018 du pèlerinage à la Mecque à l’issue de laquelle ont été retenus, entre autres, la diminution de la durée du séjour du Hajj, le maintien du package à 2 600 000 francs Cfa.
Le porte-parole du Gouvernement informait que le Sénégal avait bénéficié de 3 000 visas de plus, l’obligeant à revoir la clé de répartition des quotas entre l’État et les privés, sur les 12 860 pèlerins à transporter cette année. Le partage fait, 10 860 pèlerins sur ce quota ont été affectés aux voyagistes privés contre 9 500 pour l’année précédente. Pour sa part, l’État du Sénégal, à travers la Délégation, avait en charge 2. 000 pèlerins.
Pour l’édition 2019 du pèlerinage aux Lieux saints de l’Islam, 11 000 des 13 000 pèlerins sénégalais ont été convoyés par des agences de voyage privées. Le prix du package s’élevait toujours, à 2,6 millions de francs Cfa, comme l’année précédente. Ayant débuté le vendredi 9 août de cette année, le Hajj, le pèlerinage annuel à la Mecque a connu par la suite deux années de suspension à cause de la pandémie de Covid-19. Et c’est en 2022 que la reprise du pèlerinage a sonné. Mais celle-ci ne reflète rien de bon pour les acteurs du privé. Aussi bien à cause du quota, qu’au coût élevé du prix du package qui se chiffre à 4,2 millions de F Cfa par pèlerin.
Il est apparu pourtant, après quelques recherches que Cheikh Bamba Dioum, avait consacré un ouvrage au Pèlerinage à La Mecque. Il s’agit d’un ouvrage de 372 pages intitulé : ‘’Les chemins du Hadj de l’Afrique noire à l’Arabie’’, publié en 2014 et réédité en 2018, dans lequel il y pointait du doigt le problème de l’organisation.
‘’La seule façon de corriger cette distorsion réside dans la gestion privée du pèlerinage sur la base d’une feuille de route ou cahier de charges définie par l’État à travers une structure désormais hors de la mêlée parce que n’ayant plus comme mission de convoyer des pèlerins, mais élevée au rang de Superviseur officiel et de Régulateur du Pèlerinage’’. Cela est apparu dans une déclaration écrite qu’il avait rendue publique, avant que ne se déclenche la crise sanitaire qui a bouleversé le monde.
Dans ses écrits, M. Dioum est parti de l’après l’édition 2015 du Pèlerinage à la Mecque, au cours duquel le gouvernement avait pris la décision historique de supprimer le Commissariat général, vieux de 50 ans, pour le remplacer par une Délégation générale. Cette mutation, dit-il, ‘’ne devait pas être un simple changement de nom, mais de paradigme. La privatisation intégrale reste la seule option non encore pratiquée et la meilleure alternative pour une gestion efficace du pèlerinage’’.
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