L’image fait froid dans le dos. Des camionneurs sénégalais qui ne savent plus où donner de la voix devant la scène désolante à laquelle ils ont assisté. Les engins qu’ils transportaient viennent d’être réduits en cendres par des hommes qui n’ont rien à voir avec les habituels coupeurs de route auxquels ils avaient affaire sur l’axe Dakar-Bamako via Kayes.
Cette fois-ci, les bourreaux sont d’un autre acabit. Il s’agit de djihadistes de la Katiba du Macina. Le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans auquel appartient cette organisation dirigée par le prédicateur Peulh a revendiqué l’embuscade du mardi 28 septembre. Les assaillants ont épargné les chauffeurs, mais les gendarmes de la Forsat malienne qui accompagnaient le convoi n’ont pas eu cette chance. Cinq parmi eux ont été tués par les djihadistes qui ont par la même occasion emporté leurs armes et une partie du matériel roulant. Des vidéos de cette prise de guerre ont déjà fait le tour du net quelques heures seulement après l’attaque intervenue sur la RN3 malienne, dans la zone de Didiéni.
À travers cette attaque, les djihadistes affirment de plus en plus leur présence dans l’ouest malien. Une stratégie née de la guerre qu’ils ont livrée avec leurs anciens frères qui ont rejoint l’État Islamique au Grand Sahara. Mais ils cherchent surtout à étendre leurs tentacules dans une partie du pays qui était jusqu’à une période récente épargnée par l’insurrection partie du nord et qui a gagné le centre avant de s’étendre dans d’autres pays frontaliers. Mais en s’en prenant au convoi des sociétés dont le matériel transite par le Sénégal, ne sont-ils pas en train de cibler l’un des poumons de l’économie sénégalo-malienne ?
1000 camions maliens entrent au Sénégal
par jour.
Étant un pays enclavé, le Mali est obligé de se rabattre sur des pays limitrophes qui ont une ouverture sur l’atlantique pour ses échanges commerciaux internationaux dont 90% dépendent du mode maritime. Selon un document de la Banque africaine de développement datant de 2012, jusqu’en 2002, 80% des importations et des exportations du Mali passaient par le port d’Abidjan.
Mais la crise de 2002 en Côte d’Ivoire a porté préjudice à cet axe dont la fréquentation est tombée à 33% en 2008. D’après le même document, 51% du trafic passait par Dakar, en 2012. « Le trafic du corridor Bamako-Dakar passant par le nord avait cru de plus de 700 camions par jour », ajoutent les auteurs.
Le niveau du trafic était tellement élevé qu’il fallait aux autorités des deux pays de penser à une alternative pour faire souffler la voie du nord. C’est ainsi qu’il a été décidé de réaliser la route Kati-Kita-Saraya qui passe par le sud pour un coût global de 200 millions de dollars dont 33 viennent des deux gouvernements. C'est-à- dire l’importance que revêt ce corridor dont les impacts ne vont pas tarder à faire jour.
En sus de renforcer l’intégration économique sous-régionale, l’aménagement de cet axe a eu un impact réel sur les prélèvements illicites. Ils ont diminué de façon conséquente puisqu’au premier trimestre 2011, ils étaient à 64 103 francs CFA par camion et par voyageur sur le corridor contre 161 384 sur Abidjan- Bamako. Les compagnies de transport y ont trouvé leur compte. Il s'ajoute que la distance Dakar-Bamako a été réduite de 200 kilomètres par rapport au nord. Il n’empêche, ce couloir continue d’être pratiqué pour beaucoup de raisons.
Par exemple, les véhicules à dédouaner doivent passer par la frontière Kidira –Diboli. Compte tenu de la présence des sociétés minières dans la région de Kayes et de Kouilkoro, le matériel qui transite par Dakar privilégie la route du nord. Un trafic ajouté à celui du sud, passant par Kédougou-Saraya-Kati-Bamako, profite à l’économie du Mali et du Sénégal.
Cité par l’agence de presse sénégalaise, le secrétaire général des acteurs portuaires du Sénégal, Mamadou Corsène Sarr a révélé que 1000 camions de transport de marchandises qui viennent au Sénégal chaque jour, font rentrer 253 milliards de francs CFA en termes de recettes. Pour sa part, Fousseynou Soumano soutient que le volume du trafic qui transite par le port de Dakar est de plus de 4 millions de tonnes. Ce qui fait du PAD le principal port d’approvisionnement du Mali.
Directeur général des entrepôts maliens au Sénégal, Soumano est aussi cité par l’agence de presse sénégalaise.
Garder intact le corridor à tout prix
Sur le site du PAD, il est soutenu que le port représente 61% des marchandises pour tout le Mali et 71% des containers. Un acquis à préserver à tout prix. Lorsqu’il s'est agi pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest de sanctionner le Mali au lendemain du coup d’État du 18 août 2020, le président Macky Sall a pesé de toute son influence pour que l’approvisionnement en denrées alimentaires et en hydrocarbures ne soit pas concerné.
Beaucoup y voyaient de l’indulgence mais le chef de l’exécutif sénégalais devait être « briefé » par ses collaborateurs sur les contrecoups d’un embargo total du Mali sur l’économie sénégalaise déjà éprouvée par le coronavirus. Ce n’est pour rien si l’ancien président de la Transition, Bah N’daw a fait de Dakar l’une de ses premières destinations après son investiture en septembre 2020.
C’est impératif de garder intact ce corridor explique également la diligence avec laquelle les autorités sénégalo-maliennes sont intervenues pour calmer les esprits de part et d'autre après les incidents d'août dernier. Un camion « malien » a été impliqué dans un accident qui a fait 4 morts à Kaolack. Les gros porteurs qui empruntent la route nationale sont ainsi pris à partie par des kaolackois, mais la police et la gendarmerie sont intervenues pour limiter les dégâts.
Côté malien, les représailles n’ont pas tardé contre les camionneurs sénégalais. Des initiatives sont rapidement entreprises pour éteindre le « feu ». Accompagnée de son homologue sénégalais, la ministre malienne des transports a fait le déplacement à Kaolack pour présenter les condoléances du peuple malien aux familles éplorées.
Les échanges se sont poursuivis entre officiels en vue de la reprise du trafic routier perturbé par ce malheureux évènement. Mais à peine ce problème réglé, les autorités des deux pays sont appelées à trouver des moyens de répondre à un autre vraisemblablement plus costaud : les assauts répétés des djihadistes sur la RN3. Au-delà du Sénégal et du Mali, c’est l’économie ouest-africaine qui est menacée avec en toile de fond une paupérisation de la population qui peut être source de soulèvement populaire ou encore de levier de recrutement pour les groupes djihadistes.
Preuve de la récurrence des attaques, dans la même zone de Didiéni, deux camionneurs marocains en provenance du Sénégal ont été tués par des hommes armés. Leur mode opératoire combiné au fait qu’ils n’ont rien emporté laissent croire qu’il s’agit des membres de la Katiba du Macina.
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