Le RN assommé par le coup de massue du "Front républicain"



Le Rassemblement national a beau avoir gagné de 27 à 67 députés dimanche, sa performance revêt l'apparence d'une lourde désillusion: le parti lepéniste est arrivé en troisième position derrière la gauche et la macronie, à des années lumière de la majorité absolue, ni même relative, qu'il pouvait espérer à l'issue du premier tour.

Dans une salle du bois de Vincennes où les lepénistes s'étaient réunis pour sabler le Champagne, l'amertume était sans mesure à l'heure où les premières estimations circulaient: "On a dramatisé à outrance l'enjeu, les fascistes, les fachos", désespérait un militant, Luc Doumont, retraité de la douane. "Le Nouveau front populaire, c'est le mariage de la carpe et du lapin: tout ça c'est pour nous ostraciser".

Pouvaient-ils imaginer une telle défaite? Les lepénistes triomphaient depuis le 9 juin, 20H00, lorsque Jordan Bardella était arrivé en tête des européennes avec 33% des suffrages recueillis, le meilleur score de l'extrême droite française sous la Ve République, hors second tour.

Ils nourrissaient tous les espoirs, une heure après, lorsque le président de la République avait annoncé une dissolution, accueillie providentiellement tant ils s'étaient convaincus qu'elle allait accélérer leur accession au pouvoir, promise quatre semaines plus tard.

Dimanche dernier, à la gravité et la solennité du discours de Jordan Bardella à l'issue du premier tour résonnaient encore les larges sourires des siens, tant le scrutin avait mis en évidence l'ampleur de la vague lepéniste: environ un tiers des bulletins décompté et, selon les instituts, 250 à 300 députés, soit potentiellement une majorité absolue fixée à 289 sièges. D'autant que 39 candidats lepénistes avaient déjà été élus à l'issue du seul premier tour, une première dans l'histoire du RN qui y voyait un heureux présage.

C'était sans compter sur un mouvement tout aussi massif de "fronts républicains", avec le désistement de 210 candidats de gauche ou macronistes afin que des triangulaires deviennent des duels.

Le plafond de verre, réputé fissuré depuis les législatives de 2022 et le scrutin européen du mois dernier, s'est en fait à nouveau révélé très robuste lorsqu'il s'est agi de passer la barre des 50%.

Pire: le résultat de dimanche jette à nouveau un doute quant à la capacité pour l'extrême droite de gagner une élection nationale, toujours empêtrée dans des accusations d'amateurisme, à l'image de dizaines de ses candidats épinglés pour des sorties racistes, antisémites ou complotistes. Jordan Bardella n'avait, lui, relevé que "quatre ou cinq brebis galeuses".

Les dénonciations des soutiens de la macronie pour la gauche - dont LFI -, et vice versa, n'ont pas convaincu les électeurs de se reporter vers le RN, ni même de se réfugier dans l'abstention, à rebours du pari que les lepénistes faisaient ces derniers jours.

- Le modèle Giorgia Meloni -
Face à cette situation imprévisible, tout reste à bâtir.

En ligne de mire: la course à l'Elysée de 2027 - sauf interruption anticipée du mandat d'Emmanuel Macron.

Marine Le Pen, d'ores et déjà déclarée candidate, entend d'ici là à nouveau présider le groupe RN à l'Assemblée, malgré tout renforcé. Un poste stratégique dont elle a pu mesurer toute l'ampleur lors de la précédente législature.

La période d'incertitude politique qui s'ouvre, sans majorité claire à la chambre basse, affaiblit autant le président de la République et le futur gouvernement qu'elle pourrait faire apparaître la triple candidate malheureuse à l'Elysée en force de stabilité - son autorité sur ses troupes n'étant, par principe, pas questionnée.

L'élue du Pas-de-Calais avait déjà montré lors des deux dernières années son habileté pour se placer au centre du jeu, notamment en faisant voter à ses députés nombre de motions de censure pourtant portées par La France insoumise, argumentant que la fin justifie les moyens.

Elle avait surtout permis l'adoption de la loi immigration en choisissant de voter le texte, une idée jugée saugrenue par nombre de députés RN encore quelques heures avant cette décision, mais une consigne dûment respectée par les troupes.

Face à une future coalition aux contours flous, voire à un "gouvernement technique", Marine Le Pen pourrait apparaître comme l'une des principales opposantes, avec un modèle tout trouvé: la patronne de l'extrême droite italienne Giorgia Meloni.

Entre 2018 et 2022, son parti Fratelli d'Italia s'était gardé de participer à quelque attelage gouvernemental, alors que la chambre des députés transalpine était aussi éparpillée que celle née dimanche soir en France.

Aux élections suivantes, la leader post-fasciste avait triomphé en s'installant à la tête du gouvernement.

Lors de cette longue quatrième campagne élyséenne qui s'ouvre pour Marine Le Pen, Jordan Bardella devrait pour sa part revêtir les habits de premier supporter, d'autant que le jeune homme de 28 ans ne siège pas à l'Assemblée nationale, désormais plus que jamais épicentre du pouvoir.
Dimanche 7 Juillet 2024
Dakaractu




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