Quel est, en tant que professeur de Droit, votre éclairage sur la polémique soulevée par l’ancien Premier ministre, Idrissa Seck, sur l’accord entre le Sénégal et la Mauritanie portant sur l’exploitation du champ de gaz Grand Tortue/Ahmeyim situé à la frontière des deux pays ?
Sur cette question, le Président de la République, qui interprète et applique tous les jours la Constitution, a expliqué très clairement la chaîne juridico-institutionnelle de validation des traités ou accords internationaux tel que prévue par la Constitution, qui s’applique à cet accord.
La réaction d’Idrissa Seck laisse entendre qu’il a lu les dispositions de la Constitution, mais ne les a pas bien comprises. La chaîne de validation de l’accord se déroule selon le schéma suivant :
Une première étape relative à la négociation des engagements internationaux par le Président de la République (article 95 de la Constitution). Il a, depuis plus d’une année, donné les grandes orientations et laissé les experts nationaux, notamment ceux chargés du secteur (ministère de l’Energie et Petrosen appuyés par des experts nationaux et internationaux indépendants) négocier avec la partie mauritanienne. Plusieurs réunions et rencontres eurent lieu. Toute cette phase de négociation a été impulsée, suivie et validée par le Président de la République. Ce ne sont pas des négociations secrètes, mais très techniques menées par les deux gouvernements appuyés d’experts avec des documents pouvant être consultés par tous ceux qui le souhaitent.
Il y a une deuxième étape qui n’apparaît pas expressément dans la Constitution : le Président de la République signe les engagements internationaux. Après les négociations, les gouvernements se sont accordés sur les grandes lignes du contenu de l’accord. Et lorsque les clauses de l’accord sont stabilisées et fixées dans l’accord, le Président de la République peut le signer avec son homologue mauritanien. C’est ce qui a été fait, il y a quelques jours à Nouakchott.
S’il s’agissait d’un accord en forme simplifié, c’est-à-dire ne figurant pas sur la liste des traités ne pouvant être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi, le déroulement de la chaîne s’arrêterait là ; et le texte pourrait entrer en vigueur sous réserve de son application par l’autre partie.
Cependant, avec cet accord assimilable, assurément, aux traités «qui engagent les finances de l’État» et, éventuellement, à «ceux qui modifient les dispositions de nature législative», la ratification s’impose au Président de la République, obligé de recueillir, après examen du texte en Conseil des ministres, l’autorisation de l’Assemblée nationale.
Dans une troisième étape, le Président de la République doit, par le biais d’une loi, solliciter de l’Assemblée nationale l’autorisation de procéder à la ratification du texte, formalité qui permettra son intégration dans l’ordre juridique interne et son entrée en vigueur. Il est donc impossible de signer ce genre d’accord en catimini. Lors de la séance consacrée à l’examen du projet de loi autorisant le Président de la République à ratifier, le gouvernement est représenté, au principal, par le ministre des Affaires étrangères, et, au besoin, par le ministre du Pétrole. Les ministres vont présenter à l’attention des honorables députés l’accord, son contenu, ses enjeux et ses implications sur l’économie nationale. Il sera alors loisible aux représentants du peuple de poser toutes les questions. L’opinion sera témoin de ce débat public.
A la fin de la séance, il y a trois possibilités : soit les députés sont satisfaits des explications du gouvernement et autorisent, par un vote, le Président de la République à ratifier ; soit ils ne sont pas satisfaits et n’autorisent pas la ratification. Soit, comme le prévoit l’article 97 de la Constitution, le texte est déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel et l’autorisation de le ratifier ne pourra alors intervenir qu’après révision de la Constitution. En l’occurrence, le dernier mot revient non pas au Président de la République, mais à la Représentation nationale. Aucun secret n’est encore une fois possible.
Enfin, quatrième et dernière étape, si le Président de la République obtient l’autorisation de ratifier l’accord par l’adoption de la loi, il la promulgue et procède à la ratification. L’accord, après échange des instruments de ratification avec la partie mauritanienne, a, dès sa publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve de son application par la Mauritanie (article 98 de la Constitution).
Les choses paraissent très simples alors ?
Mais, bien sûr, c’est un non sujet de débat. Les signatures en catimini sont impossibles pour les traités importants soumis à ratification comme celui-ci. Cependant, à la décharge de Monsieur Seck, on peut comprendre qu’il interprète mal la Constitution et que le Président Macky Sall ait raison sur lui dans ce débat parce qu’en plus d’être le gardien en exercice de la Constitution, d’interpréter et d’appliquer de façon quotidienne celle-ci, le Chef de l’État est forcément plus outillé en la matière que quelqu’un qu’une éclipse a éloigné des affaires de l’État pendant près d’une quinzaine d’années.
Idrissa Seck a aussi fustigé la non publicité des négociations comme cela se fait dans les grandes démocraties ?
Ce qu’il dit sur les traités de commerce n’est pas applicable aux accords portant sur des hydrocarbures comme cet accord d’«unitisation» (ndlr : dans le système pétrolier, formule institutionnelle permettant à deux Etats d’exploiter de façon concertée une zone riche en hydrocarbures qui leur est commune) avec un objet de haute technicité et d’impact considérable sur l’économie. C’est un type d’accord qu’il faut faire traiter par une expertise pointue capable de défendre les intérêts du pays avant de le mettre sur l’espace public et de le discuter pour, en définitive, valider ou invalider démocratiquement le contenu. Nous sommes dans un domaine où la mobilisation d’une bonne expertise au profit du pays et le débat parlementaire doivent être privilégiés sur le populisme.
Est-ce que ces critiques ne posent pas le problème de la transparence dans la gestion des ressources pétrolières du pays ?
Depuis 2013, le gouvernement fait l’effort de publier l’ensemble des données relatives au secteur extractif (mines et hydrocarbures) dans le rapport annuel de l’Itie (ndlr : Initiative pour la transparence dans les industries extractives). Le Sénégal fait partie du cercle restreint de pays qui publient leurs contrats miniers et pétroliers et où le débat public est mené sans tabou sur ces questions. Il n’y a aucune signature de contrats miniers ou pétroliers en catimini.
L’opposition a le droit de formuler des critiques sur cette gouvernance. Mais, aujourd’hui, si l’on veut connaître, de façon objective, l’état de la gouvernance du secteur extractif, il faut écouter des organismes internationaux indépendants et respectés dans le monde comme l’Itie, qui considèrent notre pays comme un champion de la transparence en la matière.
Le Soleil
Sur cette question, le Président de la République, qui interprète et applique tous les jours la Constitution, a expliqué très clairement la chaîne juridico-institutionnelle de validation des traités ou accords internationaux tel que prévue par la Constitution, qui s’applique à cet accord.
La réaction d’Idrissa Seck laisse entendre qu’il a lu les dispositions de la Constitution, mais ne les a pas bien comprises. La chaîne de validation de l’accord se déroule selon le schéma suivant :
Une première étape relative à la négociation des engagements internationaux par le Président de la République (article 95 de la Constitution). Il a, depuis plus d’une année, donné les grandes orientations et laissé les experts nationaux, notamment ceux chargés du secteur (ministère de l’Energie et Petrosen appuyés par des experts nationaux et internationaux indépendants) négocier avec la partie mauritanienne. Plusieurs réunions et rencontres eurent lieu. Toute cette phase de négociation a été impulsée, suivie et validée par le Président de la République. Ce ne sont pas des négociations secrètes, mais très techniques menées par les deux gouvernements appuyés d’experts avec des documents pouvant être consultés par tous ceux qui le souhaitent.
Il y a une deuxième étape qui n’apparaît pas expressément dans la Constitution : le Président de la République signe les engagements internationaux. Après les négociations, les gouvernements se sont accordés sur les grandes lignes du contenu de l’accord. Et lorsque les clauses de l’accord sont stabilisées et fixées dans l’accord, le Président de la République peut le signer avec son homologue mauritanien. C’est ce qui a été fait, il y a quelques jours à Nouakchott.
S’il s’agissait d’un accord en forme simplifié, c’est-à-dire ne figurant pas sur la liste des traités ne pouvant être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi, le déroulement de la chaîne s’arrêterait là ; et le texte pourrait entrer en vigueur sous réserve de son application par l’autre partie.
Cependant, avec cet accord assimilable, assurément, aux traités «qui engagent les finances de l’État» et, éventuellement, à «ceux qui modifient les dispositions de nature législative», la ratification s’impose au Président de la République, obligé de recueillir, après examen du texte en Conseil des ministres, l’autorisation de l’Assemblée nationale.
Dans une troisième étape, le Président de la République doit, par le biais d’une loi, solliciter de l’Assemblée nationale l’autorisation de procéder à la ratification du texte, formalité qui permettra son intégration dans l’ordre juridique interne et son entrée en vigueur. Il est donc impossible de signer ce genre d’accord en catimini. Lors de la séance consacrée à l’examen du projet de loi autorisant le Président de la République à ratifier, le gouvernement est représenté, au principal, par le ministre des Affaires étrangères, et, au besoin, par le ministre du Pétrole. Les ministres vont présenter à l’attention des honorables députés l’accord, son contenu, ses enjeux et ses implications sur l’économie nationale. Il sera alors loisible aux représentants du peuple de poser toutes les questions. L’opinion sera témoin de ce débat public.
A la fin de la séance, il y a trois possibilités : soit les députés sont satisfaits des explications du gouvernement et autorisent, par un vote, le Président de la République à ratifier ; soit ils ne sont pas satisfaits et n’autorisent pas la ratification. Soit, comme le prévoit l’article 97 de la Constitution, le texte est déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel et l’autorisation de le ratifier ne pourra alors intervenir qu’après révision de la Constitution. En l’occurrence, le dernier mot revient non pas au Président de la République, mais à la Représentation nationale. Aucun secret n’est encore une fois possible.
Enfin, quatrième et dernière étape, si le Président de la République obtient l’autorisation de ratifier l’accord par l’adoption de la loi, il la promulgue et procède à la ratification. L’accord, après échange des instruments de ratification avec la partie mauritanienne, a, dès sa publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve de son application par la Mauritanie (article 98 de la Constitution).
Les choses paraissent très simples alors ?
Mais, bien sûr, c’est un non sujet de débat. Les signatures en catimini sont impossibles pour les traités importants soumis à ratification comme celui-ci. Cependant, à la décharge de Monsieur Seck, on peut comprendre qu’il interprète mal la Constitution et que le Président Macky Sall ait raison sur lui dans ce débat parce qu’en plus d’être le gardien en exercice de la Constitution, d’interpréter et d’appliquer de façon quotidienne celle-ci, le Chef de l’État est forcément plus outillé en la matière que quelqu’un qu’une éclipse a éloigné des affaires de l’État pendant près d’une quinzaine d’années.
Idrissa Seck a aussi fustigé la non publicité des négociations comme cela se fait dans les grandes démocraties ?
Ce qu’il dit sur les traités de commerce n’est pas applicable aux accords portant sur des hydrocarbures comme cet accord d’«unitisation» (ndlr : dans le système pétrolier, formule institutionnelle permettant à deux Etats d’exploiter de façon concertée une zone riche en hydrocarbures qui leur est commune) avec un objet de haute technicité et d’impact considérable sur l’économie. C’est un type d’accord qu’il faut faire traiter par une expertise pointue capable de défendre les intérêts du pays avant de le mettre sur l’espace public et de le discuter pour, en définitive, valider ou invalider démocratiquement le contenu. Nous sommes dans un domaine où la mobilisation d’une bonne expertise au profit du pays et le débat parlementaire doivent être privilégiés sur le populisme.
Est-ce que ces critiques ne posent pas le problème de la transparence dans la gestion des ressources pétrolières du pays ?
Depuis 2013, le gouvernement fait l’effort de publier l’ensemble des données relatives au secteur extractif (mines et hydrocarbures) dans le rapport annuel de l’Itie (ndlr : Initiative pour la transparence dans les industries extractives). Le Sénégal fait partie du cercle restreint de pays qui publient leurs contrats miniers et pétroliers et où le débat public est mené sans tabou sur ces questions. Il n’y a aucune signature de contrats miniers ou pétroliers en catimini.
L’opposition a le droit de formuler des critiques sur cette gouvernance. Mais, aujourd’hui, si l’on veut connaître, de façon objective, l’état de la gouvernance du secteur extractif, il faut écouter des organismes internationaux indépendants et respectés dans le monde comme l’Itie, qui considèrent notre pays comme un champion de la transparence en la matière.
Le Soleil
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