Guinée: la justice annonce des poursuites pour "assassinats" contre l'ex-président Condé


 

Le procureur général de Conakry, nommé par la junte au pouvoir en Guinée depuis 2021, a annoncé mercredi des poursuites contre l'ex-président Alpha Condé et une trentaine d'anciens hauts responsables sous sa présidence, notamment pour assassinats, actes de torture et enlèvements.

Parmi les personnalités visées dans un document communiqué aux journalistes à l'instigation du procureur général Alphonse Charles Wright se trouvent, outre M. Condé renversé par les militaires en septembre 2021, un ancien président de la Cour constitutionnelle, d'anciens présidents de l'Assemblée, un ancien Premier ministre et une foule d'anciens ministres, députés et responsables des services de sécurité, au total 27 personnalités.

Le procureur général demande dans ce document au procureur de Dixinn (dans la banlieue de Conakry) sous son autorité d'engager les poursuites "sans délai" pour les faits présumés de "meurtre, assassinat et complicité", disparitions forcées, détentions, enlèvements, acte de torture, coups et blessures volontaires, viols et agressions sexuelles ou encore actes de pillage.

Mais il lui donne aussi pour instruction d'engager des poursuites contre ceux qui, dans le contexte de violence provoquée à partir d'octobre 2019 par la candidature alors attendue de M. Condé à un troisième mandat, ont organisé sans autorisation des manifestations qui auraient dégénéré ou qui auraient pris part à des destructions au cours des manifestations.

Le magistrat agit suite à l'action engagée en janvier 2022 par le Front national de défense de la Constitution (FNDC), un collectif qui a mené pendant des mois à partir d'octobre 2019 la contestation contre un troisième mandat de M. Condé.

La répression de ces protestations, souvent brutale dans ce pays coutumier des violences politiques, a fait des dizaines de morts, quasiment tous civils.

Cette mobilisation n'a pas empêché M. Condé, devenu en 2010 le premier président démocratiquement élu après des décennies de régimes autoritaires ou dictatoriaux, d'être réélu en octobre 2020 après avoir fait modifier la Constitution en début d'année lors d'une consultation à la légitimité fortement mise en cause.

Les défenseurs des droits humains dénonçaient la dérive autoritaire de la présidence Condé dans ses dernières années.

M. Condé, 84 ans aujourd'hui, a été renversé le 5 septembre lors d'un putsch conduit par le colonel Mamady Doumbouya à la tête de ses forces spéciales.

 

- Des personnalités déjà écrouées -

 

Le FNDC n'a cessé depuis de réclamer justice.

Mais le procureur général note aussi dans ses réquisitions qu'au cours des protestations, des éléments des forces de sécurité ont été attaqués et tués, que des locaux de police ou de gendarmerie ont été vandalisés et des armes emportées, et que des manifestations ont eu lieu sans autorisation.

L'opposition à M. Condé dénonçait alors le refus presque constant des autorités d'autoriser ces rassemblements.

Le procureur général demande au procureur de Dixinn de faire interdire aux personnes visées de sortir du territoire, et de faire saisir tous leurs biens à titre conservatoire.

Le cabinet français Bourdon et Associés qui représente le FNDC a dit dans un communiqué se réjouir "du fait que les juridictions guinéennes agiront pour lutter contre l’impunité". Il parle d'un "premier pas" franchi.

M. Condé, gardé prisonnier par les militaires après le putsch, avait finalement été autorisé en janvier à se rendre aux Emirats arabes unis pour être soigné. Il est rentré en Guinée mi-avril. La junte assure qu'il est libre de ses mouvements.

Depuis septembre 2021, le colonel Doumbouya s'est fait introniser président. Il s'est engagé à remettre le pouvoir à des civils élus.

Après avoir entretenu le flou sur son calendrier, il vient d'annoncer que la période dite de transition qui précéderait le retour des civils au pouvoir et au cours de laquelle il dit vouloir une "refondation" du pays durerait 39 mois.

Les militaires ont assuré en prenant le pouvoir qu'il n'y aurait pas de "chasse aux sorcières" mais ont proclamé la lutte contre la corruption réputée endémique comme un de leurs grands combats. Les voix d'acteurs politiques se font entendre pour dénoncer une instrumentalisation de la justice pour faire taire les oppositions.

Certains responsables visés par les réquisitions du procureur général, à commencer par l'ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, sont déjà écroués pour des malversations financières présumées.

Mercredi 4 Mai 2022




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