Crise covid-19 : une prise en compte de la réalité économique et sociale dans la riposte (Par Docteur Ibra MBAYE, Economiste)


Depuis le début de l’année, le monde entier affronte une crise sanitaire sévère du covid-19 provoquée par le nouveau coronavirus, le SRAS Cov 2. Le mercredi 25 mars 2020, le Secrétaire Général de l'Organisation des nations unies a affirmé que la pandémie à covid-19 "menace l'humanité entière". Cette déclaration alarmiste démontre à suffisance la gravité de la crise sanitaire mondiale qui est en train de mettre en évidence les conséquences économiques et sociales.
Avec le covid-19, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) baisse ses prévisions de croissance de 0,5 point et table sur une augmentation du PIB mondial de 2,4 %, la plus faible hausse depuis la fin de la crise financière de 2008.  L’institution économique appelle les gouvernements à soutenir les entreprises pour éviter d’aggraver ce recul. De leur côté, les banques centrales tentent de rassurer les places financières toutes orientées à la baisse.
Les économies des pays africaines ne sont pas en reste sur les effets néfastes de cette crise du covid-19. La croissance en Afrique subsaharienne a été touchée de plein fouet par la pandémie de coronavirus et devrait se rétracter fortement entre 2019 et 2020, passant de 2,4 % à  -5,1 %, plongeant la région dans sa première récession depuis plus de 25 ans, selon la dernière édition d’Africa’s Pulse, le rapport semestriel de la Banque mondiale consacré à la conjoncture économique africaine. Ceci sera la conséquence d’une baisse des recettes d'exportations et touristiques, des Investissements Directs Étranger (IDE) et des transferts des migrants inhérente au covid-19. Les entreprises du secteur privé notamment les PME sont entrain d’être fortement impactées, ce qui nécessite des mesures d’urgence de soutien et d’accompagnement.
La spécificité de la crise à covid-19 par rapport aux crises classiques c’est l’existence simultanée d’un choc sur l’offre et d’un choc sur la demande.
Il est très difficile d’éviter les conséquences en termes d’emplois du choc sur l’offre. Celui-ci résulte des consignes de confinement total ou partiel dans beaucoup de pays qui, par défaut, se sont révélées indispensables du point de vue sanitaire. Avec une partie de la force de travail confinée, il est inévitable que la production chute. Des entreprises vont réduire leur effectif d’autres vont fermer, ce qui va entrainer des pertes d’emplois.
Le choc sur la demande a évidemment plusieurs causes qui se cumulent. Les revenus d’une partie de la population qui s’évanouissent, les consommations jugées non indispensables qui sont reportées, celles qui sont rendues impossibles par le confinement, ce qui affaiblit encore la demande. C’est le cycle bien connu de la récession. A cela s’ajoute la fonte des actifs financiers qui renvoie à des comportements de précaution qui dépriment encore plus la demande globale.
C’est cette simultanéité des chocs d’offre et de demande qui rend la situation présente si exceptionnelle et si dangereuse.
Par ailleurs, le Sénégal met en œuvre, depuis 2014, le Plan Sénégal Émergent (PSE), qui constitue le cadre de référence de la politique économique et sociale, pour atteindre une croissance forte et durable, éradiquer la pauvreté et parvenir à un développement humain durable, à l’horizon 2035. Dans la mise en œuvre, le premier Plan d’Actions Prioritaires du (PSE) entre 2014 et 2018 est achevé avec une augmentation du PIB à un taux de plus de 6% depuis plus de 4 années consécutives.  Dans le cadre du deuxième PAP (2019-2023), l’accent a été placé sur le secteur privé afin de consolider, amplifier et rendre plus inclusive cette nouvelle phase de croissance en particulier dans des secteurs porteurs.
Toutefois, face aux chocs exogènes de la crise du covid-19, le Sénégal devrait inévitablemengt revoir ses prévisions de croissance à la baisse, ce qui remettrait en cause les objectifs d’emergence économique. La fermeture des frontières aériennes et terrestres effective le 19 mars 2020 a des conséquences économiques et sociales au niveau des entreprises des secteurs du tourime et des transports aériens (fermetures temporaires, faillites, chômage). En outre, le confinement, l’ârret de travail et chômage dans les pays d’émigration a un effet compressif sur le volume des transferts effectués par nos migrants sénégalais dont le volume actuel est estimé à plus de 1000 milliards de FCFA soit plus de 10% du PIB. Les Investisssement direct étrangers (IDE) seront également menacés du fait des pertes de croissance dans les pays partenaires mais aussi de la baisse de l’attractivité de notre pays inhérente à la propagation de la maladie. Ces IDE devrait selon le CNUCED connaitre une pression à la baisse de 30% du fait de la crise du covid-19. De la même manière, les exportations du Sénégal vont baissser du fait de la chute de la demande mondiale liée à la décélération de l’activité économique mondiale.
Avec le rythme inquiétant de progression de la maladie, l’Etat du Sénégal a pris des dispositions pour freiner la propagation du covid-19 en décrétant l’état d’urgence le 23 mars 2020 et en mettant en place d’autres mesures d’atténuation des impacts économique et social de la pandémie du Covid19.
Les mesures de confinement partiel des populations prises par l’Etat pour arrêter la propagation de la maladie ne sont pas sans conséquences économiques et sociales. A coté du ralentissement de l’activité économique, ces mesures affectent les moyens de subsistance des personnes les plus démunies mais aussi les recettes fiscales de l’Etat.
Le ralentissement de l’activité économique entrainerait inévitablement des perturbations dans les chaines de production et de distribution des produits de consommation de masse avec ses conséquences sur les prix. Sur le plan social, avec une composition majoritaire du secteur informel avec des revenus précaires, les moyens de subsistance de l’écrasante majorité des sénégalais seraient menacés.  Dans la plupart des cas, ces personnes n’ont pas de revenus réguliers, pas de réserves financières et donc peu de capacité pour faire face à un confinement partiel qui signifie pour elles une chute de leurs ressources. La perturbation dans les circuits de production, de distribution et de consommation ajoutée à la baisse de la contribution du secteur non structurée dans la création de richesses entrainera inéluctablement une baisse du PIB, donc de la croissance. La baisse de l’activité économique formelle et informelle aboutit à d’importantes pertes de recettes fiscales du fait du lien direct existant entre fiscalité intérieure comme de porte et niveau de l’activité économique. Ce qui réduirait drastiquement les moyens d’intervention de l’Etat.
L’Etat du Sénégal, pour limiter l’impact de la crise, a ainsi mis en place à coté d’un programme sanitaire de contingence, un fonds de riposte et de solidarité contre les effets du covid-19 afin d’anihiler les effets économiques et sociaux de la pandémie. Ce fonds avec son budget consistant traduit la volonté affichée de l’Etat d’aller au-delà des défis sanitaires, pour considérer également les défis socio-économiques résultant de la pandémie.
Par ailleurs, les différents canaux de transmissions des conséquences de la crise sanitaire actuelle rappellent cependant les nombreuses failles des économies africaines et particulièrement de la zone UEMOA : entre autres, la forte concentration des produits d’exportation sur les matières premières à faibles valeur ajoutée, la faible diversification de l’économie, l’étroitesse de la capacité financière des Etats, la faiblesse des infrastructures, etc. C’est l’occasion donnée aux Etats africains de repenser leur modèle de développement. Au niveau mondial, les pays développés procéderont à une relocalisation de certaines industries afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Les Etats pourraient se replier sur eux même. Il apparait alors nécessaire pour les pays africains de renforcer la coopération et l’intégration régionale en réorganisant leurs économies. La capacité des Etats africains à formuler les politiques économiques pour booster les économies, sera très importante pour assurer la croissance et améliorer leur quotidien .
C’est dans ce cadre que le Sénégal a mis en place le Programme de Résilience Economique et Sociale d’un montant de 1000 milliards de FCFA avec quatre pilers : le renforcemet du systéme de santé, le renforcement de la résilience sociale des populations, la stabilité macroéconomique et financière pour soutenir le secteur privé et les emplois et l’approvisionnement régulier en hydrocarbures, produits médicaux, pharmacétiques et en denrées de premières nécessité.
Concernant les mesures spécifiques pour les secteurs les plus impactés, il s’agit de la mise en place, en partenariat avec le secteur bancaire (BCEAO et banques commerciales), d’un mécanisme de financement des entreprises affectées par la crise du covid-19 afin de leurs permettre d’accéder aux ressources nécessaires leurs permettant de faire face aux besoins urgents.
Ce mécanisme devrait permettre aux banques d’injecter une enveloppe de financement conséquente au profit de ces entreprises (de l’ordre de 200 milliards FCFA) sous forme de crédits de trésorerie ou d’investissement avec des conditions de taux d’intérêt et de maturité tenant compte de leurs situations. Aussi, une enveloppe de 100 milliards FCFA est spécifiquement dédiée à l’appui direct des secteurs de l’économie les plus durement touchés par la crise selon des modalités à définir en concertation avec les départements sectoriels concernés.
Toutefois, une bonne prise en charge passe par un ciblage correct des mesures et des dépenses de transfert annoncées.
Sous ce rapport, l’Etat devrait davantage appuyer dans ce programme de résilience, les PME et le secteur informel. Ce qui permettrait de booster la production nationale, contenir l’inflation et en même temps soutenir les faibles revenus.
En effet, la réalité économique du Sénégal est une prédominance du secteur informel représentant 97% des unités économiques contribuant à hauteur de 41,6% du PIB et employant 48,8% de la population active avec une masse salariale de 600 milliards de FCFA. Cette situation pourrait réduire les effets attendus par les autorités dans leur stratégie de lutte contre la propagation du covid-19.
En sus, les Petites et Moyennes Entreprises qui représentent la quasi-totalité du secteur privé sont le cœur de l'économie sénégalaise. Elles mobilisent une forte frange de la population tant en termes d'entrepreneurs qu'en termes d'employés. Par la relation que leurs créateurs entretiennent avec leur environnement, le potentiel de solidarité qui les caractérise et la proximité entre les opérateurs et leurs employés ou apprentis, les PME constituent également, au-delà de leur dimension économique, un moyen d'expression sociale très puissant. Ce qui explique la nécessité de prendre davantage en compte cette frange de l’économie dans le programme économique de riposte.
C’est ce que confirme d’ailleurs le Recensement Général des Entreprises (RGE, ANSD) qui montre que 99,8 % des 407.000 unités économiques recensées sont des PME qui constituent le plus grand pourvoyeur d’emplois. On estime leur contribution à deux tiers des emplois au Sénégal et à 40% du PIB. Au vu de ces statistiques, les PME constituent des acteurs essentiels de création de richesses et un levier important pour tirer la croissance, elles peuvent pleinement prendre part à ce nouveau plan de résilience économique et sociale malgré les mesures d’ordres financier, fiscal et social qui ont été déjà prises par les autorités pour les entreprises. Avec la crise, on assiste en effet à une réduction des opportunités et la baisse des transactions. Le coût de la sous-activité est en grande partie supporté par les PME, entrainant une baisse de performance et de la rentabilité et des tensions de trésorerie.
Donc, il urge de faciliter leur accès au financement notamment celui du fond de roulement grâce à des prêts ou des exonérations d’impôts temporaires, stimuler la demande de produits ou de services en soutenant une reconversion temporaire de leur production pour répondre au covid-19, protéger l’emploi et renforcer la protection sociale avec des subventions pour sauvegarder les emplois, renforcer le dispositif d’appui aux entreprises en difficulté pour améliorer leur résilience face à la crise et favoriser le consommer local et renforcer les capacités de production notamment des biens et services qui contribuent à lutter contre le covid-19.
En outre, à coté des mesures prises par la Banque centrale des états de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) pour soutenir les économies de la zone UEMOA et permettre de continuer à alimenter le système économique avec des flux financiers conséquents et d’accompagner les entreprises dans cette phase critique de la crise, les banques commerciales devraient assouplir les conditions d’octroi des crédits et de lignes de découverts, accorder des reports d’échéances de crédits aux PME et utiliser davantage les ressources du guichet spécial de refinancement des crédits accordés aux PME.
Enfin, pour une meilleure efficacité de l’appui direct et le mécanisme de financement prévus dans le programme de résilience, une synergie et une coordination entre les structures du dispositif d’accompagnement (ADEPME, DER, FONSIS, FONGIP, BNDE, CDC, ANPEJ) peuvent porter cette relance économique avec une démarche holistique, novatrice et de rupture pour une solidité et un décollage de notre écosystème économique.
 
Docteur Ibra MBAYE
Economiste
Mardi 14 Avril 2020




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