La campagne internationale de levée de fonds initiée par un parti politique dans les réseaux sociaux et les menaces immédiates de sa dissolution proférées par le ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique nous interpellent sur la question récurrente du financement des partis politiques
Des pistes d’orientation sur leur financement ont été dégagées dans le cadre de multiples commissions de réflexion. Toutes ces études contribuent à la progression de la moralisation de la vie politique
Le Professeur El hadji MBODJI avait déjà commis un Rapport au Président de la République en 1999 et, à l’initiative de quelques députés, le Forum Civil avait préconisé des solutions
Les Conclusions des Assises Nationales dont les recommandations ont été reprises par la Commission de Réforme des Institutions et les propositions du Dialogue National démontrent la question pertinente du financement des partis
Aujourd’hui, à chaque campagne électorale, on découvre que les choix politiques sont brouillés par l’utilisation massive de moyens financiers et matériels. La tyrannie de l’argent fait la décision au détriment du débat d’idées ou de l’affirmation des convictions profondes.
Ainsi les méthodes clientélistes pour se faire élire (ou réelire) favorisent un processus de marchandisation de l’électeur.
On ne saurait voir plus triste signe d’un système démocratique devenu trop mercantiliste, immoral et faussé d’avance dans ses modalités par l’absence d’égalité entre les candidats
Cela n’est pas sain. Loin de protéger la démocratie, il t’attend à l’affaiblir.
Il n’est pas utile de rappeler que la démocratie est une compétition à armes égales.
Pour la transparence dans le financement des partis politiques, l’origine des fonds et les mo- dalités des dépenses, l’opinion sénégalaise manifeste un niveau d’exigence. Elle ne peut con- cevoir que des fonds acquis par des pratiques illégales ou par des moyens de la corruption puissent servir au financement de campagnes électorales.
La loi de 1989 ( modifiant la loi de 1981) sur le financement des partis qui ne statuait pas sur le contrôle des dépenses de campagne électorale est tombée en désuétude.
Face à l’impact des moyens financiers prenant des dimensions démesurées, il est urgent de moraliser la vie politique en établissant des règles claires sur le financement des partis poli- ques et de son corollaire, le contrôle des dépenses électorales
Sur le financement des partis politiques
Le Sénégal comporte au moins 300 partis politiques. Majoritairement, ils ont un socle idéolo- gique faible. Au surplus, ils ne sont pas structurés en termes de classes sociales comme dans toutes les démocraties modernes
Incontestablement, il faut rationaliser leur nombre sans porter atteinte à leur liberté de se former et d’exercer leurs activités.
Les organes de contrôle et les tribunaux ne sauraient toutefois être limités par ce dispositif constitutionnel.
Ils ont la faculté de vérifier à tout moment si tous ces partis répondent stricto sensu aux dispo- sitions constitutionnelles et légales en vigueur : la tenue de statuts à jour, le dépôt régulier de leur compte financier, voire le non-recours à toute référence à caractère religieux, régional ou ethnique.
De nouvelles conditions tenant à leur existence restent à définir ou du moins à réaffirmer avec force : tout parti doit avoir un siège social, un assistant ou une assistante, disposer d’un dépôt de garantie bancaire, tenir régulièrement son congrès et se présenter aux élections.
Mais il serait vain de lutter contre la prolifération des partis si l’exercice de courants de pensée n’est pas toléré au sein de chaque parti. Les scissions sont le plus souvent à l’origine de la multiplication des formations politiques sénégalaises
Pourtant cela n’a rien d’un psychodrame dans la mesure où toute démocratie se nourrit de contradiction.
Concernant les candidatures indépendantes, leur reconnaissance est définitive. Elles ont le mérite d’occuper le terrain laissé en jachère le plus souvent par les politiques pour des raisons relevant d’un traditionalisme électoraliste
Les coalitions de partis dans leur organisation et fonctionnement suscitent de nombreuses interrogations. Elles ne possèdent jusqu’à ce jour de statuts ni de personnalité juridique. Elles sont donc privées de la capacité d’ester en justice.
La question du financement public des candidats indépendants et des coalitions de partis est posée ? Elle mérite d’être traitée.
Les finances des groupes politiques constitués au sein de l’Assemblée nationale et les indem- nités de frais de mandat des députés ne doivent pas rester en dehors des radars
En plus de l’aide publique, les partis peuvent recevoir des dons de personnes physiques (dans la limite de 7500 Euros en France), des cotisations et des legs.
Les personnes morales (les Entreprises) ne doivent pas être autorisées à verser le moindre don ou avantage en nature aux partis politiques
L’interdiction de financements étrangers aux partis doit être maintenue, renforcée et pour plus de cohérence morale, étendue à l’audit du fichier électoral.
Au-delà de la souveraineté, il s’agit de préserver le fondement vertueux de la République et le caractère sérieux de sa démocratie.
Sur le contrôle des dépenses électorales
Le financement des partis nous enseigne que la démocratie a un coût. Les dépenses électorales nous renvoient, quant à elles ,à la notion de transparence et aussi de décence
En effet, il est révoltant de voir dans un pays pauvre autant de sommes d’argent englouties
dans une campagne électorale
Dans les pays développés, les dépenses électorales restent elles- mêmes plafonnées et contrôlées et tout dépassement entraine des sanctions pour le candidat voire même pour son parti
C’est pourquoi, nous militons pour une loi moderne de financement des partis politiques, de plafonnement et de contrôle des dépenses électorales
Il serait donc souhaitable de mieux définir ce que sont les dépenses électorales susceptibles d’être remboursées par l’Etat.
Est-ce que les dépenses personnelles d’un candidat ou les objets promotionnels participant du débat politique peuvent figurer dans les dépenses prises en charge par les derniers publics?
Que dire des dépenses de communication facturées par de grands cabinets de communicants majoritairement de droit étranger ?
Autre sujet, les dépenses engagées en cas de primaires. Entrent-elles dans le compte des campagnes ?
Il faut aussi traiter les dépenses d’un président de la République en exercice avant sa déclarati on officielle de candidature dès lors qu’elles présentent un caractère électoral ?
Par ailleurs, on ne peut manquer de souligner cette exception sénégalaise visant l’article 38 de la Constitution permettant au président de la République d’être en même temps chef de parti tout en incarnant l’unité nationale.
Ce système en encourageant inéluctablement l’instauration d’un Etat-parti alors qu’il s’agit de restituer l’Etat à la République risque de compliquer la question des comptes de campagne.
Nous suggérons de raccourcir le temps légal d’une campagne et d’avancer la date limite d’en- registrement des candidatures, ce qui permettrait de réduire la période d’incertitude et renver- rait à la période préélectorale.
Pour que les comptes des partis ne restent plus obscurs, le contrôle pourrait être soumis à la Cour des comptes. Ou bien créer une Commission nationale des financements politiques et de contrôle des comptes de campagne.
La mission de la Commission serait de contrôler le financement des partis politiques et leurs dépenses de campagne électorale. Elle aura comme prérogatives de s’assurer que ce contrôle a été bien effectué et qu’elle a bien reçu à temps l’exercice des comptes certifiés pour arrêter le montant du remboursement des partis.
Ainsi les budgets de campagne doivent être publiés de manière détaillée et la limitation des dépenses électorales pour un montant global des crédits inscrite dans une loi de finances.
Il est indispensable pour que le contrôle soit plus efficace que la Commission ait accès en mê
me temps aux comptes de campagne du candidat et à la comptabilité du parti qui le soutient afin de pouvoir les comparer et vérifier les dépenses refacturées au candidat.
Inévitablement, la Commission doit renforcer les dispositifs internes aux partis notamment la surveillance des comptes.
En cas de manquement, le parti perd l’accès à l’aide publique et la Commission peut transmet tre au procureur de la République compétent tout dossier pour lequel des irrégularités auraient été relevées
Le Sénégal doit progresser dans la moralisation de la vie politique. Il appartient donc à l’Etat d’intervenir dans le financement des partis et que, de ce fait l’égalité de tous les Sénégalais dans ce domaine serait mieux assuré et les financements illicites, avec les risques pénaux qui en découlent, certainement limités
Le Sénégal qui a réalisé le multipartisme intégral sans effusion de sang ni conférence na-tionale et banalisé les alternances politiques, a la force de progresser dans le processus de construction d’une démocratie moderne en instaurant une loi sur le financement des partis politiques et son corollaire obligé, le plafonnement et le contrôle des dépenses électorales
Notre pays doit toujours démontrer à la face du monde qu’il fait école et exception en Afrique.
Mamadou DIALLO
Avocat au Barreau de Paris
Docteur en droit
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