Les militaires français ont commencé à se retirer des bases qu’ils occupaient à Dakar. Avec un vrai impact sur l’économie locale sénégalaise.
Une barrière levée aux couleurs délavées, un poste de vigie sans vigie… Les vestiges d’une époque pas si lointaine où il fallait montrer patte blanche pour pénétrer dans l’enceinte sont encore là. Mais ils n’impressionnent plus. C’est tout juste si les chauffeurs de taxi marquent – vieux réflexe – un temps d’arrêt devant la grille. Car, aujourd’hui, entre qui veut à la cité Claudel.
Il y a moins de six mois, l’endroit, niché sur la corniche en face de l’océan Atlantique, à cinq minutes du centre de Dakar, grouillait de vie. À l’entrée flottait un drapeau français : depuis 1956, avant même l’indépendance du Sénégal, le site servait de quartier résidentiel à l’armée française. Pendant plus d’un demi-siècle, des milliers de soldats français et d’employés civils sénégalais s’y sont mélangés. Récemment encore, une cinquantaine de familles vivaient là, certaines dans des villas confortables, d’autres dans des immeubles à trois étages sans charme. Le 15 juillet, tout ce beau monde est parti, d’un coup d’un seul. Il ne reste plus que six familles sénégalaises, dont celle d’Omar Mbodj.
Embauché dans l’armée française en 1978, à l’âge de 25 ans, ce menuisier a emménagé à la cité Claudel il y a vingt-deux ans. Ses dix enfants ont grandi ici. Aujourd’hui, il ressent le vide comme un immense gâchis. « C’est dommage, lâche-t-il dans la cour de sa maison. Fallait-il qu’ils partent ? Si ça n’avait tenu qu’à nous, ils seraient restés. »
Souveraineté
Fruit d’un accord trouvé entre les présidents Abdoulaye Wade et Nicolas Sarkozy, et d’une réorganisation générale de l’armée tricolore, qui a notamment vu la Légion étrangère quitter Djibouti pour Abou Dhabi ces derniers mois, les effectifs français ont été divisés par quatre à Dakar en quelques jours seulement. Sur les 1 200 militaires que comptait la France, 800 sont partis. Les 400 qui restent (ils ne seront plus que 300 en 2014) n’appartiennent plus aux Forces françaises du cap Vert (FFCV), dont l’acte de décès a été signé le 1er août, mais aux Éléments français au Sénégal (EFS), le nouveau nom donné à cette force allégée en nombre et en missions.
De nombreux Sénégalais ont applaudi ce départ, qui rime, selon eux, avec leur souveraineté, mais beaucoup s’en sont plaints aussi. Car l’armée française, c’était 370 emplois directs, près de 2 000 emplois indirects et une source de revenus considérable pour de nombreuses entreprises. Au début, quand la France a annoncé le départ de ses troupes, Omar Mbodj ne faisait pas le fier. « Nous étions inquiets. Nous ne savions pas quel sort nous serait réservé. » Le Syndicat national des personnels civils des armées (Synpas), auquel appartient Omar, s’était alarmé : « Les conséquences économiques et sociales pourraient être catastrophiques ! » Elles le sont en effet, mais pas pour tout le monde.
Omar en convient : le plan social négocié avec la France pendant cinq mois est satisfaisant pour les travailleurs civils sénégalais. Sur les 370 emplois civils (des menuisiers, des mécaniciens, des cuisiniers, etc.), 166 seront conservés. Pour les autres, un plan de départ volontaire est en cours d’exécution. Les partants bénéficient de mesures d’accompagnement et d’indemnités confortables (entre 2 millions et 6 millions de F CFA, soit entre 3 000 et 9 000 euros), dignes du salaire enviable qu’ils touchaient dans l’armée (694 euros en moyenne).
Dans le silence de la cité Claudel auquel il doit se faire, Omar Mbodj, qui compte parmi les futurs partants volontaires, doit chercher une nouvelle maison. « Quand je quitterai l’armée, je devrai déménager. J’irai peut-être au village. » Mais il ne s’en fait pas trop. Ceux qui l’inquiètent, ce sont « les autres » : les quelque 2 000 personnes qui, parce qu’elles avaient un contrat privé avec les militaires et non avec l’armée, n’ont pas bénéficié du plan social. Il y a là des cuisiniers, des jardiniers, des femmes de ménage. « Tous ceux-là n’ont rien eu, si ce n’est quelques meubles et appareils donnés par l’armée. Jamais ils ne retrouveront un travail aussi bien payé. »
Il y a notamment Anne-Marie Dione. Pendant plus de vingt ans, cette femme de 41 ans a vécu grâce à l’armée : dix années à vendre des objets d’art devant le camp de Bel-Air, onze à faire le ménage pour des militaires français. « Je n’ai plus d’argent. Deux de mes enfants ne vont plus à l’école. Je n’ai pas les moyens de leur payer la scolarité », dit-elle, en pleurs. Depuis le départ du gros des troupes (et de son employeur), elle fait le pied de grue à l’entrée de la base aérienne de Ouakam.
À ses côtés, des vendeurs de cigarettes, de tissus, d’objets d’art. Tous sont accablés. « Avant, ici, j’avais trente clients par jour. Aujourd’hui, même pas dix », se désole Boubacar Diallo, 41 ans dont dix-huit passés à vendre des cigarettes devant la base aérienne. Tous en veulent terriblement à Abdoulaye Wade, le seul responsable à leurs yeux du départ des troupes.
Réinsertion
Le Synpas, conscient de leur situation précaire, a élaboré pour eux plusieurs projets de réinsertion. Son secrétaire général, Ndiouga Wade, dit n’attendre qu’une réponse du gouvernement pour les financer. « Pour l’instant, il n’a rien fait pour toutes ces personnes. » Rien non plus pour accompagner les écoles privées de la capitale qui ont perdu de nombreux élèves français, les hôtels de la région de Saly, pour lesquels les militaires représentaient une part importante du chiffre d’affaires, ou encore les entreprises qui travaillaient en sous-traitance avec l’armée… Abdoulaye Wade s’est contenté de visiter la cité Claudel et de promettre d’y loger des enseignants de l’université voisine et des soldats sénégalais.
Nouvelle mission, nouvelles ambitions
Après trente-sept années d’existence, les Forces françaises du cap Vert sont devenues le 1er août les Éléments français au Sénégal (EFS). Un nouveau nom pour de nouvelles missions. Fini les opérations militaires de choc. Le 23e bataillon d’infanterie de marine (23e BIMa), qui a notamment participé à la force Licorne en Côte d’Ivoire, a ainsi été dissous. Désormais, cette entité interarmées qui dispose de moyens aériens, maritimes et terrestres est « une force qui a pour vocation la coopération régionale ». Elle accompagnera ainsi « la montée en puissance de la brigade de la Cedeao », formera les contingents africains mis à disposition des opérations de maintien de l’ordre, et poursuivra sa coopération avec le Sénégal, notamment en matière de sauvetage en mer. Pas question d’intervenir dans un pays de la zone en proie aux troubles ou de participer à la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique. « Nous n’en avons plus les moyens », confie un officier.
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Rémi Carayol, envoyé spécial à Dakar.
Une barrière levée aux couleurs délavées, un poste de vigie sans vigie… Les vestiges d’une époque pas si lointaine où il fallait montrer patte blanche pour pénétrer dans l’enceinte sont encore là. Mais ils n’impressionnent plus. C’est tout juste si les chauffeurs de taxi marquent – vieux réflexe – un temps d’arrêt devant la grille. Car, aujourd’hui, entre qui veut à la cité Claudel.
Il y a moins de six mois, l’endroit, niché sur la corniche en face de l’océan Atlantique, à cinq minutes du centre de Dakar, grouillait de vie. À l’entrée flottait un drapeau français : depuis 1956, avant même l’indépendance du Sénégal, le site servait de quartier résidentiel à l’armée française. Pendant plus d’un demi-siècle, des milliers de soldats français et d’employés civils sénégalais s’y sont mélangés. Récemment encore, une cinquantaine de familles vivaient là, certaines dans des villas confortables, d’autres dans des immeubles à trois étages sans charme. Le 15 juillet, tout ce beau monde est parti, d’un coup d’un seul. Il ne reste plus que six familles sénégalaises, dont celle d’Omar Mbodj.
Embauché dans l’armée française en 1978, à l’âge de 25 ans, ce menuisier a emménagé à la cité Claudel il y a vingt-deux ans. Ses dix enfants ont grandi ici. Aujourd’hui, il ressent le vide comme un immense gâchis. « C’est dommage, lâche-t-il dans la cour de sa maison. Fallait-il qu’ils partent ? Si ça n’avait tenu qu’à nous, ils seraient restés. »
Souveraineté
Fruit d’un accord trouvé entre les présidents Abdoulaye Wade et Nicolas Sarkozy, et d’une réorganisation générale de l’armée tricolore, qui a notamment vu la Légion étrangère quitter Djibouti pour Abou Dhabi ces derniers mois, les effectifs français ont été divisés par quatre à Dakar en quelques jours seulement. Sur les 1 200 militaires que comptait la France, 800 sont partis. Les 400 qui restent (ils ne seront plus que 300 en 2014) n’appartiennent plus aux Forces françaises du cap Vert (FFCV), dont l’acte de décès a été signé le 1er août, mais aux Éléments français au Sénégal (EFS), le nouveau nom donné à cette force allégée en nombre et en missions.
De nombreux Sénégalais ont applaudi ce départ, qui rime, selon eux, avec leur souveraineté, mais beaucoup s’en sont plaints aussi. Car l’armée française, c’était 370 emplois directs, près de 2 000 emplois indirects et une source de revenus considérable pour de nombreuses entreprises. Au début, quand la France a annoncé le départ de ses troupes, Omar Mbodj ne faisait pas le fier. « Nous étions inquiets. Nous ne savions pas quel sort nous serait réservé. » Le Syndicat national des personnels civils des armées (Synpas), auquel appartient Omar, s’était alarmé : « Les conséquences économiques et sociales pourraient être catastrophiques ! » Elles le sont en effet, mais pas pour tout le monde.
Omar en convient : le plan social négocié avec la France pendant cinq mois est satisfaisant pour les travailleurs civils sénégalais. Sur les 370 emplois civils (des menuisiers, des mécaniciens, des cuisiniers, etc.), 166 seront conservés. Pour les autres, un plan de départ volontaire est en cours d’exécution. Les partants bénéficient de mesures d’accompagnement et d’indemnités confortables (entre 2 millions et 6 millions de F CFA, soit entre 3 000 et 9 000 euros), dignes du salaire enviable qu’ils touchaient dans l’armée (694 euros en moyenne).
Dans le silence de la cité Claudel auquel il doit se faire, Omar Mbodj, qui compte parmi les futurs partants volontaires, doit chercher une nouvelle maison. « Quand je quitterai l’armée, je devrai déménager. J’irai peut-être au village. » Mais il ne s’en fait pas trop. Ceux qui l’inquiètent, ce sont « les autres » : les quelque 2 000 personnes qui, parce qu’elles avaient un contrat privé avec les militaires et non avec l’armée, n’ont pas bénéficié du plan social. Il y a là des cuisiniers, des jardiniers, des femmes de ménage. « Tous ceux-là n’ont rien eu, si ce n’est quelques meubles et appareils donnés par l’armée. Jamais ils ne retrouveront un travail aussi bien payé. »
Il y a notamment Anne-Marie Dione. Pendant plus de vingt ans, cette femme de 41 ans a vécu grâce à l’armée : dix années à vendre des objets d’art devant le camp de Bel-Air, onze à faire le ménage pour des militaires français. « Je n’ai plus d’argent. Deux de mes enfants ne vont plus à l’école. Je n’ai pas les moyens de leur payer la scolarité », dit-elle, en pleurs. Depuis le départ du gros des troupes (et de son employeur), elle fait le pied de grue à l’entrée de la base aérienne de Ouakam.
À ses côtés, des vendeurs de cigarettes, de tissus, d’objets d’art. Tous sont accablés. « Avant, ici, j’avais trente clients par jour. Aujourd’hui, même pas dix », se désole Boubacar Diallo, 41 ans dont dix-huit passés à vendre des cigarettes devant la base aérienne. Tous en veulent terriblement à Abdoulaye Wade, le seul responsable à leurs yeux du départ des troupes.
Réinsertion
Le Synpas, conscient de leur situation précaire, a élaboré pour eux plusieurs projets de réinsertion. Son secrétaire général, Ndiouga Wade, dit n’attendre qu’une réponse du gouvernement pour les financer. « Pour l’instant, il n’a rien fait pour toutes ces personnes. » Rien non plus pour accompagner les écoles privées de la capitale qui ont perdu de nombreux élèves français, les hôtels de la région de Saly, pour lesquels les militaires représentaient une part importante du chiffre d’affaires, ou encore les entreprises qui travaillaient en sous-traitance avec l’armée… Abdoulaye Wade s’est contenté de visiter la cité Claudel et de promettre d’y loger des enseignants de l’université voisine et des soldats sénégalais.
Nouvelle mission, nouvelles ambitions
Après trente-sept années d’existence, les Forces françaises du cap Vert sont devenues le 1er août les Éléments français au Sénégal (EFS). Un nouveau nom pour de nouvelles missions. Fini les opérations militaires de choc. Le 23e bataillon d’infanterie de marine (23e BIMa), qui a notamment participé à la force Licorne en Côte d’Ivoire, a ainsi été dissous. Désormais, cette entité interarmées qui dispose de moyens aériens, maritimes et terrestres est « une force qui a pour vocation la coopération régionale ». Elle accompagnera ainsi « la montée en puissance de la brigade de la Cedeao », formera les contingents africains mis à disposition des opérations de maintien de l’ordre, et poursuivra sa coopération avec le Sénégal, notamment en matière de sauvetage en mer. Pas question d’intervenir dans un pays de la zone en proie aux troubles ou de participer à la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique. « Nous n’en avons plus les moyens », confie un officier.
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Rémi Carayol, envoyé spécial à Dakar.
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