Souvent tus et le plus souvent réglés dans le cadre familial, l'inceste a détruit la vie de plusieurs jeunes filles au Sénégal. A Dakar, comme dans certains coins du pays, des filles tombées enceintes des suites d’un viol ou d’un inceste purgent aujourd’hui des peines de prison pour infanticide. Face au calvaire des enfants nés de ces agressions sexuelles, à tout point de vue, la nécessité d’une loi en faveur de l’avortement médicalisé pour eux, est remise sur la table. Dakaractu revient ici sur le triste destin de deux jeunes adolescentes victimes d’inceste.
Les histoires de viol ou d’inceste suivi de grossesse, longtemps, étouffées par les proches des victimes ont engendré de gros dégâts au sein de plusieurs familles. Mais, ces agressions sexuelles ont également conduit, bien souvent, des femmes à commettre des infanticides pour se séparer de leur enfant qu’elles considéraient comme ‘’un fardeau’’. Au vu de la pléthore de cas d’avortements clandestins, d’infanticides, d’incestes et de viols, des acteurs de la Société civile ont pris sur eux de susciter le débat sur la nécessité d’avoir une loi favorable à l’avortement médicalisé. Une loi qui ne profiterait qu’aux femmes victimes de viol ou d’inceste suivi de grossesse. Plus d’un an après le lancement d’un plaidoyer en faveur de cette loi, Dakaractu a pu recenser des tranches de vie de certaines victimes. Il s’agit de celles de Aïcha Touré et de Mariama Diallo (des noms d’emprunt). Toutes deux ont été de petites innocentes jusqu’à ce que le sort s’acharne sur elles. Leurs vies détruites par un papa ‘’irresponsable’’, elles ont vécu des calvaires dont les cicatrices sont toujours visibles.
Et c’est à Yeumbeul où s’est passée le premier cas sur lequel la rédaction a voulu se pencher. A l’hôpital de Thiaroye, une des structures de santé du département de Pikine, le déclic est venu d’une visite inattendue d’une jeune fille venant d’un quartier périphérique. Fraichement sortie de l’enfance, la voilà qui est allée demander à voir l’assistante sociale. Mise en rapport avec une gynécologue en service dans cet établissement public de santé, Aïcha, une gamine de 14 ans, a manifesté sa volonté de mettre un terme à sa grossesse. Une demande qui a fait sauter l’assistante de sa chaise. Mais, interrogée, elle a confié qu’elle voulait se libérer de cette grossesse dont son propre papa est l’auteur. Un inceste dont elle dit avoir été contrainte par son père qui lui avait demandé de choisir entre perdre sa virginité ou sa mère.
Aïcha Touré, jeune banlieusarde, est issue d’une famille qui peine à s’assurer deux repas par jour. Une situation de précarité dont elle est consciente. C’est alors que son papa, carreleur de profession et la quarantaine consommée, a tenté de lui faire croire qu’un marabout lui avait recommandé du sang d’une vierge ou la mort de son épouse pour qu’il puisse s’enrichir. La fille a choisi que sa maman vive et a cédé à la demande de son père. Ils ont eu des relations incestueuses, une première fois, puis une seconde fois avec toujours les mêmes alibis. Et c’est des suites de ces conjonctions sexuelles incestueuses qu’elle est tombée enceinte. Ayant constaté ce qui lui est arrivé, elle a caché son état et s’est rendue à l’hôpital, en séchant les cours. Le papa, auteur de ce délit infâme, a été convoqué et mis devant ses responsabilités par le personnel de ladite structure hospitalière. Celui-ci, mis au parfum a reconnu les faits, mais s’est enfui et a quitté le pays pour se tirer d’affaire.
‘’Un marabout lui avait recommandé du sang d’une vierge ou la mort de son épouse’’
L’adolescente, elle, n’a pas été laissée seule dans ses rudes épreuves. Une épreuve qu’elle a difficilement vécue. Accompagnée jusqu’au terme de sa grossesse, elle n’a de cesse demandé à ce que les personnels de santé l’aident afin qu’elle ne garde aucun souvenir de cet enfant. Elle disait tout le temps au gynéco qu’elle ne voulait pas sentir son accouchement. Elle a finalement eu droit à une césarienne. Le plus triste dans cette histoire est que la petite Aïcha n’a fait montre d’aucun réflexe maternel. Elle a supplié le personnel médical ne pas lui montrer son enfant. Ce bébé qu’elle venait de donner naissance. Elle a fait savoir qu’elle ne voulait même plus entendre parler de cet enfant pour le reste de sa vie. La mère d’Aïcha, interrogée, a dit être en phase avec sa fille. Laquelle lui avait clairement fait savoir qu’elle préférait mourir plutôt que de voir le bébé. Pis, elle dit regretter tout ce qu’elle a subi au cours de sa grossesse.
Mariama Diallo, elle, a vécu une situation similaire à celle d’Aïcha. Abusée par son père l’enfant issu de son agression sexuelle incestueuse a aujourd’hui 4 ou 5 ans. La jeune fille tombée enceinte a gardé la grossesse jusqu’à terme, malgré elle. Mais, elle en a tellement voulu à son papa qu’elle faisait vivre l’enfer à son bébé. A plusieurs reprises, elle a brûlé l’enfant en lui infligeant les pires souffrances, juste pour qu’il meure. Affectée par cette situation intenable, sa mère est finalement tombée dans une grave dépression. Son époux, reconnu coupable et condamné à 10 ans de prison, lui en a voulu. En détention, il faisait parvenir des menaces de mort à sa dame alors que celle-ci était au chevet de sa fille. Traumatisée et souffrante d’une grave dépression, elle a fini par décéder, il y a quelques mois.
‘’Elle a brûlé l’enfant en lui infligeant les pires souffrances, juste pour qu’il meure’’
L’histoire de la petite Aïcha est, pour les membres du Comité plaidoyer pour l’accès à l’avortement médicalisé au Sénégal, une autre raison pour l’Etat d’autoriser l’avortement médicalisé à certaines personnes. Après le pas en avant de l’Etat qui a examiné et adopté le projet de loi modifiant celle portant Code pénal avec des chapitres visant à durcir la répression du viol et de la pédophilie et des sanctions pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité, ces défenseures de la cause féminine continuent de nourrir l’espoir. Ce comité fort de 22 organisations de la Société civile dit attendre des législateurs qu’ils intègrent ce droit dans les textes pour éviter que, demain les victimes d’inceste ou de viol suivi de grossesse ne connaissent pas les difficultés que Aïcha, Mariama et leurs semblables, ont connu durant ces 9 mois.
‘’Avec sa grossesse, elle a vécu les pires années de sa vie. Ayant senti les premiers signes de sa grossesse, suite à l’abus sexuel dont elle a fait l’objet, elle s’est emmurée dans un silence de cathédrale plusieurs semaines durant. Elle était devenue asociale et fuyait se cacher dès qu’elle entendait une voix qui lui était étrangère. Elle fuguait même quand l’envie lui prenait. Quant au bébé qu’elle a mis au monde, elle dit ne sentir aucun lien affectif à son endroit. Ce qui fait que le petit subissait un rejet total’’, a-t-on confié à Dakaractu. ‘’Je ne veux pas voir l’enfant. Il ne peut pas être le mien. Comment mon propre enfant et moi pouvons-nous avoir le même papa ? Cet enfant ne peut pas être le mien dans la mesure où il a été conçu des suites d’une agression sexuelle commise par mon propre père’’, a dit Mariama Diallo.
‘’ Comment mon propre enfant et moi pouvons-nous avoir le même papa ?’’
Le petit, selon des témoignages recueillis, a vécu les pires atrocités. Innocent de tout, sa jeune maman a eu à lui faire subir les pires souffrances telles que des brûlures. Aucun sentiment d’amour ne lui est manifesté malgré sa fragilité. La défunte maman de Mariama, de son côté, a vécu le martyr, dans son quartier, durant tout ce temps. Elle était pointée du doigt dans la rue et était l’objet de tous les regards. Mais elle a eu à confier qu’elle aurait voulu qu’il existe une solution pour éviter que des parents vivent l’angoisse qu’elle a vécu. Pour plus d’un une loi en faveur des victimes de viol ou d’inceste suivi de grossesse serait la bienvenue. Elle aurait permis de corriger certaines erreurs commises au sein du cadre familial par un proche parent.
D’ailleurs, confie Amy Sakho, la coordinatrice dudit comité, ‘’il suffisait juste de discuter avec la maman ou la petite pour comprendre qu’elles auraient fait l’avortement clandestinement si une once de possibilité leur était offerte. Elles sont dans le désarroi et sont membres d’une famille extrêmement pauvre’’. Et près de 5 ans après l’inceste dont elle a été l’objet, la petite Yama commence à reprendre un peu goût à la vie. Orpheline de mère depuis quelques mois, son papa incestueux en prison, elle est aujourd’hui à la charge d’une de ses parents avec son enfant. Un lourd fardeau pour la gamine et pour son enfant.
Deux cas parmi tant d’autres pris en charge par des organisations de la Société civile comme l’Ajs (Association des femmes juristes du Sénégal) et le Cegid (Centre de guidance infantile et familiale de Dakar). Des organisations qui se battent pour offrir un suivi psychologique aux victimes de viol et d’inceste afin qu’elles ne finissent pas par commettre l’avortement clandestin. Dans leurs démarches, elles s’investissent beaucoup pour conscientiser les victimes d’abus sexuels.
7 cas d’inceste enregistrés à Pikine au cours de cette année
En 2019, rien que pour la Boutique de droit de Pikine, ce sont 7 cas d’inceste qui ont été enregistrés, a appris la rédaction. Cela, compte non tenu des cas non révélés et gérés en sourdine dans le cadre familial. L’avantage d’une loi favorable à l’avortement médicalisé pour les victimes de viol/inceste suivi de grossesse est qu’on n’allait pas arriver à ces extrémités-là. Beaucoup de ces femmes accusées d’avoir commis un infanticide n’allaient pas commettre une telle chose. Pour la petite Mariama, c’est un drame familial qui s’est passé. Si cette famille avait la possibilité de bénéficier d’une autorisation d’avortement, elle ne serait pas obligée d'endurer ce calvaire. Parce que cette loi allait permettre l’avortement exclusivement dans les premiers 3 mois de grossesse, pour ces victimes de viol et inceste. Et il n’y aurait pas tout ce problème. Parce qu’il est avéré que les conséquences d’une agression sexuelle suivie de grossesse vont au-delà de la victime et affecte aussi l’enfant, renseigne la coordinatrice dudit comité de plaidoyer.
Il faut rappeler que depuis plusieurs mois, un projet de loi est déposé au niveau du Garde des Sceaux. C’était du temps de Me Sidiki Kaba. Un Comité de révision des dispositions discriminatoires que le ministre avait mise en place et qui a eu à travailler sur un draft de projet de loi. Le travail a été finalisé. Ce qui reste à faire, de nos jours, c’est de remettre le rapport au président de la République qui doit donner la suite à ce document-là. La formation d’un nouveau gouvernement n’a pas refroidi les ardeurs dudit Comité de plaidoyer. Celui-ci a eu des rencontres avec Me Malick Sall, actuel Garde des Sceaux qui leur a confirmé qu’effectivement le rapport est terminé. Et qu’il ne lui reste qu’à le soumettre au président de la République, a appris Dakaractu.
Ces causes réelles de ces avortements clandestins et des infanticides
A l’heure actuelle, ledit comité plaidoyer continue de faire les pieds et les mains pour que le rapport soit transmis au président Macky Sall qui doit décider de la suite à donner à ce rapport. Une issue favorable pour ce plaidoyer est tant espérée par Amy Sakho, la coordinatrice du Comité plaidoyer et l’ensemble des acteurs de la Société civile réunis dans cette plateforme. Ces derniers disent être convaincus ‘’que cette loi pourrait impacter positivement sur le nombre d’avortements clandestins qui conduisent à des dizaines de décès de femmes ; mais aussi sur l’effectif des détenues dans les prisons pour infanticide ou tentative d’avortement. Ce que nous ne cessons de dire souvent est que rien ne justifie l’avortement ou l’infanticide. Mais est ce que les gens se sont posés la question de savoir qu’est ce qui inciterait une femme qui a porté sa grossesse pendant 9 mois, de finir par ôter volontairement la vie de leur bébé ? Qu’est ce qui se cache derrière cet acte-là ?’’, un chapelet de questions qui nécessitent des réponses ?, s’est-elle interrogée.
Il est, en effet, des conséquences de l’inceste, le fait que l’enfant issu de cette acte ne puisse pas avoir droit à une déclaration de naissance. Et même si l’homme qui l’a engendré, après son mea culpa, voulait faire sa déclaration, le droit ne le lui permet pas. Tout simplement parce que l’enfant concerné est né des suites d’un inceste. Dans son extrait de naissance, il sera bien indiqué ‘’père inconnu’’. Ce qui va démontrer à suffisance que c’est un enfant déjà discriminé, regrette le Comité plaidoyer qui estime qu’il est aujourd’hui, l’heure pour que des réformes soient entreprises dans ce sens.
Pour l’Imam Ahmadou Kanté, Imam de la mosquée du Point E (Dakar), le viol et l’inceste ne sont pas des raisons, pour l’islam, pour autoriser l’avortement. Mais, il a souligné que l’avortement peut être toléré par l’islam si la grossesse portée devient un cas compliqué où il y a risque de mort de la femme. ‘’Dans tous les cas, quand il y a risque de mort de la femme en état de grossesse, que ce soit des suites d’un inceste ou des suites d’un viol, si cela est attesté par des médecins assermentés, l’avortement peut intervenir. Là ça devient un avortement thérapeutique’’, a dit l’Imam Kanté.
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