Joignant la parole à l’acte, le Front Démocratique Pour une Élection Inclusive (FDPEI), a saisi la Cour suprême d’un recours pour annulation du décret présidentiel convoquant le collège électoral pour le scrutin du 24 mars prochain. Dans la foulée les 16 candidats ‘’spoliés’’ regroupés au sein du FDPEI s’en sont ouverts à la Commission Électorale Nationale Autonome (C.E.N.A.). Ils demandent l’annulation du décret 2024-690 du 06 mars 2024 (abrogeant le décret n° 2023-339 du 16 février 2023 et fixant la date de la prochaine élection présidentielle), du décret n° 2024-691 du 06 mars 2024 (portant convocation du corps électoral) et le décret n° 2024-704 du 07 mars 2024 (fixant la période de la campagne électorale pour l’élection présidentielle du 24 mars 2024). Au soutien de leurs recours ils se sont appuyés sur un moyen principal : « le décret trahit la loi électorale en faisant fi des dispositions électorales ».
Plusieurs arguments inclinent au rejet pur et simple de ces deux recours. ➢
Premier argument juridique : On peut s’intéresser sur le défaut d’intérêt et de qualité à agir des requérants : • De jurisprudence constante, la Cour suprême a rappelé que : « Le recours pour excès de pouvoir n’est ouvert qu’à ceux qui peuvent justifier que l’annulation qu’ils demandent, présente pour eux un intérêt personnel, la notion d’intérêt s’entendant comme le droit de ne pas souffrir personnellement de l’illégalité ». Tel est le sens de de son 4e Considérant dans son arrêt n° 50 du 26 septembre 2013 (Cheikh Tidiane Sy et autres c/Etat du Sénégal ; • Déjà, par sa décision n° 2/E/2024 du 20 janvier 2024, le juge de l’élection, le Conseil constitutionnel en arrêtant et en publiant la liste des candidats retenus pour l’élection présidentielle a dénié tout intérêt personnel, toute qualité à agir aux requérants dits ‘’spoliés’’. Il a consolidé cette jurisprudence dans ses quatre décisions ayant trait à l’élection présidentielle. Ils l’ont rappelé dans leur décision n° 4/E/2024 du 20 février 2024 donnant acte à Rose Wardini du retrait de sa candidature. C’est sur cette base qu’il accueillera favorablement les requêtes objet de ses décisions du 15 février 2024 et du 06 février 2024. • Dès lors, il appert qu’aucune disposition de notre droit positif ne permet de saisir cette ‘’catégorie juridique’’ fuyante. De façon simple, les candidats recalés par le Conseil constitutionnel ne jouissent d’aucun statut particulier. Ils redeviennent ce qu’ils étaient avant de candidater à la candidature : de simples citoyens-électeurs. • On le voit, ce premier argument, à lui seul, permet à la Cour suprême de décliner sa compétence en déclarant l’irrecevabilité du recours du FDPEI. ➢
Deuxième argument juridique : Ne sommes-nous pas, ici, en présence d’un acte de gouvernement ? Tout porte à le croire. • Par définition, les actes de gouvernement sont ceux, qui, bien qu’étant pris par les autorités administratives ne sont susceptibles d’aucun recours juridictionnel. Ils bénéficient d’une immunité juridictionnelle absolue. • Indéniablement La convocation du collège électoral, la fixation de la date de l’élection présidentielle et la fixation de la période de la campagne électorale rentrent dans cette catégorie des actes insusceptibles de recours pour excès de pouvoir. La Cour suprême l’avait déjà clairement indiqué dans son arrêt du 17 mars 2016 (Ousmane Sonko c/ État du Sénégal).
➢ Troisième argument juridique : Ces décrets ont-ils ‘’trahi le Code électoral’’ ? : • Il n’est pas discuté qu’en matiére de campagne électorale en vue l’élection du Président de la République, l’article LO 129 du Code électoral exige le respect d’une période de vingt et un (21) jours. Il n’est pas non plus réfuté qu’à la lecture de l’alinéa 1er de l’article LO 137 un délai de 80 jours au moins est requis concernant la convocation des électeurs avant la date du scrutin. L’exigence d’un décret publié au Journal Officiel est une condition substantielle ; • Á la vérité, tous ces impératifs légaux aménagés dans la Loi organique portant Code électoral ne prévalent qu’en période normale. En cas d’‘’urgence’’ (Considérant n° 10 de la décision n° 5/E/2024 délibérée par Conseil constitutionnel en sa séance du 06 mars 2024) et de ‘’circonstances particulières’’ (Considérant n° 18 de la décision sus-indiquée), les sept Sages ont achevé de neutraliser les dispositions des articles LO 129 et LO 137 du Code électoral. • Le Considérant n° 5 de la décision du 06 mars 2024 est édifiant. Il anéantit le moyen d’annulation tiré du non-respect des dispositions pertinentes du Code électoral relatives aux délais fixés pour la convocation du corps électoral, pour la fixation de la date du scrutin et pour la détermination de la période de la campagne électorale. Sa fidèle restitution en donne toue la mesure : « 5. Considérant qu’il ressort de l’article L. 63 du Code électoral que la date du scrutin est fixée par décret ; que toutefois, les dispositions et délais prévus par la Constitution et le Code électoral, notamment l’article LO 137, s’applique au schéma d’un déroulement normal du processus électoral en vue de l’élection d’un Président de la République avant la fin du mandat en cours ; que ces textes et délais perdent leur finalité dès lors que des facteurs non conformes à la réalité institutionnelle, juridique et factuelle ont affecté le processus initialement mis en place (c’est nous qui soulignons) ; que, de même, les événements d’ordre religieux, social et culturel ne sont pas incompatibles avec l’exercice des droits des citoyens, notamment le droit de vote » ;
➢ Quatrième argument juridique : Quid de la plénitude de juridiction du Conseil constitutionnel en matiére électorale ? Plusieurs éléments transparaissent à la lecture Titre II du Code électoral consacré aux « dispositions relatives à l’élection du Président de la République » : • De façon commode, la plénitude de juridiction confère à une juridiction une compétence générale. Elle lui procure la capacité à connaître toutes les questions soulevées dans une matiére donnée. En matiére électorale, le Conseil constitutionnel dispose d’une plénitude de juridiction. C’est ce qui transparait, avec force, dès le Considérant n° 7 de sa décision délibérée le 15 février 2024. • Mieux encore, dans ce 7e Considérant les juges constitutionnels rappellent la compétence de la Cour suprême en matiére d’excès de pouvoir des autorités exécutives.
Concomitamment, les six juges constitutionnels présents vont se déclarer compétents « pour connaître de la contestation des actes administratifs, lorsque ces actes sont propres à ce scrutin ». A notre sens, les trois décrets attaqués par les candidats ‘’spoliés’’ sont des actes administratifs propres à ce scrutin. Par voie de conséquence, la logique aurait voulu que ces recours soient portés à la sagacité de nos sept Sages, seuls compétents en la matière. • La Cour suprême n’est invoquée qu’une seule fois tout au long des 27 articles qui balisent ledit Titre II. Seul l’alinéa 4 de l’article LO. 134 fait appel à ses services et compétences. C’est dans le cadre de la contestation d’une décision de la Commission Électorale Nationale Autonome (C.E.N.A.) que cela est rendu possible.
Á cet effet, le candidat concerné par la décision querellée peut saisir la Cour suprême d’un recours pour excès de pouvoir ; • Hormis cette hypothèse, l’élection du Président de la République est partagée entre le Conseil constitutionnel et la Cour d’Appel de Dakar, qui se complètent. Le premier, le Conseil constitutionnel, par vingt fois au moins, est cité dans le Titre II. Il se retrouve au début et à la fin du processus électoral. Son rôle est matriciel. La seconde, la Cour suprême, elle, est convoquée une quinzaine de fois. Ses missions de veille sont fondamentales (égalité entre les candidats, régularité de la campagne électorale, etc.) ; •
Cinquième argument : La C.E.N.A. a-t-elle les moyens de se substituer au Président de la République ? Peut-il le dessaisir ? D’abord, c’est devant le Conseil constitutionnel que les membres de la C.E.N.A prêtent serment (article L. 19 du Code électoral). Ensuite, ces décrets notifiés au Conseil constitutionnel le 6 mars 2024, relèvent des prérogatives légales du Président de la République. C’est que confirme le Conseil constitutionnel à travers son Communiqué du 7 mars 2024. Enfin, la C.E.N.A., autorité administrative n’échappe pas à la rigueur des dispositions de l’alinéa 4 de l’article 92 de la Constitution du Sénégal de 200, modifiée. • Tout bien considéré, il est possible de retenir les enseignements suivants : ❖ L’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt et de qualité à agir des requérants ; ❖ L’immunité juridictionnelle des actes querellés parce que revêtus du statut d’‘’actes de gouvernement’’ ;
❖ La neutralisation des textes et délais du Code électoral pour ‘’processus électoral affecté‘’ ;
❖ La plénitude de juridiction du Conseil constitutionnel en matière électorale, parce que juge de la régularité du processus électoral ;
❖ L’atonie de la C.E.N.A. pour se substituer au Président de la République ;
❖ L’assujettissement de la Cour suprême et de la C.E.N.A. aux dispositions de l’article 92, alinéa 4 de la Charte fondamentale du Sénégal de 2001, modifiée. Le Dimanche 24 mars 2024, après moult convulsions socio-politiques, aux urnes citoyens et citoyennes du Sénégal ! Alea jacta est, le sort en est jeté !!!
Ameth NDIAYE Maitre de Conférences Titulaire (CAMES) Responsable des Masters I et II (Droit et Administration des Collectivités Territoriales/DACT/UCAD)
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