M. Abdou Aziz Mbaye, on ne vous a plus entendu depuis votre sortie du gouvernement. Que devenez-vous ?
J’ai repris très vite mon travail, celui que j’ai pratiqué pendant 25 ans, à l’Union européenne. Je suis un diplomate de l’Union européenne, et j’ai repris mon travail en retournant à Bruxelles où on m’a confié de nouvelles tâches qui étaient très importantes, parce que les deux dernières années où je n’étais pas ici, j’ai fait la préparation du Sommet Europe-Afrique sur la migration qui s’est tenu à Malte en novembre dernier. Et aujourd’hui, je suis en train de suivre la mise en œuvre du Plan d’action qui a été adopté et qui offre un terrain nouveau aux Européens qui sont aujourd’hui sous le poids de beaucoup de flux migratoires dus d’une part à ce qui se passe en Syrie, et d’autre part à des centaines de milliers de gens qui quittent l’Afrique et qui se retrouvent aussi sur ce que l’on appelle la «Route de la Méditerranée», une route qu’utilisent souvent des bateaux et qui voit beaucoup de morts, des Africains qui meurent à la frontière de l’Europe et c’est une situation qui concerne beaucoup l’Europe.(…)
J’ai travaillé pendant deux ans à la préparation de ce sommet qui a été une très grande réussite avec 35 pays africains d’un côté et 28 pays européens de l’autre, ainsi que toutes les organisations internationales, comme l’Onu, l’Organisation internationale des migrations (Oim), la Cedeao, l’Union africaine, l’Union européenne, et le Conseil européen. Et c’est une rencontre où j’ai une fois de plus eu l’honneur de rencontrer le Président Macky Sall qui, encore une fois, a représenté le Sénégal à un niveau extraordinaire que tous les participants ont noté. L’importance d’abord du rôle du Sénégal, en tant que président de la Cedeao, sur les questions migratoires au niveau ouest-africain, ainsi que l’importance du pays en tant qu’interlocuteur politique international, aujourd’hui incontournable sur beaucoup de sujets dans le monde.
A vous entendre, on croirait que vous aviez été un fonctionnaire en détachement au Sénégal et la mission terminée, vous êtes retourné à votre poste d’origine.
Noon ! C’est une relation. Je suis ami au président de la République, bien avant qu’il ne soit Président. Nous sommes amis depuis 2004, juste au moment où il est devenu Premier ministre. On s’est engagé mutuellement à se soutenir. Il m’a approché avec une telle humilité et une telle simplicité pour demander ma contribution à ce qu’il faisait alors. Et c’est en ce moment-là que je me suis engagé à ne jamais le lâcher dans ce qu’il a entrepris pour le Sénégal, et je sais qu’il a une très grande ambition et une très grande volonté pour le Sénégal. Pour un Sénégalais comme moi, de mon âge, de mon expérience, il n’y a pas meilleur moyen d’utiliser son talent, sa capacité que d’être auprès d’un homme qui a une ambition pour son pays et pour son Peuple. Je suis d’ici. Quand j’étais parti étudier, j’ai appris beaucoup de choses. Que ce soit au Cnrs où je suis chercheur titulaire à vie, que ce soit à l’Union européenne où je suis fonctionnaire de haut niveau (Senior policy maker comme on dit), dans tous ces endroits, je reste un Sénégalais. Parce que ce que je ramène de là-bas, je le ramène au Sénégal et je veux faire en sorte que ce soit utile aux Sénégalais.
Vous avez été appelé à servir votre pays à un niveau important et vous en êtes parti. Comment aviez-vous vécu votre sortie du gouvernement ?
Je ne dirai pas les détails de mes discussions avec le Président. Cela restera à jamais entre nous, parce que c’est entre deux amis. Mais je suis parti sans l’ombre d’une aigreur. Je suis parti avec son soutien pour des raisons qu’il savait et que je savais.
Il se dit que certains de vos collègues ont quasiment scié la branche sur laquelle vous étiez assis…
(...) mais ça c’est le jeu politique. Maintenant, c’est un jeu intelligent où les gens évitent de s’asseoir sur une branche que l’on peut couper. Mais la question est intéressante. Etre aux côtés du Président ne veut pas dire nécessairement être au gouvernement. Si demain je dois faire quelque chose au Sénégal et qu’il désigne un endroit, un lieu où il a besoin de moi, j’irais le faire parce que je suis à la disposition du Sénégal et je suis un enfant de la République. Je suis un enfant de la République ! J’ai été à l’école primaire, payé par le Sénégal. J’ai été interne au lycée, payé par le Sénégal. J’ai été boursier jusqu’au diplôme d’ingénieur. Je n’ai quitté le système de bourse du Sénégal qu’au moment où je suis devenu un ingénieur plein et où je m’attaquais à mon doctorat d’Etat. En ce moment, le Sénégal n’avait pas de politique de soutien des doctorats d’Etat en tant que tel et la France a pris le relais. C’est comme ça que les choses se sont naturellement faites, mais je reste un Sénégalais, un fils de la République, de ce pays, et j’en suis très fier. Et quand le Président me demande de faire quelque chose, je le fais.
Apparemment, votre limogeage n’a pas gâché ces relations d’amitié
Mais pas du tout ! Parce que tout était discuté, tout était directement sur la table. Je vous ai dit que jamais on ne discutera de cette affaire en public, cela ne regarde que nous deux. C’était le moment d’aller faire autre chose et je suis allé faire cette autre chose. Je me suis occupé de moi-même et de travaux absolument intéressants qui, au demeurant, étaient intéressants aussi pour le Sénégal. Ce que j’ai fait pour l’Europe a en définitive fini par servir le Sénégal dans la mesure où il a été le pays le plus remarqué de la conférence de La Valette. Macky Sall a été le Président le plus en vue. Il y en avait des plus âgés que lui là-bas et certains qui dirigent des pays plus grands que le Sénégal, mais lui était devant. Et ça, c’est ma fierté. Je trouve important d’appartenir à un groupe dans lequel on trouve des hommes d’Etat de cette envergure.
Vous avez été membre du gouvernement sénégalais tout en détenant un passeport étranger. Aujourd’hui, se pose au Sénégal le débat sur le besoin d’écarter de certaines fonctions électives des compatriotes binationaux. Quelle est votre opinion sur la question ?
Dans l’économie du Sénégal, chaque année, entrent à peu près mille milliards de francs Cfa, provenant des contributions des gens de la diaspora. Cet argent vient des gens qui ont travaillé très dur dans les pays dans lesquels ils sont. Des gens méritants. Des gens de talent. Ils ont parfois tellement de talent que leur pays hôte les récupère comme des nationaux, leur offre la deuxième nationalité. Mais est-ce qu’ils ont cessé d’être des Sénégalais parce qu’ils sont devenus des nationaux de ces pays-là ? Pourquoi enverraient-ils ce montant extraordinaire d’environ 1 000 milliards de Cfa (932 milliards en 2014) pour améliorer le quotidien des paysans, des ruraux et des urbains de ce pays ? Qui va me dire que ce Sénégalais qui détient une autre nationalité est moins Sénégalais que celui qui est resté ici et qui ne contribue en rien du tout à l’économie nationale ?
La deuxième chose est que le fait de reconnaître l’apport de leurs contributions au pays peut être avantageux en termes de transfert de technologies, transfert de connaissances et de beaucoup d’autres choses. Il ne faut pas poser des faux débats.
Je suis né en 1954, ce pays était français et je suis né dans une des 4 communes. Donc, je pouvais réintégrer la nationalité ou l’acquérir par mariage. Cela s’est fait au moment où le Cnrs m’a dit : «Là où vous travaillez, c’est un laboratoire de défense nationale. Il faut des Français pour y travailler.» Et j’ai fait ma thèse dans ce laboratoire d’excellence. Et c’est pour ça que je suis devenu Français. Mais est-ce que cela fait de moi un Sénégalais de moindre importance ? Non ! Cela a fait de moi un Sénégalais enrichi d’une autre expérience. Il faut donner aux gens la possibilité de faire cette expérience.
Mais il faut rappeler une chose. La Constitution règle le problème le plus important, à savoir que le pays ne peut pas être dirigé par quelqu’un qui se prévaudrait d’une quelconque autre nationalité. C’est pour cela qu’elle impose au président de la République d’être exclusivement sénégalais pour qu’on soit sûr que la notion de bien commun, d’intérêt général dans ce pays est représentée au plus haut niveau par quelqu’un qui ne se réclame de rien d’autre que du Sénégal. Il faut éviter les faux débats. Pour les Sénégalais qui sont allés à l’extérieur gagner des ressources, des moyens, des connaissances et revenus dans le pays, ils peuvent être binationaux et être ministres. Cela se fait dans le monde entier. Mais pour président de la République, il doit être d’ici. Prenons l’exemple des Etats-Unis. Eux, ils vont beaucoup plus loin. Ils disent qu’il faut être né sur le territoire. C’est pour cela que le Président Obama, qui est né à Hawaï, a pu accéder sans problème à la Présidence de ce pays, quoi qu’ayant eu une très grande expérience internationale, ayant vécu en Asie et ailleurs. Mais on vérifie toujours que celui qui représente l’intérêt général au plus haut niveau, et même comme aux Etats-Unis, qu’il soit né sur le territoire.
Cela veut dire que quelqu’un qui serait dans une situation similaire à la vôtre et qui voudrait briguer à la magistrature suprême n’aurait qu’à renoncer à sa nationalité française pour être éligible ?
C’est normal puisque c’est ce que disent les textes. Il ne faut pas avoir un texte qui organise la relation entre les gens et vouloir dribbler ledit texte. On le prend tel qu’il est et on l’applique. Voilà ce qui fait un Etat de droit. Le texte prime sur les comportements des gens.
Parlant des textes, c’est l’occasion de parler de ce qui nous occupe en ce moment de campagne électorale. Allez-vous voter ?
Je vais voter et faire voter Oui.
Et pourquoi ?
Il nous faut une gouvernance de développement. Et cela demande la participation de tous les talents. Qu’ils soient avec le pouvoir ou avec l’opposition. Quand on donne un cadre fort au chef de l’opposition pour participer au débat démocratique, à la construction du pays, donner des opinions sur tous débats publics, on est en train de faire quelque chose qui contribue fondamentalement au développement. C’est dans cet exemple que l’on voit l’importance à venir. De plus, chaque sénégalais va avoir des droits par rapport à son foncier, aux ressources naturelles. Et ça c’est quelque chose de nouveau par rapport à notre Constitution. Et en plus, on va diminuer à cinq ans la durée du mandat présidentiel, avec possibilité d’aller seulement deux fois aux élections, car nul ne peut faire plus de deux mandats successifs à la tête de l’Etat.
Toutes ces réformes auraient pu passer à l’Assemblée…
J’ai entendu des gens dire que les reformes pouvaient passer à l’Assemblée nationale, mais je répondrai une chose. Pourquoi Senghor a choisi pour des réformes, peut-être un peu moins profondes, par exemple les questions de l’article 35 en 1970, qui devait lui permettre en 1980 de se faire remplacer par Abdou Diouf, pourquoi personne n’est allé lui dire qu’on peut faire ça à l’Assemblée ? Or il avait à l’époque une majorité beaucoup plus grande, il avait un parti unique. Pourquoi un homme aussi intelligent aurait choisi de venir demander au Peuple de changer ? Parce que cette décision appartient au Peuple. Il faut donner à la personne ce qui lui revient. On ne peut pas donner à une Assemblée nationale tous les moyens et pouvoirs pour changer tout à l’insu de l’opinion du Peuple.
Mais ce référendum, tel qu’il se présente, ne contient-il pas un risque de désaveu pour le Président, car la réforme la plus attendue, les gens semblent ne pas l’avoir trouvée, concernait sa promesse sur la réduction de son mandat ?
Je ne sais pas comment vous regardez la chose. Mais je pense qu’on peut promettre et une promesse est une impulsion intérieure qui vous dit, donnez ça, faites ça etc. Ce qu’il a fait pour ce qui concerne la réduction du mandat présidentiel. Et il ajouta à l’époque là-dessus «Je vais même me l’appliquer sur mon mandat». Je reconnaîtrais une erreur de démarche qui est, même quand on est candidat et on promet une telle chose, on doit vérifier rapidement si c’est possible ou non. Cela n’a pas été fait, mais c’est parce que l’élan de changement était tel que les gens bougeaient vite. L’élan et la pression de l’entre-deux tours était forts. Depuis qu’il est au pouvoir, il a eu une priorité sur la vie des gens, il n’a pas voulu faire les choses en catimini. En mai 2013, j’étais encore ministre de la Culture je crois, il a décrété la mise en place de la Commission nationale de réforme des institutions pour faire le travail qui consistait à capitaliser ce qui a été fait sur les Assises, réfléchir dans un cadre qu’il aura identifié avec eux pour donner un certain ensemble de révision. La commission a vu toutes les personnes qui étaient impliquées, dirigée par d’excellents hommes comme l’ancien Premier ministre Amadou Lamine Loum ou notre vénérable aîné, Amadou Mokhtar Mbow. Donc, il a suivi la démarche qu’il faut, il n’a pas attendu 2016 pour dire qu’il faut que j’écrive dans un coin. Le travail a été fait, on lui rendu ce travail détaillé, complet. Mais qu’est-ce que vous voulez ? Et ce travail a permis la contribution de tous les secteurs de la population, de tous les niveaux, niveaux d’intérêt dans le pays, de tous les niveaux de compétence. Il a pris sur les 18 réformes proposées au départ 15. Il est quand même le président de la République pour ce qui s’agit de la proposition, mais une fois fait, son travail était fini parce qu’il devient comme un citoyen. On ne peut pas le prendre et dire que vous aviez promis ça, vous ne l’avez pas fait, donc moi je vote non à tout ce que vous me proposez. Mais qu’est-ce que c’est cette histoire ? On vous propose de réformer la Constitution de votre pays sur 15 points importants, on vous donne des propositions qui améliorent l’existence et amélioreront le futur et notre entrée dans la modernité et vous êtes là à vous poser des questions sur la couleur de l’habit que le monsieur porte. Maintenant, je vais dire une chose. Quand vous êtes candidat, vous pouvez promettre, quand vous êtes chef d’Etat, vous devez respecter la Constitution parce que vous jurez le jour de votre entrée en fonction de promouvoir et de défendre la Constitution de ce pays. C’est pour cela qu’il y a des gens qui ont fait des erreurs tactiques qui leur coûteront cher dans l’avenir.
Un gars comme Khalifa Sall a fait l’erreur de dire qu’il reprochait à Macky Sall d’avoir respecté la décision du Conseil constitutionnel. Il dit que lui serait allé à l’encontre de ça. Qui va alors lui faire confiance demain pour lui confier les rênes de ce pays ? Ce qui est son ambition cachée ou connue, c’est clair dans la tête des gens. Qui va lui confier le pouvoir sachant qu’il veut tripatouiller la Constitution, indépendamment de ce que les sages de ce pays vont pouvoir dire sur ce qui est dans l’esprit de la Constitution ou non ? J’aurai du mal à croire un tel monsieur, s’il me dit qu’il va être le gardien de ma Constitution, sachant que quand le Conseil constitutionnel lui indiquera une direction, il prendra la direction opposée parce qu’il a des émotions personnelles qui font qu’il ne veut pas revenir sur sa parole. Il faut distinguer ce qui relève de la personne physique et ce qui relève la personne morale. La distinction est importante, c’est la personne physique du Président Macky Sall qui a promis de se l’appliquer.
Elle devait veiller à ce que la personne morale puisse être en mesure de se l’appliquer ? Et cela a pris 4 ans…
Mais ce que je vous dis, que pendant ces 4 ans il a commencé à travailler sur la réforme. Il a posé des questions, il a vu des difficultés, travaillé en profondeur avec la Cnri et ils sont arrivés à quelque chose de cohérent. Mais c’est beaucoup plus important que l’aspect de l’impossibilité de la personne morale qu’il est en tant que Président d’aller à l’encontre de la décision du Conseil constitutionnel.
Cela veut dire que nonobstant tout ce que vous avez dit, il vous semble normal que les Sénégalais approuvent quelqu’un qui revient sur sa parole ?
Non, encore une fois. Vous voulez rester dans la sphère des personnes physiques, où vous dites, il m’a dit. Mais s’il le dit et qu’il ne peut pas, qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse ? Depuis quand quelqu’un qui jure de défendre la Constitution refuserait-il de défendre les avis donnés par le Conseil constitutionnel. Mais cela n’existe dans aucun monde. Soyons raisonnable ! Ce n’est pas une petite chose qu’il avait promise. Il a promis quelque chose d’extrêmement sensible et c’est en regardant dans le détail qu’on s’aperçoit de cela. Je vais vous dire une chose parce que j’étais très proche de lui pendant cette période d’hésitation, de déchirement, de difficultés. Cela lui a fait très mal, cette impossibilité pour lui d’appliquer de manière rétroactive les changements prévus à son mandat en cours. Il a eu très mal. Je ne juge pas l’homme seulement dans le cadre de ce qui est public, je le juge aussi parce que c’est un ami. Si j’avais vu quelque chose déviant dans sa démarche, j’allais voter non. Mais je l’ai vu souffrir réellement, comme cette jeunesse qui ne fait que ce qu’elle veut. C’est pourquoi je ne mettrai pas dans ce même canevas les gens de Y’en à marre et les autres. Eux, leur défense est principielle, c’est comme l’enfant à qui vous promettez quelque chose que vous ne pouvez pas faire. Alors que la personne adulte, plus ouverte sur les contraintes de la vie, serait mieux à même de comprendre les choses. Et c’est pour ça qu’il est dangereux qu’un certain nombre de prétendants dirigeants de ce pays viennent nous dicter ce qu’on doit faire. Ces gens-là, ils nous disent que nous devons faire ceci ou cela parce que le Président est revenu sur sa parole. En fait, ils nous disent qu’eux, à sa place, contrediraient la Constitution. Le Conseil constitutionnel est le gardien technique de la Constitution. On ne peut pas jouer à ça, il faut arrêter ce faux débat. Je viens d’Europe et là-bas, les gens de Y’en a marre et les autres étaient aimés par tout le monde. Les Français, Obama… parce qu’ils se sont opposés à la manipulation de la Constitution à des fins personnelles. Mes collègues juristes disent qu’ils ne comprennent pas pourquoi ces gens refusent ce qu’on leur propose dans la réforme de la Constitution. Du coup, ils sont pris à leur propre jeu, et c’est dommage.
Mais quelque part aussi, les dirigeants étrangers qui s’émerveillaient de voir le Président comme un exemple unique de vouloir réduire son mandat, est-ce que les démocrates sincères ne sont pas déçus de voir les gens dire que le Sénégal devient le contre-exemple ?
Mais pas du tout. S’il avait dit : Ecoutez, je vous ai promis, je ne peux plus parce que j’ai des projets et des programmes à finir comme certains ont fait dans le passé, en ce moment-là, ces supporters de l’extérieur auraient été déçus. Mais ce n’est pas ça qui s’est passé. Ces gens se sont rendu compte que c’est son propre Conseil constitutionnel qui lui a dit qu’il ne peut pas appliquer une loi rétroactive dans ce pays, même s’il est président de la République. Et alors ? La rétroactivité, c’est énorme, si on commence par la rétroactivité du mandat du président de la République, on va où ?
On pourra trouver des cas d’appliquer la rétroactivité sur des procédures budgétaires, les décisions de justice, etc. et ce sera le cafouillage total dans ce pays. Il faut être raisonnable. Et ce qui m’a le plus perturbé, c’est quand des gens qui aspirent à diriger ce pays, comme Idrissa Seck viennent dire que le Président quitte la tête de son pays à lui. Qui est-il pour dire ça ? Est-ce que c’est par naissance que ce pays lui appartient ? Qu’a-t-il appris ? Il n’y a personne au Sénégal qui puisse dire ce que Idrissa Seck a appris. «Diangoul ! (Il n’a pas fait d’études). Deuxièmement, il n’a pas de métier. Quand vous m’avez posé la question : «Qu’est-ce que vous êtes allé faire après le gouvernement ?» Je suis allé dans mon métier. J’ai un métier.
Il a travaillé comme expert-comptable non ?
Vous lui avez donné le diplôme d’expert-comptable vous ?
J’ai appris qu’il a travaillé chez Price Waterhouse & Cooper
Vous lui avez donné le diplôme d’expert-comptable ? Il a travaillé dans un cabinet d’audit. Mais dans un cabinet d’audit, seuls les associés qui ont la signature sont des véritables professionnels. Tout le reste, c’est soit des assistants, soit des stagiaires. Amoul métier. Mais je vais vous dire une 3e chose. Vous ne pouvez pas designer un objet au Sénégal qui relève de sa réalisation à lui. Defoul dara ci Sénégal. Un gars qui a ces trois tares, comment voulez-vous que cette personne vienne dire au président de la République je veux que vous quittiez la tête de mon pays alors qu’il a été démocratiquement élu. A un moment, il s’est appelé 4e président du Sénégal. Maintenant, il doit être 5e. Il a dit qu’il finirait son travail en politique à 63 ans. Maintenant, il est très proche de 63 ans. Je ne suis pas sûr qu’il commence à être dirigeant de ce pays à 63 ans. C’est ce que je peux dire sur lui. Mais il y en a un troisième, Abdoul Mbaye. Voila un gars, les wolof disent : «Purux dou gueureum gnamou daaw. (un ingrat)» Personnellement, j’ai eu honte de l’entendre dire d’abord que le Président s’est dédit. Après, il est allé voir ses copains, on lui a expliqué : attention, si tu veux être Président demain, il ne faut pas dire qu’il s’est dédit parce que cela voudrait dire que toi, à sa place, tu dirais non au Conseil constitutionnel. Il a changé de position. Maintenant, il dit qu’il croit qu’à son humble avis, le Président s’est trompé. Non, c’est moi Abdoul Aziz Mbaye qui me suis trompé parce que je suis un des artisans de sa nomination comme Premier ministre et il le sait.
Vous l’avez recommandé à Macky Sall ?
Non, j’ai donné un avis sur lui pendant qu’on cherchait à constituer le gouvernement. Cet avis était d’une force extraordinaire en positivité qu’on a décidé de le mettre Premier ministre. Lui-même ne connaissait pas qu’il allait être Premier ministre deux jours avant d’être nommé. Quand quelqu’un reçoit quelque chose de bien comme ça, sans savoir d’où ça vient, il ne faut pas qu’il s’autorise tout. Niit dafay am lou mouy djomb.
Pour vous, il n’est pas reconnaissant ?
Djiko purux dou djiko bouy and ak man lima kham. Je ne connais pas de ce genre de manière. Ça ne correspond pas à mon éducation. Niit dafay am lou mouy djomb.
Vous avez été directeur de Cabinet ensuite ministre de la Culture. Il semble que juste après votre départ, il y a eu des réformes qui ont été enclenchées, notamment le Bsda qui disparaît pour laisser la place à la société de gestion…
Je vous renverrais au premier plan annuel. Quand j’étais au gouvernement, je faisais des plans annuels de travail et je les annonçais au public. Au premier plan annuel que j’ai déclaré, il y avait trois choses. D’abord, une tournée de promotion de la diversité culturelle. Je crois que les Sénégalais doivent se découvrir, se connaître. Et le ministre qui circulait pour montrer les différentes richesses culturelles qu’on avait dans le pays, c’était quelque chose de bien. La deuxième chose, la mise en place de la Nouvelle société de gestion des droits d’auteur et des droits voisins, dérivée de la loi de 2008. Et la 3e chose, la mise en place du statut de l’artiste qui incluait la couverture sociale, la couverture médicale. Je suis très heureux que ces choses se soient faites parce que c’est cela la continuité d’un gouvernement. Je félicite le ministre de la Culture de l’avoir donné aux artistes. Je suis l’homme le plus heureux que cela soit arrivé au Sénégal parce que n’arrivant pas dans beaucoup d’autres pays. Ils nous suivent aujourd’hui en matière de réforme culturelle. Et la culture c’est très importante.
Pourquoi cela n’a pas abouti sous votre magistère ?
Parce que cela prend du temps. Et le temps que cela a pris a fait qu’au moment où je partais, ce n’était pas encore finalisé. Mais vous devez vous rappeler qu’avant de partir, j’ai fait le premier acte, la première Assemblée générale de la société des artistes qui est la patronne de la société actuelle. J’ai fait cela avant de partir. On n’est pas fait pour faire tout et avoir tout.
Allez-vous battre campagne ?
Je vais battre campagne, mais avec mes propres moyens, avec mon énergie et avec mes amis.
Vous restez à Dakar ?
Je ne reste pas à Dakar. Je bouge. De par mon père, je suis de Tivaouane. Donc, j’irai à Tivaouane. De par ma mère, je suis de Touba, de Mbourane au-dessus de Kébémer. J’irais là-bas. Par ma mère, je suis aussi de Sagatta. J’irai voir les gens qui me connaissent en tant qu’individu. Et j’irai voir aussi mes amis pour les accompagner dans les circonscriptions parce qu’il faut le oui massif au Sénégal. La démocratie a mûri au Sénégal. Elle n’est plus la même que du temps de Senghor en 1963 ou en 1970, pour qu’on fasse des scores de 99%, de 95%. La démocratie est plus proche de la démocratie européenne. Pour ma part, je dirai que le Président aura réussi même si on gagne à 50,01. Ça c’est la démocratie mûre, la démocratie où les sujets sont débattus, discutés, où les systèmes sont transparents et où on ne peut pas débattre de la validité des résultats. On ne triche plus aux élections au Sénégal. C’est une avancée et on sait que les résultats qui sortiront des urnes sont ceux que les citoyens y auront mis. Et cela, c’est important aux yeux des Sénégalais. Il ne faut pas s’attendre à un raz-de-marée. Gagner, gagner bien, mais il ne faut pas non plus mettre des objectifs irréalisables compte tenu de la maturité du pays.
J’ai repris très vite mon travail, celui que j’ai pratiqué pendant 25 ans, à l’Union européenne. Je suis un diplomate de l’Union européenne, et j’ai repris mon travail en retournant à Bruxelles où on m’a confié de nouvelles tâches qui étaient très importantes, parce que les deux dernières années où je n’étais pas ici, j’ai fait la préparation du Sommet Europe-Afrique sur la migration qui s’est tenu à Malte en novembre dernier. Et aujourd’hui, je suis en train de suivre la mise en œuvre du Plan d’action qui a été adopté et qui offre un terrain nouveau aux Européens qui sont aujourd’hui sous le poids de beaucoup de flux migratoires dus d’une part à ce qui se passe en Syrie, et d’autre part à des centaines de milliers de gens qui quittent l’Afrique et qui se retrouvent aussi sur ce que l’on appelle la «Route de la Méditerranée», une route qu’utilisent souvent des bateaux et qui voit beaucoup de morts, des Africains qui meurent à la frontière de l’Europe et c’est une situation qui concerne beaucoup l’Europe.(…)
J’ai travaillé pendant deux ans à la préparation de ce sommet qui a été une très grande réussite avec 35 pays africains d’un côté et 28 pays européens de l’autre, ainsi que toutes les organisations internationales, comme l’Onu, l’Organisation internationale des migrations (Oim), la Cedeao, l’Union africaine, l’Union européenne, et le Conseil européen. Et c’est une rencontre où j’ai une fois de plus eu l’honneur de rencontrer le Président Macky Sall qui, encore une fois, a représenté le Sénégal à un niveau extraordinaire que tous les participants ont noté. L’importance d’abord du rôle du Sénégal, en tant que président de la Cedeao, sur les questions migratoires au niveau ouest-africain, ainsi que l’importance du pays en tant qu’interlocuteur politique international, aujourd’hui incontournable sur beaucoup de sujets dans le monde.
A vous entendre, on croirait que vous aviez été un fonctionnaire en détachement au Sénégal et la mission terminée, vous êtes retourné à votre poste d’origine.
Noon ! C’est une relation. Je suis ami au président de la République, bien avant qu’il ne soit Président. Nous sommes amis depuis 2004, juste au moment où il est devenu Premier ministre. On s’est engagé mutuellement à se soutenir. Il m’a approché avec une telle humilité et une telle simplicité pour demander ma contribution à ce qu’il faisait alors. Et c’est en ce moment-là que je me suis engagé à ne jamais le lâcher dans ce qu’il a entrepris pour le Sénégal, et je sais qu’il a une très grande ambition et une très grande volonté pour le Sénégal. Pour un Sénégalais comme moi, de mon âge, de mon expérience, il n’y a pas meilleur moyen d’utiliser son talent, sa capacité que d’être auprès d’un homme qui a une ambition pour son pays et pour son Peuple. Je suis d’ici. Quand j’étais parti étudier, j’ai appris beaucoup de choses. Que ce soit au Cnrs où je suis chercheur titulaire à vie, que ce soit à l’Union européenne où je suis fonctionnaire de haut niveau (Senior policy maker comme on dit), dans tous ces endroits, je reste un Sénégalais. Parce que ce que je ramène de là-bas, je le ramène au Sénégal et je veux faire en sorte que ce soit utile aux Sénégalais.
Vous avez été appelé à servir votre pays à un niveau important et vous en êtes parti. Comment aviez-vous vécu votre sortie du gouvernement ?
Je ne dirai pas les détails de mes discussions avec le Président. Cela restera à jamais entre nous, parce que c’est entre deux amis. Mais je suis parti sans l’ombre d’une aigreur. Je suis parti avec son soutien pour des raisons qu’il savait et que je savais.
Il se dit que certains de vos collègues ont quasiment scié la branche sur laquelle vous étiez assis…
(...) mais ça c’est le jeu politique. Maintenant, c’est un jeu intelligent où les gens évitent de s’asseoir sur une branche que l’on peut couper. Mais la question est intéressante. Etre aux côtés du Président ne veut pas dire nécessairement être au gouvernement. Si demain je dois faire quelque chose au Sénégal et qu’il désigne un endroit, un lieu où il a besoin de moi, j’irais le faire parce que je suis à la disposition du Sénégal et je suis un enfant de la République. Je suis un enfant de la République ! J’ai été à l’école primaire, payé par le Sénégal. J’ai été interne au lycée, payé par le Sénégal. J’ai été boursier jusqu’au diplôme d’ingénieur. Je n’ai quitté le système de bourse du Sénégal qu’au moment où je suis devenu un ingénieur plein et où je m’attaquais à mon doctorat d’Etat. En ce moment, le Sénégal n’avait pas de politique de soutien des doctorats d’Etat en tant que tel et la France a pris le relais. C’est comme ça que les choses se sont naturellement faites, mais je reste un Sénégalais, un fils de la République, de ce pays, et j’en suis très fier. Et quand le Président me demande de faire quelque chose, je le fais.
Apparemment, votre limogeage n’a pas gâché ces relations d’amitié
Mais pas du tout ! Parce que tout était discuté, tout était directement sur la table. Je vous ai dit que jamais on ne discutera de cette affaire en public, cela ne regarde que nous deux. C’était le moment d’aller faire autre chose et je suis allé faire cette autre chose. Je me suis occupé de moi-même et de travaux absolument intéressants qui, au demeurant, étaient intéressants aussi pour le Sénégal. Ce que j’ai fait pour l’Europe a en définitive fini par servir le Sénégal dans la mesure où il a été le pays le plus remarqué de la conférence de La Valette. Macky Sall a été le Président le plus en vue. Il y en avait des plus âgés que lui là-bas et certains qui dirigent des pays plus grands que le Sénégal, mais lui était devant. Et ça, c’est ma fierté. Je trouve important d’appartenir à un groupe dans lequel on trouve des hommes d’Etat de cette envergure.
Vous avez été membre du gouvernement sénégalais tout en détenant un passeport étranger. Aujourd’hui, se pose au Sénégal le débat sur le besoin d’écarter de certaines fonctions électives des compatriotes binationaux. Quelle est votre opinion sur la question ?
Dans l’économie du Sénégal, chaque année, entrent à peu près mille milliards de francs Cfa, provenant des contributions des gens de la diaspora. Cet argent vient des gens qui ont travaillé très dur dans les pays dans lesquels ils sont. Des gens méritants. Des gens de talent. Ils ont parfois tellement de talent que leur pays hôte les récupère comme des nationaux, leur offre la deuxième nationalité. Mais est-ce qu’ils ont cessé d’être des Sénégalais parce qu’ils sont devenus des nationaux de ces pays-là ? Pourquoi enverraient-ils ce montant extraordinaire d’environ 1 000 milliards de Cfa (932 milliards en 2014) pour améliorer le quotidien des paysans, des ruraux et des urbains de ce pays ? Qui va me dire que ce Sénégalais qui détient une autre nationalité est moins Sénégalais que celui qui est resté ici et qui ne contribue en rien du tout à l’économie nationale ?
La deuxième chose est que le fait de reconnaître l’apport de leurs contributions au pays peut être avantageux en termes de transfert de technologies, transfert de connaissances et de beaucoup d’autres choses. Il ne faut pas poser des faux débats.
Je suis né en 1954, ce pays était français et je suis né dans une des 4 communes. Donc, je pouvais réintégrer la nationalité ou l’acquérir par mariage. Cela s’est fait au moment où le Cnrs m’a dit : «Là où vous travaillez, c’est un laboratoire de défense nationale. Il faut des Français pour y travailler.» Et j’ai fait ma thèse dans ce laboratoire d’excellence. Et c’est pour ça que je suis devenu Français. Mais est-ce que cela fait de moi un Sénégalais de moindre importance ? Non ! Cela a fait de moi un Sénégalais enrichi d’une autre expérience. Il faut donner aux gens la possibilité de faire cette expérience.
Mais il faut rappeler une chose. La Constitution règle le problème le plus important, à savoir que le pays ne peut pas être dirigé par quelqu’un qui se prévaudrait d’une quelconque autre nationalité. C’est pour cela qu’elle impose au président de la République d’être exclusivement sénégalais pour qu’on soit sûr que la notion de bien commun, d’intérêt général dans ce pays est représentée au plus haut niveau par quelqu’un qui ne se réclame de rien d’autre que du Sénégal. Il faut éviter les faux débats. Pour les Sénégalais qui sont allés à l’extérieur gagner des ressources, des moyens, des connaissances et revenus dans le pays, ils peuvent être binationaux et être ministres. Cela se fait dans le monde entier. Mais pour président de la République, il doit être d’ici. Prenons l’exemple des Etats-Unis. Eux, ils vont beaucoup plus loin. Ils disent qu’il faut être né sur le territoire. C’est pour cela que le Président Obama, qui est né à Hawaï, a pu accéder sans problème à la Présidence de ce pays, quoi qu’ayant eu une très grande expérience internationale, ayant vécu en Asie et ailleurs. Mais on vérifie toujours que celui qui représente l’intérêt général au plus haut niveau, et même comme aux Etats-Unis, qu’il soit né sur le territoire.
Cela veut dire que quelqu’un qui serait dans une situation similaire à la vôtre et qui voudrait briguer à la magistrature suprême n’aurait qu’à renoncer à sa nationalité française pour être éligible ?
C’est normal puisque c’est ce que disent les textes. Il ne faut pas avoir un texte qui organise la relation entre les gens et vouloir dribbler ledit texte. On le prend tel qu’il est et on l’applique. Voilà ce qui fait un Etat de droit. Le texte prime sur les comportements des gens.
Parlant des textes, c’est l’occasion de parler de ce qui nous occupe en ce moment de campagne électorale. Allez-vous voter ?
Je vais voter et faire voter Oui.
Et pourquoi ?
Il nous faut une gouvernance de développement. Et cela demande la participation de tous les talents. Qu’ils soient avec le pouvoir ou avec l’opposition. Quand on donne un cadre fort au chef de l’opposition pour participer au débat démocratique, à la construction du pays, donner des opinions sur tous débats publics, on est en train de faire quelque chose qui contribue fondamentalement au développement. C’est dans cet exemple que l’on voit l’importance à venir. De plus, chaque sénégalais va avoir des droits par rapport à son foncier, aux ressources naturelles. Et ça c’est quelque chose de nouveau par rapport à notre Constitution. Et en plus, on va diminuer à cinq ans la durée du mandat présidentiel, avec possibilité d’aller seulement deux fois aux élections, car nul ne peut faire plus de deux mandats successifs à la tête de l’Etat.
Toutes ces réformes auraient pu passer à l’Assemblée…
J’ai entendu des gens dire que les reformes pouvaient passer à l’Assemblée nationale, mais je répondrai une chose. Pourquoi Senghor a choisi pour des réformes, peut-être un peu moins profondes, par exemple les questions de l’article 35 en 1970, qui devait lui permettre en 1980 de se faire remplacer par Abdou Diouf, pourquoi personne n’est allé lui dire qu’on peut faire ça à l’Assemblée ? Or il avait à l’époque une majorité beaucoup plus grande, il avait un parti unique. Pourquoi un homme aussi intelligent aurait choisi de venir demander au Peuple de changer ? Parce que cette décision appartient au Peuple. Il faut donner à la personne ce qui lui revient. On ne peut pas donner à une Assemblée nationale tous les moyens et pouvoirs pour changer tout à l’insu de l’opinion du Peuple.
Mais ce référendum, tel qu’il se présente, ne contient-il pas un risque de désaveu pour le Président, car la réforme la plus attendue, les gens semblent ne pas l’avoir trouvée, concernait sa promesse sur la réduction de son mandat ?
Je ne sais pas comment vous regardez la chose. Mais je pense qu’on peut promettre et une promesse est une impulsion intérieure qui vous dit, donnez ça, faites ça etc. Ce qu’il a fait pour ce qui concerne la réduction du mandat présidentiel. Et il ajouta à l’époque là-dessus «Je vais même me l’appliquer sur mon mandat». Je reconnaîtrais une erreur de démarche qui est, même quand on est candidat et on promet une telle chose, on doit vérifier rapidement si c’est possible ou non. Cela n’a pas été fait, mais c’est parce que l’élan de changement était tel que les gens bougeaient vite. L’élan et la pression de l’entre-deux tours était forts. Depuis qu’il est au pouvoir, il a eu une priorité sur la vie des gens, il n’a pas voulu faire les choses en catimini. En mai 2013, j’étais encore ministre de la Culture je crois, il a décrété la mise en place de la Commission nationale de réforme des institutions pour faire le travail qui consistait à capitaliser ce qui a été fait sur les Assises, réfléchir dans un cadre qu’il aura identifié avec eux pour donner un certain ensemble de révision. La commission a vu toutes les personnes qui étaient impliquées, dirigée par d’excellents hommes comme l’ancien Premier ministre Amadou Lamine Loum ou notre vénérable aîné, Amadou Mokhtar Mbow. Donc, il a suivi la démarche qu’il faut, il n’a pas attendu 2016 pour dire qu’il faut que j’écrive dans un coin. Le travail a été fait, on lui rendu ce travail détaillé, complet. Mais qu’est-ce que vous voulez ? Et ce travail a permis la contribution de tous les secteurs de la population, de tous les niveaux, niveaux d’intérêt dans le pays, de tous les niveaux de compétence. Il a pris sur les 18 réformes proposées au départ 15. Il est quand même le président de la République pour ce qui s’agit de la proposition, mais une fois fait, son travail était fini parce qu’il devient comme un citoyen. On ne peut pas le prendre et dire que vous aviez promis ça, vous ne l’avez pas fait, donc moi je vote non à tout ce que vous me proposez. Mais qu’est-ce que c’est cette histoire ? On vous propose de réformer la Constitution de votre pays sur 15 points importants, on vous donne des propositions qui améliorent l’existence et amélioreront le futur et notre entrée dans la modernité et vous êtes là à vous poser des questions sur la couleur de l’habit que le monsieur porte. Maintenant, je vais dire une chose. Quand vous êtes candidat, vous pouvez promettre, quand vous êtes chef d’Etat, vous devez respecter la Constitution parce que vous jurez le jour de votre entrée en fonction de promouvoir et de défendre la Constitution de ce pays. C’est pour cela qu’il y a des gens qui ont fait des erreurs tactiques qui leur coûteront cher dans l’avenir.
Un gars comme Khalifa Sall a fait l’erreur de dire qu’il reprochait à Macky Sall d’avoir respecté la décision du Conseil constitutionnel. Il dit que lui serait allé à l’encontre de ça. Qui va alors lui faire confiance demain pour lui confier les rênes de ce pays ? Ce qui est son ambition cachée ou connue, c’est clair dans la tête des gens. Qui va lui confier le pouvoir sachant qu’il veut tripatouiller la Constitution, indépendamment de ce que les sages de ce pays vont pouvoir dire sur ce qui est dans l’esprit de la Constitution ou non ? J’aurai du mal à croire un tel monsieur, s’il me dit qu’il va être le gardien de ma Constitution, sachant que quand le Conseil constitutionnel lui indiquera une direction, il prendra la direction opposée parce qu’il a des émotions personnelles qui font qu’il ne veut pas revenir sur sa parole. Il faut distinguer ce qui relève de la personne physique et ce qui relève la personne morale. La distinction est importante, c’est la personne physique du Président Macky Sall qui a promis de se l’appliquer.
Elle devait veiller à ce que la personne morale puisse être en mesure de se l’appliquer ? Et cela a pris 4 ans…
Mais ce que je vous dis, que pendant ces 4 ans il a commencé à travailler sur la réforme. Il a posé des questions, il a vu des difficultés, travaillé en profondeur avec la Cnri et ils sont arrivés à quelque chose de cohérent. Mais c’est beaucoup plus important que l’aspect de l’impossibilité de la personne morale qu’il est en tant que Président d’aller à l’encontre de la décision du Conseil constitutionnel.
Cela veut dire que nonobstant tout ce que vous avez dit, il vous semble normal que les Sénégalais approuvent quelqu’un qui revient sur sa parole ?
Non, encore une fois. Vous voulez rester dans la sphère des personnes physiques, où vous dites, il m’a dit. Mais s’il le dit et qu’il ne peut pas, qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse ? Depuis quand quelqu’un qui jure de défendre la Constitution refuserait-il de défendre les avis donnés par le Conseil constitutionnel. Mais cela n’existe dans aucun monde. Soyons raisonnable ! Ce n’est pas une petite chose qu’il avait promise. Il a promis quelque chose d’extrêmement sensible et c’est en regardant dans le détail qu’on s’aperçoit de cela. Je vais vous dire une chose parce que j’étais très proche de lui pendant cette période d’hésitation, de déchirement, de difficultés. Cela lui a fait très mal, cette impossibilité pour lui d’appliquer de manière rétroactive les changements prévus à son mandat en cours. Il a eu très mal. Je ne juge pas l’homme seulement dans le cadre de ce qui est public, je le juge aussi parce que c’est un ami. Si j’avais vu quelque chose déviant dans sa démarche, j’allais voter non. Mais je l’ai vu souffrir réellement, comme cette jeunesse qui ne fait que ce qu’elle veut. C’est pourquoi je ne mettrai pas dans ce même canevas les gens de Y’en à marre et les autres. Eux, leur défense est principielle, c’est comme l’enfant à qui vous promettez quelque chose que vous ne pouvez pas faire. Alors que la personne adulte, plus ouverte sur les contraintes de la vie, serait mieux à même de comprendre les choses. Et c’est pour ça qu’il est dangereux qu’un certain nombre de prétendants dirigeants de ce pays viennent nous dicter ce qu’on doit faire. Ces gens-là, ils nous disent que nous devons faire ceci ou cela parce que le Président est revenu sur sa parole. En fait, ils nous disent qu’eux, à sa place, contrediraient la Constitution. Le Conseil constitutionnel est le gardien technique de la Constitution. On ne peut pas jouer à ça, il faut arrêter ce faux débat. Je viens d’Europe et là-bas, les gens de Y’en a marre et les autres étaient aimés par tout le monde. Les Français, Obama… parce qu’ils se sont opposés à la manipulation de la Constitution à des fins personnelles. Mes collègues juristes disent qu’ils ne comprennent pas pourquoi ces gens refusent ce qu’on leur propose dans la réforme de la Constitution. Du coup, ils sont pris à leur propre jeu, et c’est dommage.
Mais quelque part aussi, les dirigeants étrangers qui s’émerveillaient de voir le Président comme un exemple unique de vouloir réduire son mandat, est-ce que les démocrates sincères ne sont pas déçus de voir les gens dire que le Sénégal devient le contre-exemple ?
Mais pas du tout. S’il avait dit : Ecoutez, je vous ai promis, je ne peux plus parce que j’ai des projets et des programmes à finir comme certains ont fait dans le passé, en ce moment-là, ces supporters de l’extérieur auraient été déçus. Mais ce n’est pas ça qui s’est passé. Ces gens se sont rendu compte que c’est son propre Conseil constitutionnel qui lui a dit qu’il ne peut pas appliquer une loi rétroactive dans ce pays, même s’il est président de la République. Et alors ? La rétroactivité, c’est énorme, si on commence par la rétroactivité du mandat du président de la République, on va où ?
On pourra trouver des cas d’appliquer la rétroactivité sur des procédures budgétaires, les décisions de justice, etc. et ce sera le cafouillage total dans ce pays. Il faut être raisonnable. Et ce qui m’a le plus perturbé, c’est quand des gens qui aspirent à diriger ce pays, comme Idrissa Seck viennent dire que le Président quitte la tête de son pays à lui. Qui est-il pour dire ça ? Est-ce que c’est par naissance que ce pays lui appartient ? Qu’a-t-il appris ? Il n’y a personne au Sénégal qui puisse dire ce que Idrissa Seck a appris. «Diangoul ! (Il n’a pas fait d’études). Deuxièmement, il n’a pas de métier. Quand vous m’avez posé la question : «Qu’est-ce que vous êtes allé faire après le gouvernement ?» Je suis allé dans mon métier. J’ai un métier.
Il a travaillé comme expert-comptable non ?
Vous lui avez donné le diplôme d’expert-comptable vous ?
J’ai appris qu’il a travaillé chez Price Waterhouse & Cooper
Vous lui avez donné le diplôme d’expert-comptable ? Il a travaillé dans un cabinet d’audit. Mais dans un cabinet d’audit, seuls les associés qui ont la signature sont des véritables professionnels. Tout le reste, c’est soit des assistants, soit des stagiaires. Amoul métier. Mais je vais vous dire une 3e chose. Vous ne pouvez pas designer un objet au Sénégal qui relève de sa réalisation à lui. Defoul dara ci Sénégal. Un gars qui a ces trois tares, comment voulez-vous que cette personne vienne dire au président de la République je veux que vous quittiez la tête de mon pays alors qu’il a été démocratiquement élu. A un moment, il s’est appelé 4e président du Sénégal. Maintenant, il doit être 5e. Il a dit qu’il finirait son travail en politique à 63 ans. Maintenant, il est très proche de 63 ans. Je ne suis pas sûr qu’il commence à être dirigeant de ce pays à 63 ans. C’est ce que je peux dire sur lui. Mais il y en a un troisième, Abdoul Mbaye. Voila un gars, les wolof disent : «Purux dou gueureum gnamou daaw. (un ingrat)» Personnellement, j’ai eu honte de l’entendre dire d’abord que le Président s’est dédit. Après, il est allé voir ses copains, on lui a expliqué : attention, si tu veux être Président demain, il ne faut pas dire qu’il s’est dédit parce que cela voudrait dire que toi, à sa place, tu dirais non au Conseil constitutionnel. Il a changé de position. Maintenant, il dit qu’il croit qu’à son humble avis, le Président s’est trompé. Non, c’est moi Abdoul Aziz Mbaye qui me suis trompé parce que je suis un des artisans de sa nomination comme Premier ministre et il le sait.
Vous l’avez recommandé à Macky Sall ?
Non, j’ai donné un avis sur lui pendant qu’on cherchait à constituer le gouvernement. Cet avis était d’une force extraordinaire en positivité qu’on a décidé de le mettre Premier ministre. Lui-même ne connaissait pas qu’il allait être Premier ministre deux jours avant d’être nommé. Quand quelqu’un reçoit quelque chose de bien comme ça, sans savoir d’où ça vient, il ne faut pas qu’il s’autorise tout. Niit dafay am lou mouy djomb.
Pour vous, il n’est pas reconnaissant ?
Djiko purux dou djiko bouy and ak man lima kham. Je ne connais pas de ce genre de manière. Ça ne correspond pas à mon éducation. Niit dafay am lou mouy djomb.
Vous avez été directeur de Cabinet ensuite ministre de la Culture. Il semble que juste après votre départ, il y a eu des réformes qui ont été enclenchées, notamment le Bsda qui disparaît pour laisser la place à la société de gestion…
Je vous renverrais au premier plan annuel. Quand j’étais au gouvernement, je faisais des plans annuels de travail et je les annonçais au public. Au premier plan annuel que j’ai déclaré, il y avait trois choses. D’abord, une tournée de promotion de la diversité culturelle. Je crois que les Sénégalais doivent se découvrir, se connaître. Et le ministre qui circulait pour montrer les différentes richesses culturelles qu’on avait dans le pays, c’était quelque chose de bien. La deuxième chose, la mise en place de la Nouvelle société de gestion des droits d’auteur et des droits voisins, dérivée de la loi de 2008. Et la 3e chose, la mise en place du statut de l’artiste qui incluait la couverture sociale, la couverture médicale. Je suis très heureux que ces choses se soient faites parce que c’est cela la continuité d’un gouvernement. Je félicite le ministre de la Culture de l’avoir donné aux artistes. Je suis l’homme le plus heureux que cela soit arrivé au Sénégal parce que n’arrivant pas dans beaucoup d’autres pays. Ils nous suivent aujourd’hui en matière de réforme culturelle. Et la culture c’est très importante.
Pourquoi cela n’a pas abouti sous votre magistère ?
Parce que cela prend du temps. Et le temps que cela a pris a fait qu’au moment où je partais, ce n’était pas encore finalisé. Mais vous devez vous rappeler qu’avant de partir, j’ai fait le premier acte, la première Assemblée générale de la société des artistes qui est la patronne de la société actuelle. J’ai fait cela avant de partir. On n’est pas fait pour faire tout et avoir tout.
Allez-vous battre campagne ?
Je vais battre campagne, mais avec mes propres moyens, avec mon énergie et avec mes amis.
Vous restez à Dakar ?
Je ne reste pas à Dakar. Je bouge. De par mon père, je suis de Tivaouane. Donc, j’irai à Tivaouane. De par ma mère, je suis de Touba, de Mbourane au-dessus de Kébémer. J’irais là-bas. Par ma mère, je suis aussi de Sagatta. J’irai voir les gens qui me connaissent en tant qu’individu. Et j’irai voir aussi mes amis pour les accompagner dans les circonscriptions parce qu’il faut le oui massif au Sénégal. La démocratie a mûri au Sénégal. Elle n’est plus la même que du temps de Senghor en 1963 ou en 1970, pour qu’on fasse des scores de 99%, de 95%. La démocratie est plus proche de la démocratie européenne. Pour ma part, je dirai que le Président aura réussi même si on gagne à 50,01. Ça c’est la démocratie mûre, la démocratie où les sujets sont débattus, discutés, où les systèmes sont transparents et où on ne peut pas débattre de la validité des résultats. On ne triche plus aux élections au Sénégal. C’est une avancée et on sait que les résultats qui sortiront des urnes sont ceux que les citoyens y auront mis. Et cela, c’est important aux yeux des Sénégalais. Il ne faut pas s’attendre à un raz-de-marée. Gagner, gagner bien, mais il ne faut pas non plus mettre des objectifs irréalisables compte tenu de la maturité du pays.