Mediapart révèle le contenu du face-à-face entre le “parrain des parrains”, Michel Tomi, et les juges anti corruption qui le poursuivent. Face aux magistrats, la défense de Tomi, mis en examen dans une tentaculaire affaire internationale qui met en cause plusieurs chefs d'État africains, s'est effondrée. Dakaractu vous livre ainsi quelques détails de cette audition qui mouille les Présidents Malien et Gabonais dans la haute corruption...
Michel Tomi a un sens très personnel de la famille. Ou alors beaucoup d’humour. Ibrahim Boubacar Keita, l’actuel président du Mali ? C’est un « frère ». Ali Bongo, président en exercice du Gabon ? Un « fils ». Voilà comment le “parrain des parrains”, mis en examen depuis dix-huit mois dans l’une des plus importantes affaires de corruption internationale, actuellement instruite à Paris, a tenté de parer à la mitraille de questions des juges Serge Tournaire et Hervé Robert, selon des procès-verbaux dont Mediapart a pris connaissance.
Michel Tomi, 68 ans, est l’un des personnages les plus influents de la Françafrique, ce pays sans existence légale qui a prospéré depuis plus d’un demi-siècle à l’ombre des politiques occultes, du banditisme, de l’affairisme et de barbouzeries en tous genres. Pilier de l’ombre du clan Pasqua, il a déjà été condamné plusieurs fois par la justice dans des affaires financières liées à la mafia corse. Mais Tomi, lui, a une autre vision des choses. « Vous savez, en France, je suis considéré comme le “parrain des parrains”. Mais en Afrique comme un homme d’affaire sérieux et de parole. […] Je raisonne avec la logique africaine qui n’est pas la logique européenne », a-t-il assuré, droit dans ses bottes, aux magistrats.
De fait, selon la « logique européenne » des juges Tournaire et Robert, le “parrain des parrains” est aujourd’hui accusé de pas moins de dix-sept délits financiers, dont« corruption d’agents publics étrangers ». En clair, il lui est reproché d’avoir corrompu plusieurs dignitaires africains qui ont, en contrepartie, laissé prospérer son empire (plus de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires déclaré) tissé de jeux, d’aviation, d’immobilier et de lobbying, dans de nombreux pays : Gabon, Mali, Cameroun, Tchad…
Le “parrain des parrains” est un homme protégé. Mais c’est aussi un homme généreux. En particulier avec son « frère » IBK. Pour autant, il le jure aux magistrats : « Il n’a jamais été question de faits de corruption passive ou active entre nous. » « Si j’ai pu faire un jour un cadeau à M. Keita c’est à titre de frère et pas pour l’enrichir. […] En 20 ans à l’occasion de Noël, des anniversaires, il a bien sûr pu m’arriver de lui faire un cadeau… »À dire vrai, Michel Tomi trouve toujours une bonne occasion de couvrir le président malien de faveurs.
La Rolex ? C’était pour sa campagne, « j’espérais que cela lui porterait chance ». Les costumes de luxe ? C’était parce qu’« il n’avait pas de costume d’hiver ». Mais promis, là encore, rien à voir avec une quelconque volonté de corruption. C’est de « look » dont il s’agit. « Je n’ai pas besoin d’acheter un costume au président pour faire une affaire au Mali, assure Tomi aux magistrats. Si je fais cela, c’est parce que je […] me préoccupe de son look et de sa santé alors que lui n’y pense pas. Par exemple, s’il doit assister à un cocktail avec le président français, je lui ferai remarquer qu’il faut un smoking et il dira “ah oui c’est vrai”. »Idem pour toute la famille Keita. Quand la “première dame” du Mali, sa « sœur », est en visite à Paris, il met à sa disposition l’un de ses chauffeurs pour l’emmener faire des emplettes qu’il règle rubis sur l’ongle. « Elle n’avait que des tenues africaines, plaide-t-il. Comme pour le mari, je lui ai dit qu’il fallait qu’elle aille s’habiller et qu’elle ait des tenues européennes. Je crois qu’elle est allée s’acheter deux ensembles, mais je ne sais pas où. Je ne sais plus le prix, mais je confirme que c’est moi qui ai réglé ses vêtements. Quand on fait un cadeau, on le règle. »
Le mensonge d'IBK à l'Élysée
« Je n’ai pas de souvenir précis, mais il est tout à fait possible que j’ai offert une ou deux tablettes iPad à M. Keita car j’ai l’habitude d’acheter des tablettes ou des téléphones au fur et à mesure qu’ils sortent et de les offrir aux personnes que j’aime. Il m’est arrivé d’inviter M. Keita et sa famille proche avant son élection, mais pas après, soutient-il. Je l’ai fait loger à la résidence La Réserve où j’avais un compte, et auparavant au Franklin Roosevelt. […] Je l’invite depuis des années. S’il passait à Paris, je le logeais dans ces établissements, de même que je le logeais à Libreville ou en Corse. Les factures étaient payées par le PMU gabonais sur mes comptes courants », finit-il par reconnaître, avant d’expliquer avoir également offert des séjours au fils d’IBK, qu’il considère comme son propre fils, « aussi bien avant qu’après l’élection de son père à la présidence du Mali ». « Et je continuerai à la faire », conclut-il. Parce que c’est aussi cela avoir le sens de la famille, surtout quand le patriarche « est un homme intègre qui ne s’occupe que de l’intérêt et du bien-être de son pays ». En prenant ainsi la défense d’IBK en 2014, Michel Tomi l’a en réalité accablé. Le 21 octobre dernier, lors d’une conférence de presse commune avec François Hollande à l’Élysée, le président malien avait été interrogé par un journaliste de RFI sur ses liens avec le “parrain des parrains” : « Ce monsieur a beaucoup d’affaires en Afrique, mais au-delà du casino, il n’en a aucune au Mali, et aucune sous IBK bien évidemment », avait-t-il affirmé, parlant de lui à la troisième personne. Rien n’est plus faux.
Un avion pour la présidence du Mali à 36 millions de dollars
Tomi lui-même a dû s’expliquer pendant ses trois jours d’interrogatoire sur de nombreux marchés obtenus ou payés par son groupe sous le mandat d’IBK. Le plus important d’entre eux concerne l’achat en 2013, pour 36 millions de dollars, d’un avion par la présidence malienne, alors qu’elle en disposait déjà d’un. « Le président malien m’a sollicité pour trouver un avion correct. […] J’ai montré les photos de l’avion au président qui a validé », a dû admettre Tomi devant les juges. Non seulement l’avion est exploité par une société d’aviation de Tomi, mais son groupe a perçu une commission de 5 % sur la vente (soit 1,8 million de dollars) par l’intermédiaire d’une société-taxi domiciliée à Hong Kong. Ce que le “parrain des parrains” a dû reconnaître également dans le cabinet des magistrats. « Pourquoi Hong Kong ? » ont demandé les juges. Réponse de Tomi : « Parce que c’est une place financière où les transferts sont très faciles. » Très opaques, aussi.
Et la sécurité présidentielle à 150.000 euros payés par le PMU Camerouais détenu par Tomi
Autre contrat embarrassant pour IBK : la formation de sa garde rapprochée par une société française, Gallice Sécurité. « Après son élection, alors que le Mali était en guerre, le président Keita n’était protégé que par deux gardes du corps très mal armés. Je lui ai dit qu’il devait garantir sa sécurité et s’entourer d’une garde rapprochée. J’en ai parlé au président Bongo qui m’a dit qu’il utilisait les services d’une société […] qui lui avait été présentée par M. Squarcini. » Seulement voilà, les enquêteurs ont découvert que le contrat, d’un montant de 150 000 euros, avait été payé par… le PMU du Cameroun, détenu par Tomi. Ce dernier jure qu’il a été remboursé ensuite par l’État malien. Ce qui a donné lieu à cet échange savoureux avec les juges :
— « Quand, et de quelle manière ? » ont-ils questionné.
— « Un mois plus tard en espèces, 100 millions de francs CFA », a assuré Tomi
— « Qu’avez-vous fait de cette somme ? A-t-elle été déposée sur un compte ? »
— « Non… Je l’ai peut-être dépensée. »
— « Avez-vous fait un reçu ? »
— « Non »
— « Qui vous a remis les fonds ? »
— « Celui qui gère les fonds spéciaux… Toujours est-il qu’on m’a fait porter cette somme. »
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