Assumer son appartenance à la Franc-maçonnerie dans un pays comme le Sénégal, n'est pas toujours chose aisée. C'est pourquoi les « frères » et « sœurs » sénégalais ou qui vivent au Sénégal n'ont pas toujours souhaité voir leur affiliation à une loge ébruitée. Sous nos tropiques, faire partie d'une loge maçonnique n'est pas bien vue et des conséquences désastreuses peuvent s'abattre sur ceux qui se seraient tentés de jouer aux exceptions.
Il n’empêche, certains membres de l'élite sénégalaise ont bravé cet « interdit » et ont affiché, volontairement ou par un concours de circonstances leur appartenance à la Franc-maçonnerie dont l'arrivée au Sénégal remonte aux années 1700.
Blaise Diagne, un maçon assumé
Premier député africain élu à la chambre des députés français, il a été initié à la franc-maçonnerie dans la Loge l'Antité du Grand Orient de France, le 21 septembre 1898, à Saint-Denis de la Réunion. Il accède à la maîtrise en 1901 et fut le vénérable maître de la Loge Pythagore de 1922 à 1926. Blaise Diagne reste actif jusqu'à sa mort, survenue en 1934 en France des suites d'un malaise. Pour lui rendre hommage, l'une des loges de Dakar porte son nom.
C'est d'ailleurs à l'invitation de cette loge qui fêtait son 30e anniversaire au Sénégal que l'ex grand maître du Grand Orient de France, Jean-Michel Quillardet (2005-2008) a fait le déplacement de Dakar en 2007. À cette occasion, il se félicitait de la percée de la franc-maçonnerie au Sénégal. «Ici, vous avez trois loges. On peut dire que le nombre est estimé à 200, même si je ne maîtrise pas les effectifs. C’est une maçonnerie en plein développement, dynamique. D’ailleurs, tout à l’heure, j’étais en tenue et il y avait l’ensemble des frères de Dakar qui étaient réunis. J’ai constaté qu’il y avait beaucoup de jeunes. Il y a même un frère qui a fait une planche qui nous a dit qu’il est âgé de 30 ans. C’est très important parce qu’en France, la maçonnerie, depuis quelques années, est un peu vieillissante, même si on voit tout de même qu’il y a un retour de l’intérêt de la jeunesse vers la maçonnerie. Mais ici, c’est une maçonnerie à la fois dynamique par l’état civil, mais aussi et surtout parce que les loges et les frères adhèrent totalement au projet du Grand Orient », exultait-il dans un entretien avec le quotidien national, « Le Soleil ».
Wade, maçon par curiosité
Dans une enquête intitulée « Chefs d'Etat africains... et francs-maçons », signée Vincent Hugueux, l'Express révèle les liens de l'alors président du Sénégalais avec la franc-maçonnerie. « Au Sénégal, Abdoulaye Wade, initié jadis à Besançon, fait figure de "maçon dormant". De fait, il aurait pris depuis des lustres ses distances avec sa loge. D'autant que l'octogénaire au crâne poli doit tenir compte des oukases des dignitaires musulmans, qu'il s'agisse des califes de l'islam confrérique ou des imams de la banlieue dakaroise. Voilà quelques années, le quotidien Walfadjri se fit d'ailleurs l'écho d'un féroce controverse qui ne tourna guère à l'avantage de la franc-maçonnerie, reléguée par les plus virulents au rang de secte satanique », écrivait notre confrère. Dos au mur, le président Wade qui finissait son deuxième mandat, après avoir gagné la présidentielle de 2007 dès le premier tour, était dans l'obligation de mettre un terme à la polémique créée par cet article du journal français. Cependant, dans sa réponse, Wade ne dément pas avoir flirté avec la franc-maçonnerie.
Dans une mise au point publiée par le même journal, le troisième président du Sénégal précise qu'il n'est pas un « maçon dormant » comme le fait croire l'Express. Le « Pape du Sopi » affirme avoir été radié après qu'il a démissionné, il y a de cela 40 années.
S'agissant des raisons qui l'ont poussé à franchir le pas, Wade convoque la curiosité. « Lorsque j'étais jeune professeur, un de mes collègues eut souvent à m'entretenir de la maçonnerie. Par curiosité, j'y ai adhéré, espérant y trouver des échanges intellectuels de très haut niveau. Ce ne fut pas le cas », argue-t-il. Ces explications n'ont pas éteint la polémique mais ont eu le don de mettre en lumière les fréquentations anciennes du prédécesseur de Macky Sall.
Me Yérim Thiam, vendu par la GLNF
Depuis lors, aucun membre de l'élite sénégalaise n'avait occupé les devants de la scène pour son appartenance assumée à la franc-maçonnerie. Il aura fallu que Dakaractu pose les yeux sur un événement parrainé par la Grande loge nationale française (Glnf) pour apprendre qu'un avocat, et non des moindres, ne cache pas du tout son affiliation à ce qui est considérée par beaucoup de sénégalais comme une « secte ». Devant célébrer 50 ans de présence régulière de la franc-maçonnerie en Afrique, le Colloque Kumen s'est organisé le 29 novembre 2018. L’événement était co-organisé par la Grande loge nationale française (Glnf) et la Grande Loge du Sénégal (Lgs).
Il est inscrit sur le document accessible sur le site de la Grande Loge nationale française que « Après l'accueil par le Grand Maître de la Grande Loge Nationale Française Jean-Pierre SERVEL, le TRF Yérim Thiam, Grand Maître de la Grande Loge du Sénégal, ouvrira les débats ». « Le TRF Alain Roger Coefe, Grand Maître de la Grande Loge du Burkina Faso, alimentera les réflexions consacrées aux divers aspects du développement de la Franc-Maçonnerie régulière en Afrique. Une table ronde occupera l'après-midi sur le thème "perspectives et bienfaits de la Franc-Maçonnerie en Afrique". La journée sera clôturée par le Grand Maître de la Grande Loge du Sénégal », renseigne la page consacrée à l’événement. La délégation sénégalaise conduite par Yérim Thiam qui n'est autre que Me Yérim Thiam, avocat inscrit au barreau de Dakar, comprenait aussi le député Grand Maigre et l'Assistant Grand Maître de la GLS.
Si à l'heure actuelle, nous n'avons pas pu identifier l'assistant Grand Maître de la Grande loge du Sénégal, nous avons pu mettre un nom sur le Député Grand Maître. Lors de la Tenue de la Grande Loge nationale française du 2 décembre 2017 en France, Me Yérim Thiam était accompagné d'Antoine Chami, présenté comme le Député Grand Maitre de la GLS.
Yérim Thiam remplace le parrain de Denis Sassou Nguesso et prend la défense du « frère » Bassolé
De nos investigations, il apparait que Me Yérim Thiam a remplacé Armand Agboba comme Grand Maître de la GLS. Architecte de renom, ce dernier a initié à la franc-maçonnerie l'actuel président du Congo Brazzaville. C'est encore le même Agboba qui a installé Denis Sassou Nguesso à la tête de la Grande Loge congolaise, le 25 octobre 2014, à la maison des Maçons, à Brazzaville, révélait à l'époque la très informée Lettre du Continent.
Il est donc clair que le prédécesseur de Me Yérim Thiam à la GLS était dans une dynamique de répandre la franc-maçonnerie en Afrique. Une lignée dans laquelle semble s'inscrire l'avocat qui en plus de co-présider des colloques comme celui de l'année dernière au Grand Temple Jean Mons de la GNLF, met la toge, si le besoin se fait sentir, pour défendre des « frères » en difficulté. Ce fut récemment le cas au Burkina Faso où il a défendu le Général Djibril Bassolé, accusé d'avoir, avec le Général Gilbert Diendéré, tenté de renverser le gouvernement de transition en 2015.
Ancien ministre des Affaires étrangères sous Blaise Compaoré, Djibril Bassolé a été coiffé au poteau au sein de la Grange Loge du Burkina Faso par Alain Roger Coefe, installé, selon la Lettre du Continent, par l'ancien Grand Maître de la Grande Loge du Sénégal, Armand Agboba. Le même Coefe qui était avec Me Yérim Thiam au Colloque Kumen de novembre 2018. Très engagé dans cette bataille judiciaire, l'avocat sénégalais ne se privait pas de tribune pour qualifier le procès de « politique ». Finalement, il n'a pas réussi à tirer d'affaire son « frère » Bassolé. Celui-ci a été condamné à 10 ans de prison ferme pour trahison par le tribunal militaire de Ouagadougou.
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