Atlantico : Comment interprétez-vous la réaction du gouvernement guinéen à l'affaire DSK-Diallo ?
London Camara : Le président de la République et son gouvernement ont trainé les pattes par rapport à cette affaire dont la victime est tout de même une Guinéenne. Partout ailleurs, les autorités de l’Etat se seraient précipités afin d’apporter leur soutien à leur ressortissant. Je note que Claude Guéant, ministre français de l’Intérieur, a très tôt affirmé que « dans l’hypothèse où DSK serait condamné, le gouvernement français appuierait sa demande de transfèrement afin de pouvoir purger sa peine au bercail » (peut-être qu’elle y serait moins pénible).
La réaction tardive d’Alpha Condé a très mal été interprétée. On attendait un communiqué officiel du chef de l’Etat et ou de son gouvernement dès le début de l’affaire et en lieu et place nous avons eu droit à une réaction furtive sur la presse étrangère, quelques semaines après le début de l’affaire. Mais il faut dire qu’Alpha Condé, qui cultive la haine ethnique dans le pays depuis son accession au pouvoir, ne voulait pas faire honneur aux Peuls en apportant un soutien ferme à cette pauvre femme de ménage. Sa base électorale, l'ethnie malinké, aurait mal compris ce soutien.
Pour ma part, je pense qu’il a manqué une bonne occasion de se réconcilier avec les populations du Foutah Djallon, la région à majorité peuplée par les Peuls et dont est originaire Nafissatou Diallo.
On peut aussi considérer que sa proximité avec le Parti socialiste français l’a obligé à tempérer sa réaction. Mais personnellement, je reste persuadé que la tactique électorale a beaucoup plus pesé que cette proximité politique, dans la réaction, puisque comme dirait Jean-Marie le Pen « entre la fille et le voisin, on choisit la fille », alors entre la compatriote et le camarade, Alpha Condé aurait dû choisir la compatriote.
Et qu'en est-il de l'opposition ?
On ne peut pas en vouloir aux partis politiques de l’opposition de ne pas avoir réagi. Elle n’a, justement, pas voulu, à mon sens, aggraver les crispations ethniques dans le pays. Le chef de fil de l’opposition, Monsieur Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG), est un homme soucieux de l’équilibre ethnique du pays. Il est, lui même, originaire du Foutah Djallon et peul. Il lui était délicat de réagir par rapport à cette affaire d’autant plus que le RPG et Alpha Condé assènent, à tout va, qu’il est le président d’un parti des Peuls, alors que l’UFDG est l’un des partis les plus mosaïques du point de vue ethnique. Monsieur Diallo, à son arrivée à la tête de l’UFDG en 2007, a modifié les statuts du parti afin d’instituer une vice-présidence par région naturelle (la Guinée en compte quatre, elles correspondent aux quatre grands groupes ethniques du pays : soussou, peul, malinké et forestier).
Cette affaire tend-elle à crisper les différentes ethnies guinéennes?
Cette affaire a participé à la crispation ethnique, promu aujourd’hui par le nouveau régime du grand camarade Alpha Condé. Aux Etats-Unis, Doussou Condé, une représentante du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, le parti d’Alpha Condé), a même osé qualifier toutes les femmes peules de « menteuses et de profiteuses ». Cette pauvre Doussou Condé aurait, au moins, pu s’apercevoir que le mot "rassemblement" est le premier du nom de son parti et qu’en cette période difficile que vit notre pays, mieux vaut appeler au rassemblement qu’à la division. La réaction de Madame Condé est d’autant plus choquante que tout le monde s’accorde à dire que les femmes peules « sont des femmes dignes et respectueuses de l’homme, des traditions et de l’islam ».
Mais attention, il ne faut pas loger tous les partis politiques à la même enseigne. Tous les observateurs de la vie politique guinéenne s’accordent à dire que la crispation ethnique est le fait du RPG et du camarade Alpha Condé. Monsieur Condé a joué sur les dérives ethniques pour se faire élire président, en novembre 2010. Il a réussi à dresser tout le pays contre les peuls, qu’ils considèrent être venus d’ailleurs. Alpha Condé « rwandise » la Guinée.
Et si Nafissatou avait été d'origine malinké ?
Si cette femme avait été malinké ou soussou, la réaction du gouvernement aurait été très différente. Alpha Condé, pour des tactiques électoralistes, considèrent les soussous comme ses oncles maternels, il est malinké et il ne cache pas son mépris envers les Peuls, sa base électorale, les malinké, est hostile à toute ouverture envers les Peuls.
Vous voyez bien que tout est réuni pour une réaction minimaliste de la part du camarade Condé. Et si vous ajoutez à ce cocktail la puissance de Monsieur Strauss-Kahn et la familiarité politique entre Alpha Condé et le Parti socialiste français vous avez tous les éléments qui expliquent le quasi mutisme de l’Etat guinéen.
Cette affaire passionne-t-elle les Guinéens ?
Je parlerai plutôt de bouleversement. Nous sommes un pays dans lequel les traditions sont encore bien en place (et je m’en félicite). En outre, si on considère le fait que le pays est peuplé à 90% de musulmans, on comprend rapidement l’effet que cette affaire peut avoir dans le pays. Le viol est un sacrilège dans nos traditions et un grand péché dans l’islam.
Mais au delà de toutes considérations, il me semble qu’on ne peut pas rester indifférent face à un tel drame humain, celui de cette femme de ménage qui mène la vie dure pour subvenir à ses besoins et faire vivre sa fille. Le fait que cette femme de « ménage » et « immigrée » dit avoir été violée par un homme de gauche, qui fait de la défense des plus faibles et des immigrés son fer de lance m’a beaucoup choqué. Pire, la réaction de la gauche en général m’a laissé pantois. De Jack Lang au journaliste Jean-François Kahn, les réactions ont été, de mon point de vue, sordides.
Nous avons à www.guinee58.com décidé de soutenir fermement cette femme. Plusieurs fois en conférence de rédaction, nous sous sommes interrogés sur l’attitude à adopter et nous avons toujours décidé de défendre la présumée victime que le présumé innocent, le tout dans le respect de la présomption d’innocence. Personnellement, je fais partie de ceux, en droit, qui pensent qu’il faut avant tout défendre la présumée victime plutôt que le présumé innocent.
Comment la presse guinéenne a-t-elle évoqué l'affaire notamment au début lorsqu'au même moment les Français se sont montrés si choqués ?
La presse guinéenne a découvert cette affaire avec stupéfaction. L’onde de choc était perceptible à travers les titres de la presse, surtout la presse en ligne. Mais je me réjouis de constater que la presse guinéenne a fait preuve de retenue et de professionnalisme dans la couverture de cette affaire si délicate.
Notre devoir est de soutenir nos compatriotes partout où ils sont et le gouvernement guinéen aurait mieux fait de s’en inspirer. La France soutient ses ressortissants dans toutes les circonstances, même s’ils sont reconnus coupables des pires crimes.
Avant de finir, je pense qu’il est temps que Nafissatou Diallo s’exprime. Nous avons entendu et lu beaucoup de choses et elle reste quasiment fantomatique dans les médias. Je sais qu’elle s’est exprimé devant la police et la justice mais il est plus que jamais nécessaire qu’elle parle à l’opinion publique, ne serait ce que pour dissiper les rumeurs colportées à son égard. Si elle le souhaite, www.guinee58.com est prêt à lui tendre le micro.
Je sais que c’est difficile et qu’elle n’était pas préparée à cette bataille médiatique, mais il faut qu’elle s’y fasse. C’est dommage qu’aujourd’hui tout se joue dans la communication et les médias. Mais c’est ainsi et elle doit investir le champ médiatique.
( Avec : Atlantico.fr )
( Avec : Atlantico.fr )
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