Cheikh El Hadji malick a eu le génie d’avoir fait d’un moment important de de l’Islam, le lieu d’un retour aux enseignements fondateurs d’une religion tirant son universalité du profond respect de la diversité qui le caractérise.
En ces moments traversés par d’innombrables questions existentielles et où, plus que jamais, se pose le problème de la destinée humaine, au regard des crises morales et socio-politiques, il est important de revenir sur l’expérience du Prophète de l’Islam à l’occasion d’un évènement phare institutionnalisé par Seydi el Hadji Malick Sy.
Certes, le « désenchantement du monde » au sens weberien et le sécularisme triomphaliste semblaient induire l’obsolescence du religieux au profit d’une victoire définitive et sans appel du rationalisme. Mais ce serait sans compter avec l’éternelle quête de sens qui n’a jamais cessé de hanter l’humain. Malgré la désaffection à l’égard des religions traditionnelles et/ou classiques, les formes de religiosités qui meublent notre espace - se disant modernes - subsistent, surgissent et ressurgissent ça-et-là avec une ampleur plus ou moins perceptible. La manifestation la plus nette du phénomène de l’attachement humain aux « moyens de productions » du sens est l’impossibilité conceptuelle et matérielle de distinguer, aujourd’hui, à la manière de Durkheim les domaines du « profane » et du « religieux » dans l’activité sociale. On peut croire que ce besoin de sens est inhérent à la nature humaine et gît en son sein même.
Les religions, en général, et l’islam en particulier, avec la montée en puissance des extrémismes, sont au ban de la « société pensante » et des médias d’aujourd’hui. L’islam dont l’approche ne bénéficie pas de la même disposition d’esprit que celle adoptée pour l’étude des autres monothéismes se trouve indexé comme la parfaite illustration du péril religieux menaçant les libertés, la démocratie et aux antipodes de l’esprit de progrès. En cette période de Gamou dont Cheikh El Hadji Malick Sy a fait un le lieu de réappropriation du legs spirituel et humaniste du Prophète de l’Islam, un retour sur son parcours permettrait de voir, sous plusieurs aspects, comment cette religion qui naquit au 7ème siècle a toujours été source de dynamisme et facteur de changement façonnant aujourd’hui la vie de plus d’un milliard d’individus sur cinq continents. Evoquant la personnalité de Muhammad (PSL), on se rend compte de l’extraordinaire manière dont la religion qu’il a professée a su épouser les contours de diverses cultures, unir dans leur diversité des peuples aux traditions différentes et rapprocher des contrées aussi éloignées. Image loin de celle que veulent préconiser les extrémistes de tous bords.
Quelles que soient les opinions contradictoires émises par les uns et les autres sur ses formes, l’expansion de l’islam a toujours intrigué les analystes les plus rompus à l’analyse des processus sociohistoriques. L’échelle de temps, l’étendue du champ et les adaptations sociologiques de cette expansion qui n’a pas nui à l’harmonie sociale des sociétés ayant embrassé l’islam sont tant d’éléments qui méritent réflexion. « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens et l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie humain, qui oserait comparer un homme de l’histoire moderne à Mahomet ? », se demandait Alphonse de Lamartine en 1854.
Ces questionnements s’inscrivent dans cette absence d’explication exhaustive du phénomène Muhammad (PSL). Loin de nous, la prétention d’essayer de fournir toutes les clefs permettant d’établir une grille performante de lecture de l’histoire de cet homme hors du commun pour les Musulmans. S’adossant au « Khlâçu Zahab », l’ouvrage « en or » de Cheikh El Hadji Malick Sy qui a décanté les énigmes sur le parcours de l’homme sublime que nous célébrons chaque année à Tivaouane ces étapes et processus sont plein d’enseignements.
Rien qu’en se limitant sur l’évocation des étapes de sa vie en nous arrêtant surtout sur les conséquences de cette prédication et de ce message sur le cours de l’Histoire, cela se précise sur plusieurs aspects. Malgré les désaccords et les divergences de vues, on peut convenir que la naissance du Sceau des prophètes ce 22 juin 570 (ou 571 d’après d’autres sources) à la Mecque marquera les esprits et le destin du monde pour toujours. Selon les termes de Mujtaba-Musawi Lari, « un autre soleil se leva dans le ciel obscurci dont la lumière éclaira soudain l’horizon sombre de la vie ». Le mérite d’un tel être fut, selon ses adeptes, de devenir « l’homme le plus sublime au monde » après avoir été élevé dans une société corrompue et injuste. Les moyens pour arriver à son but ne pouvaient être que très modestes à l’égard de sa condition sociale d’orphelin à l’enfance secouée de péripéties douloureuses.
N’ayant jamais vu son père disparu peu avant sa naissance, séparé, très tôt de sa mère par la mort, puis privé de l’assistance de son grand-père Abdelmutallib, ce notable de Quraysh, qui lui fit défaut dès qu’il eût huit ans, Muhammad (PSL) sera sans défense dans la société qu’il voulut transformer et où il ne pouvait plus compter sur l’appui de son oncle, Abû Talib qui quitta ce monde alors que le futur prophète n’avait pas encore commencé sa prédication. Cheikh El Hadji Malick situe cette étape à l’âge de huit ans (âma thamânî).
Dans son Khilâs al-Dhahab fî Sîrat Khayr al-‘arab, Seydi El Hadji Malick Sy de Tivaoaune qui a fait de la célébration du Mawlid cet événement d’une grande ampleur, décrit bien cette jeunesse de Muhammad (PSL) et ses multiples péripéties : l’orphelin qui voulait devenir le père de l’humanité, le refuge des opprimés dans une société inégalitaire et le compatissant des misérables, puisera étonnamment dans l’accoutumance à la souffrance, des dénuements et des malheurs, la force indispensable pour accomplir sa mission.
La tradition universitaire des années 70 fortement inspirée par une analyse marxisante dans sa démarche, a longuement insisté sur la dialectique caractérisant les premières années de la prédication muhammadienne. Il est vrai que certains aspects de sa vie et de sa prédication ont bien l’air sinon d’une « révolution », du moins d’une profonde mutation sociétale. Les premiers adeptes de l’islam naissant viennent de différents horizons mais partagent tous la même condition sociale de dominés dans un contexte hautement hiérarchisé où l’inégalité est érigée en règle. Bilâl, l’esclave affranchi selon la tradition musulmane, dit ‘al-habashî (l’Abyssin), venant de l’autre côté de la Mer Rouge, de l’Abyssinie (Ethiopie), Souhayb est al-Rûmî, provenant certainement des régions sous la domination de Byzance, Salmân est al-Fârisî, (le Persan) allusion au domaine de l’empire Perse.
Les premiers signaux d’une universalité qui imprimera ses marques à une religion de l’ouverture, malgré les thèses identitaires qui polluent cet esprit premier. Mais la révolution était aussi économique pour cette religion qui institue le partage des richesses en véritable pilier au point que le poète Ahmed Shawqi voulut en faire romantiquement le précurseurs, « l’Imam des Socialistes » (Al-Ishtirâkiyyûn anta imâmuhum). L’émergence de l’islam a coïncidé avec une période où l’Arabie vivait un tournant.
La sédentarisation progressive, la reconversion de sociétés bédouines, nomades, au commerce et à la finance, faisaient que certaines vertus cardinales de l’homme arabe avaient du mal à perdurer devant l’appât du gain et l’accumulation. Un tel système est de nature à creuser les inégalités et à modifier les hiérarchies.
La notion même et les critères du prestige social s’en trouvent bouleversés. Ceux qui sont à la marge du système sont plus que jamais attentifs et réceptif à l’égard de ce Prophète qui leur proposait la justice, l’égalité, le respect de l’orphelin, la charité à l’égard de l’étranger. Cette révolution n’en était pas moins socio-politique. Malmenés pour avoir porté atteinte au système établi et défié la puissance de la hiérarchie mecquoise, les membres de la première communauté de l’islam connaîtront très tôt l’exil. Le Négus, souverain de l’Abyssinie, les accueillera avec hospitalité et charité, les protégera dans la pure tradition chrétienne. Quelle heureuse rencontre, quel symbole de tolérance et d’acceptation mutuelle ! Mais c’est l’éveil des consciences qui éternisa ce message dans les mémoires.
Dans son Regard sur l’histoire du monde, Nehru exprimait cette interrogation en ces termes : « Chose surprenante, la race arabe qui semblait durant des siècles demeurée dans une contrée sans renom, endormie, ayant perdu totalement sa vivacité, isolée du monde, ignorait apparemment tout ce qui s’y passait, se réveilla soudain, bouleversant avec une force vigoureuse le monde ! ». Il conçoit ce processus comme « un des merveilles du monde dans l’histoire humaine », Comme le rappelle Nehru, « la pensée motrice qui éveilla le monde arabe et le combla de la confiance en soi et de la force créatrice ne fut que l’islam prophétisé par Muhammad ».
Cheikh Ahmed Tidiane Sy, le disait lors d’une visite à la Mecque « Si ce n’était pas le Prophète, messager de l’islam, qui connaîtrait cette civilisation se distinguant par l’hospitalité envers l’étranger » (lawla-n-nabiyyu rasûlullâhi mâ ‘urifat/hadâratun sha’nuhâ-t-takrîmu li-l-ghurabâ). La diversité fut sa force, la justice sociale son leitmotiv. Autour d’un prophète, d’un message et d’une foi, elle a donné au monde l’une de ses plus brillantes civilisations.
Dans sa pédagogie du Gamou, Maodo a institué la récitation de la Burdah d’Al-Bûsayrî (XIIIème s.) qui se contentera de conclure que Muhammad est certes homme mais le meilleur des créatures : fa mablaghul ‘ilmi annahû basharun/ wa annahû khayru khalqi lâhi kullihimi. Mais Cheikh El Hdaji Malick insistera, lui, dans une Qâcida sur les mêmes rime (qâfiya) et mètre (basît), en affirmant que pour tout qualificatif afférant à la noblesse de l’âme, Muhammad (PSL) mérite le superlatif absolu ! : fî kulli wasfin hamîdin hâza af‘ala tafdîlin rajâ’ul barâyâ yawma muzdahamî Le sens du Gamou est surtout que ce message soit revivifié dans toutes ses dimensions, une fois libéré des préjugés dans lesquels aussi bien les extrêmes qui le dénaturent et en usent, que les tenants de l’essentialisme, portent la même responsabilité.
Mais quelles que soient les tensions, malgré les déchirures et la percée du virus de l’animosité dans le monde d’aujourd’hui, on ne pourra jamais nier que cette religion appelle au dialogue au respect et à la coexistence pacifique. Tivaouane dans la continuité du message pour une spiritualité vivante Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy a traité dans un ouvrage non réédité depuis le années 60, de différents thèmes résumant sa conception d’une religion musulmane au cœur des préoccupations humaines avec toujours cette vocation universelle.
Dès le début de l’ouvrage le grand penseur s’attèle à démontrer la manière dont l’Islam est naturellement une religion favorable à l’évolution de l’humanité car s’appuyant sur la justice comme fondement de la vie en société.
Pour lui, le salut du genre humain et surtout du Musulman passe forcément par la foi combinée à l’action, en revisitant constamment, la notion de volonté humaine « himmatul insân » rappelant ce pacte tacite entre Dieu et l’Homme qui devrait en être le vicaire sur terre (khalîfatu-l-lâhi fi-l-ardi). Selon Cheikh Ahmed Tidiane Sy, il faut espérer que la Civilisation humaine, dans son essence, « puisse retrouver la toute la splendeur qu’elle mérite et sans laquelle la terre deviendra une « boucherie » où, un jour ou l’autre, ceux à qui l’on a enlevé leur dignité pour en faire « des vaches, des chevaux et des loups », se révolteront contre les patrons et grands industriels, les habitants des capitales et des gratte-ciels pour recouvrer l’honneur de l’Humanité ».
Pour Serigne Cheikh Tidiane Sy si l’humanité en arrive à ce point, alors « plus d’humanité et point de civilisation ! ». Vision ne pouvait être plus futuriste. Il aura bien fallu attendre la fin du XXème siècle, que le communisme s’effondre, que Jean-Christophe Ruffin parle d’« empire » et de « nouveaux barbares », qu’un certain Huntington théorise le « choc des civilisations », que le 11 septembre se produise, qu’Emmanuel Todd prédise la « fin de l’Empire », qu’on envahisse des pays souverains au mépris du droit international, que le capitalisme mondial soit frappé par une crise inouïe, que le terme de régulation réintègre le vocabulaire économique et financier, que la jeunesse du monde arabe se dresse contre l’injustice des potentats, qu’une réelle crise de confiance s’installe entre les gouvernés et les gouvernants pour comprendre enfin le vrai sens et la nécessité de l’éthique dans les rapports politiques et économiques !
Pourtant, dès les années 1960, Serigne Cheikh, ce penseur avant-gardiste, l’avait intégré dans sa conception d’une civilisation universelle durable à laquelle l’islam et les Musulmans devraient contribuer à la mesure de la pertinence du message Mohammedien. Certainement, pour théoriser une telle conception et l’harmoniser avec le message islamique au-delà des particularismes, il fallait compter sur la vision d’un Cheikh Tidiane Sy, penseur de ivouane, ce « philosophe de son temps » (faylasûfu ‘açrihi) –comme le dit Serigne Maodo Sy – armé d’un sens élevé de la critique constructive et d’une audace de l’alternative, libératrices des conformismes coutumiers (âda), puisse l’exprimer en toute responsabilité. C’est la leçon de l’islam enseignée par l’Ecole de Tivaouane par le Maître Maodo aussi bien aux hommes de sons temps qu’à la postérité en questionnement.
En ces moments traversés par d’innombrables questions existentielles et où, plus que jamais, se pose le problème de la destinée humaine, au regard des crises morales et socio-politiques, il est important de revenir sur l’expérience du Prophète de l’Islam à l’occasion d’un évènement phare institutionnalisé par Seydi el Hadji Malick Sy.
Certes, le « désenchantement du monde » au sens weberien et le sécularisme triomphaliste semblaient induire l’obsolescence du religieux au profit d’une victoire définitive et sans appel du rationalisme. Mais ce serait sans compter avec l’éternelle quête de sens qui n’a jamais cessé de hanter l’humain. Malgré la désaffection à l’égard des religions traditionnelles et/ou classiques, les formes de religiosités qui meublent notre espace - se disant modernes - subsistent, surgissent et ressurgissent ça-et-là avec une ampleur plus ou moins perceptible. La manifestation la plus nette du phénomène de l’attachement humain aux « moyens de productions » du sens est l’impossibilité conceptuelle et matérielle de distinguer, aujourd’hui, à la manière de Durkheim les domaines du « profane » et du « religieux » dans l’activité sociale. On peut croire que ce besoin de sens est inhérent à la nature humaine et gît en son sein même.
Les religions, en général, et l’islam en particulier, avec la montée en puissance des extrémismes, sont au ban de la « société pensante » et des médias d’aujourd’hui. L’islam dont l’approche ne bénéficie pas de la même disposition d’esprit que celle adoptée pour l’étude des autres monothéismes se trouve indexé comme la parfaite illustration du péril religieux menaçant les libertés, la démocratie et aux antipodes de l’esprit de progrès. En cette période de Gamou dont Cheikh El Hadji Malick Sy a fait un le lieu de réappropriation du legs spirituel et humaniste du Prophète de l’Islam, un retour sur son parcours permettrait de voir, sous plusieurs aspects, comment cette religion qui naquit au 7ème siècle a toujours été source de dynamisme et facteur de changement façonnant aujourd’hui la vie de plus d’un milliard d’individus sur cinq continents. Evoquant la personnalité de Muhammad (PSL), on se rend compte de l’extraordinaire manière dont la religion qu’il a professée a su épouser les contours de diverses cultures, unir dans leur diversité des peuples aux traditions différentes et rapprocher des contrées aussi éloignées. Image loin de celle que veulent préconiser les extrémistes de tous bords.
Quelles que soient les opinions contradictoires émises par les uns et les autres sur ses formes, l’expansion de l’islam a toujours intrigué les analystes les plus rompus à l’analyse des processus sociohistoriques. L’échelle de temps, l’étendue du champ et les adaptations sociologiques de cette expansion qui n’a pas nui à l’harmonie sociale des sociétés ayant embrassé l’islam sont tant d’éléments qui méritent réflexion. « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens et l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie humain, qui oserait comparer un homme de l’histoire moderne à Mahomet ? », se demandait Alphonse de Lamartine en 1854.
Ces questionnements s’inscrivent dans cette absence d’explication exhaustive du phénomène Muhammad (PSL). Loin de nous, la prétention d’essayer de fournir toutes les clefs permettant d’établir une grille performante de lecture de l’histoire de cet homme hors du commun pour les Musulmans. S’adossant au « Khlâçu Zahab », l’ouvrage « en or » de Cheikh El Hadji Malick Sy qui a décanté les énigmes sur le parcours de l’homme sublime que nous célébrons chaque année à Tivaouane ces étapes et processus sont plein d’enseignements.
Rien qu’en se limitant sur l’évocation des étapes de sa vie en nous arrêtant surtout sur les conséquences de cette prédication et de ce message sur le cours de l’Histoire, cela se précise sur plusieurs aspects. Malgré les désaccords et les divergences de vues, on peut convenir que la naissance du Sceau des prophètes ce 22 juin 570 (ou 571 d’après d’autres sources) à la Mecque marquera les esprits et le destin du monde pour toujours. Selon les termes de Mujtaba-Musawi Lari, « un autre soleil se leva dans le ciel obscurci dont la lumière éclaira soudain l’horizon sombre de la vie ». Le mérite d’un tel être fut, selon ses adeptes, de devenir « l’homme le plus sublime au monde » après avoir été élevé dans une société corrompue et injuste. Les moyens pour arriver à son but ne pouvaient être que très modestes à l’égard de sa condition sociale d’orphelin à l’enfance secouée de péripéties douloureuses.
N’ayant jamais vu son père disparu peu avant sa naissance, séparé, très tôt de sa mère par la mort, puis privé de l’assistance de son grand-père Abdelmutallib, ce notable de Quraysh, qui lui fit défaut dès qu’il eût huit ans, Muhammad (PSL) sera sans défense dans la société qu’il voulut transformer et où il ne pouvait plus compter sur l’appui de son oncle, Abû Talib qui quitta ce monde alors que le futur prophète n’avait pas encore commencé sa prédication. Cheikh El Hadji Malick situe cette étape à l’âge de huit ans (âma thamânî).
Dans son Khilâs al-Dhahab fî Sîrat Khayr al-‘arab, Seydi El Hadji Malick Sy de Tivaoaune qui a fait de la célébration du Mawlid cet événement d’une grande ampleur, décrit bien cette jeunesse de Muhammad (PSL) et ses multiples péripéties : l’orphelin qui voulait devenir le père de l’humanité, le refuge des opprimés dans une société inégalitaire et le compatissant des misérables, puisera étonnamment dans l’accoutumance à la souffrance, des dénuements et des malheurs, la force indispensable pour accomplir sa mission.
La tradition universitaire des années 70 fortement inspirée par une analyse marxisante dans sa démarche, a longuement insisté sur la dialectique caractérisant les premières années de la prédication muhammadienne. Il est vrai que certains aspects de sa vie et de sa prédication ont bien l’air sinon d’une « révolution », du moins d’une profonde mutation sociétale. Les premiers adeptes de l’islam naissant viennent de différents horizons mais partagent tous la même condition sociale de dominés dans un contexte hautement hiérarchisé où l’inégalité est érigée en règle. Bilâl, l’esclave affranchi selon la tradition musulmane, dit ‘al-habashî (l’Abyssin), venant de l’autre côté de la Mer Rouge, de l’Abyssinie (Ethiopie), Souhayb est al-Rûmî, provenant certainement des régions sous la domination de Byzance, Salmân est al-Fârisî, (le Persan) allusion au domaine de l’empire Perse.
Les premiers signaux d’une universalité qui imprimera ses marques à une religion de l’ouverture, malgré les thèses identitaires qui polluent cet esprit premier. Mais la révolution était aussi économique pour cette religion qui institue le partage des richesses en véritable pilier au point que le poète Ahmed Shawqi voulut en faire romantiquement le précurseurs, « l’Imam des Socialistes » (Al-Ishtirâkiyyûn anta imâmuhum). L’émergence de l’islam a coïncidé avec une période où l’Arabie vivait un tournant.
La sédentarisation progressive, la reconversion de sociétés bédouines, nomades, au commerce et à la finance, faisaient que certaines vertus cardinales de l’homme arabe avaient du mal à perdurer devant l’appât du gain et l’accumulation. Un tel système est de nature à creuser les inégalités et à modifier les hiérarchies.
La notion même et les critères du prestige social s’en trouvent bouleversés. Ceux qui sont à la marge du système sont plus que jamais attentifs et réceptif à l’égard de ce Prophète qui leur proposait la justice, l’égalité, le respect de l’orphelin, la charité à l’égard de l’étranger. Cette révolution n’en était pas moins socio-politique. Malmenés pour avoir porté atteinte au système établi et défié la puissance de la hiérarchie mecquoise, les membres de la première communauté de l’islam connaîtront très tôt l’exil. Le Négus, souverain de l’Abyssinie, les accueillera avec hospitalité et charité, les protégera dans la pure tradition chrétienne. Quelle heureuse rencontre, quel symbole de tolérance et d’acceptation mutuelle ! Mais c’est l’éveil des consciences qui éternisa ce message dans les mémoires.
Dans son Regard sur l’histoire du monde, Nehru exprimait cette interrogation en ces termes : « Chose surprenante, la race arabe qui semblait durant des siècles demeurée dans une contrée sans renom, endormie, ayant perdu totalement sa vivacité, isolée du monde, ignorait apparemment tout ce qui s’y passait, se réveilla soudain, bouleversant avec une force vigoureuse le monde ! ». Il conçoit ce processus comme « un des merveilles du monde dans l’histoire humaine », Comme le rappelle Nehru, « la pensée motrice qui éveilla le monde arabe et le combla de la confiance en soi et de la force créatrice ne fut que l’islam prophétisé par Muhammad ».
Cheikh Ahmed Tidiane Sy, le disait lors d’une visite à la Mecque « Si ce n’était pas le Prophète, messager de l’islam, qui connaîtrait cette civilisation se distinguant par l’hospitalité envers l’étranger » (lawla-n-nabiyyu rasûlullâhi mâ ‘urifat/hadâratun sha’nuhâ-t-takrîmu li-l-ghurabâ). La diversité fut sa force, la justice sociale son leitmotiv. Autour d’un prophète, d’un message et d’une foi, elle a donné au monde l’une de ses plus brillantes civilisations.
Dans sa pédagogie du Gamou, Maodo a institué la récitation de la Burdah d’Al-Bûsayrî (XIIIème s.) qui se contentera de conclure que Muhammad est certes homme mais le meilleur des créatures : fa mablaghul ‘ilmi annahû basharun/ wa annahû khayru khalqi lâhi kullihimi. Mais Cheikh El Hdaji Malick insistera, lui, dans une Qâcida sur les mêmes rime (qâfiya) et mètre (basît), en affirmant que pour tout qualificatif afférant à la noblesse de l’âme, Muhammad (PSL) mérite le superlatif absolu ! : fî kulli wasfin hamîdin hâza af‘ala tafdîlin rajâ’ul barâyâ yawma muzdahamî Le sens du Gamou est surtout que ce message soit revivifié dans toutes ses dimensions, une fois libéré des préjugés dans lesquels aussi bien les extrêmes qui le dénaturent et en usent, que les tenants de l’essentialisme, portent la même responsabilité.
Mais quelles que soient les tensions, malgré les déchirures et la percée du virus de l’animosité dans le monde d’aujourd’hui, on ne pourra jamais nier que cette religion appelle au dialogue au respect et à la coexistence pacifique. Tivaouane dans la continuité du message pour une spiritualité vivante Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy a traité dans un ouvrage non réédité depuis le années 60, de différents thèmes résumant sa conception d’une religion musulmane au cœur des préoccupations humaines avec toujours cette vocation universelle.
Dès le début de l’ouvrage le grand penseur s’attèle à démontrer la manière dont l’Islam est naturellement une religion favorable à l’évolution de l’humanité car s’appuyant sur la justice comme fondement de la vie en société.
Pour lui, le salut du genre humain et surtout du Musulman passe forcément par la foi combinée à l’action, en revisitant constamment, la notion de volonté humaine « himmatul insân » rappelant ce pacte tacite entre Dieu et l’Homme qui devrait en être le vicaire sur terre (khalîfatu-l-lâhi fi-l-ardi). Selon Cheikh Ahmed Tidiane Sy, il faut espérer que la Civilisation humaine, dans son essence, « puisse retrouver la toute la splendeur qu’elle mérite et sans laquelle la terre deviendra une « boucherie » où, un jour ou l’autre, ceux à qui l’on a enlevé leur dignité pour en faire « des vaches, des chevaux et des loups », se révolteront contre les patrons et grands industriels, les habitants des capitales et des gratte-ciels pour recouvrer l’honneur de l’Humanité ».
Pour Serigne Cheikh Tidiane Sy si l’humanité en arrive à ce point, alors « plus d’humanité et point de civilisation ! ». Vision ne pouvait être plus futuriste. Il aura bien fallu attendre la fin du XXème siècle, que le communisme s’effondre, que Jean-Christophe Ruffin parle d’« empire » et de « nouveaux barbares », qu’un certain Huntington théorise le « choc des civilisations », que le 11 septembre se produise, qu’Emmanuel Todd prédise la « fin de l’Empire », qu’on envahisse des pays souverains au mépris du droit international, que le capitalisme mondial soit frappé par une crise inouïe, que le terme de régulation réintègre le vocabulaire économique et financier, que la jeunesse du monde arabe se dresse contre l’injustice des potentats, qu’une réelle crise de confiance s’installe entre les gouvernés et les gouvernants pour comprendre enfin le vrai sens et la nécessité de l’éthique dans les rapports politiques et économiques !
Pourtant, dès les années 1960, Serigne Cheikh, ce penseur avant-gardiste, l’avait intégré dans sa conception d’une civilisation universelle durable à laquelle l’islam et les Musulmans devraient contribuer à la mesure de la pertinence du message Mohammedien. Certainement, pour théoriser une telle conception et l’harmoniser avec le message islamique au-delà des particularismes, il fallait compter sur la vision d’un Cheikh Tidiane Sy, penseur de ivouane, ce « philosophe de son temps » (faylasûfu ‘açrihi) –comme le dit Serigne Maodo Sy – armé d’un sens élevé de la critique constructive et d’une audace de l’alternative, libératrices des conformismes coutumiers (âda), puisse l’exprimer en toute responsabilité. C’est la leçon de l’islam enseignée par l’Ecole de Tivaouane par le Maître Maodo aussi bien aux hommes de sons temps qu’à la postérité en questionnement.
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