Sénégal : Les leçons d’un scrutin (Par Cheikh Yérim Seck)

DAKARACTU.COM  Macky Sall a sa chambre introuvable. C’est ainsi qu’on appelait l’Assemblée nationale française du temps où le Général De Gaulle y avait une majorité « bleu-horizon », toute acquise à sa politique et complètement à sa botte, ce qui lui valut le nom d’assemblée godillot. La coalition Benno Bokk Yaakaar est majoritaire, largement, mais cette ample victoire a un goût amer, celui de la formidable abstention qui a dominé tous les commentaires. Les hommes politiques ont vite fait de trouver des raisons qui les arrangent, pour expliquer cette désaffection des électeurs pour ce scrutin, dont la proximité avec la présidentielle n’explique pas toute l’indifférence qu’il a suscitée chez les Sénégalais. Ils rivalisent en solutions surréalistes, affirmant qu’il serait judicieux de coupler les scrutins présidentiel et législatif, chuchotant qu’il faudrait rendre le vote obligatoire, accusant même pour certains les médias de n’avoir pas fait leur devoir de sensibilisation auprès des populations quant à l’importance et l’enjeu de ces législatives. Eux n’y sont pour rien dans ce qui ressemble à un cinglant désaveu de leur vacuité et de la désespérance qu’ils suscitent. Les politiciens sont toujours, arguant leurs vieilles et surannées rhétoriques, emplis de désinvolte autosatisfaction. Alors que s’est-il passé ce dimanche ? Qu’est-il advenu de notre classe politique traditionnelle ? Pourquoi avaient-ils tous l’air d’avoir une sacrée gueule de bois, comme après une nuit cauchemardesque ? Ils venaient de réaliser que le peuple sénégalais était devenu indifférent au cirque politique. Il le lui avait dit des années durant, à cette classe politique autiste, lors de ces joutes d’intelligences citoyennes nommées « Assises nationales ». Le 25 mars 2012, il y eut un séisme politique, le jet par la fenêtre de notre icône nationale, le plus diplômé du Cap au Caire, qui n’en pût « mais !!! » et qui, depuis, se demande, hagard, ce qui lui est arrivé. Les autres, que le peuple avait instrumentalisés pour l’effacer de notre histoire, n’ont pas plus compris que lui.  Pour disséquer cette abstention, il nous faut partir de ce postulat. Les citoyens ont compris que les hommes politiques n’avaient pas traduit dans leurs gestes ce qui s’était déroulé le 25 mars, et surtout avant, le 23 juin 2011. En comparaison, l’alternance de 2000 avait connu une réplique, comme dans un tremblement de terre, parce que c’en était un, de virer des socialistes assis sur leurs certitudes depuis 40 ans. Wade avait eu cette capacité de le faire confirmer, par son allant et son bagout, et surtout son charisme qui allait nous emporter côtoyer les portes de l’hypnose, hypnose qui nous a fait voir des infrastructures en guise d’allégorie de la caverne d’Ali Baba et des 40 voleurs. Là où on attendait « Monsieur Propre », arrive alors, non  pas Zorro, mais Sancho  Pancha, ou plutôt Don Quichotte qui pourchassait des moulins à vent, et qui nous mit au régime sans sel, sans épices, dans un discours sec comme un coup de trique, sans souffle, convenu, mais aussi inconvenant quand on sut qu’il s’apprêtait à convier, malgré ce discours de rupture, ses anciens bourreaux qui l’habillèrent des habits du complice. Macky Sall n’a pas su tuer le match, et nous avons quitté le stade de sa politique où les jeux étaient faits. Pourquoi voter ? Pour ramener par la fenêtre ceux qu’on avait éjectés par la grande porte de l’histoire ? Match pour match, les Sénégalais choisirent Espagne-Italie !!! Et puis que leur a-t-on proposé durant trois semaines d’une campagne où la plupart des prétendants semblaient sortir d’un fût de formol, avec en plus leurs discours remplis seulement des mots « vols et audits », et pas un seul souffle pour le rêve et le challenge, mais une haleine chargée des herbes éparses que rotent, gavés, les ruminants transhumants. Au nouveau type de citoyen, ils opposèrent l’ancien type de député. Au service du parti et non du peuple.  NTS contre ATD !!! Seuls 30% des Sénégalais voulurent voir ce spectacle, cette partie de poker-menteur renforcée par un mode de scrutin inique qui donne la majorité au premier arrivé sur le tapis vert du casino. Elle est amère cette victoire, elle va faire profil bas cette majorité, avec ces hommes qui pour la plupart criaient en 2007 que avec 37% des Sénégalais, l’assemblée sortante était illégitime et qui vont aller tête baissée, langue pendante et regard avide, s’assoir sur les fauteuils laissés vacants par ces mêmes illégitimes députés, et envoyer à la casse leurs vieilles bagnoles qui se retournent sur nos routes, pour s’en offrir des plus rutilantes. Déjà qu’on ne sait voter que « contre », vous auriez souhaité que nous allions voter « pour » ça ?
Et puis les Sénégalais, c’est l’autre leçon d’un scrutin, ont réaffirmé qu’ils n’aimaient pas les hypocrites, les traîtres qui cheminent avec Wade quand ça va bien pour eux-mêmes et qui prennent tout ce qu’il veut bien leur laisser, et qui, tout d’un coup, « bokkent guissent-guissent », quand ça ne va plus pour eux, et qu’ils cherchent notre immunité… parlementaire. Alors, derrière Macky-Don Quichotte, les électeurs ont placé Wade-Robin des Bois et puni les recéleurs, avant de convier les religieux au banquet de leurs suffrages… pour qu’au moins durant cinq ans, quelques prières des néo-députés-marabouts  leur épargnent  l’enfer, pendant qu’ils aiguisent encore leurs cartes d’électeurs, en jurant, un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus.  Ils préparent la grosse fête, celle où ils vont encore faire ce qu’ils savent faire de mieux : voter contre !!! Vraiment, y’en a marre…