Robert Bourgi, l'homme de l'ombre

L'avocat dit avoir remis des fonds occultes à Chirac, Villepin et Le Pen. Qui est-il ?


Robert Bourgi, l'homme de l'ombre
Il a gardé le silence pendant quarante ans. Mais en l'espace de trois jours, il a décidé de tout déballer. Depuis dimanche, Robert Bourgi, l'un des hommes les plus secrets de France, multiplie les accusations explosives contre Jacques Chirac, Dominique de Villepin et même Jean-Marie Le Pen, affirmant avoir joué les intermédiaires entre plusieurs chefs d'État africains et les principaux responsables de la classe politique française. Des millions d'euros auraient ainsi transité, de la main à la main, entre les deux continents, pour financer plusieurs campagnes électorales hexagonales. Pour les principaux intéressés, ces "allégations" sont de la diffamation pure et simple. Robert Bourgi confie d'ailleurs lui-même n'avoir "aucune preuve" de ce qu'il avance.

"C'est évident qu'il n'y a aucune preuve, mais c'est évident aussi que tout ce qu'il dit est vrai !" lâche un de ses proches. Comme tous ceux qui l'ont côtoyé, il raconte le parcours d'un homme de l'ombre, d'origine libanaise et né à Dakar au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Sa famille est "extraordinairement puissante" dans toute l'Afrique de l'Ouest. "Chez les Bourgi, on est intermédiaire de père en fils", racontent Stephen Smith et Antoine Glaser dans le deuxième tome de Ces messieurs Afrique (1). Le père de Robert Bourgi, Mahmoud, est l'un des principaux informateurs de Jacques Foccart, l'incontournable Monsieur Afrique du général de Gaulle à l'Élysée. Une "charge" transmise à la génération suivante. Après une thèse de doctorat à Paris sur "Le général de Gaulle et l'Afrique noire", Robert Bourgi devient professeur à Abidjan. Mais surtout, il prend progressivement la relève de son père et devient un "relais" entre les gaullistes français et plusieurs présidences sur le continent, comme le rappellent Smith et Glaser.

"Efficacité et discrétion"

Intronisé par Jacques Foccart lui-même, qui disparaît en 1997, il s'impose rapidement comme un pivot essentiel de la Françafrique. "Je travaille à la fois pour les présidents africains et pour le président français", a-t-il expliqué un jour. "C'est un conseiller des chefs d'État africains", rectifie un conseiller élyséen sous Chirac, qui ne cache pas son irritation envers Bourgi. Rien d'étonnant à ce que Dominique de Villepin soit la cible principale de Bourgi. Les deux hommes ne s'aiment pas. Comme le relatent Smith et Glaser dans Sarko en Afrique (2), l'ancien Premier ministre, diplomate de formation, est de ceux qui s'irritent du parasitage des réseaux diplomatiques français par ces "hommes de l'ombre".

Cela n'a pas empêché Robert Bourgi de tracer son sillon. Même Nicolas Sarkozy, qui avait juré d'en finir avec ces pratiques entre la France et ses ex-colonies, a pourtant renouvelé sa confiance à l'avocat, lui réservant une place de choix, dans le carré "famille" lors de sa cérémonie d'investiture à l'Élysée, en juin 2007. Trois mois plus tard, Bourgi recevait des mains du président de la République les insignes de chevalier de la Légion d'honneur. "Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion", lui lançait alors le chef de l'État. Robert Bourgi ne s'est pas fait prier. En septembre 2009, il raconte lui-même que le président gabonais Omar Bongo l'avait personnellement chargé de demander au chef d'État la tête du secrétaire d'État à la coopération, Jean-Marie Bockel, coupable à ses yeux d'avoir exprimé sa volonté d'en finir avec la Françafrique.

"Il agit sur ordre"

Mais comment expliquer désormais un tel déballage de la part de quelqu'un qui, en mars 2008, affirmait au Point n'avoir "jamais transporté de valise" ? "Il agit sur ordre du premier cercle", comprendre l'entourage de Nicolas Sarkozy, jure l'ancien conseiller de la présidence. "Il s'agit de détourner les yeux sur la chiraquie alors que la sarkozie est bien plus mouillée", affirme ce chiraquien aujourd'hui retraité. "Il ne parle pas spontanément", estime un autre ancien du Château, qui ne voit pas Bourgi "suicider son fonds de commerce pour le plaisir". Plusieurs de ses amis disent le trouver "bizarre" depuis quelque temps. "Je suis un repenti, je bats ma coulpe", assure-t-il. Ceux qui le connaissent bien ont du mal à y croire.

(1) Ces messieurs Afrique 2 : Des réseaux aux lobbies, Antoine Glaser et Stephen Smith, Calmann-Levy (1997)

(2) Sarko en Afrique, Antoine Glaser et Stephen Smith, Plon (2008)

( Le point.fr ) 
Mardi 13 Septembre 2011




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