Révolution d’octobre 1917 et perspectives de la question paysanne au Sénégal


Révolution d’octobre 1917 et perspectives de la question paysanne au Sénégal
A la conférence de l’éminent Professeur Samir Amin à Dakar dans les locaux de L’Harmattan Sénégal sur Un siècle après la révolution d’octobre 1917 : promesses et expériences du socialisme. Cette conférence a été organisée par le Comité sénégalais pour la Commémoration du Centenaire de la révolution d’octobre 1917. Professeur Amin a accentué son intervention sur la portée de la révolution d’octobre 1917 pour le monde, en particulier pour l’Afrique. Alors, il a parlé beaucoup de choses intéressantes. Mais, en tant que Chercheur sur les questions agricoles, la partie qui m’a le plus interpelé est de réfléchir à la manière d’associer les masses populaires aux révolutions, en particulier les masses paysannes.

Professeur Amin a indiqué que les expériences soviétiques ont inspiré la Chine de Mao. Compte tenu des besoins de l’époque et les visions futures qui prévalaient (et peut-être encore aujourd’hui), il y a eu un consensus sur la nécessité de transformer l’agriculture paysanne et familiale en agriculture industrielle. Mais, la forme que cela devait prendre restait à définir : coopératives privées ou coopératives d’Etat ? En Union soviétique, le décret de Lénine sur la terre adopté le 26 octobre 1917 a entériné l’accès à la terre des paysans qui l’avaient déjà prise des mains des anciens aristocrates grâce à la révolution d’octobre 1917. La politique de la collectivisation du système agricole soviétique s’en est suivie avec les kolkhozes et les sovkhozes. En Chine, Mao a préféré la propriété d’Etat de la terre tout en permettant l’accès des paysans à la terre pour développer l’agriculture familiale. Ceci, non seulement pour mieux vivre mais aussi pour réduire l’exode rural au besoin d’une main d’œuvre industrielle en ville. D’après le conférencier, c’est à ce niveau qu’il existe des leçons pour l’Afrique sur la question des masses paysannes. Il ne s’agit pas de reproduire ces expériences sur le continent africain mais de s’en inspirer pour mettre en place des réformes progressistes, novateurs et qui collent aux réalités africaines.

Aux indépendances, la majorité paysanne africaine s’est trouvée organisée par des coutumes déformées ou détruites par la colonisation. Ce qui a conduit à la disparition des régimes communautaires. J’ai été de nouveau interpelé quand le conférencier a évoqué l’exemple du Sénégal sous Senghor qui, méfiant d’une privatisation rapide des terres agricoles, a instauré la loi n°64-46 du 17 juin 1964 sur le Domaine national. Donc, si on devrait tirer les leçons de la révolution d’octobre 1917 sur la question paysanne, il devient pertinent de souligner que le phénomène de « land grabbing » ou d’accaparement des terres qu’on observe un peu partout dans les pays en développement (surtout en Afrique) est en déphasage avec la sécurisation de l’accès des paysans à la terre agricole. Pour le cas du Sénégal, les exemples de Fanaye (Saint-Louis) et de Nétéboulou (Tambacounda) où des milliers d’hectares sont octroyés à des multinationales marquées par l’idéologie capitaliste au détriment des populations locales c’est-à-dire les masses paysannes qui pratiquent l’agriculture familiale. Récemment une forte opposition populaire au projet rizicole initié à Dodel et Némette (Saint-Louis) par un groupe marocain aurait amené le président de la République à annuler l’octroi d’une concession de 10 000 hectares en décembre 2017.

Pour finir, tout ceci indique que cette question foncière est toujours d’actualité au Sénégal et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour ne pas faire table rase des enseignements de la révolution d’octobre 1917 sur la question des masses paysannes. En effet, depuis octobre 2012, la Commission nationale de réforme foncière a travaillé, comme son nom l’indique, sur une proposition de réforme du foncier au Sénégal dans le but de « trouver un équilibre consistant entre la satisfaction des intérêts du capital, la sauvegarde du patrimoine que constitue la terre, et la préservation des intérêts des populations locales, à travers l’agriculture familiale ». Elle a rendu ses conclusions au président de la République depuis avril 2017. Mais, il semblerait que ce dernier n’adhère pas aux conclusions de la CNRF. Donc, la réforme foncière est au point mort. Wait and see !
-- 
Sidy TOUNKARA
Docteur en Sociologie de l'environnement
Master en Gestion sociale de l'environnement
et Valorisation des ressources territoriales
Diplômé de l'Université de Toulouse et
du Centre universitaire de formation et de recherche d'Albi
Dimanche 4 Février 2018




Dans la même rubrique :