Il est vrai que la disparition tragique du capitaine Thomas Sankara, le 15 octobre 1987, a constitué, pour une grande partie de la jeunesse africaine, une blessure singulière. Le souvenir est encore vivace dans la mémoire des gens de ma génération quand de Dakar à Douala, de Bobo Dioulasso à Mombassa, de Conakry à Addis-Abeba, on entendit cette même jeunesse hurler à l’unisson, souvent en sanglots : « L’Afrique est maudite ! ».
En son temps, les ondes de choc de la mort du capitaine au destin exceptionnel, pour paraphraser Babacar Justin Ndiaye, ne laissèrent indifférents ni le Président Ronald Reagan, chantre du néolibéralisme et de l’anticommunisme, ni le Président François Mitterrand alors grand régent de la françafrique.
Pour résumer la courte vie trépidante de Thomas Sankara, il faut peut-être convoquer Victor Hugo en lui empruntant : « Ô Dieu, que cet homme était grand ! ». Mais si l’Afrique a perdu Sankara, elle ne peut pas se permettre de perdre le Burkina ! Autrement dit, nous sommes ici au cœur d’un délicat jeu de cartes : Avec le risque du « Niaak dix, niaak lestek ». C’est-à-dire, en langage de chez nous, courir le risque de perdre deux fois au change.
Nous comprenons la douleur inextinguible de Mariam Sankara et de ses enfants, de la famille de David Ouédraogo, de la famille de Norbert Zongo, de la famille du commandant Lingani et de celle du capitane Zongo….La liste est décidément longue !
Mais une chasse intelligente à l’impunité en Afrique doit contourner, ne serait-ce que provisoirement, certains buissons. Le Burkina semble être aujourd’hui de ceux-là. Dans le cas d’espèce, les dirigeants africains, la communauté internationale et la société civile burkinabé gagneraient à s’inspirer de cette tirade de l’Antigone de Sophocle : « Il y a des lois qui sont éternelles même si elles ne sont pas écrites ».
Vouloir démanteler en une année le système Blaise au Burkina, vieux de près de trente ans, avec sa soldatesque de plus d’un millier d’hommes, surarmée par rapport au reste de la troupe, entraînée dans les mêmes standards que les meilleurs para-commandos au monde, relève sinon d’un moment lunatique, à tout le moins d’un manque de réalisme assourdissant. Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré ne sont pas le froussard épais Charles Taylor du Libéria ou l’indolent Jean-Pierre Mbemba de la RDC. Nous avons affaire ici à d’anciens commandos de la ville de Pô, qui n’ont guère volé leurs épaulettes et qui ont tout un système qui leur obéit au doigt et à l’œil. De plus, l’armée a longtemps constitué dans ce pays la matrice autour de laquelle se structure et s’organise la vie politique. Casser cette colonne vertébrale au nom d’un multipartisme administratif encore improductif sur le continent en termes de production du développement, revient à «Malidifier » un Burkina, forteresse encore intouchable par l’hydre terroriste. À l’instar du Tchad et de sa vaillante armée, l’Afrique a aujourd’hui, plus que jamais, besoin du solide rempart burkinabé contre le terrorisme et son corollaire : l’embrasement. Une façon de dire que les Burkinabés doivent trouver l’équilibre du funambule sur une corde déjà trop raide qui, à tout moment, peut céder.
Il faut dire que l’exemple du claudicant Pierre Kurunziza du Burundi semble avoir donné espoir à d’autres en ce qui a trait au bricolage constitutionnel et à une certaine défiance à l’égard de la communauté internationale. À cela s’ajoute l’imprudence du Président de la transition burkinabé, le débonnaire Michel Kafando, d’avoir choisi la terre ivoirienne, à quelques encablures du réduit de Blaise Compaoré, comparé au palais au Kosyam, pour lancer le message pour le moins osé : « S’il se tient tranquille, il n’y aura pas de problème mais dans le cas contraire…..». Pour un ancien diplomate qui connait bien les us et coutumes quand on est en territoire étranger, il s’agit tout simplement d’une provocation sinon d’une tentative d’humiliation à l’endroit du camarade Blaise.
Maître Sidiki Kaba, grand chasseur d’impunité en Afrique, s’il en est, n’a pas été en reste quand il affirme en gros que si des éléments compromettants sont retenus contre Blaise Compaoré, il fera face à la justice. Dans le fonds, le Ministre a raison. Mais qu’est-ce qui presse pour relater cette évidence ? Que perd-t-il à attendre ? S’il a gagné en termes d’engagement auprès de son institution, en l’occurrence la CPI, il venait de mettre en mal une transition burkinabé particulièrement fragile.
Blaise Compaoré n’est pas encore dans la situation d’un Hissène Habré, un homme quasiment seul qui mène un combat quasi solitaire. L’ancien locataire du palais de Kosyam dispose toujours de solides points d’ancrage quasi intacts en territoire burkinabé que sont le RSP et son Parti ; sans compter les réseaux affairistes locaux et les milieux maçonniques africains et hexagonaux. Tout cela pour dire que l’homme dispose encore d’une grande capacité de nuisance. D’où l’importance d’avoir cet homme à l’usure. Une façon de dire à nos amis du mouvement du balai citoyen que s’ils ont gagné la bataille d’Octobre 2014, il leur sera extrêmement difficile de remporter guerre, dans les circonstances, dans la perspective d’une lutte ultime à finir.
C’est pourquoi, la sortie de crise au Burkina pourrait se trouver dans les limbes de nos souvenirs de Madiba, Nelson Mandela de son vrai nom, et dans l’expérience de la nation arc-en-ciel d’Afrique du Sud. Une Commission vérité et réconciliation à la sauce burkinabé pourrait certainement sauver, à la fois, un processus de transition incertain ainsi que les intérêts de Blaise, sa soldatesque, et ceux de son Parti.
Au lieu de s’adonner à des condamnations stériles, l’Union africaine devrait plutôt saisir cette occasion pour affirmer son leadership dans la crise malienne qui semble intimement liée à celle du Burkina. S’il y a un Chef d’État en Afrique qui ne dort plus du sommeil du juste depuis ce coup d’État au Burkina, c’est bien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) du Mali. IBK sait plus que quiconque la capacité de nuisance de Blaise Compaoré qui n’a jamais fait mystère ni ménagé son effort dans le sens d’une partition du Mali. Il ne faudrait surtout pas déranger IBK dans ses prières en lui demandant ce qu’il pense de la mise en place d’une Commission vérité et réconciliation au Burkina en vue d’une sortie de crise. Sa réponse coulera de source !
Dans une telle éventualité, l’Union africaine pourrait arracher à Blaise et à sa soldatesque la contrepartie d’un éloignement définitif du champ politique burkinabé et des affaires intérieures des pays limitrophes dont le Mali. Cette solution est loin d’être parfaite mais elle présente l’avantage de sauver le Burkina de l’implosion. Là où cela est possible, l’Afrique ne doit pas se priver de la science et de la sagesse de Madiba.
À Mariam Sankara, à ses enfants et aux autres familles de victimes, il faudra expliquer cette impunité provisoire que nous suggérons. Toujours est-il que, ce que Thomas Sankara a eu mort, le camarade Blaise ne l’aura jamais vivant !
Mamadou Lamine Sylla, PhD, Montréal, Canada
Auteur du livre : Pour mieux amarrer l’Afrique noire à l’économie mondiale globalisée, Éditions L’Harmattan, 2015
Source : www.leveritabledialogueafricain.com
En son temps, les ondes de choc de la mort du capitaine au destin exceptionnel, pour paraphraser Babacar Justin Ndiaye, ne laissèrent indifférents ni le Président Ronald Reagan, chantre du néolibéralisme et de l’anticommunisme, ni le Président François Mitterrand alors grand régent de la françafrique.
Pour résumer la courte vie trépidante de Thomas Sankara, il faut peut-être convoquer Victor Hugo en lui empruntant : « Ô Dieu, que cet homme était grand ! ». Mais si l’Afrique a perdu Sankara, elle ne peut pas se permettre de perdre le Burkina ! Autrement dit, nous sommes ici au cœur d’un délicat jeu de cartes : Avec le risque du « Niaak dix, niaak lestek ». C’est-à-dire, en langage de chez nous, courir le risque de perdre deux fois au change.
Nous comprenons la douleur inextinguible de Mariam Sankara et de ses enfants, de la famille de David Ouédraogo, de la famille de Norbert Zongo, de la famille du commandant Lingani et de celle du capitane Zongo….La liste est décidément longue !
Mais une chasse intelligente à l’impunité en Afrique doit contourner, ne serait-ce que provisoirement, certains buissons. Le Burkina semble être aujourd’hui de ceux-là. Dans le cas d’espèce, les dirigeants africains, la communauté internationale et la société civile burkinabé gagneraient à s’inspirer de cette tirade de l’Antigone de Sophocle : « Il y a des lois qui sont éternelles même si elles ne sont pas écrites ».
Vouloir démanteler en une année le système Blaise au Burkina, vieux de près de trente ans, avec sa soldatesque de plus d’un millier d’hommes, surarmée par rapport au reste de la troupe, entraînée dans les mêmes standards que les meilleurs para-commandos au monde, relève sinon d’un moment lunatique, à tout le moins d’un manque de réalisme assourdissant. Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré ne sont pas le froussard épais Charles Taylor du Libéria ou l’indolent Jean-Pierre Mbemba de la RDC. Nous avons affaire ici à d’anciens commandos de la ville de Pô, qui n’ont guère volé leurs épaulettes et qui ont tout un système qui leur obéit au doigt et à l’œil. De plus, l’armée a longtemps constitué dans ce pays la matrice autour de laquelle se structure et s’organise la vie politique. Casser cette colonne vertébrale au nom d’un multipartisme administratif encore improductif sur le continent en termes de production du développement, revient à «Malidifier » un Burkina, forteresse encore intouchable par l’hydre terroriste. À l’instar du Tchad et de sa vaillante armée, l’Afrique a aujourd’hui, plus que jamais, besoin du solide rempart burkinabé contre le terrorisme et son corollaire : l’embrasement. Une façon de dire que les Burkinabés doivent trouver l’équilibre du funambule sur une corde déjà trop raide qui, à tout moment, peut céder.
Il faut dire que l’exemple du claudicant Pierre Kurunziza du Burundi semble avoir donné espoir à d’autres en ce qui a trait au bricolage constitutionnel et à une certaine défiance à l’égard de la communauté internationale. À cela s’ajoute l’imprudence du Président de la transition burkinabé, le débonnaire Michel Kafando, d’avoir choisi la terre ivoirienne, à quelques encablures du réduit de Blaise Compaoré, comparé au palais au Kosyam, pour lancer le message pour le moins osé : « S’il se tient tranquille, il n’y aura pas de problème mais dans le cas contraire…..». Pour un ancien diplomate qui connait bien les us et coutumes quand on est en territoire étranger, il s’agit tout simplement d’une provocation sinon d’une tentative d’humiliation à l’endroit du camarade Blaise.
Maître Sidiki Kaba, grand chasseur d’impunité en Afrique, s’il en est, n’a pas été en reste quand il affirme en gros que si des éléments compromettants sont retenus contre Blaise Compaoré, il fera face à la justice. Dans le fonds, le Ministre a raison. Mais qu’est-ce qui presse pour relater cette évidence ? Que perd-t-il à attendre ? S’il a gagné en termes d’engagement auprès de son institution, en l’occurrence la CPI, il venait de mettre en mal une transition burkinabé particulièrement fragile.
Blaise Compaoré n’est pas encore dans la situation d’un Hissène Habré, un homme quasiment seul qui mène un combat quasi solitaire. L’ancien locataire du palais de Kosyam dispose toujours de solides points d’ancrage quasi intacts en territoire burkinabé que sont le RSP et son Parti ; sans compter les réseaux affairistes locaux et les milieux maçonniques africains et hexagonaux. Tout cela pour dire que l’homme dispose encore d’une grande capacité de nuisance. D’où l’importance d’avoir cet homme à l’usure. Une façon de dire à nos amis du mouvement du balai citoyen que s’ils ont gagné la bataille d’Octobre 2014, il leur sera extrêmement difficile de remporter guerre, dans les circonstances, dans la perspective d’une lutte ultime à finir.
C’est pourquoi, la sortie de crise au Burkina pourrait se trouver dans les limbes de nos souvenirs de Madiba, Nelson Mandela de son vrai nom, et dans l’expérience de la nation arc-en-ciel d’Afrique du Sud. Une Commission vérité et réconciliation à la sauce burkinabé pourrait certainement sauver, à la fois, un processus de transition incertain ainsi que les intérêts de Blaise, sa soldatesque, et ceux de son Parti.
Au lieu de s’adonner à des condamnations stériles, l’Union africaine devrait plutôt saisir cette occasion pour affirmer son leadership dans la crise malienne qui semble intimement liée à celle du Burkina. S’il y a un Chef d’État en Afrique qui ne dort plus du sommeil du juste depuis ce coup d’État au Burkina, c’est bien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) du Mali. IBK sait plus que quiconque la capacité de nuisance de Blaise Compaoré qui n’a jamais fait mystère ni ménagé son effort dans le sens d’une partition du Mali. Il ne faudrait surtout pas déranger IBK dans ses prières en lui demandant ce qu’il pense de la mise en place d’une Commission vérité et réconciliation au Burkina en vue d’une sortie de crise. Sa réponse coulera de source !
Dans une telle éventualité, l’Union africaine pourrait arracher à Blaise et à sa soldatesque la contrepartie d’un éloignement définitif du champ politique burkinabé et des affaires intérieures des pays limitrophes dont le Mali. Cette solution est loin d’être parfaite mais elle présente l’avantage de sauver le Burkina de l’implosion. Là où cela est possible, l’Afrique ne doit pas se priver de la science et de la sagesse de Madiba.
À Mariam Sankara, à ses enfants et aux autres familles de victimes, il faudra expliquer cette impunité provisoire que nous suggérons. Toujours est-il que, ce que Thomas Sankara a eu mort, le camarade Blaise ne l’aura jamais vivant !
Mamadou Lamine Sylla, PhD, Montréal, Canada
Auteur du livre : Pour mieux amarrer l’Afrique noire à l’économie mondiale globalisée, Éditions L’Harmattan, 2015
Source : www.leveritabledialogueafricain.com
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