Le retour du dernier samouraï


Le retour du dernier samouraï
  • Monsieur l’Ambassadeur de Tombouctou, qu’est ce que vous en  dites du retour du dernier samouraï ?

Je n’en dis rien.

  • Qu’est ce que vous dites ?

Je répète que je n’en dis rien.

  • Jugez-vous la situation politique du pays grave avec ce retour ?

Ce retour est surévalué, surfacturée. Nous connaissions la pièce avant même le lever de rideau. On connait l’araignée pour anticiper sur la toile. Dommage qu’il soit venu finalement aider les juges à mieux fermer la grille. L’homme de parti à l’imposante vieillesse qui a choisi de revenir à la place de l’homme d’Etat, a choisi de s’asseoir entre le précipice et le gouffre, alors que des vallées vertes et ombragées s’offrent à son âge. Entre l’honorabilité et le respect, il a choisi l’inconfort.

  • C’est un père désespéré qui se bat ?

Il a raison de se battre. C’est son devoir de père. Mais ce n’est pas comme disait l’autre, le fils qui est en prison, mais le ministre de la République. La loi doit avoir raison des convenances, des filiations, des sentiments. Père désespéré certes, mais surtout père effrayé. Le temps joue contre lui. Son linge manque de plus en plus de boutons. Ce n’est pas aux chefs religieux à qui il faut demander la libération de son fils, car ce n’est pas l’argent des chefs religieux que son fils aurait dérobé. Et puis, ne serait-il pas l’auteur des malheurs de celui-ci en lui déroulant, sous son magistère, un tapis rouge vers la prison ? C’est à la probité des juges qu’une République emprunte sa grandeur et le respect de sa démocratie.

  • Cet homme est-il vraiment dangereux Excellence ?

Non, il n’est pas dangereux, même si il nous a semblé qu’il s’est toujours donné des «responsabilités cosmiques». On le laisse plutôt faire. Un patriarche est toujours acquitté. Son âge le tient en courte laisse. Si cet homme n’existait pas tel qu’il se révèle dans l’adversité, il faudrait ne pas l’inventer. Il nous laisse de grandes blessures face au monde qui nous regarde. Nous sommes des croyants, alors appelons Dieu sur lui du plus profond de nos cœurs. Il y a une part d’immense bonté et de conscience de la faute chez cet homme, même si cela peut paraître inimaginable chez lui.

  • La foule était innombrable à son accueil.

Un homme n’est pas un peuple. La jeunesse l’a porté au pouvoir. La jeunesse l’a chassé du pouvoir. Les foules ne sont pas un baromètre. Nos foules sont souvent des foules cosmétiques, sinon des foules  d’émotion et non des foules analytiques. C’est pourquoi le réveil devant les urnes est souvent une douloureuse chanson.

  • Excellence, quelle posture l’actuel Président en exercice doit-il adopter ?

Un jeune sage n’a pas forcément besoin des mœurs d’un vieux renard. Le courage n’a jamais empêché une posture de veille. Ce n’est surtout pas faiblesse ou mollesse. La République ne doit pas être «celle qui ruse, mais celle qui décide». Notre intime conviction  est que le Président dans cet héritage qu’on lui a laissé, est un fauve qui se contraint au calme, à la mesure. Il a raison de réserver désormais son œil et son énergie aux attentes pressantes de son peuple. Entre lui et son pesant prédécesseur, ce n’est point le combat de l’aigle et du coq. Les épreuves sont toujours le lot d’un chef d’Etat en exercice. Les Sénégalais se rendront compte de plus en plus chaque jour que ce jeune Président tranquille et robustement habité par sa charge est une banane avec laquelle on se casse les dents.

  • Son mandat ramené à cinq ans n’est-il pas trop court ?

Il a pris cette décision avec beaucoup de sincérité, mais il est apparu qu’elle semblait hâtive et prématurée pour son camp. Ce n’est pas un homme qui pourrait revenir en arrière. Il a dit ce qu’il pensait devoir dire. En Afrique, chez un Président, cela devrait nous rassurer et nous honorer au lieu de nous inquiéter. Une des solutions serait de soumettre par référendum au peuple sénégalais et non au Parlement les propositions sorties de sa commande à l’équipe d’Amadou Moctar Mbow d’un projet de Constitution plus avancée, plus démocratique et d’y inclure si oui ou non le peuple approuve ou rejette un premier mandat de sept ans et non de cinq ans comme il a librement décidé de se l’appliquer. Il n’aurait rien à perdre dans ce référendum. Cela le grandirait encore.

  • A quoi sert aujourd’hui le jeu de  l’ancien et vieux Président ?

Au-delà de l’humaine et inconfortable tentative de trouver une sortie au malheur de son fils, il retarde la pose de la dalle sur le caveau d’un parti qui, sous sa conduite, a atteint ses limites biologiques. Mais il est utile dans une démocratie que ce parti combatif renaisse avec du sang neuf et forcément dans la douleur et la nostalgie, mais libéré de toute location vis-à-vis de son propriétaire ombrageux et leader historique.  Le temps nous le dira bientôt.

  • Que restera t-il de cet ancien Président ?

Des morceaux de rêve, de haillons et de pourpre ainsi que l’image d’un homme incurablement obstiné, exalté, démesuré, incontestablement héroïque et admiré à qui Dieu aurait dû donner une troisième vie pour le repos, la méditation, le repentir et le pardon. Pourquoi chercher à mourir à Sainte-Hélène sans être Napoléon ?

  • Qu’ajoutez-vous encore Monsieur l’Ambassadeur de Tombouctou ?

Rien ne doit nous éloigner des chemins du dialogue et de la paix. La politique n’est pas un champ de guerre. Le peuple est le seul arbitre. C’est l’honneur de notre pays que nous défendons en accueillant avec respect l’ancien Président de la 3ème République du Sénégal. La République, c’est l’élégance. C’est là son habit naturel, même dans la fermeté. La téranga ne saurait cependant être considérée comme une marque de faiblesse. L’ancien président resté vissé comme chef de parti n’est pas un ennemi. Mais il ne faut pas enseigner aux autres ce que l’on ne s’applique pas soi-même. Il faut être prêt à mourir pour ses idées, mais non préparer d’autres à mourir à votre place. La force et la ruse ne sauraient prévaloir sur le droit. Les grands hommes d’Etat ne changent pas. Ce sont les petits qui changent. Etre du côté du progrès et de la paix sociale serait de respecter la République que l’on a servie et avec laquelle on a fait quelque part de beaux enfants. En effet, quelle intelligence chez cet homme, quelle audace, quelle générosité, quelle force de travail ! Mais tout fut un gâchis! Dommage que le succulent intellectuel n’ait pu adoucir les passions insensées d’un insatiable politicien. Nul ne peut lui enlever le formidable travail  infrastructurel accompli. Nul ne pourra effacer son combat pour l’édification d’une Afrique forte, digne et unie. Il sera difficile de lui contester l’image singulière et rebelle d’un chef d’Etat qui a imposé au monde son refus des normes établies, sa façon d’étonner et de déplaire. Ses excès sont célèbres. Son audace légendaire. Ils  n’auront pas d’ailleurs conduit notre pays qu’au paradis. Avec lui, malgré nous, nous avons visité l’enfer et sans climatisation. Il n’a pas perdu le pouvoir innocemment. Quand un prince prend le peuple pour un zoo, il finit par être mangé par le zoo.

  • Comment justifier cette attitude d’un ancien Président ?

C’est l’homme qui colle à sa légende. C’est une fabrique politique spéciale « made in Sénégal ». Le monde entier s’en étonne et s’en émeut. Certains compatriotes en rient, d’autres sont choqués. Cet homme a bouleversé nos schémas culturels, déréglé les vertus de la sagesse. A lui tout seul, il est devenu une glaciale révolution culturelle et politique ! Notre vitrine internationale, par ordre alphabétique, était jusqu’ici la démocratie, la culture, les ordures. Il faudra désormais y ajouter le plus vieil homme politique de l’Afrique qui au soir de son incroyable vie, court encore la rue et harangue les foules ! La vérité est que cet homme restera comme une île dans l’histoire de notre pays. Il reste que le temps des anciens présidents de la République devient de plus en plus lointain, quelle que soit leur actualité. Toutefois, leur grandeur morale restera vivante pour ceux qui ont œuvré dans la lumière, traité le verdict du peuple avec déférence, fuient l’excès, la vanité, l’encens, la tyrannie, l’ivresse, les louanges. Nul ne peut plus dans cet ardent pays empêcher la loi des urnes de s’exercer. Un homme d’Etat ne doit pas être moins digne que son peuple. Il faut savoir partir. Plus encore: refuser de se retourner. C’était la grande leçon de Senghor à Ahmadou Ahidjo venu lui annoncer son départ volontaire du pouvoir au Cameroun. On connait la triste suite.

  • Vous avez encore autre chose à souligner Excellence ?

Quand on accède au pouvoir, les jours sans pain, les soirs sans chandelles, les mois sans salaire et sans loyer, les habits troués, sont inexistants. C’est cette sécurité et cette tranquillité qu’il faut penser donner également à son peuple. Le Sénégal ne peut plus être un trou de verdure où paissent des vaches grasses dans des villages faméliques. Si en Afrique certains hommes d’Etat levaient souvent les yeux vers le ciel, ils verraient combien ils sont si peu de chose. La seule fois que le prince est plus grand que la République, c’est quand il est à genoux devant elle, qu’il ne lui a pris que ce qu’elle a bien voulu lui donner.

  • Pour conclure, quel est votre regard sur la relève politique au Sénégal  Monsieur l’Ambassadeur de Tombouctou?

Il y a un puissant besoin d’avenir. Notre destin collectif est plus important que celui des hommes politiques. Le Sénégal a existé avant nous, il existera après nous dans la paix et le progrès. Soyons généreux et préparons plutôt la jeunesse à prendre pour femme une belle et solide République à l’ombre d’un peuple apaisé qui sait que désormais les fruits mûriront pour tous. Finalement, le retour du dernier samouraï est une émouvante page blanche. De la mise en scène géniale mais évanescente. Que Dieu le garde à la place de la colère. Que Dieu le guide et l’apaise. Son jeune successeur a décidé de n’avoir pas de rétroviseur. Il ne se retournera pas. Notre pays est à un tournant décisif et le travail qui l’attend a besoin de mille Hercule.

    Nous nous sommes séparés sur cet échange, Monsieur l’Ambassadeur de Tombouctou et moi. Ses propos m’avaient longtemps laissé songeur. J’avais rêvé, pour ma part, voir l’ancien vieux Président embrasser son jeune successeur à la coupée de l’avion. Le cortège présidentiel avait fini au Palais par un entretien en tête à tête et un déjeuner élargi. L’ancien Président ému avait toutefois décliné l’offre de dormir au Palais et avait regagné le quartier de Fann Résidence. Le Président fidèle à sa politesse avait alors tenu à le conduire jusqu’à la porte de son domicile privé à Fann. Pas une seule fois, l’ancien Président n’avait évoqué la situation de son fils.  Il avait ainsi trouvé la meilleure manière d’installer chez son jeune successeur la confiance, le respect mais aussi un sentiment incontournable d’humaine compassion. Il avait plutôt dit à la presse qu’il n y avait plus de place en lui pour archiver du chagrin ou des regrets. Il avait dit combien il tenait en estime la justice de son pays et que l’accueil qui lui avait été réservé par le président de la République était la marque d’un grand pays aux traditions exemplaires: travailler tous ensemble à la lumière de la même chandelle et se soumettre tous au même arbitre: le peuple !

    Dans le fil de mon rêve, je me suis dit alors que dans ce pays, il existait toujours une aurore, que la raison finissait toujours par triompher, que Dieu allait enfin revenir, car il y a longtemps quand Dieu était fatigué, c’est au Sénégal qu’il venait se reposer. Nous pouvons être des fenêtres qui donnent chacune sur des vues différentes, mais dans la même maison. Puisse mon rêve ne pas finir dans le fossé ! Puisse chaque Sénégalais entendre battre son cœur dans la poitrine du compatriote d’en face !

                                                                                  Amadou Lamine Sall

                                                                                        poète

                                                              Lauréat des Grands Prix de l’Académie française

Mercredi 7 Mai 2014
amadou lamine sall




1.Posté par the king le 07/05/2014 10:48
Non mais vous vous prenez pour qui? Un peu de sérieux arrêtez votre poésie macky dou dém



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