Grand, longiligne, la silhouette effilée, tenue toujours bien mise, le Général Lamine Cissé, ancien Chef d’Etat major des armées, ministre de l’Intérieur sous Abdou Diouf, était de ces personnes que l’on remarque, de ces personnalités que l’on ne saurait oublier. Fin connaisseur des enjeux sécuritaires et géostratégiques dans le Sahel, il endossait sans la moindre difficulté le costume d’acteur, de témoin mais également de passeur. Intarissable il racontait la grande comme la petite histoire non sans jamais manquer d’apporter sa petite touche d’humour. Il en avait fait sa marque de fabrique, un élément de langage, de communication – même si sans doute eût-il détesté ce terme – considérant que c’était là le meilleur moyen d’être écouté. C’était un conseil appris auprès de l’un de ses maîtres, et qu’il transmettait volontiers, préférant le débat franc, honnête et sérieux mais sans débordements inutiles au détriment des enjeux de fond qui engageait l’avenir de l’Afrique et de ses jeunesses. Pour ces différentes raisons, paternel sans jamais verser dans le paternalisme, il mit une énergie et un enthousiasme débordant afin de pouvoir organiser, échanger et débattre avec les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop sur les enjeux de l’intégration régionale ; conférence organisée au CESE en marge du forum de Dakar en novembre dernier, pour le Groupe Initiative Afrique – think tank dont il était membre. Dans ce temps préparatoire, et tout Général qu’il fût, il se révéla maintes fois irrésistible. Il n’était pas possible de lui opposer un refus ou de ne pas obtempérer. Son autorité joviale, bienveillante le surpassant, agissait pour lui. Loin d’être de ceux montant au pupitre sans être au fait du travail préparatoire – même si sans doute ses hautes fonctions ne le lui avaient pas toujours permis – il s’amusa que l’on puisse, des heures durant, étudier des devis pour le cocktail déjeunatoire que l’on souhaitait offrir aux étudiants en période de disette budgétaire. Il confia à quelques-uns d’entre nous, je ne savais pas que c’était si compliqué de se mettre d’accord sur deux petits fours sucrés ou salés, d’ordinaire je me servais sans me poser de questions. Il découvrait les coulisses d’une conférence comme l’on fait une première expérience : curieux et souriant. Nous avions également souhaité qu’il ouvre la conférence en retraçant sa trajectoire de panafricaniste. Peu avare d’un bon mot, il avait répondu je ne suis pas Madonna qui rend hommage à Aretha Franklin et in fine à lui-même. Toujours sa grande pudeur, n’aimant pas spécialement parler de lui… Il ne fut pas rare, non plus dans ce temps préparatoire où nous étions à Dakar, que des jeunes vinssent à sa rencontre, le saluer pour le remercier d’avoir été, en 2000, un des artisans de l’alternance. Pudique mais enjoué, il répondait : ah bon ? tu t’en souviens ? Il interrogeait : tu avais quel âge à cette époque ? Et comme s’il s’interrogeait lui-même, il finissait par demander : qu’est ce que cela a changé ? La démocratie et l’espoir, lui répondait-on. Il écoutait ou entendait et prenait congé avec un large sourire. Ce sourire, sa voix chaude et ronde nous accompagneront longtemps encore et pour beaucoup nous continuerons se suivre son sillon, ses conseils dispensés parfois avec fermeté, d’autres distillés l’air de rien (j’avais mis des baskets avec une robe, faute de goût, selon lui, qu’il me fit remarquer en me lançant sans malice : pour les interviews avec les journalistes, on demandera qu’il cadre bien ton buste et ton visage…). Chacune, chacun d’entre nous qui l’avons côtoyé à différents moments de sa vie, nous garderons des anecdotes qui ne reconstitueront pas le puzzle de ce qu’il fût, mais qui, mises bout à bout donneront l’image de celui qui avait pour arme le goût de l’avenir.
Derrière son élégante bonhomie, son humeur joviale, et son exquise politesse, Lamine Cissé jouait surtout sa partition, tranquillement mais avec obstination. En bon chef militaire, il n’avait qu’un objectif, la paix. « N’avoir qu’un but, un seul, mais s’y donner à fond, y consacrer toutes ses forces vives, jusqu’à l’obsession », il avait fait sienne la pensée du maréchal Leclerc dont il admirait le destin. Ainsi sa mission sacrée à lui, c’était la paix, la paix entre les peuples. Il y excellait, avec intelligence, habileté, diplomatie. On sait déjà quel rôle il joua, en 2000, pour que l’exemplarité démocratique perdure dans son propre pays. On sait aussi le rôle éminent qu’il joua en Centrafrique au plus fort de la crise. Mais peu d’entre nous se souviennent de son action déterminante en Guinée, au début des années 2010, alors que le pays sortait d’un épisode particulièrement douloureux, livré aux mains de dangereux aventuriers militaires. Par miracle un Président avait pu être élu de façon démocratique, mais la situation n’était guère brillante, le chaos le plus total s’était installé, la population était terrorisée, tout était à rebâtir. L’urgence était alors d’asseoir cet élan démocratique, de l’ancrer solidement dans les Institutions nationales. L’enjeu était de taille, capital même ! On l’a vu alors donner toute sa mesure. Avec une intelligence rare, une clairvoyance de maestro, une éloquence persuasive, il sut prodiguer aux autorités nouvelles les conseils judicieux pour, en quelques mois, mettre tout le monde autour de la table, rétablir la confiance entre politiques et militaires et au final poser les bases permettant d’avancer sur le bon chemin. A ce moment, son aura, son expérience et sa détermination auront définitivement pesé pour mettre à la raison les turbulents généraux guinéens. C’est bien dans ce genre de situation, tout à son affaire, qu’il forçait l’admiration.
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