L'ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, a été formellement inculpé ce jeudi 18 août et placé en détention préventive pour «crimes économiques», ainsi que son épouse. La justice ivoirienne met ainsi fin à un vide juridique autour du cas Gbagbo, assigné à résidence au nord du pays depuis le mois d’avril sans être inculpé. Parallèlement, la Cour pénale internationale se penche sur les « crimes de sang » commis pendant la crise post-électorale et dont seraient responsables Laurent Gbagbo mais aussi le camp Ouattara.
Depuis son arrestation il y a quatre mois, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo était toujours placé en résidence surveillée à Korogho, au nord du pays, sans avoir été formellement inculpé. Les rares visiteurs admis à s’entretenir avec l’ex-chef d’Etat l’ont rencontré à l’ancienne demeure du président Houphouët-Boigny où il est officiellement détenu avec son médecin personnel. Par crainte d’un assaut, ils seraient régulièrement changés de lieu et « emprisonné » dans une maison secrète de la périphérie de la ville, transformée en prison de fortune.
Sans surprise, ces conditions de détention sont dénoncées avec véhémence par les soutiens de Gbagbo. Ses avocats parlent de « torture » et évoquent un « otage maltraité ». Après une visite à l’ancien président début août, l’Onuci (la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire) a fait part de « quelques préoccupations » sur ses conditions de détention notamment sur le fait qu’il soit privé de la visite de ses avocats. Détention « arbitraire », estimait le camp Gbagbo, mais « nécessaire » pour le pouvoir en place qui a mis fin, ce jeudi 18 août, à ce vide juridique.
Comme l’a déclaré le porte-parole du gouvernement ivoirien, Bruno Koné, au micro de RFI, mardi 16 août, «pour les crimes de sang, les inculpations se feront devant la Cour pénale internationale (CPI) et pour les crimes économiques ou atteintes à la sureté de l’Etat, le tribunal ivoirien va s’en charger. Les deux justices sont activées ».
En tout, une dizaine d’avocats prépare la défense de Laurent Gbagbo. Parmi eux, son ami l’ancien Premier ministre togolais, Me Joseph Kokou Koffigoh, qui a pu lui rendre visite vendredi 8 juillet 2011. « On l’accuse de crime de sang, de crime économique et atteinte à la sureté de l’Etat. Nous sommes dans un monde ubuesque. Ce n’est pas le camp Ouattara qui peut reprocher ça ». Une accusation que balaie Bruno Koné : « le président Ouattara est très ferme dans sa détermination à sanctionner toute les personnes qui auront été formellement accusées de crimes contre les droits humanitaires. Si les enquêtes nous dirigent vers des personnes même proches du camp Ouattara, elles seront sanctionnées ».
Une «justice de vainqueur» ?
En ce mois d’août 2011, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a pointé les exactions commises par les Forces républicaines, la nouvelle armée formée par Ouattara qui compte dans ses plus hauts rangs des anciens chefs de guerre au passé lourd.
Comme l’ex-chef de guerre nordiste Martin Fofié Kouakou qui commande la zone de Korogho, où est détenu Laurent Gbagbo. Depuis 2006, Kouakou est en effet sous sanction de l’ONU pour exécutions extra-judiciaires. De son côté, l’ONU a relevé « 26 cas d’exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires » dont celle d'un enfant de 17 mois et « 85 cas d‘arrestations arbitraires et de détentions illégales ». Témoins et victimes accusent là encore les Forces républicaines.
Une sorte d’impunité à l’égard des criminels de guerre du camp Ouattara ? Pour Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de HRW, la réalité ressemble à une forme de « justice de vainqueur ». Il explique : « 97 personnes du camp Gbagbo ont été inculpées par les procureurs militaire et civil ivoiriens mais aucun membre du camp Ouattara. Çela met la pression sur la CPI qui doit s’assurer que les auteurs de crimes graves du camp Ouattara soient aussi poursuivis ».
Dans les faits, l’étau judiciaire se resserre sur l’entourage de l’ancien chef d’Etat. Son fils, Michel Gbagbo, et plus d’une trentaine d’autres personnalités pro-Gbagbo ont été inculpés d’atteinte à la sûreté de l’Etat par la justice civile et militaire ivoirienne au cours du mois d’août. Et les consultants et soutiens de Gbagbo s’en irritent. « La côte d’Ivoire d’aujourd’hui, c’est la France de 1943. Ils sont sous occupation », lâche Bernard Houdin, conseiller spécial de l'ancien président. Pour ce Français de Côte d’Ivoire et soutien inconditionnel, « la libération du président Gbagbo est la seule chose qui puisse apaiser le pays car il aura une parole apaisante et unificatrice ».
Les pro-Gbagbo préparent leur contre-attaque
A la demande d'Alassane Ouattara, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a demandé le 23 juin dernier aux juges de la CPI l’autorisation d’ouvrir une enquête. Il a dépêché une mission pour poursuivre les investigations et constater sur place les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis depuis le 28 novembre 2010. Près de 500 victimes présumées ont répondu à son appel à témoignages.
Le travail de la CPI se poursuit et Ocampo doit annoncer au plus tard début septembre s’il inculpe Laurent Gbagbo et d’autres personnalités de son camp pour « crimes de sang ». Mais selon nos sources, il n’est également pas exclu que soit inculpé l’ex-leader des rebelles du nord désormais Premier ministre de Ouattara, Guillaume Soro. Une perspective à laquelle se prépare le camp Ouattara, divisé sur le sujet. Mais certains s’arrangeraient de voir Soro devant la CPI et de se « débarrasser » ainsi de l’encombrant chef de guerre.
Les conseillers de Laurent Gbagbo peaufinent leur contre-attaque. Ils se préparent à accompagner Laurent Gbagbo devant le CPI, une cour dont ils remettent déjà en cause la légitimité. « Le procureur est mandaté par la communauté internationale et il est aussi un homme politique. Le vœu de la communauté internationale est de juger Gbagbo et de stabiliser Ouattara », prévient un familier du dossier pro-Gbagbo qui ajoute : « pour Ouattara, se débarrasser de Gbagbo avec la CPI a beaucoup d’avantage. La légitimité internationale de la CPI renforce la légitimité du régime de Ouattara ».
Un procès risqué pour le pouvoir
Mais c’est un pari à haut risque pour le camp Ouattara dont certains caciques pourraient se retrouver sur le banc des accusés de la CPI. « Nous connaissons les risques et nous sommes bien conscients que l’enquête de la CPI ne s’arrêtera pas au camp Gbagbo. Le président Ouattara a sollicité la CPI en connaissance de cause et il est prêt à assumer les enquêtes sur son propre camp. C’est un choix courageux et remarquable », explique l’un des avocats français d’Alassane Ouattara, Jean-Pierre Mignard qui précise, allusif : « je ne suis pas un idéaliste, la Côte d’Ivoire sort du chaos et je sais bien que dans le camp Ouattara… ». Pour ce ténor du barreau, « nous pouvons reprocher à Laurent Gbagbo l’ensemble des exactions et crimes de masse perpétrés pendant la crise post-électorale. Ce n’est pas à la Côte d’Ivoire ni aux avocats de dire s’il est coupable mais pour nous, même s’il n’y a pas de faits directs, il a joué un rôle d’organisateur, de chef de la dissidence anti-constitutionnelle ».
Pour les avocats de Gbagbo, la stratégie consiste déjà à faire de cet éventuel procès celui de Ouattara et de son Premier ministre Guillaume Soro notamment. Pour l’avocat français Emmanuel Altit, en charge de la défense de Gbagbo devant la CPI, la ligne est claire : « S’il y a un procès, nous réfuterons les accusations et nous donnerons une autre version des évènements avec des faits et des preuves à l’appui. Mais c’est bien entendu une démarche très risquée pour nos adversaires… ».
Dans l’hypothèse peu probable qu’il soit libéré, que ferait Laurent Gbagbo ? « Il reprendra la politique », tranche Bernard Houdin. Ce que déconseille Me Koffigoh : « Gbagbo est un homme du terroir. Il reviendrait vivre à Abidjan. En tant qu’ami, je lui conseillerai de ne plus s’occuper de politique. Mais il faut que son parti puisse exister et s’exprimer ». Devant la CPI ou devant les tribunaux ivoiriens, l’ancien président n’a pas fini de déranger le camp Ouattara.
( Avec RFI )
( Avec RFI )
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